Michel SAVATTIER – Une psalmodie du passage

Michel Savattier est un peintre contemporain qui ne peint pas pour se faire voir. Il se meut librement dans son art.

Débarrassé des préoccupations qui encombrent l’esprit, hors de tout intellectualisme, il respire et peint à l’endroit où vibre la lumière primordiale qui sourd du puits de l’être.

Toutes ses créations s’étoilent en vitraux, débouchent sur des aires où, dans des apparences de lavis, des nappes d’ambre ou d’azur, des abrasions de jade ou de jaspe, des écrasements de craie, des stases noires et carminées, des coulées laviques, se libèrent des figures.

Pour mieux dire, j’ai vu et senti dans ses tableaux des âmes observer mon regard. Et je dis que des figures s’y libèrent, parce que j’en ai distingué n’appartenant plus au familier contour d’une image corporelle, mais se diffusant comme un nard subtil parmi les éléments d’un ordre où vibre le silence.

Aucune promesse dans cette peinture pariétale que je ressens pour ma part comme étant au-delà d’une pure perception corticale de l’espace.

Nul départ. Aucun discours. Mais un état des lieux de la condition de l’être qui en a fini avec toute rhétorique, et ne veut qu’être.

Sa peinture est le médium effleurant l’aperçu d’un infini qui appelle, aspire l’être à son parfum.

Même dans ses portraits, la peinture de Michel Savattier témoigne de cette aspiration ou de cet abandon. Le vide est un autre corps ; l’exil, une naissance.

Pas d’épaisseurs, mais des verticalités, des souffles de couleur s’épousant, voilant le vide ; des paysages de lumière que sa peinture aux mille fenêtres médite.

Une plénitude de l’être est peinte, et c’est devant nos yeux que ses perspectives se volatilisent et entrent dans une vacuité sans la nécessité de devoir s’y accomplir.

Cet artiste n’est ni en avance ni en retard. Il est ainsi, dans un renoncement lui permettant de se reconnaitre et de s’entendre. Et s’entendre revient à pénétrer une musique s’unissant aux couleurs des regards et des rencontres qu’elle transporte.

Car ici, l’Entre est à l’œuvre dans une solitude dépassée. Le peintre ouvre et s’ouvre lui-même à la grâce d’une communion chromatique et sensuelle entre la peau et les pigments minéraux utilisés.

Des silhouettes, mais aussi des failles, des tourbillons, des échafaudages ou des jonctions de textures donnent à la profondeur de ses ciels intérieurs une résonance parfaite.

C’est ainsi, dans la peinture de Michel Savattier, que se psalmodie la recherche du passage où nous pressentons que seul l’amour préexiste à la couleur, au geste.

Article paru dans le numéro 21 de la Revue FPM                                               des Editions TARMAC

http://savattier.monsite-orange.fr/

SANS CESSE – petite introduction

« Dans la rencontre amoureuse, je rebondis sans cesse, je suis léger. »

Roland Barthes – Fragments d’un discours amoureux

« L’eau parle sans cesse et jamais ne se répète. »

Octavio Paz – Liberté sur parole

SANS CESSE

Petite introduction

  Pour reprendre un peu les termes de la présentation que j’avais adressée à Jean-Claude Goiri lors de nos premiers contacts, je crois qu’il faut admettre cette prose poétique comme une sorte de prière athée ou profane qui par sa construction anarchique peut aussi ressembler il est vrai à une proposition libertaire.

  SANS CESSE est un texte vitaliste (que je revendique comme tel) tissant dans ses lignes les signes et les images d’une espérance dégagée de toute morale moralisante. C’est un texte doux et fort à la fois qui colle pas mal, par certains de ses aspects, aux questionnements de notre époque, mais dont l’intérêt principal réside, me semble-t-il, dans son désir adolescent de déchirer le voile d’une réalité dont on nous prie de croire par tous les moyens ou presque quelle serait ainsi, avec toutes ses fictions, à prendre ou à laisser. Le hasard qui d’ailleurs traverse souvent le chant apparaît comme une réciprocité à la nécessité, aujourd’hui plus que jamais, de croire aux forces de la vie.

  S’il n’y a dans ce texte aucune autre organisation que celle que le rêve et la spirale de l’ammonite mettent à la disposition de chacun de nous, SANS CESSE n’est pas pour autant un simple récit onirique. Bien entendu, de multiples lectures sont possibles. On peut très bien l’interpréter par exemple comme étant un regard posé sur le/les temps, où la poésie et la sensualité -parfois déclinées au deuxième degré- forment la trame d’une narration dans laquelle on est en mesure de reconnaitre les séquences d’une histoire quelque peu autobiographique faite d’expériences, d’apparitions et de rencontres au sens de « synchronicités » merveilleuses où le hasard, la mémoire et donc le rêve tiennent une place prépondérante.

  Miguel Angel Real qui a choisi d’en présenter des extraits dans la revue mexicaine La Piraña l’a compris avec beaucoup d’intuition. Si l’on en juge par les passages que le poète a sélectionnés pour les traduire en espagnol, on devine que son intérêt se porte sur ce que recèle ce texte quant aux questionnements relatifs à l’écriture, à la parole et aux méandres du dire qui prennent source dans les strates profondes de l’intime, et ne servent pas seulement à raconter une histoire. Il est vrai que les trois-quarts du récit proposés sous la forme d’un monologue intérieur, où le je et le tu établissent une sorte d’ambiguïté, posent la problématique de qui suis-je, qui parle et depuis quel lieu, mais aussi de l’isolement, de l’internement consenti de celui qui écrit depuis sa cellule et ne cesse de l’habiter comme une sorte d’aveu, ainsi que l’évoque la postface de Onuma Nemon. Ce qui par ailleurs n’empêche en rien la parole de s’en extraire trouvant naturellement la plupart du temps son accomplissement dans sa relation au vivant, et par conséquent, effectuant son rôle de transmettrice de signification qui lie le chant à la propre existence du narrateur, à sa corporéité, mais aussi à son rapport (critique) avec lui-même, avec le monde et le cosmos.

    Nous nous construisons tous une histoire qu’il est nécessaire de réinventer en permanence en la faisant vivre, revivre, en la prolongeant sans cesse tout en rebattant les cartes du rêve, et en rehaussant les voix qui par le passé nous ont pourtant déjà beaucoup dit, mais encore pas assez, tant on perçoit par leurs échos qui parfois arrivent jusqu’à nous, et fugitivement nous traversent, qu’elles nous manquent et nous hantent continuellement.

  Par le langage, c’est une part de l’inconscient qui pilote. Je n’invente rien. C’est Lacan qui le dit (mieux que moi). Mais si l’on excepte la poésie minimaliste, on sait bien que l’inscription ne cède jamais trop de terrain à l’indicible dénué de toute intention et en face duquel, de toute façon, la parole finit par s’éteindre.

  Toute inscription installe – énonce – donc le réel à sa façon, et occupe une temporalité anamorphique qui est la seule temporalité peut-être finalement qui vaille la peine d’être relatée.

Car dans une histoire – eût-elle été sommairement inscrite dans l’écorce d’un tronc d’arbre par la pointe d’un couteau -, ce sont bien les réminiscences qui, à travers la profusion des réflecteurs mémoriels, provoquent le geste du dire et par conséquent ce qui se manifeste dans le poème, la danse, le tableau, la photo, dans l’intonation du chant, etc. Tout comme elles provoquent le surgissement des présences, lesquelles peu à peu s’inscrivent au rythme des turbulences langagières dans l’énoncé de celui ou celle qui exprime à sa manière ce qui peuple son dire, circule en son sang, et parfois s’en défait.

Ainsi dégagé des contraintes comme des fictions, le dit se déliant de mémoires oubliées peut être alors au plus près du geste, libre de toute obligation esthétique ou de quelque autre principe.

  Je ne sais pas, au fond, si la « gestuelle » de SANS CESSE aura pu m’aider à me défaire des mémoires oubliées dont mon organisme pourrait avoir gardé traces. J’en doute. Si écrire est pour moi (comme pour nombre de mes semblables) une nécessité et une épreuve, cette pratique de cinglé ne résoudra probablement jamais totalement (pour ce qui me concerne) les traumas enfouis. Même si par endroits il y a eu des failles, et donc de profondes plongées, et que le dire a tournoyé au-dessus de l’Insula.

  Pour le reste, ce que l’on appelle communément le style – la manifestation presque physique du dire, sa danse -, je crois tout de même qu’un chant parvient à s’en dégager. Mais c’est un chant d’asthmatique qui s’inscrit dans un tissu de fortes activités émotionnelles ; un lieu où souffle et dit girent, se débordent mutuellement et s’arrogent le droit de se perdre comme de faire perdre à une lecture le fil de « l’histoire ». C’est désordonné, parfois presque non-verbal et par conséquent quasi-musical, comme dans la vie ; je veux dire accompagné d’une bande-son et image profuse.

  Rien à voir hélas, avec l’écriture de conscience, simple et forte, à la fois rassurante et inquiétante au sens d’un mouvement, d’une oscillation de l’être, corps et âme en équilibre constant dans la réalité du monde, que l’on rencontre par exemple chez Didier Ober, un poète Creusois que j’ai découvert dans la remuante revue Traction-Brabant.

On aime d’emblée son écriture parce qu’on la sent proche de nous, et qu’elle touche une part de l’intime, une part de notre conscience la plus profonde qui est en relation avec le cosmos. On lit sa poésie, et on est immédiatement embarqué, comme lorsqu’on fait rouler une pierre dans nos doigts, et que, par le simple fait d’observer le minéral, notre esprit s’échappe et nous éloigne subtilement des fictions ou des passions qui nous empoisonnent et nous emprisonnent. C’est simple et beau.

  Pour essayer d’être complet, je dois ajouter que SANS CESSE s’est construit pour partie au cours de ces dernières années au rythme de la publication de plusieurs recueils dans la Collection Encres Blanches des Editions Encres Vives dirigées par Michel Cosem.

Le principe : écrire dans un bloc-notes initialement intitulé Dormir le temps des « épisodes » ou « chapitres » qui seront immanquablement réécrits à « plusieurs voix », et s’engouffreront dans une infinie spirale de mondes, de textes (quelques fois détruits) et d’évènements (vécus de près ou de loin) aux correspondances réciproques. Ce sont eux qui accueilleront les toutes premières versions d’une prose réinventant en permanence le chant et ses métamorphoses qui circulent dans le sang d’un narrateur pluriel.

Ni discours ni mimique littéraire, mais une libre itinérance, une rhapsodie – au sens musical du terme – de solitudes, de coïncidences etc. qui interrompent parfois le banal cours des choses – la chronologie -, et rendent brusquement la réalité effrayante, sinistre ou merveilleuse.

  Des exigences cependant : aucune rhétorique codée, et que la prééminence du chant comme de l’écrit ne cède pas au lisible. À ce titre, l’indéfectible soutien de Michel Cosem à l’égard des poètes – et par conséquent à l’égard de la critique et des alertes que propose encore la poésie – est inestimable. Terre-à-terre fut publié en 2017 chez EV grâce à l’esprit d’ouverture de cet homme. C’est formidable. Je pense que personne d’autre n’aurait consenti à publier ce texte énumératif des espèces animales et des biotopes menacés de disparition. Terre-à-terre est peut-être d’ailleurs le dernier chapitre en date d’un livre qui aura toujours été davantage rêvé qu’il ne fut souhaité fini. Je ne retins pas ce « chapitre » pour SANS CESSE, mais sa présence enrichira très certainement de futures propositions.

  Le manuscrit personnel aura compté jusqu’à deux cents pages.

Pour certains éditeurs, l’ensemble était trop volumineux. Pour d’autres, c’était la nature-même du texte qu’ils jugeaient inclassable. Quelques revues cependant ont signalé le texte, comme la revue Secousse des Editions Obsidiane par l’intermédiaire de Christine Bonduelle et François Boddaert.

Nous sommes en 2016. J’affronte un Cancer, et Jean-Claude Goiri me fait part de sa volonté de publier mon chant dans sa totalité.

Durant plusieurs mois le manuscrit est alors passé au crible. Des pans entiers sont élagués, dégrossis, corrigés, mais avec la ferme intention de ne réduire du texte aucun de ses à-pics, de n’en gommer aucunes brisures ni d’en blanchir le plus petit de ses psaumes.

  Sa disposition « finale » se réalisera à l’occasion d’un pur jaillissement, d’une nécessité de proposer le début d’une réponse à – qui suis-je ou qui es-tu ? – correspondant au chapitre IV lequel, à mon sens, pouvait permettre à l’ensemble de tenir.

SANS CESSE s’est véritablement organisé à ce moment-là.

Ça chuchote partout et un peu dans tous les sens, mais il n’y est jamais question de répondre à la violence ou au mépris autrement que par un hymne à la joie, à l’ardeur spirituelle.

Patrice Maltaverne, le poète du réel, auteur de nombreux recueils, dira : « Ce qui est montré ici, c’est l’amour de la liberté et de la vie, la beauté des paysages, le désir des corps, bref, le côté solaire des choses…Une poésie de la lucidité également, envers et contre tout. »

Immense compliment.

 

  SANS CESSE est une errance qui n’en aura probablement jamais fini avec ses paysages.

Comme toute errance, elle ne s’inscrira jamais dans le sillage de ce qui se dit (doit se dire ou doit se faire). Elle est remplie et se nourrit d’un joyeux foutoir qui se moque pas mal des systèmes qui font de nous des cooptés ou de très discrets locataires du rêve.

Quoi qu’il en soit, elle restera ouverte à tous les vents, à tous les sens ; ancrée dans la parole, l’expression même de la vie.

« Sous mon diaphragme, je porte un vieil enfant qui suce à longueur de temps ses longs cheveux. Je suis incompréhensible. Et curieusement tous mes proches me reconnaissent, et accordent simplicité à mon langage quand je ne suis qu’à la tête d’un cortège de fictions. »

G.V

Article paru dans la rubrique L’établi du FPM sur le site des Editions Tarmac

http://www.fepemos.com/

SANS CESSE

LO MOULIS – Entre ici et là-bas …

NOUS SOMMES DÉFINITIVEMENT ÉPHÉMÈRES  http://lomoulis.net/nous-sommes-definitivement-ephemeres/

Il y a de cela quelques semaines, lorsqu’on ouvrait la page internet du site éditorial des Éditions TARMAC, on était accueilli par une singulière petite vidéo. On pouvait y voir la rame d’une embarcation entamer sans hâte, dans un incessant et silencieux mouvement, la surface des eaux paisibles d’un lac ou d’une rivière.

  Intrigué par ce petit film qui m’évoquais la métaphore Alicienne du miroir, je me décidais à le visionner sur Vimeo en agrandissant la fenêtre pour le lire en plein écran.

Une légende y disait : « Quelque chose déborde, quitte la rive Les chemins les rivières les cheveux Laisse filer une ombre errante, un rêve fou »

C’est ainsi que je découvris les vidéos de Lo Moulis, puis plus loin la présentation de sa recherche plastique sur les pages lomoulis.net/ ou  meme-pas-grave.over-blog.com/

À la lenteur du regard sur le monde que pose l’artiste photographe, vidéaste, céramiste et graveuse, se lient force, finesse, bienveillance et humanité.

Ce regard est un langage ; un Fado.

Il n’y a pas à le commenter parce qu’il n’appelle pas à cela. Il s’agit d’abord d’entendre son propos sensitif, ses émissions émotionnelles ; ce en quoi une telle démarche peut par exemple nous interroger. Pourquoi d’ailleurs toujours commenter ? On essaie au préalable d’entrer en relation avec cette parole silencieuse ou l’on passe son chemin.

Et si on a l’intelligence de s’intéresser un peu aux autres, à ce qu’ils proposent souvent dans un murmure, on envoie en retour des signaux d’amitié, de fraternité pour dire la joie et l’intérêt que l’on éprouve à découvrir leur espace de création, le dire allusif du rêve qui s’y manifeste, la sensation à la fois intranquille et délicieuse des départs qui y sont suggérés. Nul besoin alors de grands mots. Aucune nécessité non plus de devoir comparer ce qui s’y noue ou s’y dénoue à d’autres propositions inscrites dans l’histoire de l’Art.

Pour ma part, j’ai simplement voulu témoigner à propos du travail de cette artiste parce que j’ai aimé me sentir invité par les formes visibles de sa musique intérieure. J’ai aimé être désorienté, dérouté, dans la lecture de ses eaux-fortes où se rencontrent autour des apparitions ou des absences, des temps d’enfances (emportement et innocence) ; où entre l’esprit et les éléments – l’esprit des choses ou des lieux -, entre les allégories et nos histoires, entre la violence et la grâce, entre les apparences et la profondeur, le dialogue entretenu est constant. J’ai également vu un geste s’accorder à une danse des épiphanies dans l’invisible et perpétuel mouvement ; entendu que pour l’artiste dire ne semblait pas essentiel.

Alors je me suis laissé transporter au gré des visions et des paysages inconnus qui transparaissent parfois en surimpression d’un étrange codex. J’ai pris la route que m’ouvrait cette œuvre étonnante, suivi ses tracés sans attendre de savoir si la forme d’une médiation quelconque entre la technique et le chant se révèlerait et installerait une distance.

Tout est juste dans le regard de Lo Moulis ; doux et implacable à la fois.

Elle est l’œil, le point de vue, le labyrinthe, le tracé, le trou, le geste même qui caresse les mythes dont le stuc se défait, et qui se prête au silence jusqu’aux marges des patios, des chambres à ciel ouvert, jusqu’aux ombres verticales qui contestent l’hégémonie de la lumière ; la desquamation lépreuse des murs de la ville surveillée par les chiens.

Dans un monde où l’information et la publicité obturent la parole pour promouvoir la consommation et empoisonner notre noyau de spiritualité, des résiliences éclosent ici et là qui maintiennent ouverts des réseaux d’opposition au consumérisme et à la crétinisation; des lieux où se rencontrent artistes et pratiques artistiques qui permettent de reprendre d’autres narrations, d’autres liturgies.

Il est donc primordial de se faire l’écho de toute tentative œuvrant à la dissémination du rêve, et ce même si nos saluts très confidentiels rendent d’abord hommage aux marges ou aux friches que très humblement mais non sans enthousiasme nous occupons.

 « Nous sommes définitivement éphémères » oui, mais nous voyons dans chaque instant la preuve de notre immortalité. Alors la trace, comme le chant ou la danse épousant les lignes imperceptibles du gouffre et du ciel, nous offre l’issue : la dérive.
Je regarde encore votre Eklinggarh – T’envoie mes prières, te souhaite la lumière et du vent

et dans ma tête des personnes dansent comme des oiseaux

pendant que la mort dont j’ai la garde me soulève l’estomac.

Obrigado Lo Moulis! pour votre fado vagabond, son errance sacrée.

http://lomoulis.net/

http://meme-pas-grave.over-blog.com/

Article paru dans le Numéro 19 de la revue FPM des Éditions Tarmac

François Dominique. Délicates sorcières

Des douze récits que François Dominique nous propose dans Délicates sorcières, on retient immédiatement ― avec les lieux et les parfums qui les enveloppent ― d’intenses et fragiles instants où les femmes essentiellement incarnent des seuils, des passages.

Chaque récit ou presque est une rencontre, et chaque rencontre est pour le narrateur l’occasion de vivre et de partager un voyage lié directement ou indirectement au mystère de la musique des corps, des voix, des traces (présences absentes) et de leurs murmures.

Le partage auquel nous prenons part, nous lecteurs, se fait bien sûr par l’intermédiaire du texte où l’art de l’écrivain témoigne de l’intérêt que ce dernier porte à l’égard des objets et des lieux familiers qui composent ce que nous appelons communément les éléments de la réalité, laquelle se révèle parfois pourtant par nombre de ses aspects bien singulière.

Le sensible et l’étrange dont on est toujours captif y occupent un espace toujours inédit recelant des temporalités que rythment absences et présences, c’est-à-dire ce qui (je cite F.D) « se joue de nous » dans l’incessant mouvement d’interférence qu’entretiennent les lieux, les objets et les personnes avec l’esprit qui les visite, échange avec eux, et tente de les comprendre ; un espace où les occasions qu’a le rêve d’y prendre corps sont infinies.

 J’ai beaucoup aimé retrouver chez cet auteur ce qui, dans sa perception du temps et de l’espace, semble lié à l’inquiétude (encore au sens du mouvement), au balancement qui s’opère entre les certitudes et le hasard, les réminiscences et l’attente.

C’est d’une maîtrise poétique remarquable de légèreté et de précision.

En lisant cet ouvrage, j’ai pensé à la puissance évocatrice des mots (des noms) qui semblent parfois nous rêver, et j’ai entendu de Maurice Ravel sa Pavane pour une infante défunte.

S’agissant du visage central qu’il nous appartient (selon ce qui nous est dit dans l’avant-lire) de découvrir ou de reconstituer à partir des douze pièces du puzzle que forment les récits, il possède à mon sens (ce qui n’est pas une hypothèse très originale de ma part) les traits énigmatiques de l’Autre.

Dans cet autre, il y a celui de l’auteur et le nôtre également, mais par-dessus tout, le texte lui-même comme principe d’altérité.

Tel un réseau complexe de courbes se dessinant dans l’espace, créant au fil de la lecture une zone faciale légèrement mouvante, tour à tour concave et convexe où s’organisent d’abord, se fondent, s’épousent puis se déterminent enfin les lignes d’une figure géodésique, un visage-paysage qui m’est cher est apparu peu à peu.

J’y ai reconnu le visage-monde et le visage-masque du plein et du vide des artistes, des chamans, des cabalistes ou des alchimistes. Non une simple et belle apparence, mais cette énigmatique profondeur de l’effacement qui nous raconte silencieusement ce que nos sens saisissent ― que l’on se tienne dans les ténèbres ou la lumière ― comme potentialités de la matière, comme pratiques de l’esprit et de l’agir, telles d’inépuisables possibilités d’être et de devenir.

Ce visage existe bel et bien donc : c’est ce livre cosmographique qui en a tous les traits en somme ou du moins qui les propose ; c’est le Livre dodécaédrique du vivant, des ombres et des miroirs, bien sûr, mais aussi des noms, des lignes et des traces que nous portons en nous-même. Livre dont il faut s’appliquer ― sous peine de perdre l’équilibre ― de tenir les pages ouvertes.

 Délicates sorcières est un ouvrage renfermant un très beau traité d’imagination, de géométrie sacrée, de traduction et de patience ; un magnifique et silencieux portrait du mystère de l’être.

 

Aux Éditions Champ Vallon

160 pages

16€

FRANÇOIS DOMINIQUE Délicates sorcières

 

syn-t.ext de Mathias Richard

syn-t.ext Mathias Richard

Sortir du neutre, de la neutralité, affectivement, spirituellement, charnellement. Mettre sa peau sur la table. Danser son souffle jusqu’à la folie. Écrire sa danse. Danscrire, transcrire sa danse la langue en avant. Rester fou, et dans ce devenir, rester en  mouvement dans la nécessité de dire et de taire, de comprendre (se comprendre), « On nous dit que nous sommes des concurrents. Toi tu te dis que toi et moi on est concurrents. Moi je pense que. Nous ne sommes pas des concurrents. Nous sommes des alliés. » connaître et commencer sans cesse. Voici ce dont il est (en partie) question dans ce texte.

Même si du syn-t.ext il est dit par l’auteur qu’« il représente un point où la littérature s’effondre infiniment sur elle-même », pour moi, cela reste de la littérature ! et de la bonne ! Impossible qu’il puisse s’agir là d’une diatribe antilittéraire. Là où à chaque page ça hoquette, râle, raille, s’éraille, menace, chie, aime, rêve, espère, désespère, arrache, prie et combat, écrit à haute voix que « tant de la réalité se passe loin des mots, loin de la parole », j’y ai senti pour ma part des averses de langage, des bombardements de mots particules atomiques d’une pensée musicale ; un précipité amoureux.

Certes, dans le labo syn-t.ext on n’y romance pas, mais on est au travail ; dans un travail de rassemblement, d’assemblage et de recombinaison, donc de structuration, puis d’étoilement ; dans le travail pneumatique d’une langue différente qui ne communique pas mais, se disséminant, opère aussi sur sa matière même, sa substance transmettrice.

On est dans un « crâne vitrail », dans un « quartier à la cervelle de rat », un non lieu, un envers où tout s’engouffre, et où tout est repris. Ce syn-t.ext n’est donc plus simplement un poème, mais une sorte de nucléosynthèse poétique. C’est un souffle lié à d’autres respirs qui constamment reculent leurs limites ; un dire en équilibre précaire mais qui sans cesse déséquilibre ses propres hypothèses, disperse ses condensations, précipitant entre eux les mots les plus légers afin d’atteindre une lourde masse critique écrivant le réel.

C’est du gros son et de l’ultrason, de la lumière en mouvement. « Chaque âme est une magnifique centrale nucléaire. Rassemblez-les, vous avez le soleil » (amatemp13). Enthousiasme, extra lucidité, objectivisme et pessimisme, voici les grands ressorts d’un brûlot poétique où s’embrase instantanément toute métaphore.

Entre le contenu très solaire du chapitre Whatever it takes et la très artaldienne page 143 « Je n’approuve pas mon corps / Je n’approuve pas mon existence / Je n’approuve pas les molécules qui me constituent / … etc. je ne relève aucune contradiction gênante, mais les sursauts symptomatiques d’une âme et d’un corps scintillants vifs dont les particules élémentaires s’excitent probablement selon les variations de l’intensité magnétique terrestre, du récit de l’univers.

On comprend tout d’emblée, même si l’on n’est pas titulaire d’une maîtrise de science ou de philo. Ça se lit par bloc. Ça rentre instantanément par l’œil pariétal, impactant directement les plexus et rachis. Il faut voler, reprendre à son compte ce syn-t.ext, le faire voler, et à son tour s’envoler avec ses métamorphoses, ses mutations, ses vertiges : toutes les cristallisations d’une pensée et d’une parole qui n’ont pas d’autre intention finalement que de se défaire de leur enveloppe charnelle.

Comparaison peut-être un peu osée, mais oui, j’ai pris ce syn-t.ext dans le buffet comme lorsque je découvris -il y a quelques années déjà- Paradis: avec émotion.

 Allez, encore un petit extrait de syn-t.ext, pour la route : « je t’en supplie, lis ces mots et réponds-moi en détails dans mes rêves. | Au revoir au jour qui est là et que je ne vois pas. | Au revoir au jour qui est là que j’aime et que j’ignore. | Ce que je veux te dire n’a pas de fin et je m’arrête ici. | »

À suivre …

Gilles VENIER

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Extrait de SANS CESSE -Paysages

Et cet irascible coq que personne n’ose trop approcher, qui se pavane et terrorise les poules derrière l’épicerie, dans le jardin potager. Ou cette jument qui, au détour d’un chemin, charge furieusement les passants habillés de couleurs vives. Toute cette force sauvage retardera la mise en faillite du commerce paternel et la visite de l’huissier durant deux hivers.

Depuis la banquette arrière, difficile de comprendre comment le conducteur et sa voiture trouvent le passage dans cette densité noire. Les phares et leur faisceau jaune n’éclairent que les arbres de la forêt semblant vouloir à chaque virage se précipiter sur l’automobile.

Depuis quel endroit, à partir de quel moment, quel entretien, éblouissement ; depuis quelle fêlure la réalité ? c’est une source qui t’a dit que les morts se rassemblaient dans les saisons, les instants et les bruits. Sounds and songs ! serviteurs du vide et de ses parfums.

Le boucher sur la place du village : son avant-bras est totalement plongé dans la gueule du berger allemand qui écume et saigne pour s’être fiché, dit-on, une esquille d’os de bœuf au fond du palais.

Les hautes chambres sont misérables, tout va à la force.

Sacrés, les grands sacs à grains en corde aux bords ourlés sur le café ou les légumineuses qu’ils contiennent. Derrière le comptoir, la sensation délicieuse d’y enfoncer tout un bras.

Tu es loin et ici : inexplicablement. Le bruit surpuissant du moteur d’un autocar qui passe à proximité, abat toute la réalité. Tu es à la porte réservée de l’absence. Appartenir toujours à l’enfance.