Tristan Felix – en roue libre Editions Tarmac

Vouloir présenter Tristan Felix, c’est un peu comme vouloir expliquer la foudre en boule, le sixième sens ou encore l’esprit des choses.

En revanche, rencontrer l’œuvre de cette lutteuse poétique est chose plus aisée au regard du nombre de ses recueils publiés durant ces vingt dernières années par des structures éditoriales de grande qualité.

Sur la toile, impossible donc de louper Tristan Felix. On a que l’embarras du choix.

Ça c’est pour l’approche. L’intérêt étant bien sûr ensuite d’entrer en contact avec la pensée de cette artiste si singulière et prolifique.

C’est important une rencontre. Parfois, ça change la vie, le sens que l’on donne à l’existence, à la réalité. Lire le recueil « En roue libre » proposé ce mois-ci par les éditions Tarmac est une expérience de cet ordre.

Le livre est composé de douze lettres adressées à différents destinataires : Monsieur Ubu (le système néolibéral), Dieu, Madame la directrice de l’EHPAD Les Diamantines, etc. En lisant ces lettres où l’élégance du style -sa lame tranchante-, n’épargne personne, nous sommes replacés dans une réalité que l’industrie culturelle et informationnelle aimerait tant pouvoir occulter. Une prose érudite, riche et forte nous emporte loin du précipité d’images déversées par les médias, tout en nous rappelant combien la distorsion de la réalité est monnaie courante pour nos dirigeants agioteurs, copains comme cochons avec les agences Moody’s et Fitch, qui nous prient cependant de croire quotidiennement en leurs verbiages économiques, hygiénistes et sécuritaires.

Nous sommes d’abord un peu pris de court puis très vite follement entrainés par la pensée en action de cette écriture ; surpris et grisés par une mélopée où se heurtent et se frottent tristesse, joie, érudition, situations comiques et tragédie dans une profusion de sens.

Dans cet ensemble de lettres donc, il y en a une, très émouvante, adressée à Gove de Crustace, clown avatar de Tristan Felix. La poétesse qui s’adresse à elle-même « l’une mordeuse d’infini, l’autre jugulée par sa propre forme. … /… libre d’inventer son propre chaos » se glisse entre mémoire et présent dans une auto-dérision douce-amère nous laissant deviner l’existence d’une intime et immense douleur. Je crois que l’amour, la réparation, sont partout au travail dans les livres, les incarnations graphiques et le théâtre de Tristan Felix.

Le recueil se clôture sur une lettre adressée au lecteur, possible poète, possible objecteur des formules préétablies du langage de la communication : « C’est un peu à toi que je m’adresse depuis le début, comme à travers une flûte de roseau, la peau d’un tambour ou la paroi d’un gong … /… C’est important un lecteur, même s’il ne joue pas d’un instrument. Du moins fait-il partie de ce grand orchestre dont chaque instrument, comme le gamelan, assure la cohésion circulaire de l’ensemble. De proche en proche les peaux laissent entendre leurs impacts. »

Peut-on imaginer aujourd’hui rencontrer une voix plus belle, plus touchante et envoutante que celle de Tristan Felix ? Je me le demande.

https://www.tarmaceditions.com/en-roue-libre

Format 10 x 15 – Dos carré collé – Papier vergé – 52 pp. 10€

https://www.dailymotion.com/TristanFelix