La maison est grande. On y accède en franchissant un perron qu’une marquise en fer forgé abrite. Deux molosses aussi imposants que doux accueillent les visiteurs. Leurs aboiements avertissent Olivier et sa compagne, Bénédicte. On pénètre dans la demeure où règne la quiétude des maisons anciennes. Non loin de la cuisine, se trouve une petite pièce dédiée à la peinture, au dessin et à la lecture. C’est là, dans un savant désordre, que peint ou dessine Olivier Nebout les jours de tumultes atmosphériques. Et ce qu’il y peint alors, c’est peut-être d’abord le reflet de son intention qui consiste, j’imagine, à vouloir se confronter au vide, à l’espace et au temps.
J’imagine ainsi l’homme face à la toile. J’imagine que son premier désir de peintre est de trouver sur la surface vierge un point d’appui, c’est-à-dire de permettre à la main (au couteau, au pinceau) – grâce à l’œil – d’enduire le vide pour ensuite le trouer, puis finalement le rehausser en y introduisant du désordre et en sollicitant très secrètement – j’imagine (mais j’imagine seulement) – quelques intercesseurs d’importance.
La peinture, appliquée par touches de couleurs sur la toile, demandera préalablement à la matière de topographier le visible. Du vide et du plein naitront alors des formes. Un désordre se constituera, un visage (des corps et des choses) ou un paysage en surgira.
En regardant un tableau de l’artiste philosophe, on sent très bien comment la main et l’œil du peintre ont avec persévérance contribué à ce surgissement. Mais ce que la main, l’œil et la peinture font apparaitre sur la trame de lin est autre chose que la réalité.
L’œil, le géomètre, aura dû laisser un peu de place à l’esprit, lequel recherche autre chose que le bornage des apparences.
Ce qui compte alors n’est pas seulement la matière, la matière constituée de pleins et de vides. Ce qui compte dans les tracés de matière et la danse des formes et des couleurs,
c’est ce qui s’y meut et se diffuse; une impondérable présence.
Olivier Nebout, le peintre de la patience, nous a ouvert une fenêtre.
Et cette fenêtre s’ouvre toujours sur une histoire de lumière et de mouvement: les pulsations d’une très vieille mémoire.
Dans la lumière que diffusent les corps et qui semble aussi les traverser, nait l’idée d’un passage vers l’imperceptible.
L’œuvre est réussie si elle plait à l’équilibre du visible et de l’invisible.
On regarde donc par la fenêtre.
Sous le Ciel-Océan de Nogent-le-Roi, dans les champs de la Beauce, dans le portrait de Bénédicte ou encore quelques autoportraits, le désordre s’est agrégé. Le regard glisse et s’attarde sur une œuvre-monde, un espace qui ne nous appartient pas et qui pourtant nous est étrangement familier.
Les tonalités sont à la fois couleurs et musique. La « partition tonale » du Paysage de la Beauce (Craie sur ardoise) est à ce propos assez étonnant.
Les corps et les choses racontent une histoire, ou l’histoire d’une idée tandis que l’esprit, dans les transparences, nimbe l’intangible.
Dans le travail de Olivier Nebout, cet équilibre à l’oscillation subtile semble primordial.
Au fond, la propriété de ce qui dans un tableau est en mouvement tient à des successions de métamorphoses, de contrepoints et d’harmonie. Les couleurs se seront d’abord chevauchées ou contrariées, et leurs plis se seront déchirés puis rejoints, permettant ainsi à l’ensemble de s’accorder.
Fugue des touches successives se plaisant à servir le réel, la matière et l’esprit !
De tout cela, il en résulte une œuvre qui est toujours plus intéressante et étonnante lorsque les toiles sont vues dans leur dimension réelle.
Ici, je ne tente pas l’exercice périlleux d’une « explication » approfondie du plaisir que je ressens, lorsque je laisse divaguer mon esprit devant une toile de l’artiste. Cependant, le j’aime – je n’aime pas cher à Rolland Barthes pourra amplement me suffire pour entamer et entretenir une belle discussion à ce sujet, en ne retenant bien sûr que la première assertion de l’auteur du Degré zéro de l’écriture.
Pour ce qui est du regard des autres, ce qui n’est évidemment pas mon affaire, gageons simplement que de leur point de vue le fameux « j’aime – je n’aime pas » ne sera pas non plus assez satisfaisant pour goûter et apprécier une œuvre aussi délicate.
Peindre, écrire, chanter, jouer, aimer, etc. c’est d’abord vouloir jouer de cette oscillation : être libre de créer, de se réinventer, tout en ayant aussi le courage de se confronter à ce qui semble parfois vouloir contrarier cette joie.
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Image d’entête: reproduction d’une huile du peintre: Paysage de la vallée de l’Eure – 2006