On l’entend parfois cette langue accrochée au cri, accrochée au réel qui ne veut rien céder à la magie et aux fictions. C’est une langue agrippée au corps, par le corps agrippé que le souffle tend, et qu’une mémoire plurielle fait entendre. On l’entend lorsqu’elle nous saute à la gorge et nous tord le cœur. Et lorsqu’elle nous parle depuis ce Pays incertain qu’est la poésie, on entend alors davantage les scansions d’une polyphonie conjurant avec force ce qui dans l’existence menace de trahir les ombres qui hantent encore le présent de leurs figures immolées pour que vive le poème.
Difficile de refuser cette rhapsodie, tant ses voix nous envahissent, tant leur souffle augmente notre respir. Ainsi, nous rejoignons par amour, à voix basse, pulsée, ces blues noirs, ces récits d’être, ces lents ragtimes aux lambeaux d’or et d’ombres syncopés. Ainsi nous voilà en leur compagnie à poursuivre cette quête de l’impossible, ce désir – par désir – qu’éprouve Grégory Rateauà recouvrer le ton vif des paroles qui se sont perdues, à rouvrir des villes le dédale des rues à l’aventure des cœurs, redessinant à l’adresse du ciel la figure des amis, les amours, l’ivresse de vivre et d’aimer que les murs de quelques saintes piaules ont gardé en mémoire.
Lier le réel, l’incompréhensible au présent pour « coloniser le ciel », pour en somme retrouver l’enfance, l’ignition sacrée, c’est défaire le théâtre de la réalité de ses allégories en entrant dans une danse qui ne cesse pas d’entraîner les mots et les gestes à remuer, à labourer le vide dans une chorée ardente d’où naît ce qui doit s’écrire: une parole qui soit « capable de nommer toute chose par son propre nom » et « descendre dans les limbes pour y porter le feu »
« Je voudrais tout cela et bien plus, » poursuit Grégory Rateau « je voudrais retourner dans ce pays incertain où les souvenirs sont comme des villes en construction, avec des axes compliqués, des passages secrets, une vie de village pour chaque quartier, des ragots pour peupler de futilités les dimanches sacralisés. Des tasses se rempliraient toutes seules, les heures ne pèseraient plus sur nos consciences, les fins de journées seraient enfin dépouillées de cette chape de plomb, du prix d’un effort totalement vain et où les jeux d’enfants reprendraient enfin goût à ce rien qui n’a pourtant pas de prix. »
On l’entend parfaitement, chez Grégory Rateau, cette langue accrochée au cri, accrochée par l’impossible. C’est celle d’une pensée vivante se mouvant avec une force rare qui nous parle d’une quête d’absolu.
Le Pays incertain – Grégory Rateau – Préface Alain Roussel – 64 pages ISBN 2355773386
« Aujourd’hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. »
Albert Camus – L’Etranger
Ma parole n’est pas autre chose qu’une musique de buée sortant de ma bouche
Février en ce jour froid est un lavis de brume
Ton époux ne te cherche pas puisque tu lui tiens la main
il ne cherche pas non plus à t’embrasser
il hésite
comme un cheval mal guidé
On marche à travers les draps que le ciel suspend
Ça sent la rouille
Nous ne partons pas choisissons la solitude de la complainte du rougegorge
Notre souffle est-il bien le nôtre ?
Dehors comme à l’intérieur l’oraison du voyage
On entend une respiration
Les forêts psalmodient le vent et la boue
Partout le même chant obscur du monde
Nous nous souvenons de ce qui fut et demeure
nus dans le vase de notre mère
et qu’en chaque maison se consume un lieu sacré
On emprunte des rues des cours des jardins
où l’absence se manifeste par coulées de parfums
Des visages et des corps même enfuis sont rejoints
Par incendie d’intuition
– saoulerie de lumière
marées de ciels de céramique bouquets de pivoines
par dunes de genets
champs de lapiés aux herbes rases de coquelicots et de chardons
d’arbres de ruisseaux – et tout ce qui éclaire et anime
les voix de l’air la pluie les arômes de menthe et d’aubépine –
on parle de la terre
la terre de paille et de silex
un vol de départ dans la gorge
et à fleur de peau
un frisson décroche le cœur et l’âme
les fait sauter d’étage en étage sans prendre l’escalier
Au milieu des herbes
on chante tout bas ce qui frappe nos semences
toutes graines battues en chair et en musique
chemises ouvertes sous le vent
Quand tu pris la décision de ne plus attendre
l’eau tomba averse dans nos bouches
depuis le câble téléphonique
et nos cœurs se mirent à battre un sourd vacarme d’orphelins
où s’est fixé ton visage mais aussi ta voix
sa danse
dans sa lenteur basse mais claire
lorsque que tu lançais ton chant de dimanche
dans ta maison du peu bien rangée
Maintenon – Ton cœur germe entre les pavés de la cour
disjoints par le vent le soleil et l’eau
Tu es de ce lieu où
par le songe d’une bourrasque de feuilles
sous un rideau de pluie froide
les oiseaux ont porté et glissé ton corps
Tu es aussi cet autre et même lieu-visage
une pensée du royaume
un sommeil
Que des gestes
ou presque
alphabet silencieux
si familier et étrange à la fois
Ainsi des mains murmurent la soif
sans appartenir aux larmes
Ainsi s’écoutent des chants
s’enfantent
des souffles-gestes
Des animaux invisibles
se faufilent parmi nous et parlent tout bas
eux aussi
en penchant respectueusement la tête
Âge de la lune 23,80 jours
Les cœurs s’envolent
Le chant s’élève
La peau soudain écoute le vide
l’enchantement d’un chant de coquillage
conque rose et nacrée de tous les commencements
naissance de la fin et du début
Le rêve est nu
la parole court recouvre sa forme
s’emplume s’enroule
aux spirales de l’air
Paroles et corps transparents
ruissellent maintenant d’une mémoire à la vitesse prodigieuse
Frôlement d’un fluide aérien
impondérable lave de conscience
rumeur d’une mutation
– On évite de regarder le ciel
L’assemblée se meut
en une chorégraphie indécise
Ainsi monte
une prière
un bruissement d’avant le monde
– les morts sont en voyage
Tous les 9 février
je te préparerai un thé mandarine
Maintenant tous les matins et les midis se soulèvent
Pulvérulence
ton corps va disparaître
Il a disparu
assis dans le feu de sa parole
l’air et l’eau de ta parole
inconsolable iridescence
pour une autre respiration
Alors il y a le silence
traversant les draps de ton lit de ses crosses de fougères
mais il n’y a ni fosse
ni Hadès
Par colchiques et renoncules
tapis de jonquilles
pieds de soldanelles
de scilles à deux feuilles (les étoiles bleues)
et satyrions rouges
par champs de reines des prés
de chardons bleus
pieds minuscules d’orchidées sous les épicéas
de lotier et ses petits sabots
de Circes mauves
ou par petits artichauts de joubarbe
mousse fleurie de silènes acaules du Queyras
sommes du sang d’un respir
Dans le jardin
j’arrose doucement les rochers
D’où nous sommes
nous continuerons à te parler simplement
par corps de danse
oiseaux de neige
par descentes dans nos eaux
transformations et ravissements dans notre jardin
résonnant de ton offrande
jusqu’à ne plus le pouvoir
Tu nous frôles
et c’est l’air vif non tes cendres
qui nous houspille aux garennes
dans la remise aux cageots
jeunes idiots courant derrière
les poules pour leur casser les pattes
avec nos bâtons frottant l’air
comme des rhombes
Et c’est un vivant « nom de dieu ! »
qui s’abat sur nous
nous corrige et fait aboyer les chiens
nous ordonnant de regarder le monde
avec le cœur au bord des yeux
et dans l’oreille
la chanson des lisières
du temps austère des animaux
Tu avances encore
en te cognant aux meubles
distraite légère et grave
Les terres et des nuées d’oiseaux
s’élèvent avec tes pas
jusqu’à à l’à-pic de la falaise
où la forêt luth ses marées lunaires et la garenne
en chapelles d’ombre et de lumière
dominent la vienne
Maintenant nous ne pleurons plus
car il nous reste le récit du sommeil ardent
visible partout
ruisselant de rosée
que les gens de peu savent lire
Héritage du matin
squelette pneumatique
ailes pulmonaires
infatigable dire du cœur
diastoles et systoles à l’adresse du ciel
sans hâte au jardin
pieds nus
et autour du nu de l’arbre
un feu sans flamme
ouvrant l’air
Je t’y reconnais
tu es là quelque part
en équilibre
recueillant l’aria du vent
son vêtement de verre
m’emmenant toujours jusqu’aux fontaines
embrasser l’eau et les mousses
entendre leur souffle
et goûter ce que les arbres nous racontent des sources
où chuchotements et visages
entrent en résonance
où nous sommes les hôtes de toute pierre
des temps
et de l’eau aussi
Le vide nous rêve sans corps
Tu as suffisamment imploré le soleil de ne pas accabler ta présence
tant prié tournée vers l’esprit
et tant souffert de mes colères
pour que tu ne meurs jamais dans ton énigme
d’aster et d’orchidée
Ishtar sous l’étoile
juste et aimante
Aube de verre
un sphinx-colibri
un azuré et un petit fadet
habitent les abelias
Reprise d’un langage oublié
le balancement est profond
J’appartiens à la mer – yam
Elle me dit : « épouse-moi
œuvre dans ta parole »
mais j’ai oublié mon nom
pas encore imago
être-son
Tôt ou tard comme toi
je disparaitrai et reviendrai sans face
pour enfin voir
Alors les jours et les nuits passés sur mon livre muet
où des fleurs éclosent et meurent instantanément
tiendront dans l’éclat d’une seconde
Quand viendra ce moment
dans la crainte mais sans désir et sans peur
je serai adossé à la dune
Aurore !
Quelqu’un dispose une feuille de chêne
et des brins d’oyat
entre mes lèvres
Les iris les lis martagon et les gentianes
poussent dans ma bouche !
Ce sont tes mains oui
qui ont guidé les miennes
à couvrir d’encre des tiges de roseaux
Ta tête a tourné ma tête
vers les pierres et la mer
Sous ta peau
j’ai vu se glisser des saisons
les halos d’un vide vivant
l’éternel neuf
Implosion assourdissante
Je suis sourd assis devant la mer
immobile enfant encore inaccompli
Ça fait pourtant des lustres que je suis embarqué
avec toi
corps-lumen
te suivant en suivant le pas des arbres
Mon visage est le tien
fenêtre submergée de ciel et de poussière
comme une vitre de cabane
contre laquelle se heurtent les oiseaux trop pressés
et ta bouche-tissu
aux fines lèvres de silence
dessine la source des temps
Tout est là
en nous-mêmes et en-dehors
sommes mus
même sans substance
Entre silence et parole
le geste et l’objet
UN OCÉAN
où se démembrent
se mangent nos signes
en émeutes vertigineuses et sacrées d’ambre et de corail
herpes que les grandes maréesdisséminent
Mère
l’ivre de lumière et de nuit
écoute partout la mer
Je te parle assis dans le vide
bois dans la coupe de tes mains
dors en ton pays
L’eau tombe dans mon corps
mais c’est toi me buvant
l’espace lisant ma peau
l’eau de ma prière
Je te parle depuis un songe maternel
mangeant et buvant ses bruits
Semence frappée est-ce bien ma demeure ?
Asile à la nuit pleine
la lune est bleue ou blafarde
mais on chante à plusieurs
aux vibratos des pulsars
Nous ne sommes pas seuls
partout est la demeure de nos mémoires
Écrire n’est rien le corps peut le dire
Tout est dans le sans nom
que le vide
l’esprit et la matière portent au feu
la torche étoilée de l’iris
N’écrivons pas
Lorsque je t’aurai rejointe
nous nous assoirons au sein des voix des murmures
nous laissant enrouler
par la vitesse
la lumière et les ténèbres
Et nos mains
toujours assoiffées de figures
de lèvres vives
de pluie
attraperont les mythes par les cheveux
Jusqu’au plus léger dire
vagabonderons
passerons même une journée à Tübingen
où André en uniforme nous rejoindra pour t’embrasser
Quels autres furent tes amants ?
Feignant d’être surprise sur le fil de ta mémoire
tu souris en portant tes mains sur ta bouche
Ton Adam fut amour en tes deux feux vivants
du jardin jusqu’à ta main
de tes eaux jusqu’à la porte de ton cœur
apprenti de tes voiles de tes parfums
Avec toi migre ma pauvre langue
aux herbes odorantes
adoptant la respiration des nuits et des jours
qui chante les bois frais
les carex les iris et les prêles des marais
Car c’est toi qui crées les euphorbes
les nuées aux lés mauves et argentés
les hortensias bleus de l’ile de ré
toi qui couvres d’orichalque les falaises de la corniche basque
au coucher du soleil
et ordonnes à la bise et ses framées de gel
de dessiner sur les vitres des fenêtres
les partitions fractales de l’eau et de l’air
Transporte-moi du bord des lèvres
aux mains ailées ouvertes et spatiales
Profère ce qui nous traverse
nous dépasse
et pare les choses inexistantes
Murmure-moi ce que racontent l’eau
les résurgences
le puits salé d’Ugarre
et les sources de la Nive en forêt d’Orion
toutes les sources et toutes les fontaines
les arcatures des châtaigniers à Bidarray
et le peuple des grands pins à la gemme ambrée
du col de Gleize vers Chaudun
l’odeur fumée des feuilles
la fumée des brûlis
l’offrande parfumée que les feux de bois morts
adressent au silence
Énonce à l’adresse de l’intelligence sémantique artificielle
que du nœud via l’aisselle
éristale remontant par le pétiole et toute la nervure principale
tu vas vers le limbe de la feuille
d’un pétale ou d’une corolle
Fais-moi danser tes chuchotements
avec les enfants qui naissent de ta bouche
et des hésitations de ma pensée
Joue avec mes sommeils ma folie !
fais-moi voler
anagrammatise mes formules mes pauvres laisses
Tu sais le vide
la mer sous le désert
l’asile les points de vue – la conjonction des opposés –
le futur déjà accompli
l’Eden juste là derrière le plexus
les plis le filtre les voiles
l’entre aérien la dérive
le lieu entre ma bouche et le ciel
la figure du monde
Tu es ce langage libéré vers les choses et toi-même
ce tremblement subtil
qui nourrit une infinité de paysages
Tu sais tous les chemins les dunes et les collines
les corps qui s’avancent vers nous
les bleus électriques de la gentiane ou de la pervenche
les feuilles poisseuses de miellat du tilleul à Confolens
Tu sais dans l’or cerné de noir de l’été
les troncs tourmentés des genévriers de Saint-Crépin
l’immense clarté qui nimbe les mélèzes
éclabousse ta jupe à carreaux bleus
et que nous sommes unis à l’arnica
par le souffle qui échevèle les cirrus sur Guillestre
Car rien n’est au passé
Tout danse en permanence
les lis turban et le génépi de la haute vallée du Valgaudemar
les argousiers givrés du chemin du village de Romette
Célébration à chaque caillou
immergé dans le Bastan au lit de grès rose
Tu pèses et examines chaque pierre
baptises une mémoire
un sexe lavé du mensonge
– Artémis
ourse tenant toujours ouvert au vent
le livre-monde et ses pages-plumes guérisseuses
que tu caresses tournée vers le vide
vers toi-même
sans corps
plage infinie peignée par la mer
Tu verses goutte-à-goutte une infusion tiède de fleurs de
camomille dans mes yeux malades
Tête renversée sur tes cuisses dans la maison de Saint-Astier
je vois de ton visage un vitrail kaléidoscopique !
Transmigration de ta bouche vers ton front aux cheveux
d’algues
Tes yeux vers le plafond s’étoilent puis se liquéfient en cire
fluide et brillante
le feu et l’eau jouent avec l’air
comme avec les contours de ta tête et le fil de tes mains
damasquinés de rivières blanches ou chromées
le Drac blanc déjà !
Et depuis
toujours les mêmes et différentes figures
avancent dans cette irisation mouvante
Les corps s’y meuvent en mystère
parmi les choses qui nous regardent
se tournent vers nous
vers ce que nous sommes
à notre juste place
à l’attelage
conduits vers la source des femmes
les déesses solaires des cistes
et de la soude brûlée
aux tailles élastiques ceintes de centaurées
qui partagent avec les oiseaux la lumière océane
Sous les pins les robiniers les chênes l’aubépine
les arbousiers et les chênes-lièges
pareil incendie de l’eau et de l’air alors !
pareilles lueurs difractées puis diaprées
par nuages de spores
langues de notre langue
saluant les visages écoutant et berçant les corps
la parole des choses
la proposition de notre propre feu
Et tout est pollen sous la violence d’un soleil têtu
ou lavé par d’immenses pluies
des cathédrales de pluie aux cœurs de pluie
qui noient le cœur le remplissent
d’une haleine de fleurs de poitrine
d’un lieu sans lieu répété de l’amour
jusqu’à en perdre conscience
où même les ciels finissent par apparaître
surgissant de la terre
où la terre qui éructe et pleure
parle de nous
et qu’un silence d’insectes et d’oiseaux
déchire peu à peu notre sommeil
Rampant dans le principe
feux mouvants entre les eaux
chargés de se rejoindre
de s’épouser
leviers engravés par l’effort de légender l’intuition
la force de l’espérance
réclamons maintenant vouloir ne plus rien comprendre
mourir à nos enfances
à nos violences
à l’oubli
Tournés vers nos intercesseurs
– les jours et les nuits aux rêves réciproques
notre eau et notre sang
notre cœur le feu du père
le serpent
eguski amandre ilargi amandre
grand-mère soleil et grand-mère lune
fontaines
nymphes
terre-mère son respir
le souffle
jaspe rouge gypse christ sel
calcédoine bleue
Isha Marie en améthyste
en quartz rose
l’océan –
acceptons d’être engloutis de passer à travers nos carcasses
à travers la porte du crâne et toutes les portes
de pouvoir tout appréhender
de descendre de nous retourner
en nous
dans le lait silencieux du ciel
comme ici-bas
où nos mains
accompagnées du silence
continuent à démêler les fibres du songe
et ne cessent de dessiner des visages
où tes songes maman empruntent mon épaule
me ramènent à la mer sur ses paupières
à l’ourlet du regard
où les vagues ont des mains
qui donnent et reprennent
Sommes en chemin
ensemble à notre place
SANS MÉTAPHORE AUCUNE
mais pour combien de temps encore parmi les papillons et les oiseaux
les fabuleux sphinx-colibris que tu aimais tant
les cygnes chanteurs les pluviers dorés
ceux à collier interrompu les argentés
les dorés les petits et grands-gravelots
les pluviers guignards
les vanneaux huppés
les cailles des blés
les lagopèdes
les busards féroces les cendrés et les pâle et ceux dits des roseaux les buses variables (n°11) les circaètes les éperviers les gypaètes barbus les pygargues à queue blanche les vautours fauves les moines les geais et les pies bavardes les rousserolles effarvattes (n°7) les fauvettes des jardins les babillardes les grisettes et les passerinettes les faucons pèlerins les hobereaux les outardes barbues les canepetières les sphinx du laurier-rose de l’euphorbe les autours des palombes les bondrées apivore mal nommées puisqu’elles ne se nourrissent que de larves des guêpes les corneilles les chocards à bec jaune (n°1)les choucas des tours les freux les craves à bec rouge les sphinx nicéa et ceux de la garance les bombyx du pin du chêne les zygènes des bois les feuilles mortes du peuplier du chêne de l’yeuse ou du tremble les Lunigères les grèbes à cou noir les castagneux les esclavons et les huppés les bombyx du pin les buveurs les minimes à bande les petites minimes les alpines les lasiocampes de l’euphorbe les franconiennes les duveteuses livrées des arbres les fulmars les fous de Bassan et les rapides puffins des baléares les cendrés et ceux dits des anglais ou de Macaronésie qui volent au raz des vagues en lançant leurs cris plaintifs les bombyx de la ronce du prunier et ceux appelés feuilles mortes les lasiocampes du cyprès et du peuplier les flamants roses les cigognes blanches et noires les bartavelles grises et les rouges les grands tétras et les petits coqs de bruyère les rouges-queues noirs
les gobe-mouches les gorge-bleues à miroir les merle-bleus (n°3) les rouges-gorges européen les rouges-queues à front blanc les rares merles de roche (n°10) les traquets Tariers des prés les Tariers pâtre les traquets motteux et les stapazins (n°4) les merles plongeurs les zygènes corses et ceux dits de l’herbe-aux-cerfs de la Vésubie du panicaut de barèges des garrigues du sainfoin d’Occitanie les bernaches nonnettes et les cravants les harles huppés les colverts les canards pilets et les siffleurs les gélinottes des bois les zygènes diaphanes les pourpres et ceux surnommés de la bugrane de l’esparcette de la gesse de l’orobe les zygènes de Gavarnie ainsi que ceux appelés thérésiens ou des prés et des bois les petits hespéries de la passe-rose de l’épiaire de la ballote du marrube des sanguisorbes de la mauve et encore ceux dits de l’herbe-au-vent les tachetés tyrrhéniens les faucons crécerelles et ceux dits d’Eléonore les émerillons et les milans les ibis les spatules blanches les hérons et les aigrettes les crabiers chevelus les bihoreau gris et les nains les butors étoilés les frégates les cormorans les balbuzards les aigles criards les pomarins et ceux des steppes les skuas les labbes à longue queue les pomarins les petits pingouins les guillemots marmettes les macareux moines les pigeons bisets les palombes les tourterelles des bois tourterelle maillée et les turques les chevêchettes d’Europe les chouettes chevêches les hulottes (n°5) les martinets à ventre blanc les noirs et les pâles les rolliers et les guêpier d’Europe les martin-pêcheur les huppes fasciées les épeiches les pics à dos blanc et les cendrés les pics noirs les bombyx du peuplier et ceux du lotier et de l’aubépine les castillanes les brunes et les jaunes du pissenlit les versicolores les petits paons de nuit les hachettes les isabelles les grands paons de nuit les grues et les courlis (n°13) les bouvreuils écarlates les chardonnerets élégants les gros-bec casse-noyaux les linottes à bec jaune les linottes mélodieuses les bombyx de l’ailante les sphinx gazés et ceux dits du chêne vert et du tilleul les demi-paons les tournepierre à collier les glaréoles à ailes noires et à collier les sphinx du peuplier et du liseron les sphinx tête-de-mort du troène et du pin les sphinx mauresques les coucous geais les coucous gris les effraies des clochers les sphinx-bourdons et ceux de l’épilobe les sphinx chauve-souris les petits et les grands sphinx de la vigne les pies-grièches à poitrine rose à tête rousse les grises les méridionales les loriots (n°2) les troglodytes mignons les sittelles torchepot les tichodromes échelettes les grimpereaux des bois et des jardins les étourneaux sansonnets les grives les merles les rossignols et ceux dits des murailles les phœnix les bucéphales les hermines les grandes harpies les triples taches les demi-lunes blanches et les noires les traine-buisson les bergeronnettes des ruisseaux les voiles les bicolores les chameaux les demi-lunes grises les dromadaires les bois veinés les timides les porcelaines les bombyx carmélites les museaux les porte-plumes les capuchons les crête de coq les anachorètes les courtauds les recluses les hausse-queues grises les crénelées les alpestres les argentines les mouettes de sabine les mouettes pygmées les rieuses les mouettes tridactyle les goélettes les plovres criards les élégantes les moineaux domestiques les moineaux friquets et ceux dits des rochers les ortolans les proyers les eiders à duvet les fuligules les garrots à œil d’or les hareldes boréales et les piettes les bombyx de la molène les noctuelles de l’orme les harpyes bicuspides et les fourchues les dragons les bombyx écureuil les ménagères les servantes les babillardes les grisettes les passerinettes les roitelets huppés les sphinx du pissenlit et tous les procris de la vigne du prunier et des cirses les atlantes les turquoises des centaurées des chardons des achillées de l’hélianthème et des cistes de la vinette de l’oseille et du 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courlis cendrés les courlis corlieux les phalaropes à bec étroit et à bec large les pies de mer les avocettes élégantes les azurés des orpins de l’adragant et des géraniums les collier-de-corail les sablés du sainfoin de la luzerne et de l’ajonc les argus de l’hélianthème des soldanelles de l’androsace de la canneberge du genêt des coronilles les petits monarques les grands-ducs les moyens-ducs et petits-ducs les hiboux des marais les foulques les poules d’eau les marouettes dites de Baillon les râles d’eau et ceux des genêts les poules sultanes les engoulevents les grands et les petits sylvains les grands nacrés les nacrés de la filipendule les nacrés tyrrhéniens les nacrés de la ronce des renouées de la canneberge de la bistorte les petites violettes les paons du jour les morio grande et les petites tortues les paon-du-jour les vulcains les vanesses des pariétaires les pies de mer les avocettes élégantes les falcinelles les maubèches les minutes et ceux à poitrine cendrée les roussets les blancs les violets ceux des marais les Mélitées du plantain les Mélitées noirâtres et orangées les Mélitées des linaires de la gentiane des scabieuses des digitales du frêne de l’alchémille et du chèvrefeuille les Belles-Dames ces fabuleuses migratrices les damiers des knauties les Mélitées du mélampyre les petites bécassines les chevaliers aboyeurs les chevaliers arlequins et ceux plus rares à pattes jaunes les petits agrestes les Tircis de nos lisières les satyre ou les mégères les gorgones que tout esprit loue le seigneur les fadets de la mélique les mélibées ou fadets de l’élyme les céphales les fadets des garrigues des tourbières les œdipes ou fadets des laîches les ocellés de la canche les amaryllis les ocellés rubanés les louvets les moirés blanc-fasciés les Tristan les moirés aveuglés les sylvicoles les printaniers les veloutés et ceux dits des sudètes les moirés fauves les moirés pyrénéens les provençaux les moirés des luzules les demi-deuil les andorrans les moirés des fétuques les échiquiers de Russie les ibériques et ceux dits d’Occitanie les chamoisés des glaciers les grands silènes les grands nègres des bois les grandes coronides les chevrons blancs les petits sylvandres les mésanges charbonnières les bleues les huppées les nonnettes les alouettes lulu (n°6) celles des champs et les calandrelles (n°8) les Bouscarles de Cetti (n°9) –
Ô le « Catalogue d’Oiseaux » ! moins les traquets rieurs (N°12) aujourd’hui disparus – les cochevis de Thékla les cochevis huppés les hirondelles de cheminée et de fenêtre les rousselines et celles dites de rivage et de rocher les mésanges à longue queue les pouillots à grands sourcils les pouillots siffleurs les véloces les verdâtres et ceux appelés fitis les hypolaïs pâles les polyglottes les ictérines les Luscinioles à moustaches les phragmites des joncs les bergeronnettes grises les fragiles flavéoles et les hochequeues (ou lavandières) les pipit des arbres et des prés les rousselines spioncelles les bec-croisé les chevaliers guignette les barges rousses et celles à queue noire les maubèches des champs les bécasseaux à cou roux et les cocorlis etc. etc.
Sommes à notre place en devenir
les animaux nous le disent
le feu et l’eau :
nous n’avons pas encore franchi le seuil des mots
Sous le soleil près des sources
le corps millepertuis
sous le soleil vers toi au fond vers la pupille
le trou
la vue noire
insistant ici comme une sœur invisible tournée vers le soleil et la mer
venant de la mer
de ses lèvres d’une seconde éternelle
sous un ciel insituable
depuis ce frère flottant au-dessus du désert
vers le début l’éclair d’une rose pour toi Thierry
sous le soleil
le sang lie de ciel
l’invisible est charnel
et la solitude un cœur
« Sous le soleil
sans penser à m’enfuir d’ici
j’ai frappé des pieds et des mains la terre
roulé au rythme du chant nomade qui tremble dans le cœur
sous le capot
et aspire l’air de la route
vers la mer toujours vers elle
même en lui tournant le dos
sous le soleil
j’ai emprunté le rêve au voyage connu le rituel des solstices
les feux de roues
les circuits de vitesse
et dans ce grand bordel l’éternel retour du feu
seule la traversée provoque les ondes
j’en ai joui amoureux rincé
j’ai parlé aux hommes qui habitent le silence
et n’eus besoin de rien d’autre
puis vint un ciel de sable brûlant »
Le monde naît et meurt entre nos visages-ciels
nos yeux dessinent les corps
des ciels une permanence du matin
tu savais que tout est transparent
que la terre est aérienne
le rien comme la poussière _ terreau
Les jours jouent avec le soleil
le soleil avec la tristesse
avec les meubles
le vide et le plein
avec l’absence
les traits de l’imperceptible
la musique des grains des ondes
la lumière des bouches-christ
leur pulsation
Nous avons perdu le langage des traces
comme nous égarons nos enfants
et nos corps trouvent encore le moyen de trembler
des herbes dans la bouche
les mains plongées dans la matière
car la parole est une lumière
une couronne
et nos têtes trouvent encore le moyen d’inventer
la voie longue dans la rosée
les couleurs de la pensée
l’intelligence des couleurs
d’étonnantes résonances
produites par l’apparent éloignement des faits ou des choses
les déflagrations anarchistes d’où naissent des fleurs
d’inventer
aux grincements des poèmes
un alphabet de l’amour
Car sous le crâne
une encre s’épand sur le rêve d’être
faisant taire ce rêve d’avant le rêve qui nous prend par les pieds durant la nuit
« De mon sous-sol » est un poème-sabre, la forme absolue de celui qui est l’esprit, le sabre et le corps en un.
Le temps à peut-être raison de la chair mais je crois que dans ce poème il n’a en rien altéré la trace de celui qui s’écrie et qui sort de lui pour conjurer son reflet.
Celui qui écrit, crie et danse avec son cœur en le déchirant.
Grégory Rateau est sorti de lui et de son discours. Il a choisi l’exil de soi, de sa « force brute », la vie en chute libre, hors des mystifications et des bassesses du passé. Terminé donc de perdre du temps à ressasser ses anciennes vies ou à prêter le flanc aux disants, aux « sachants ». Dans ce texte vif, la mémoire est à l’œuvre, et l’oubli ramène le poète aux sens, le sens de la déchirure, de la liberté et de la quête.
« La seule révolte possible se passe sur le papier ici n’est pas le lieu de la pensée positive ni de l’extrême négativité la page n’a aucune moralité elle n’a pas vocation au militantisme aucun slogan pour apaiser la bonne conscience des uns et la haine des autres « coup pour coup œil pour œil »
Il se dégage de sa dernière mue, sa dernière peau de frappe. Il s’en extrait comme lors de ses différentes mues de croissances, il s’est dégagé du club familial, des paumés, puis des sectateurs littéreux, ou des poéticiens. « La poésie fera ci, la poésie fera ça ! » … /… elle ne fera rien elle se consumera et vos piètres certitudes avec elle si vous n’êtes pas prêts à l’attendre refermez ce carnet et allez donc vous faire enluminer »
Pour Grégory Rateau, le verbe est d’un sang toujours neuf et vivant. Même « à l’aube de mes quarante ans » écrit-il, c’est parmi la communauté éclatée de mes « Phrères » que les corps continueront de s’offrir au poème pour « racheter tout ce temps perdu ».
L’ultime métamorphose s’est accomplie. Sur les écailles de son exuvie, le passé inexorablement se nécrose. La nouvelle peau du poète est prête au combat. Le temps n’existe plus. L’homme peut avancer avec et dans le verbe accomplissant les choses.
« Dans ton combat entre toi et le monde, seconde le monde » écrivit Kafka dans son journal intime en 1917.
Il me plait de croire que Grégory Rateau aura lui aussi fait ce choix : écrire, écrire et être pour se donner corps et âme à la poésie, et réinventer le monde.
« de mon sous-sol » est un texte court, ça se lit d’une seule traite, et c’est superbe !
Format 105 x 148 -Dos carré collé -Papier vergé – 52 pages – 10 €
Vouloir présenter Tristan Felix, c’est un peu comme vouloir expliquer la foudre en boule, le sixième sens ou encore l’esprit des choses.
En revanche, rencontrer l’œuvre de cette lutteuse poétique est chose plus aisée au regard du nombre de ses recueils publiés durant ces vingt dernières années par des structures éditoriales de grande qualité.
Sur la toile, impossible donc de louper Tristan Felix. On a que l’embarras du choix.
Ça c’est pour l’approche. L’intérêt étant bien sûr ensuite d’entrer en contact avec la pensée de cette artiste si singulière et prolifique.
C’est important une rencontre. Parfois, ça change la vie, le sens que l’on donne à l’existence, à la réalité. Lire le recueil « En roue libre » proposé ce mois-ci par les éditions Tarmac est une expérience de cet ordre.
Le livre est composé de douze lettres adressées à différents destinataires : Monsieur Ubu (le système néolibéral), Dieu, Madame la directrice de l’EHPAD Les Diamantines, etc. En lisant ces lettres où l’élégance du style -sa lame tranchante-, n’épargne personne, nous sommes replacés dans une réalité que l’industrie culturelle et informationnelle aimerait tant pouvoir occulter. Une prose érudite, riche et forte nous emporte loin du précipité d’images déversées par les médias, tout en nous rappelant combien la distorsion de la réalité est monnaie courante pour nos dirigeants agioteurs, copains comme cochons avec les agences Moody’s et Fitch, qui nous prient cependant de croire quotidiennement en leurs verbiages économiques, hygiénistes et sécuritaires.
Nous sommes d’abord un peu pris de court puis très vite follement entrainés par la pensée en action de cette écriture ; surpris et grisés par une mélopée où se heurtent et se frottent tristesse, joie, érudition, situations comiques et tragédie dans une profusion de sens.
Dans cet ensemble de lettres donc, il y en a une, très émouvante, adressée à Gove de Crustace, clown avatar de Tristan Felix. La poétesse qui s’adresse à elle-même « l’une mordeuse d’infini, l’autre jugulée par sa propre forme. … /… libre d’inventer son propre chaos » se glisse entre mémoire et présent dans une auto-dérision douce-amère nous laissant deviner l’existence d’une intime et immense douleur. Je crois que l’amour, la réparation, sont partout au travail dans les livres, les incarnations graphiques et le théâtre de Tristan Felix.
Le recueil se clôture sur une lettre adressée au lecteur, possible poète, possible objecteur des formules préétablies du langage de la communication : « C’est un peu à toi que je m’adresse depuis le début, comme à travers une flûte de roseau, la peau d’un tambour ou la paroi d’un gong … /… C’est important un lecteur, même s’il ne joue pas d’un instrument. Du moins fait-il partie de ce grand orchestre dont chaque instrument, comme le gamelan, assure la cohésion circulaire de l’ensemble. De proche en proche les peaux laissent entendre leurs impacts. »
Peut-on imaginer aujourd’hui rencontrer une voix plus belle, plus touchante et envoutante que celle de Tristan Felix ? Je me le demande.
Dans ce volume, MUT 1.3 – tous les mécanismes for rêveurs
sont neuf, comme ils le sont à chaque publication.
Ça danse et chante tous azimuts dans une créativité qui appartient au débordement. Déborder le souci du profit, l’infantilisation, et les fictions médiatiques. Parce que créer c’est aussi mettre en marche le corps sonore et le dire qui en sort. C’est aussi tordre le corps et laisser les grincements se faire entendre. C’est ouvrir le corps et l’esprit à une danse d’insoumission débordant forcément du cadre.
La communication est loin, la littérature pas tant que ça, la musique comme une respiration vitale.
La poésie des mutants est celle du combat. Sonore, vocale, musicale, visuelle – calligraphique – concrète et gestuelle, elle appelle et agit. Elle s’écrit, rit et peste de n’être rien mais d’être forte. « Ses mots sont animaux »
Cela fait quelques années déjà que leur « machines » proposent de spiraler les mots, les gestes, et toute action pouvant contredire les vieilles rhétoriques sociales et artistiques bourgeoises, c’est-à-dire d’étoiler – de sons, d’énoncés, de danses, d’incantations -, la guérison des cœurs.
Si j’osais, je dirais que la mosaïque de propositions des mutants rappelle – certes à des degrés divers -, les propositions que firent en leur temps, Antonin Artaud, Jean-Luc Godard (pour son travail sur le langage mais qui cependant dut beaucoup au cinéma lettriste pour l’indépendance de l’image et du son), Maggy Mauritz (encore vivante, je crois), Maurice Blanchot, le mouvement anarchiste, l’iconoclaste et inclassable Robert Filliou « Ne rien décider Ne rien choisir Ne rien vouloir Ne rien posséder Conscient de soi Pleinement éveillé TRANQUILLEMENT ASSIS SANS RIEN FAIRE », Guy Debord et Isidore Isou, Roberto Altman ou encore les dadaïstes, les « fluxus » etc. etc.
Les mutants regardent le ciel, prient l’eau, parlent au
soleil et aux étoiles, à l’air, et créent les lieux où ils se manifestent. Ce
sont donc des corps qui avalent la musique du vide, font entrer l’air jusque
dans l’esprit, que le cœur et le souffle ensuite restitueront en une vibration
toute singulière. Ainsi tout le corps (même immobile) utilisera ce souffle –
pieds, sternum et sacrum maîtres de la sustentation -, pour dévoiler l’espace,
ou sur un autre et très différent plan, fera surgir, par exemple, une «
poésie de Fin du Monde » (Machine YS-11) Poésie WTF « what the fuck »
en français : « c’est quoi ce bordel » ou encore une « Chorégraphie
de citations pansées » (Machine YS-15) : « Se présenter sur scène
intégralement recouvert de pansements de toutes les couleurs et de toutes les
formes. Le public partiellement attentif, ne sachant pas encore que ces
pansements recouvrent des centaines de citations (écrites au Bic, avec un
dermographe, ou bien avec un scalpel ou une lame de rasoir) des plus grands
textes littéraires contenant des blessures diverses, assistera à une
danse-arrachage. En effet, le danseur, en équilibre précaire permanent, retire
un à un douloureusement ses pansements, qu’il peut ensuite jeter dans le
public. »
Pour moi, l’ensemble des propositions de MUT 1.3 est aussi une « Machine » ou un dispositif propositionnel résultant des interactions neuronales des participants en conscience. Ses circuits interagissant en réseau de connectivités augmentent le risque de désordre, c’est vrai, mais ce faisant, replacent toute la potentialité des corps expérimentés dans l’unité d’une information non localisé leur permettant de rompre dans une furieuse pantomime avec l’enfermement mental des corps et des esprits, appelant ainsi à réinscrire dans le réel chaque acte de sensation en création, chaque expérimentation corporelle et spirituelle dans les parfums du hasard et de l’amour.
Et si l’expérience du corps était une mission de l’âme, l’épreuve de l’incarnation dans les fréquences du vide, dans la pratique consciente de plusieurs traversées; d’exister ?
Et si la vie couvait encore un dire inouï des formes natives du visible et du dire, couvait la mort, le corps-rêve à la porte du feu, et que la danse de l’écriture irisait l’errance subtile du graphe qui affleure à la surface du codage serré des lettres de l’illisible, irisait la justesse des tons aux réminiscences parfumées et le rythme du silence, les vibrations entre l’envers et l’avers ?
Et si dès aujourd’hui nous n’avions jamais fini de lire Ÿcra percer à nuit le monde– de recommencer sans cesse à entendre, à respirer et voir ce texte incomparable : tissu mouvant d’une littérature s’accomplissant, détachée de la signification qu’éventuellement on pourrait lui accorder, qui danse et dansera longtemps sous nos yeux, et moi avec …
V
I E – Livre second : Ÿcra percer à nuit le monde de François Richard
La maison est grande. On y accède en franchissant un perron qu’une marquise en fer forgé abrite. Deux molosses aussi imposants que doux accueillent les visiteurs. Leurs aboiements avertissent Olivier et sa compagne, Bénédicte. On pénètre dans la demeure où règne la quiétude des maisons anciennes. Non loin de la cuisine, se trouve une petite pièce dédiée à la peinture, au dessin et à la lecture. C’est là, dans un savant désordre, que peint ou dessine Olivier Nebout les jours de tumultes atmosphériques. Et ce qu’il y peint alors, c’est peut-être d’abord le reflet de son intention qui consiste, j’imagine, à vouloir se confronter au vide, à l’espace et au temps.
J’imagine ainsi l’homme face à la toile. J’imagine que son premier désir de peintre est de trouver sur la surface vierge un point d’appui, c’est-à-dire de permettre à la main (au couteau, au pinceau) – grâce à l’œil – d’enduire le vide pour ensuite le trouer, puis finalement le rehausser en y introduisant du désordre et en sollicitant très secrètement – j’imagine (mais j’imagine seulement) – quelques intercesseurs d’importance.
La peinture, appliquée par touches de couleurs sur la toile, demandera préalablement à la matière de topographier le visible. Du vide et du plein naitront alors des formes. Un désordre se constituera, un visage (des corps et des choses) ou un paysage en surgira.
En regardant un tableau de l’artiste philosophe, on sent très bien comment la main et l’œil du peintre ont avec persévérance contribué à ce surgissement. Mais ce que la main, l’œil et la peinture font apparaitre sur la trame de lin est autre chose que la réalité.
L’œil, le géomètre, aura dû laisser un peu de place à l’esprit, lequel recherche autre chose que le bornage des apparences.
Ce qui compte alors n’est pas seulement la matière, la matière constituée de pleins et de vides. Ce qui compte dans les tracés de matière et la danse des formes et des couleurs,
c’est ce qui s’y meut et se diffuse; une impondérable présence.
Olivier Nebout, le peintre de la patience, nous a ouvert une fenêtre.
Et cette fenêtre s’ouvre toujours sur une histoire de lumière et de mouvement: les pulsations d’une très vieille mémoire.
Dans la lumière que diffusent les corps et qui semble aussi les traverser, nait
l’idée d’un passage vers l’imperceptible.
L’œuvre est réussie si elle plait à l’équilibre du visible et de
l’invisible.
On regarde donc par la fenêtre.
Sous le Ciel-Océan de Nogent-le-Roi, dans les champs de la Beauce, dans le portrait de Bénédicte ou encore quelques autoportraits, le désordre s’est agrégé. Le regard glisse et s’attarde sur une œuvre-monde, un espace qui ne nous appartient pas et qui pourtant nous est étrangement familier.
Les tonalités sont à la fois couleurs et musique. La « partition tonale » du Paysage de la Beauce (Craie sur ardoise) est à ce propos assez étonnant.
Les corps et les choses racontent une histoire, ou l’histoire d’une idée tandis que l’esprit, dans les transparences, nimbe l’intangible.
Dans le travail de Olivier Nebout, cet équilibre à l’oscillation subtile semble primordial.
Au fond, la propriété de ce qui dans un tableau est en mouvement tient à des successions de métamorphoses, de contrepoints et d’harmonie. Les couleurs se seront d’abord chevauchées ou contrariées, et leurs plis se seront déchirés puis rejoints, permettant ainsi à l’ensemble de s’accorder.
Fugue des touches successives se plaisant à servir le réel, la matière et l’esprit !
De tout cela, il en résulte une œuvre qui est toujours plus intéressante et étonnante lorsque les toiles sont vues dans leur dimension réelle.
Ici, je ne tente pas l’exercice périlleux d’une « explication » approfondie du plaisir que je ressens, lorsque je laisse divaguer mon esprit devant une toile de l’artiste. Cependant, le j’aime – je n’aime pas cher à Rolland Barthes pourra amplement me suffire pour entamer et entretenir une belle discussion à ce sujet, en ne retenant bien sûr que la première assertion de l’auteur du Degré zéro de l’écriture.
Pour ce qui est du regard des autres, ce qui n’est évidemment pas mon affaire, gageons simplement que de leur point de vue le fameux « j’aime – je n’aime pas » ne sera pas non plus assez satisfaisant pour goûter et apprécier une œuvre aussi délicate.
Peindre, écrire, chanter, jouer, aimer, etc. c’est d’abord vouloir jouer de cette oscillation : être libre de créer, de se réinventer, tout en ayant aussi le courage de se confronter à ce qui semble parfois vouloir contrarier cette joie.
ré
Image d’entête: reproduction d’une huile du peintre: Paysage de la vallée de l’Eure – 2006
Écrire dans les pages d’un petit livre que chaque matin ricane – grimace fluorée – un masque aux dents propres. Je ne brise pas pour autant le miroir qui me renvoie tous les signes de ma soumission. J’écoute la mer et le vent qui ne disent rien de ce visage ni de ma conscience.
J’entends, comme l’ami Jean-François Simon l’entendait depuis son cloître d’images, les bottes et les fusils, aboiements métalliques, et l’océan qui commence à manger la terre. Un instant, des instants, ce n’est pas grand-chose, et pourtant tout ça existe ; ce qui aimerait fleurir, agir et se perdre sans cesser d’en disperser le sens. Corps et langues s’y enlacent et s’émeuvent.
Hoquets bruyants du néon, la lumière hésite un peu. Moi aussi, grotesque, imbu de littérature, et implorant les mots pour adresser, gémir un salut, un aveu, au lichen jaune des murets qui recouvre les pierres, ma prière, de sa peau.
J’existe et meurs tous les matins ou presque dans le ronronnement entêtant de la technologie qui dit le monde et la nécessité toujours inaccomplie de transposer l’idée de la vie en pur amour.
D’un instant de frayeur ma parole est née, je crois. Qu’en faire. M’y suis creusé un trou de sidération d’où ça fait beau temps que je tiens tête à la nuit, lui passant par la bouche mes sommeils compassés. Comme tout le monde, je fouille autour du manque et du corps, un trou de langue, de pluie, de paysages. Et des peuples entiers se cognent aux portes des églises, échouent et crèvent sur nos plages.
Il n’y a pas de parler faux – je crois –, de poésie vraie ou de roman mort, mais des bateaux en sortant du chenal qui meuglent l’incipit du voyage à la mer ; mais le dire des choses, des odeurs, de la peur, de la spoliation, de l’horreur et de l’amour. Les arbres sont plus grands que le langage.
Laissée en pâture aux oiseaux qui plongent dans ma respiration – dans son volume d’images –, ma parole halète d’abord puis se tait. Et les camions écrasent, arrachent et lissent le bitume de l’embarcadère.
La rampe courbe au parapet blond dessine l’ourlet d’une paupière dont le khôl fond sous la chaleur. Ça sent le goudron et les fumées de diesel. Je suis un étranger.
Sans assener ni vers, ni rien d’autre, mais esquissant, il me semble, ce qui ressemble à un lieu, il faut nous risquer avec les corps invisibles du vent et de l’eau, pénétrer l’arcane, ses paysages – bouche, sexe, œil –, l’esprit à la table des mondes et des temps où dansent aussi, dans le cycle ouvert et permanent, vie et mort aux lèvres d’eau puissantes et bleues. Rester clandestin et attentif aux fleurs et aux saisons. Écrire.
Contemplateur dévoré sous la meute, le monde me rêve sans visage.
Toi, ma tête toute mal-tendue vers ce nous qui danse mais reste privé de l’acte inédit, tiens-moi debout dans ma tristesse de fou. Je connais que tu as une géométrie parfaite pour l’exercice. Voilà. Ça ne sert à rien de penser à la suite. Quelle suite.
Aujourd’hui, les dés ne veulent pas. Ils s’obstinent.
En marge du texte, le présent est un autre texte, un autre lieu. Ce n’est pas encore ton tour. Apprends d’abord. Je me répète.
Jette de l’eau sur tes frayeurs.
Écoute ta langue – phé │
énoncer parole et silence puis disparaître.
À l’instant sommes juste à l’heure de l’imitation, de l’arrogance, du mépris, de la violence, des fictions autoritaires. Émets à feu bas. Nulle communication non plus, et toujours en voyage.
Mais amour rituel aux cent visages, tous les matins ou presque. Ça, oui. Faire l’amour, en donner. Écrire, mentir encore. La lenteur de nos corps se réapproprie la chasse poursuite futuriste. Le débordement à venir : le réel.
Finalement, rien ne revient jamais. Tant mieux. En permanence, improviser, je crois, une autre vie. Écrire, parler lentement, et relecture systématique. Dans ma légende, suis plus léger que le souffle, celui à qui on aurait coupé la tête, et cette même tête aussi, inventée, que m’ouvre la danse silencieuse des mots qui ne sont pas tout à fait des mots et des trilles me rêvant, mais un rêve flottant entre les mots et les battements silencieux, entre l’œil et un ciel-mère, un océan, un regard de force, de terre et de pluie pesante rêvés par la sécrétion d’un grand pouvoir, dans le cliquetis d’une langue musicale, la voix d’une rencontre possible, une alliance.
Dans la langue tendue du cinglé, terre et langue en patience, sommes anonymes errants, allongés sur les dalles en pierre des mythes, sous les anneaux des temps, avec dans le cœur un soleil de faïence, et nos voix se meuvent, discrètes et pâles.
Extrait de Sans cesse de Gilles Venier. Tarmac éditions 2018
où André en uniforme nous rejoindra pour t’embrasser
_
Quels autres furent tes amants ?
_
Feignant d’être surprise sur le fil de ta mémoire
tu souris en portant tes mains sur ta bouche
_
Ton Adam fut amour en tes deux feux vivants
du jardin jusqu’à ta main
de tes eaux jusqu’à la porte de ton cœur
apprenti de tes voiles de tes parfums
_
Avec toi migre ma pauvre langue
aux herbes odorantes
adoptant la respiration des nuits et des jours
qui chante les bois frais
les carex les iris et les prêles des marais
_
Car c’est toi qui crées les euphorbes
les nuées aux lés mauves et argentés
les hortensias bleus de l’ile de ré
toi qui couvres d’orichalque les falaises de la
corniche basque
au coucher du soleil
et ordonnes à la bise et ses framées de gel
de dessiner sur les vitres des fenêtres
les partitions fractales de l’eau et de l’air
_
Transporte-moi du bord des lèvres
aux mains ailées ouvertes et spatiales
_
Profère ce qui nous traverse
nous dépasse
et pare les choses inexistantes
_
Murmure-moi ce que racontent l’eau
les résurgences
le puits salé d’Ugarre
et les sources de la Nive en forêt d’Orion
toutes les sources et toutes les fontaines
les arcatures des châtaigniers à Bidarray
et le peuple des grands pins à la gemme ambrée
du col de Gleize vers Chaudun
l’odeur fumée des feuilles
la fumée des brûlis
l’offrande parfumée que les feux de bois morts adressent au silence
_
Extrait du recueil publié par les Editions Encres Vives dans la Collection Encres Blanches N° 797 – Avril 2020 ISSN 1625-8630 – ISBN 2-8550 Dépôt légal Avril 2020
_
Image d’entête: Mère totale – Pastel de Olivier NEBOUT
Qui parle encore du drap raide et froid qui claque entre les strophes ?
Je ne suis qu’une tête-fenêtre, une veste de postier, une tête-cœur obturée. Je n’ai aucun métier, et habite depuis toujours la même piaule à l’architecture parfumée des corps, dans un petit théâtre immobile qui avance vers la mer.
Regarde, c’est toi et c’est moi aussi, sur le trottoir de l’hôpital. J’ai froid et sue à grosses gouttes. Ma figure est prise sous un masque d’insecte. Quelque chose te dit qu’il fait beau, et j’ai froid. Personne ne me reconnait.
La turbine d’un hélicoptère en approche hurle sur ton rêve. L’urgence, c’est le réel, là, juste derrière. Arrête-toi.
Dans la maison de ma mère, je vois des paysages de lessives aux proportions fantastiques, et dans la maison de mon père, j’ouvre au feu les portes. Énergiquement des mondes y sont lavés, et des mythes bouillent dans la lessiveuse rouge en acier galvanisé, tandis que des bouches énoncent des noms de villes et des noms de famille dans une langue de Savon de Marseille et une haleine de Gitanes.
De toi, je veux savoir quoi faire. Ton autel se bâtit. Mais tu ne comprends plus ce qui est dit. Les mots que tu reçois sont des flèches molles. Je me tais et vole. Je suis toi, mon père, et toi aussi ma mère des jeudis et des midis, des étés de voyages en Simca.
Nous sommes des lève-tôt silencieux, échafaudeurs de combines pour faire passer la pilule des jours amers. Des laborieux sédentaires vouant à nos deux astres la bonne odeur du pain. Dandinant, le regard égaré sous nos joies de pauvres, attendons le dernier grand coup de tristesse qui nous sera porté et nous fera jouir, grand tintamarre entre cerveau et pubis.
Mal ajusté à mon corps, je flotte un peu. Flotte mon ciel de roches et de montagnes, de vagues de terre de bruyère et de pins.
Des sacs d’angoisse peuvent bien s’empiler sur mes vertèbres. Sous la charge, l’emboîtement de verre crisse, mais l’orgueil qui est aussi pierre à levier t’a appris à tenir. Qu’ils s’y amassent donc comme ils le peuvent. Midi m’est toujours léger et me danse encor des immeubles blancs avenue des Ternes, kiosques de moineaux boulevard Barbès, affiches colorées qui clament l’humanité, les jupes et jeans, jambes d’une pure merveille te délivrant un billet pour un vol spirituel au parfum de Chesterfield. Volent au mètre par seconde les routes nationales bordant la lente marche des pluies, la lumière jaune que les grands arbres accrochent pour peindre nos visages !
Nous ne nous sommes rien dit ou presque de nos prières. N’avons rien dit de nos circulations, de nos absences, au miracle du toucher Corps et Âme. Rien dit sur la présence des dieux de printemps qui habitent dans les pins craquant sous la chaleur. N’avons rien entendu non plus de nos langues que leur jubilation d’hélice sur nos seins et nos cuisses.
Il faudrait pourtant dire la trace des doigts sur les verres et sur les vitres, les manifestations du Ciel, le songe musical des villes, la beauté du ventre des femmes, entendre les basses, la pulsation amoureuse des basses.
Nous sommes des paroliers impatients. L’oracle c’est le réel. Juste à côté de l’image et du dit, la pythie désordonne sa coiffure. Et lorsque nous traversons l’étrange, rien ne nous semble l’être. On y croise nos corps et nos textes désirant en abyme – frères et sœurs, humanité déjà ancienne, mais ce sont toujours des visages anonymes porteurs des mêmes implorations, des mêmes paysages. Nous sommes du temps ses lenteurs infinies.
Jusqu’au dernier regard
prose de la Rose l’Âme.
Envisage la mémoire en unités-lumière.
Recours à l’Encre et à la Pluie à grands seaux de silence. Soutiens l’heure éternelle glissée sous chaque ville, dans chaque corps et chaque esprit où reposent des lunes de lavis, des constellations de familiers lointains.
Voue compagnon de joie et de lenteur Air Eau Soleil notre solitude l’élévation de sa parole au Vent – au souffle de la Terre à la Fleur incendiaire la vie hors du temps ce round que l’être sans cesse inaugure dans l’ouragan, l’effroi, le secret.
Invente continuellement tes traces, on les effacera de même.
Masque avec discipline ton immobilité la puissance de tes épaules, la fragilité de tes fictions. Beaucoup ignorent ce qu’au pied de la lettre voir et agir, partager le livre, veulent dire.
Sans rien n’omettre de l’Eau et des Ciels, debout, pieu fiché dans le sable, laisse les choses légères et graves te jouer des tours et conjurer le récit. La joie revient.
Il faut apprendre – je crois – à écrire peu sur la forme de sa perte. Dessiner le chant n’est pas en être le sel, et dire ce qui se voit ne délivre aucune preuve. Il faut tenir son vide pour dit autant que le respir nous en permet la profération. Choisir la tendresse, le fil coupant de ses pétales. Agir muettement, écouter ce qui se lève des autres cadences.
Emprunter l’escalier des saisons dont les jours sont des siècles. Boire et reboire l’Eau à nos lèvres de salades. Suivre du regard le tube du vent suspendu au soleil.
Et puisque tout est parfait – Air trois fois inspiré – l’image seule de l’enfance à la fin reviendra, la mémoire du présent épousant gestes et pensées, et tous nos baisers de mucine nos routes nos dires nos jeux, tant nous avons dansé bougé et remué l’air passionnément, furieusement, de nos cœurs et de nos mains, courageux va-nu-pieds, passeurs obstinément cois sur nos Ciels de misère, le désordre de nos ravissements, le murmure de nos chants.
*
J’ai depuis longtemps jeté mes bourreaux aux orties, aimé nombre de visages. – prose des visages du Soleil aux couronnes d’épines de leurs résurrections. Océans oiseaux rapides Arbres. Et partout sous les arbres, sous l’Herbe aux cheveux de Rosée où ombres et lumières s’entrecroisent, comme dans la géométrie familière que composent ces chaises ces échelles et ces lits qui clôturent notre esprit, le tient est là, et encore à venir.
*
Des voix réclament jour après jour qu’on inhume les phrases. Alors je prends à pleines mains des bouquets d’herbe et de gravier. – prose des pays de paille, des chemins et des abeilles, des pistes, des paysages de pluie, des laisses de mer, du voyage. – prose des oiseaux jardiniers – prose des temps obliques, d’une mosaïque de Ciels, car nous avons été patiemment attendus par des mendiants qui ont fait don de leur parole.
Je me rappelle maintenant avoir décroché le mot orgueil de mes cervicales.
C’est que judicieusement placé sous un autre mot, il servit alors de point d’appui idéal au poème-levier. – Prose de l’entente de l’improbable équilibre, des mots-fougères, de mon chant de mendiant.
– « Mais de quoi alors pourrions-nous bien parler et qui êtes-vous d’ailleurs ? »
– De rien de l’intériorité du voyage du pas du tout du non-advenu de l’indéterminé de nos jours enthousiasmants enclos de joies tristes, de la fiche électrique de la radio débranchée que je perçois, telle une main gantée, l’extrémité suggestive d’un vide.
– Prose des reflets du chant ( l’intercesseur) – de la bienveillance de l’éros, de choses légères et graves, des unités de pensées, des interstices de lieux sans lieux, de l’oyat des dunes, de la pyramide des patelles. Mendiant – dément peut-être-, mais pas artiste et d’ailleurs oui, sûrement laborieux, non confessionnel individu indivisible mais invisible, clandestin.
Aux hiatus d’offrir des retours, un infini de phrases ruines, de résonances, d’émeutes acouphènes, par épiphanies de silence et changements de perspective, pourvu que le chant aigu, l’aiguille de son qui traverse nos têtes, puisse lier ce qui est à brûler aux vieilles cendres et aux fleurs, et que, pénétrés par la permanence de son timbre nous restions sans vérité, marchant comme tout le monde au-dessus des morts, dans l’aura du jour et son cerne noir en compagnie des bêtes, puisque nous sommes fait de chair et de Ciel qui tiennent ce sifflement lavé par l’eau des rivières pour un chant sacré, un vieux rêve rivé à nos vieilles mémoires.
Jusqu’aux derniers signes, nombres.
J’y serai.
C’est par leur bouche leur miroitement seulement par leur bouche que tient le monde. Tête obscure
vouée au chant.
Entêtement des corps-livres
des renaissances.
*
Et le livre de la mémoire n’existe pas. – Prose du chant de son tremblement de l’éclat descendu dans les Arbres puis glissé dans les pierres – prose du plexus solaire du regard rhapsode de la convulsion des jours jusqu’à ce que dans l’œil toutes les ères se confondent et que la prière soit une marée d’équinoxe une marée aux tambours de soude brûlée au souffle bramé et piqué de serpolet de fagots de bois flottés emmaillotés de sable et de goudron de cils de gourbet – prose de toi mon père paysan-soldat de tes gifles lourdes pelles de terre à patates que ça te plaise ou pas puisque je t’aime – prose de l’enfant bercé par la sorgue à l’œil ouvert où palpite le cœur sans sommeil – prose de la peur de ta voix entaillée par la lune dans le mortier des nuits de sable de dents cariées et d’oreillons comme paire de tenailles aux mâchoires de fièvre – prose de ma langue de mon vieil Espéranto en sifflements d’autocuiseur en vagues de Ciels roses et de jambes de soleil ricochés sur les moellons ocres et gris des fermes de la Dordogne et des Charentes – prose de quartz de silex et de pyrite d’ombres et de couteaux de ton patois aux accents Roumain – prose de ta femme engrossée six fois par tes excès de fatigue – prose du silence mais aussi d’omelettes aux cèpes de truite meunière – prose de lard de piment de persil de tomates farcies et de canards rôtis – prose des tablées familiales belliqueuses dès que le vin de Bordeaux succédait au Sancerre – romance gitane où l’amour se chante mais ne se dit pas – prose improbable de glaise bêchée de luzerne et de trèfle violet fauchés avec le soleil et la Rosée des pare-brise – prose des dernières proses au paroxysme de notre mémoire anténumérique de poulaillers et de lapinières de fossés de brûlis de granges de remises où les ailes des faux les squelettes rouillés des faucheuses dorment le pays des vents des pailles et des poussières d’été restées collées à la graisse des essieux – prose du faire et des prières de midi en liturgies de jambes et de bras fermes aux vidanges des citernes – prose des pluies aigres et froides de gels qui ceignent cruellement les reins et les poignets – prose des corps aimés de vos courbes et vos plis d’où surgissent les effluves de pays sauvages et calmes – prose de nos voyages d’amour aux lenteurs incroyables – prose jusqu’au bout sur nos dépouilles amoureuses et les ambres qui ornèrent nos lits des variations spatiales du chant de l’enveloppement infini de la mélopée des corps et des corps dans l’entremêlement ordonné des transformations – prose obscure de la totalité par bribes de sources et de rivières – prose de la maladie des tourbes d’affects des sables mouvants – prose des fontaines et des eaux souterraines de la langue morte lorsqu’elle est peau morte d’une danse des signes – prose des âmes simples aux songes amoureux des réminiscences affleurées par le vent glissé dans les arbres puis dans les pierres et dans les cendres – prose de l’eau des corps et sa mémoire que l’âme dans ses plis retient – prose du commencement de la Rose du Nous du jaillissement d’une époque à venir. Seuls les accords de musique et la danse animent encore les tentatives d’effacement. Ce qui nous manque est magnifique.
Je suis nomade d’ici, où mon île apparaît parfois au cœur des pierres veinées de silice sous la constellation du crabe dont l’ami Mano me promit un jour de viscères noirs de surveiller ses étoiles.
– Prose des sud et de l’orient du sein aubergine au lait des sources et seuils nets de joies désertes en purs déserts dormant leur gerçure de silice des septentrions aussi – Prose immobile du Texte du dire muet des choses de la dysharmonie élégante des chants poussés par ceux qui vivent encore avec les paysages et s’entretiennent avec les visages de leurs Ciels.
*
En moi mon amour nombre de tes visages – prose de leurs baisers et l’argent mousseux de leurs rives tes lèvres. – Prose des consolations des phonèmes des inflexions tonales des langages-couleurs du timbre de nos rires et de nos peines qui ne feront pas un livre mais un poème serpent.
Sylvie, tiens-moi la main et partons. J’habite dehors avec toi parmi les choses et les vieux signes
François Richard, l’auteur de Vie sans mort, d’Esteria et de Loire sur Tours, nous revient enfin grâce aux éditions Le Grand Souffle avec un texte-danse qui aura habité de ses déflagrations secrètes un trop long silence du poète.
Dans le premier opus de V I E – L’asquatation -, il y a un lieu : le squat Ribardy. Et puis il y a des heures, des jours dont certains sont des ères, et encore d’autres jours-instants aux mille nuits, aux mille paysages où l’errance a le don de ses voix-âmes, des Driades, d’Esther Leastir (la femme cachée), des fleurs, des vents d’encre, des corps – Ors-feux – au don d’ubiquité.
Le verbe y est matière et musique. Sa résonance sacrée est fertile. Le temps est celui des corps sonores de ces adolescents survivants dont les voix vivent et retentissent dans le choix lucide de leur liberté assumée en tant qu’êtres acceptant leur condition. Tous ou presque annoncent une révélation. Un renversement, une fin et un début ; peut-être celui d’un autre monde.
Ils sont là ces enfants d’Orphée à la fois synesthètes, amnésiques et dotés d’une mémoire plus vieille que la mémoire des temps. « ils sont là, Thubald, Thiam le non mort, Suïm, Imogen, Nroil, – Léopar, frère de Carange, et Chriscent (plus loin) -, et Attuen, et Lullia, et Lul etc., extrayant un vaisseau de l’envers de l’air ».
C’est un texte levé, une odyssée, d’où surgissent des légendes, sources originelles enroulées dans un futur déjà réalisé, où le sensible danse avec la création, avec l’imaginaire ; où le langage est capable de questionner le réel ; de redécouvrir et de nommer l’Arbre-Monde.
Il y a là, en mouvement – en inquiétude -, un chant dansé qui propose une traversée des ténèbres qui nous ceignent. Nulles allégories ou imitation dans son tracé, et surtout pas un jeu. Ça passe par les sens du respir et du toucher et par l’expérience du mystère, de la douleur et de la joie; de leur stridulation. Rien d’occulte non plus, mais sans cesse une création dans le creuset du sens.
L’écriture de François Richard est toute empreinte de cette respiration vitale – l’inspir et l’expir dans l’unicité corps et âme d’un temps-corps -, qui nous permet de tenir, de suivre l’étoile et d’aller vers soi. Lire cette respiration, c’est aussi respirer avec ce poète hors norme, le rejoindre dans sa quête, et s’étourdir avec lui dans la danse d’un verbe qui nous appelle à revenir au vivant, à nous retourner, en nous, et à s’unir à la conscience de l’amour.
Un très beau récit initiatique
Livre 1 – l’aquastation – Premier acte du pentaptyque V I E – 186 pages – Editions Le Grand souffle 2021
Un petit livre remarquable de Mathias Richard vient de paraître aux Éditions Caméras Animales.. Dès la première page de ce qui ressemble à un carnet de notes, le ton est donné : « avec ma main de pain de mouche de mutation Suzuki/putain/ j’écris des Poèmes dans le Ciel ». Dans un carnet, on n’écrit pas pour être lu. On ne devrait pas écrire pour être lu. Des notes, des fragments de lettres, de courts poèmes ; fièvres et expériences de la fièvre y sont consignées chaque fois comme l’imminence d’une fin et d’un commencement. De brèves prières, et toujours la puissance d’un chant, la volonté de chanter même si « Survivre, c’est assister au désastre un peu plus longtemps ». Garder sa liberté de chanter, et le faire faire vraiment, sans avoir recours au spectacle, c’est-à-dire chanter (même à voix basse) à l’adresse des humains comme à l’adresse du vent, du soleil, ou de la terre, c’est proposer au chant du monde de le rejoindre. Il n’est alors plus question de survivre en assistant au désastre, mais de vivre… même abimé, « brisé » ou « maté ».
Ce texte est revendiqué par l’auteur comme étant un « livre de l’intérieur », témoignant d’un enfermement forcé lié aux « restrictions sanitaires » qui furent instaurées par les pouvoirs publics durant la pandémie. C’est aussi depuis une intériorité plus intime et plus profonde celle-là – où les réseaux neuronaux, l’esprit et le cœur diffusent ensemble leurs informations-, que le dehors dépeuplé, figé ou stérilisé par décret peut apparaître d’autant plus invraisemblable. Mathias Richard consigne les effets de ce processus intime qui immanquablement conduit les mots à se heurter aux idées, et noue affreusement l’affect au poids d’un corps immobile. Même si de la réalité aucun vocable ne peut vraiment témoigner, derrière chaque phrase, chaque mot, se révèle un cosmos spiralé de lumière et de vide. En conscience, le corps et l’esprit tanguent acceptant la souffrance. Seuls l’esprit et le corps savent que le manque est essentiel, et que nous sommes aussi constitués par des milliers de paysages aux milliers de pétales et d’une infinité de capsules d’espace-temps. Et l’esprit et le corps veulent constamment danser et chanter, dans l’instant pur, ce manque et ce plein fractal de vide et de plein qui nous constituent et nous font vivre.
Tout est toujours possible. En homme d’action, en performeur, Mathias Richard ne s’emporte pas sur un futur déjà réalisé. Son parcours, son voyage, il veut le partager avec la communauté humaine « ceux qui sont étrangers partout » qui habite aujourd’hui l’impatience de créer, de se recréer, de communier, et qui déjà tente de conjurer le sort que nous réservent les inquiétantes promesses de l’intelligence artificielle. Pour faire tomber les masques des impostures en tout genre, de la fausse bienveillance politique et sociale de nos systèmes économiques et sociaux, on doit encore pouvoir bifurquer, reprendre les chemins de traverse du faire, saisir les effets potentiellement positifs pouvant surgir de circonstances aberrantes. Rien de naïf ou d’utopique dans cet espoir. Agir est avant tout un don de soi-même.
Alors oui, parfois le respir du dire de l’artiste est tour à tour ample et court, asphyxié et vivant. À une lyse de rage lourde ou à l’étoilement d’un désir se succèdent quelques précipités poétiques qui n’ont bien sûr rien à voir avec une sorte d’astuce d’écriture, et encore moins avec de la communication. Des invocations existent aussi dans Mix 01 (12.09.20). Ces mantras que l’on peut prendre pour des répétitions obsessionnelles appartiennent au chant, au souffle, où l’être se rejoint dans sa verticalité. « ce n’est pas moi qui exprime ces mots, c’est le Monde.
Partout dans ces textes, une compréhension intuitive de la réalité. Pour Mathias Richard, avant de ne plus penser, de refuser de penser, de ne plus rien écrire, de ne plus rien vouloir [ou pouvoir] écrire, de ne plus faire parler le souffle ; avant de fuir les apparences, l’urgence est de girer dans les couleurs, de courir tel un funambule au-dessus du vide et ses hypothèses.
Avec ou sans masque, un corps-texte(s) inviolable.
Dès son ouverture au public (ouverture normalement prévue pour le 1 Juillet 2020) , et lorsque seront levées toutes les restrictions sanitaires liées à la pandémie, les curieux, les amoureux de la ville de Bayonne, les friands de culture et d’histoire ne manqueront pas de se rendre au Centre d’Interprétation de l’Architecture et du Patrimoine (CIAP) de Bayonne : Lapurdum.
Parmi les multiples et riches découvertes mises à la disposition du public qui nous éclaireront sans doute sur les différentes évolutions technologiques, culturelles, commerciales et urbaines de cette magnifique porte maritime qu’est Bayonne à travers les mutations dont la capitale Labourdine sut faire preuve au cours de l’histoire jusqu’à nos jours, on pourra notamment visionner une série de 3 films inédits réalisés par la vidéaste, Aurélia Nebout, réalisatrice également d’une pièce sonore de Germaine Auzémery-Clouteau intitulée « Au creux des pierres » qui sera diffusée dans la « cave gothique » du CIAP en quadriphonie et en versions Française, Anglaise, Espagnole, Basque (Euskara) et Gasconne.
Ces trois films ont
pour vocation de nous donner l’occasion de porter un regard plus attentif qu’à
l’accoutumé sur deux quartiers de la ville hors du centre historique, puis de voyager
un peu dans le temps et l’espace géographique de la ville fluviale et
portuaire.
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« ARCHITECTURE DU XXe SIECLE : LE QUARTIER DES ARENES » Proposé en versions Française, Anglaise, Espagnole, Basque (Euskara) et Gasconne. Durée 4’31 – Intervenants : Sophie Lefort, guide conférencière à la ville de Bayonne. Claude Laroche, Historien de l’architecture, chercheur à l’Inventaire général du patrimoine culturel, Région de Nouvelle-Aquitaine
On pourra donc s’informer,
rêver et se balader dans le beau Quartier des Arènes en visionnant un film très
instructif qui a pour objet les modèles architecturaux des bâtis résidentiels de
ce quartier, leur homogénéité et leurs sources d’inspirations Basques et
Gasconnes, ou même Art déco.
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« ARCHITECTURES DU XXe SIECLE : LES HAUTS-DE-SAINTE-CROIX ET L’ARCHITECTURE BREUER » Proposé en versions Française, Anglaise, Espagnole, Basque (Euskara) et Gasconne. Durée 4’39 – Intervenants : Arotça Renée, habitante du quartier. – Pablo Garcìa Astrain, Architecte.
Dans cet
autre documentaire (un petit bijou de sensibilité), on assistera (presque) à la
naissance du Quartier des Hauts-de-Sainte-Croix, dont la conception et la
réalisation furent confiées en 1964 – sous l’impulsion du ministre de la
Culture de l’époque, André Malraux – à l’architecte et designer Marcel Breuer
auquel il faut associer Jean Barets, ingénieur en chef à la Compagnie Française
d’Engineering Barets (COFEBA) pour le concept
structurel de l’ensemble. Le témoignage d’une résidente, qui compta avec sa
famille parmi les premiers locataires de la ZUP (zone à urbaniser par
priorité), est formidable.
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« BALADE AU FIL DE L’EAU, LE PORT D’HIER À AUJOURD’HUI » Durée : 09’52 Récitant : Frédéric Kneip
À ne pas manquer non plus, ce film de
10 minutes au cours duquel l’œil de la vidéaste glisse le long des quais de la
Nive et de l’Adour en évoquant subtilement leurs fonctions d’autrefois et les
constantes transformations de ces infrastructures au cours du temps. La ville
s’anime, chante et travaille. On entend les bruits des chantiers de
construction navale. Ça sent le brai et la marée. Des figures illustres,
corsaires-baleiniers, ingénieurs, érudits, soldats ou poètes, sont à juste
titre cités et associés à la séculaire renommée de Bayonne. Les images de la
ville et de ses « ports » intérieurs, d’hier et d’aujourd’hui, se succèdent, se chevauchent, se juxtaposent, se
mettent en rapport, et parfois résument en un éclair la concordance entre l’aventure
passée et contemporaine, et ce, dans une lente descente de la caméra le long du
fleuve vers son embouchure, jusqu’au port maritime actuel.
On appréciera, je
pense, ces 3 films d’Aurélia Nebout.
Dans la démarche de
l’artiste – sa méthode -, de belles promesses semblent poindre, comme par
exemple, je crois, cette imperceptible intention de l’artiste nous invitant à
regarder avec attention ce qui est montré, je veux dire ce que sa pratique de
vidéaste fait naître en nous comme images pouvant éclairer à leur tour la
narration.
Ainsi, attentifs à l’interaction de nos images (qui portent elles aussi le regard d’une mémoire) avec celles du film, Aurélia Nebout nous murmure que nous pouvons faire entrer en résonnance avec notre conscience ce qui dans « l’en-de-ça » du visible reste ordinairement opacifié par le voile du récit ; que le « dire » alors peut s’effacer pour laisser place au seul regard, et que seul, finalement, le regard est l’œuvre.
« BALADE AU FIL DE L’EAU, LE PORT D’HIER À AUJOURD’HUI » Réalisation / Image / Montage : Aurélia Nebout. Etalonnage : Mélody Gottardi. Son / Mixage : Matthieu Cathelineau.Comédien voix off : Frédéric Kneip.Image drone : Clémence Gomez – Les films d’en haut.Infographie : Geoffroy Groult
« ARCHITECTURE DU XXe SIECLE : LE QUARTIER DES ARENES » Réalisation / Image / Montage : Aurélia Nebout. Etalonnage : Mélody Gottardi. Mixage : Matthieu Cathelineau.Image drone :
Clémence Gomez – Les films d’en haut
« AU CREUX DES PIERRES » Pièce sonore de Germaine Auzémery-Clouteau, Direction de la culture et du patrimoine/Ville de Bayonne. Réalisation : Aurélia Nebout. Sound design et Mixage : Matthieu cathelineau
Versions Française, Anglaise, Espagnole : Camille Panonacle
J’ai eu la chance et le privilège de visionner, avant sa sortie, le film de Philippe Lespinasse « Pépé Vignes, c’est du beau travail ! » qui rend hommage avec tendresse et émotion à Joseph Vignes, dit « Pépé » Vignes, ouvrier, artiste myope autodidacte, farceur, chanteur à tue-tête, et accordéoniste.
Dès les premières minutes, Pépé Vignes, tel un crieur public, annonce joyeusement face caméra que ses dessins et leurs couleurs existent pour « éclairer le monde ». Son visage comme son élocution respire à la fois la bonhomie et l’impertinence. Mais ce n’est ni un clown ni un excentrique qui parle en chantant. Cet homme est un poète.
Pépé Vignes dessine depuis sa plus petite enfance. Peut-être un recours pour mieux surmonter les difficultés de l’existence. Parfois battu par un père tonnelier qui avait le vin mauvais, Pépé Vignes grandit tant bien que mal dans la peau de l’enfant qu’il n’a sans doute jamais voulu cesser d’être, mais toujours en grande compagnie ; la jubilatoire compagnie des vivants.
C’est un très beau portrait qu’il faut regarder, je crois, en se laissant surprendre par la délicatesse du témoignage laissé par cet homme qui regardait le monde de derrière ses lunettes à gros foyers, avec étonnement, comme il le dessinait, le visage presque collé au support qu’il avait choisi pour y tracer ses motifs préférés.
Le lâcher prise est conseillé.
On pose son cerveau et on demande à l’intellect
d’aller prendre l’air.
Bien sûr, les plus férus d’Art brut verront sans doute dans les dessins de cet incroyable et bel humain quelque proximité avec les travaux de Gaston Chaissac ou ceux de Pierre Alain Lucerné, pour leur pratique commune de collecter des matériaux ordinaires nécessaires à l’expression de leur chant, la simplicité de leur narration.
Ils y verront éventuellement comme une fraternité – mais toute solaire alors, et certes un peu
lointaine – avec Antonio Liguabue.
Crayons, feutres, stylos-billes furent les simples outils qui servirent au geste sûr de ce voyant sensible que fut Pépé Vignes. Ainsi naquirent, fusèrent et s’envolèrent les lignes, les contours et les couleurs d’un monde apparemment enfantin qui, si on lui accorde un vrai regard, s’anime aujourd’hui encore précisément dans ce lieu étonnant que forment ses nombreuses et singulières réalisations graphiques où – contre toute attente – le chant de Pépé Vignes voulait peut-être, en débordant du cadre, embrasser le visible et l’invisible, l’essence et l’existence d’une réalité plus mouvante, plus complexe et plurielle qu’il n’y parait.
Sur le métier, sa main voyait, et son esprit dansait !
Bien sûr, tout le monde reconnaîtra les fleurs, les oiseaux de Pépé Vignes, les dents et les écailles de ses longs poissons. Comme on reconnaîtra et entendra les moteurs, les klaxons et les sirènes de ses bateaux, de ses autobus, de ses avions et automobiles aux capots et aux bouchons de radiateur démesurés, tous ou presque ornés de guirlandes, les mêmes que l’on tend à travers les rues lors des fêtes patronales Illibériennes ou d’ailleurs. Mais pourquoi ?
Parce qu’aux apparences nous préférons le corps des choses, et que nous croyons reconnaître de la réalité que les éléments tangibles fixes ou mouvants, comme ceux que nous-nous inventons ou que nous pouvons nommer. Mais aussi parce qu’intuitivement, nous savons que les apparences ne résultent en rien de la perception mentale que l’on se fait des choses ou des phénomènes, et qu’elles sont en fait les premiers reliefs de la réalité.
Peut-être le sens du « travail » pour Pépé se tenait-il là, dans une sorte d’acceptation de soi et de son destin, admettant à la fois de ne pouvoir rien représenter d’autre de la réalité (elle-même au fond irreprésentable) que la matière de nos fictions communes, mais nous offrant aussi dans la simplicité clairvoyante de ses dessins, et dans la profusion du geste qui les a créés, la présence d’une force instaurant un dialogue entre nous et ce qui dans la nature même des choses nous relie discrètement aux formes de l’ineffable.
Longtemps après avoir regardé ce film, ma mémoire a gardé le crissement des feutres de l’artiste sur le papier, mais aussi le bonheur grave – presque impressionnant – qui saisissait Pépé lorsqu’il poussait une goualante. Dans l’exercice du chant il rejoignait sans doute là – dans une forme d’extase -, l’ordre originaire qu’il aurait peut-être aimé toucher dans ses tableaux.
Oui, un dessin de Pépé Vignes peut nous
questionner ou nous faire sourire, comme souvent nous questionne, nous amuse ou
nous surprend le simple dire d’un enfant
Cela dit, autour de ses compositions, dans le fameux cadre en papier Kraft qu’il confectionnait, j’ai vu l’orbe d’un soleil dur, une puissance, honorer les traces d’un émouvant récit.
Il faut remercier Philippe Lespinasse, ce passionné
des Arts populaires qui n’en est pas à son premier film sur l’Art brut, pour ce
dernier cadeau.
Le réalisateur nous apporte en effet régulièrement la preuve de l’existence d’un peuple constitué de ces hommes et femmes, artistes insolites et souvent remarquables, qui fabriquent, façonnent, chantent et nous interpellent avec une puissance extraordinaire.
Régis NIVELLE
« Je donne tout Jeff Koons, tout Soulages, tout Buren et la collection complète de François Pinault pour le manège de Petit Pierre (Pierre Avezard), ses courroies en chambre à air, ses poulies en bois et ses arbres à cames en fil de fer. » Philippe Lespinasse – VOYAGE : PROMENADES INSOLITES EN FRANCE – https://www.sinemensuel.com/agenda/voyage-promenades-insolites-france/
Un film de Philippe Lespinasse – Montage Aurélia Nebout – Mixage Jean-Jacques Vogelbach – Etalonnage Mélody Gottardi
Film produit par laFabuloserie, à destination d’une exposition qui devrait ouvrir le 12 juin. On pourra y voir les œuvres de Pépé Vignes ainsi que le film. http://www.fabuloserie.com/
et nos cœurs se mirent à battre un sourd vacarme
d’orphelins
où s’est fixé ton visage mais aussi ta voix
sa danse
dans sa lenteur basse mais claire
lorsque que tu lançais ton chant de dimanche
dans ta maison du peu bien rangée
_
Maintenant ton cœur germe entre les pavés de la cour
disjoints par le vent le soleil et l’eau
_
Tu es de ce lieu où
par le songe d’une bourrasque de feuilles
sous un rideau de pluie froide
les oiseaux ont porté et glissé ton corps
_
Tu es aussi cet autre et même lieu-visage
une pensée du royaume
un sommeil
_
Que des gestes
ou presque
alphabet silencieux
si familier et étrange à la fois
Ainsi des mains murmurent la soif
sans appartenir aux larmes
Ainsi s’écoutent des chants
s’enfantent
des souffles-gestes
_
Des animaux invisibles
se faufilent parmi nous et parlent tout bas
eux aussi
en penchant respectueusement la tête
_
Âge de la lune 23,80 jours
Les cœurs s’envolent
Le chant s’élève
La peau soudain écoute le vide
l’enchantement d’un chant de coquillage
conque rose et nacrée de tous les commencements
naissance de la fin et du début
_
Le rêve est nu
la parole court recouvre
sa forme
s’emplume s’enroule
aux spirales de l’air
_
Paroles et corps transparents
ruissellent maintenant d’une mémoire à la vitesse
prodigieuse
Frôlement d’un fluide aérien
impondérable lave de conscience
rumeur d’une mutation
– On évite de regarder le ciel
_
L’assemblée se meut
en une chorégraphie indécise
Ainsi monte
une prière
un bruissement d’avant le monde
– les morts sont en voyage
_
Tous les 9 février
je te préparerai un thé mandarine
_
Extrait du recueil publié par les Editions Encres Vives dans la Collection Encres Blanches N° 797 – Avril 2020 ISSN 1625-8630 – ISBN 2-8550 Dépôt légal Avril 2020
Je n’ai pas peur. Personne n’inventera un autre langage. Écrire, même mal, vaut toujours mieux que parler.
Un dernier visage – celui du dernier au revoir, du dernier coup de vis – tel un masque aux yeux de pyrite, n’oblige pas à dire. C’est un visage enchâssé dans l’or où siègent passé et avenir ; une très vaste musique. Nombreux sont les lieux, les objets, capables de léguer leur prière qui éclairent ce visage. Nous parlons avec le Ciel, avec la lumière et la nuit ; les nôtres, infiniment. Pour autant, je ne sais pas ce que je suis, ni à qui appartient véritablement cette tête. Mais elle sait fixer le soleil à la langue noire pour en faire de la nuit.
J’entends l’eau et le vent. Sur leurs lèvres siège la mémoire du temps.
J’avance, oscille dans l’idée d’un simple scintillement sur le vide. Un jour viendra où je sentirai le vide aspirer les cendres de ce crâne. Et pendant un moment tout flottera, filera dans un souffle. C’est ainsi que peut-être ma première vraie face dans sa pâleur apparaîtra.
J’écris mal que c’est une prière, le regard que l’on se porte. Tout comme nos inscriptions, et l’élan du cœur ; que ce sont des prières.
J’écris mal la vérité des belles apparences. Le vide par le pertuis des images laisse s’évanouir des mots leur respir et leurs résurrections. Alors comment dire avec les mots ?
Écrivez-moi avant que je n’entende plus que les seules voix murmurées par l’eau l’air les forêts et l’art des grands photographes.
Érudite, durite, vidure, la pensée. Mais je ne sais pas ce que cela veut dire. Éiséop petite musique votive et personnelle : à d’autres !
Je n’apporte aucune réponse. Mais je crois aux légendes des regards, à la puissance de l’intention. Je ne suis hélas qu’un puissant corps de mots — des milliers de fois chantés, et il est vrai, à mon adresse uniquement.
À chaque marche franchie le corps est sans autre vérité que le mouvement et les ondes qui le traversent.
Tâcher d’être. Divulguer les grands rushs de lumière, les rayonnements qui passent par les chairs aux bouches de fleurs. Ça bouge. Non rien. Y a l’temps. Non plus l’temps. C’est quoi le temps d’ailleurs : énoncer. Alors ne t’obéis pas. Encorne ici lentement au hasard. Pénètre et accueille tous les sens indispensables au chant. Danse maintenant avec justesse | pluie | goûte sa musique | Océan. Danse silencieuse de l’inscription. Inaugure son éphéméride d’un jour. Toujours le même jour et sans dieu.
Je possède plusieurs visages: quartz, soleil et lune. Aucun n’est vraisemblable et tous ont une réalité. Et tous me manquent. Hommes, est-ce que le monde s’imagine, et la parole et la phrase que relatent-elles des mots et des peuples ? Entendre. Épier. Écrire. Prier. S’y construire une cahute. Aérienne. C’est l’esprit qui l’emportera. Le dedans sur le dehors. L’ironie du vide sur la terreur.
Réclusion ordinaire. Je ne me veux pas. Très bien. Et après. Invisibilité du singulier. D’une ère l’autre. Félicité. De la sortie des eaux à la pensée algorithmique. Existence | joie de pluie | de la houle des dunes. Joie de ton baiser velours et tous tes baisers. Joie anonyme, sourde, épaisse, à rosée de ce qui tambourine et s’ébroue du ciel à rosée de feu | joie boue | joie aux fenêtres brisées de ciels | joie de la peau pétrissant la glaise | joie à boire chaque image dans les livres décousus de fatigue, à tendre l’oreille au silence, à la pavane des corps faisant voler des mondes | joie blanchissant parfaitement la pierre | joie à toucher le fer des ponts à gros rivets, ces cargos d’azurs et de vent | joie rouille des liens de terre et d’herbe.
Je reprends : je suis un gadjo. Un pousse-mégot. Fada. Un lazzarone. Idéal imprévisible. Oculus rift bientôt sur le nez. Une langue insupportable. Cynips. Scintillateur aléatoire. L’informulé. Anamorphose. Hic. Têtu. Noir. Abîmé. uber vtc. Psychopompe. Optimiste. Au piano-lit. Domestique. Méprisé. Scaphandrier. Homme de ménage. Enthousiaste. Vidéaste. Refoulé. Ambitieux. Alarmiste. Démesuré. Hystérique. Commencement. Ardent fessé. Chant du seuil. Rêveur sensationniste. Ut. Interprète de l’échec et des possibles. Seul et pluriel. Clos. Évasé. Femme à corps d’oiseau. Une rose. Criminel passif. Enchanteur. Ouvrier en bleu de chauffe. Lithophage forant l’agrégat. Indéterminé. Écrivant quel sommeil. Le dehors d’en dedans. Corps étonnamment organique. Énoncé éruptif corporel. Émulsifiant. Colorant. Graisse tremblante. Sexe idiot. Correspondant. Colporteur. Manutentionnaire. Voix radiophonique. Chthonien. Aérien. Différant. Pacemaker. Mes cœurs. Des cœurs. Arias de lumière. L’oubli. Boue. Un programme. Enfant invraisemblable. Lâche. Une copla mal taillée. L’époux gelé. Au désert. En plein désert. Exaltation. Délire chaud et froid. Ce que force veut dire. Flux performatif. Textuel. Nu. Tensions cervico-brachiales. Le plein. La marge. Orphelin. Imaginiste. Flexible. Manque. Fatigué des meutes. Bandé. Attentif. Érectile. Hum. Menteur. Hors manifeste. Buissonnier. Bienveillant. Cru. Peau-plaie. Suicidé. Empressé. Maladroit. Étranger. Parole. Une Fiction. Caresse. Oisif. Entrecroisé. Hésitant. Errant. Confession. Antidémocratique. Confidentiel. Corps-texte. Tressage. Danse impondérable du désir à l’adieu. Sans devenir. Virgule. Articulation coupante. Sabre. Sans but. Gueux probablement définitif. Prosateur. Inutile. Tyran. Listé. Fainéant. Héroïque. Désespéré. Amoureux. Obscur voyant. Opacité sainte. À la poupe. Au cul et au ciel voué. Accidenté du travail. Marcheur invétéré. Ricanant. Refuznik. Insoumis aux nouveaux millimaîtres et aux tutus de la vieille et de la nouvelle langue. Objecteur de croissance. Sorcier(ère). Solitaire. Été. Don. Névrosé. Feuillu. Herbu. Vicieux. Aborigène. Mythomane. Suspect. ada.text_io.put_line. Occitan. Macabre. Excité. Adepte. Malestruc. Maladroit fan de truc malec. Charnel. Juif. Arabe. Apatride. Debussyste. Zapatiste. Spatial. Sollertien. Flaubertien. Archaïque. Affectionné symboliste. Métaphysicien. Deleuzien. Ombre. Banquier – pour qui n’a pas lu Pessoa. Durée. Simpliste. Acédique. Vagabond. Etarra. Mallarméen halluciné. Illuminé. Zen. Intercesseur. Immobile opiniâtre joueur de dés. Improductif immoral. Chieur. Incarnadin à la face de vit. Splendeur d’une face de nourrice. Religieux zonard. Inutile suture. Plaie rouverte. Idiome ahurissant. Chorée loquace. Heurté. Paradis renversé. Infecté de survie. Le rêve de s’ouvrir en rivière. Amibe. Jeté. Colleté. Aïon que personne ne saisit. Désirant. Anonyme et véloce. Gonflé de tableaux. Lisier. Mamelle. Barque de glaïeuls. Calfaté de mystère. Alcoolique. Disputeur. Mystique. Le nez fourré dans ses chapelets d’œufs. Sensitif. Iconoclaste. Obscur. Image. Larve à qui l’on ne donne plus beaucoup crédit. Teigne récurrente sous son duvet. Jaloux. De mèche avec l’amant. Dans l’odeur apaisante de la guerre des sexes et des classes. Faillible montreur. Clair ulcère. Délégué syndical. Verrue qui grésille sous l’azote liquide. Vocable social. Emmuré dans l’orgueil des plus humbles. Armé et sourd. Ex-voto. Léger et grave. Trachée des suppositions. Chevelure des mauvais jours. Aubaine. Physique idéale du son. Anche. Augure assis parmi ses chats. Sans chef. Sans tête. Inaudible. Brume. Lesbien. Empreinte. L’idée d’une fin aussi. Des images encore. L’incertitude. Une noire tégénaire. L’élégance d’un baiser. Gelée opaque. Régurgité des croupes d’où s’écoulent les prières. Une question. Des questions. Inoxydable raison. Pur fictif. Neuf. Journal mental. Urticaire. Brêlé de nervures chaudes et tendues. Aporie. Sans mémoire. À rebours. Approximatif. Hasardeux. Hypothèse du rêve. Inconcevable. Fraternel. Hérétique boiteux et tout le saint-frusquin disputant aux rites fictionnels le corps des choses et le voyage. Lyse onctueuse échevelée chromatique.
– Envoûté par des bribes d’opéra, par le bruit des rames entamant l’eau, par des éclats de voix, fracturations chuintements pointillistes, vitesse des points de couleur d’images en gros plan, par le vol, l’envol des draps et des fenêtres ; par les mots tels des poignées de cheveux dans la bouche
captivé par les films de Jean-Luc Godard et Jean-Daniel Pollet, par les marges, les miroirs, l’enchevêtrement de larves, christs et petits cailloux, les ogives d’aisselles
hanté par l’abjecte, l’insoutenable image télévisée de l’assassinat commis en pleine rue de Saigon par le général Nguyen Ngoc Loan exécutant d’une balle dans la tête l’homme à la chemise à carreaux ; par les 30 millions d’esclaves qui survivent en ce monde, les horreurs du génocide rwandais, Sarajevo, la boue de Calais, les saloperies ordinaires commis par les États : par Auschwitz, les enfants et les peuples martyrisés ; par nos compromissions, par l’assassinat du Père Jacques Hamel ; par la production, le travail esclavage, l’exclusion, la stérilisation des esprits, les reculades, les rapts, les sarcasmes, les fuites, les hontes
rêvé par l’odeur des nuques, par l’île des morts, le noyer de Sarzeau, la tourbe et le ciel reflétés dans les flaques de neige fondue, par la mélancolie, le gois de l’île de Berder, par les bébés au parfum gras de la matrice
fasciné par la mémoire des pierres, la foudre, la connaissance ; par la viande zébrée de magie, les vortex de clarté, la lumière, les béances cadavériques du plaisir et la soie du désir, l’illisible tracé, la peinture romanesque, la poésie et sa musique aux corps invisibles mais inévitables
transporté par le goût des prunelles, par l’adagio en ré mineur BWV 974 de Jean Sébastien Bach, les errances, la mystique, la Méditerranée, la ronde des fées dans les sorbiers aux oiseaux et les saules, la jouissance, l’amour, le vide, les ponts et la lune ; par les trouvailles, la belle morve des oisifs, par la mémoire de l’eau, l’éclair des truites aperçu sous la loupe verte des eaux ; par les framées du givre, par les petits voyages entrepris avec Sylvie, par le son des cloches des troupeaux du Puys de Manse, le vent du gouffre, les fossés, le gypse, l’herbe rase des bellons, la noirceur des chemins, la belle démesure d’accolements cristallins et sylvestres de la vallée du Champsaur ; par la forge du père Garnier, l’acier luisant, l’odeur de sang cuit qu’ont les atomes d’acier expulsés de la masse chauffée à blanc puis réduite au pilon dans des gerbes orangées et bleues noires ; par les églises végétales, la mélopée, le voilé, la transparence des rochers, le feu et ses fruits racornis à manger loin du lait ; par la grâce, le mouvement, la tendresse, la lenteur consolante, la buée, les genets vaporeux, l’océan ; par les confitures et les cerises d’Ixtasou, les jupes relevées du rêve qui danse ; par les rares amitiés, l’exaltation, le toucher, la mémoire, les horizons
ému par les barques, les vaporettos, le sel, la beauté des cimes. par ce qu’un regard peut demander à une bouche, et le ciel à la terre ; par le pain, la terre, les textes et les arbres, par le basilic, les contre-indications à vivre, le spasme du hoquet à l’énoncé perdu. par l’inachevé, les cataplasmes à la moutarde, les cuites sévères, l’œil et ses flèches, les tarots, l’hélice du soleil, l’oiseau, les brèches, les joies, les astres, les masques et les statues de midi ; par les trous d’ombres bleues dans la glace, les landes emmaillotées par les toiles d’araignée, la pluie fine, les digitales, les tourteaux d’Hossegor et les huîtres du Cap-Ferret ; par le rayonnement platine des daurades et les fossiles téléostéens vus à Hendaye, la fricassée de gambas flambées à l’armagnac, les chats, les tripes à la basquaise de dix heures
touché par les gares, les objets, les spirales, les rhizomes, les lauriers, par les beautés du lot et du Célé, la Provence, le paganisme, l’International Klein Blue, les photos, les aubes, les anfractuosités du poème, les sources et les rivières, leurs limons ; par les écharpes d’odeurs, par ce qui règle les étoiles avec tant de justesse, l’œil érodant comme un fou ses limites ;
étonné par les cils des vorticelles, la stupéfiante métamorphose du cul en écubier, l’écorce et les écorchés
troublé par les sex-shops, l’écrit, l’écrin, l’écrou, l’épreuve, les colonnes ; par l’œuf, l’embryon céleste, les coqs, l’or fondu du silence versé tempus mortis dans les voies digestives, et par les monolithes en H de Pumapunku
impressionné par les concaténations archaïques des tons chez Bacon ou chez Lucian Freud, le verre et sa source de sable, par les nébuleuses, l’hymne hydrogénique du cosmos, la farine des cendres
bercé par la prose ronflante du moteur de la Simca qui naviguera encore longtemps parmi les parfums de la route menant de Gap à Briançon ; par le froissement sec des chardons bleus, par les planeurs glissant dans le ciel de Mont-Dauphin ; par le chant infini qu’on redécouvre sur les falaises au pied des pins parasol, des arols ou dans la rouille des saisons que le fer concentre, et – contemplant encore aujourd’hui d’en haut du souvenir le tracé du col que des voitures en montant soulignaient sagement, – j’écris.
Et voici qu’à mon esprit s’impose soudain le rêve que je crois incarner, une inquiétude douce mêlée de paix de n’être que ça au fond, double délirant le monde, expérimentant ce délire, et peut-être rien d’autre. Qui sait.
Ne confirmez svp. Je doit suivre sa chance, eut-elle été rêvée. Énoncé offert. Aucun but. Révolution et charme des signes. Chantez vous-même cette indécidabilité inconnue, sans l’amplification courante.
Âge de la lune : 6 jours 16 heures 16 minutes. Je ne le dis pour personne ce lieu sans bords et sans hasard, au hasard de ce qui s’y manifeste et nous méduse. Ça en fait chier bon nombre, la beauté, l’éblouissement.
Air feu océan matrice, l’immense femme-tresse-spirale révolutionne gire dévoue demeure voue existe virgule articule n’explique et n’identifie coupe sabre éclot sans but déterminé. Du monde, je n’y ai jamais vu qu’une lisière à vrai dire peu fréquentée où les atomes bondissent dans la vibration d’une poix ondulante ; un Univers Aspic. The never ending trip… Ainsi/ œil soleil oiseau /ne tourne pas les pages – jamais –, mais frappe les atomes, ramenant au temple d’insécables permanences. Soudaines, sidérées, réverbérant un swing de lumière lente et bleue, mille faces en surgissent.
– « le sud ? … c’est par-là » maugréa-t-il sans lever les yeux, en indiquant de la main la porte donnant sur le couloir. Et il rajouta : « vous y ferez quoi dans le sud ? » – « je n’sais pas… est-ce si important ? » et l’ombre disparut, la chance→ suerte sur le terrain de l’homme, une corne en plein cœur.
Car il n’y a pas un point obscur, mais des entres, des songes extraordinaires où d’évidence rien ne s’endort : c’est Ga’nza, une explosion vertigineuse de lignes et d’images par milliers ; une transe sacrificielle, une danse de courage. À cet endroit de pure réalité, Ainsi n’est plus un fatum. C’est un maelström de chants, de danses et de musique. Et la main qui porte la lame sur le prépuce porte un mystère et une souffrance. Derrière les cirrhes du grand tapage Ainsi admet tout. – « dis, quand reverrons-nous dans la mort, l’enchantement des fins dépassées ? »
L’eau de la mer des Tchouktches, des Sargasses et des Antilles, de la Méditerranée, de la mer d’Arabie et de la Caspienne, de la Mer Noire, de l’Adriatique, du Nord et celle de Chine bientôt montera. Vers le chant et ses lignes, fascinante mélopée, tous les points et les courbes d’un pur désert. L’ivre est là, cadenassé – inachevé, dans sa chair et ses voix radiophoniques –, admettant la nuit.
L’eau de la Mer Baltique et celle du Japon, de la mer d’Okhotsk, de Béring, de Kara et celle de Barents ; l’eau de la mer des Laptev, du Groenland et de Norvège bientôt montera. Le corps est pris par les sens, le cœur lui tenant lieu d’entrailles essentielles. La fin est commencée, bifurcation. Et c’est par là que ça commence. Ça exhale et veut parler, précipiter la fuite. Pas de mots. La mémoire, les lignes sont dans l’œil – innées –, et les parfums en conscience des pores, prophétie par ce pertuis qu’il faut franchir. L’eau de la mer du Labrador et de Beaufort, d’Andaman, de la Mer Jaune, de la Mer Rouge et celle de Java bientôt montera. L’odeur de la nuit est d’une sauvagerie qu’ainsi et mémoire, admettent sans illusion.
Déjà le rut d’un souvenir contracte les lombaires du rêve, mais sans que la réminiscence ne détériore la nature vertébrale et gazeuse de l’affermissement. Ça respire, entend et voit. Cet impossible lieu parle plus vite que les mots. Le corps y est coupé par l’attente, mais respire encor la hâte de commencer. Le souffle menace même d’aller plus vite à sentir l’imminente rupture. N’y rien attendre est une urgence d’éther.
L’eau de la mer de Timor, de Célèbes, de banda, d’Arafura, de Bismarck et celle des Salomon bientôt montera ; l’eau de la mer des philippines, de la mer Blanche, de la mer de Sibérie, de Corail, de Marmara et celle de Tasman aussi. Et puis après tout, qu’importe ; nous nous ignorons tellement. Tourné vers le visible et l’invisible, tenant dans la bouche la clef d’un langage, ainsi ne change rien au monde. Sinon, que voudrait dire le réel → si sa masse n’était critique, se dissolvant et coagulant en permanence au gré des expériences que nous en faisons ; si son aria n’était ivre de ses aubes et de ses nuits aux condensations brûlantes.
Ça s’enfonce loin, non pas depuis la secousse des mots – leurs à-coups – mais sous la lumière et depuis la lumière. Ça se déplace d’ailleurs plus vite qu’eux, et, sans reconnaissance à leur égard, monte aux étages les plus sombres du dire, prend une cambuse et en tapisse les murs de graphes dont l’amorphisme des jambages en disperse les sources.
Ainsi trouble d’abord, abîme chaque fois un peu plus la perspective, heurte le regard lequel néanmoins peu à peu s’aiguise, glisse sous les contrastes et dépasse les apparences. D’abord la joie – poudreuse –, puis la confusion – un maelstrom de voix – bien sûr. Des paysages, des immeubles, des affiches de rue aux en-têtes colorés ceignent harmonieusement ce lieu indéfini où tout ce qui s’y produit ne semble témoigner que d’une différance, d’un saut à la fois obscur et transparent, à la fois vide et jalonné de repères que rythment les heures claires et volatiles du matin, puis celles de l’après-midi, lourdes et dorées, et les plus graves – presque ennuyeuses – qui lentement précèdent le mystère du nocturne, égrenant l’immobile rythme des ombres, comme le pas d’un cheval au travail à la longe trace le cerne étroit et répété d’un seuil.
Le silence y est une fréquence, un processus de questionnement, d’où naissent inquiétude et langage. Autour du miracle des heures, de la traîne des saisons, du tain des flaques où les silhouettes indécises se fragmentent entre ciel et terre ; autour de la trace ténue où se partagent puissance et l’idée d’être – ce dont l’agilité du présent se sert mêlant les régions musicales des parfums à la salive crayeuse des peurs et des pensées –, autour d’impeccables intranquillités, partout des ors mangent dans sa main.
C’est d’Ainsi qu’émanent les fréquences, et que le hasard se comprend dans l’attente impatiente de bonté ; par transition fréquentielle.
Ainsi dessaisit tout aussi, mensonge comme vérité ; déroute, épuise, aère, enthousiasme ou obture la pensée, épanouit ou éreinte les corps, infiniment. Jouons-y le jeu des va-et-vient de l’esprit et des corps. Aimons-nous ! traversons le temps dans l’aura de la musique et les luminescences du rêve.
Écoute seulement. Aveuglément.
Ainsi peut bien oublier constamment ses mues d’Ios – rouilles négligemment abandonnées –, et tenir aujourd’hui la gare de triage et le port (ses attroupements de grévistes) dans une durée énigmatique à la porte de l’inconnu que l’on ne passe qu’en vousoyant l’orée, l’oscillation du présent y est sublime.
Entre désordre → (phénomènes) et harmonie, plusieurs temps existent dont il est impossible d’effacer les traces. Qu’il en soit Ainsi avec son aplomb ordinaire qui se confond ici dans les eaux vertes de l’embouchure et les vagues sur la digue écrasées, dispersées en milliers de gouttelettes, en petits miroirs disséminés par le vent dans les fossés de prose et de rosée, comme par-dessus les flancs rouillés des bateaux – pour certains chargés de voitures européennes, japonaises ou coréennes – alourdis pour d’autres par des quantités de bois ou de ferraille.
Ainsi ne cherche pas à en savoir davantage. N’a jamais cherché non plus quelle curieuse parenthèse créatrice, quel processus, fit du corps notre étroit et inconfortable scaphandre. Ainsi fomente les formes, le sacrum de sa langue – le goût et le sexe –, plonge ses vertèbres dans le fracas hétéroclite de couleurs phénoménales, lâche des corps plus vrais que nature, les précipitant sur la matière même des choses, et laisse sans arrêt l’espace tomber.
In sic, voici mes moires qui dansent, nobles et rouées. Comme auront été bons vos yeux, d’abord sévères, puis attendris, portés sur les nôtres menacés par la chute, le rétrécissement du vide, l’occultation des signes.
Entre l’Euphrate et le Tigre, comme au sortir d’un anéantissement (Abu Ghraib de l’éden ; l’horreur des cages, des coups de trique, des corps rendus inhumains et des chiens démons) même si elle n’est rien que le souffle d’un sac de poussière, – cette poix sèche crachée, arrachée avec son tapioca glaireux qui obstrue de nuit les bronches, et qui s’accroche ensuite aux parois du pharynx, avant que les mots ne s’échouent disloqués vers la bouche carte du monde et du soleil ; bouche si désœuvrée et tellement ensuquée par le vide et la peur, par la boue léthargique du dernier sommeil, qu’il lui faut d’abord épeler un juron, – la parole veut encore s’étoiler et déborder ses ruines leur ajustant des lés de ciels extravagants !
L’air bouge dans un signe très ancien que des effluves d’asphalte et le goût délicieux de mes cigarettes espagnoles embaument. À peine un éclat, un vague balancement, et c’est la totalité des choses qui fond sur l’arrière de la langue. Aujourd’hui est la mère, la permanence d’Ainsi.
Une pituite pleine d’une infinité d’images du monde ferme mes yeux sur le souvenir flottant du voyage ; la neige, les plages, et ces lueurs sur la peau de l’onde que les notes de Little Wing accompagnent, jusqu’à la maraude inconsciente des aurores entichées d’extraordinaires imagos qui content à toute vitesse l’inatteignable et immobile aisselle.
Impossible ainsi d’oublier celle qui aura dansé pour moi durant des jours dans une chambre minable d’un hôtel meublé. Arrêter ça. Mais comment ? Éternels ces moineaux qui, depuis la rambarde du balcon, nous épiaient puis, dans un vol rapide, venaient chaparder les miettes brunes de pain bis abandonnées sur les draps de notre lit international ! Quel cinéma !
Nous habituer à ne vouloir rien devenir
Des idées nous ont tenté et nous tentent encor, des images et des actions→ naissances. Avons ainsi épuisé un bon nombre d’hypothèses dans l’intention d’agir ; naître et renaître toujours. Mais est-ce bien de cela dont il est question ? des hommes tombent, et dans nos livres s’amenuise doucement le souvenir de la raison des corps et des rendez-vous dans l’atmosphère au grain léger.
Parfois, par grand calme, réapparaît pourtant la poussière des saisons qui ornait les chemins, les gravières du Drac blanc, les rives de la Neste d’Aure ou celles du gave d’Azun, les prés où, durant l’été, allongés en plein soleil, nous rechargions de chaleur nos corps engourdis par la fraîcheur des baignades. Certes, nous fîmes bien peu cas des guerres, du malheur des hommes. Certes, derrière nos masques, dans les arômes de nos cabines corporelles, individuelles et insatisfaisantes, avons dormi d’un sommeil malade, la tête abîmée, farcie de rêves et couverte de fêlures. Quelques fois nous nous serons aussi tout de même battus pour essayer l’exil, rejoindre dehors un espace asilaire et subtil ; un lieu idéal et commun. Du reste, avons aimé sans que jamais ou presque l’instinct n’ait pu assombrir aucun de nos gestes. Et si lors de nos étreintes – le visage enfoui dans les voiles, les plis les plus intimes de l’être, la bouche embrassant et fouillant les muqueuses de velours et de musc d’où jaillissent des flopées d’étoiles, il ne fut pas tant cas de ruse du vouloir que de l’augural retour– , nos yeux, nez et langues ne cessèrent d’acclamer au périmètre des faces, ce qui en inondait les berges, la beauté et l’audace des crépitements, puis l’onction des émissions et leurs odeurs abondantes, envahissant notre désir fou et vain d’y pouvoir disparaître.
Coquillards enluminés de complaintes, n’ayant eu de cesse de nous déprendre, de nous éloigner du pays du père, des meutes – accomplissant à rebours des pratiques communes l’exubérant prodige de s’offrir quelques fraternelles solitudes -, on se filme pudiquement, sans caméra, avec la mort qui sait bien que l’on feint. Et on ne l’imagine pas – avec ou sans visage –, puisque nous la portons joyeusement, tournoyant et criant autour du rien, comme si l’on venait de naître.
Voilà. Déjà plus rien d’autre que la limpidité, l’air et les eaux de neige violaçant la peau, le vent aux lames froides balayant une voûte céleste au bleu luzien. Et nos simples figures tournées vers d’autres figures, d’autres corps, demandent au ciel de bien vouloir les accompagner. Car nous voulons nous étendre sous le ciel, et chanter en nous battant les lèvres avec les mains comme nous le faisions quand nous étions enfants ; entrer dans l’énonciation d’une langue étrange et complexe.
Compassion envers ceux qui réfuteront cet écoulement métamorphique du vivant.
Je ne le dis pour personne, cet espace de verre, hymne aux épaules sublimes. Ne rien craindre des railleries, des mépris. Ce qui nous ceint est un cœur sans durée. L’embrasser avec quoi : le texte → canto : aux paysages de pierres et d’herbe, d’évanescences claires et musicales du voyage intérieur. Mais c’est aussi dehors, montant vers l’épaule d’avril, par l’insaisissable échelle de splendeur, qu’il n’est plus lieu d’écrire. Y pourvoient déjà avec peine, les chapitres insaturés à doubles ou triples liaisons ; un peu mieux les primevères des talus jaunes et verts resurgissant sous le givre.
Mort, vois nos mains, nos inscriptions, entends notre souffle, il n’y a là-dedans rien qui puisse satisfaire tes masques.
Trop de travail sur la langue, pas assez d’écoute à l’égard du songe des signes et des légendes. Passé l’incrédulité, c’est-à-dire l’attention ahurie prêtée au déboulement sauvage d’une zébrure scindant soudainement le passage, il faudra du ciel et des corps se convaincre.
Il n’y eut pas d’année qui fixa mieux qu’une autre la permanence d’Ainsi. Averses de soleil et de nuit. Et nous, pauvres de nous, sommes venus plus d’une fois apposer souffle et lèvres sur des noms, des corps, des langages- corps, des histoires, et toujours on nous a sommé de révérer l’esprit du temps.
Ainsi _ prolifère là, sous la peau et non seulement dans l’idée, mais également par le corps craie, et pas uniquement par le corps craie, sa délicatesse tortueuse et bordée de pivoines et d’alouettes. Affleure par ce penchant pour les ciels et pour les corps qui dansent et chantent en frappant la terre des pieds. N’émerge point seulement de la terre ni seulement de la danse, mais aussi de toutes les époques cuites avec leur mémoire.
Abonde par la bouche intuitive, et non par la seule raison. Ni absolument par l’œil. Inonde mêmement le cœur, sa boîte noire et touffue, et non la seule gloire du souffle que la tétine du sommeil diminue jusqu’à l’amble et endort, mais bien sûr aussi par ce souffle que l’esprit sait rivière large et courbe dont le lit fomente le courage obscur d’enfants perles.
Ni dehors, ni dedans, mais dans la course immobile des temps, les corps translucides de l’enfance de l’aube ; dans ta bave et ta flore, à l’à-pic d’une rêverie létale où l’âme fait le choix de la terre et de l’eau, se passe de durée, vide flottant à plusieurs cœurs au sens parfait des principes du rêve et des substances fondamentales ; dans les signes s’évanouissant sans perte ; sous les aspersions de la lumière, bondissant vers les lacs d’Ayous, au printemps des gentianes, des orchidées, jonquilles, renoncules et des parterres d’airelles bleues ou des tapis de camarines ; dans les contrastes sylvains de verts sombres que les grands cheveux blancs et froids des cascades brumisent ; ou dans le Néouvielle, lorsqu’on grimpait jusqu’aux derniers spasmes supportables, soit d’un soléaire, soit d’un gracile qui finalement nous jetaient riant et jurant dans le délice de l’ombre d’un pin à crochets, passées les landines de genévriers nains et de raisins d’ours, et que nous n’existions ! et encor lorsque l’amour était partagé autour de gros morceaux de pain→eish la vie à pleine vinaigrette, et que la délicieuse salade de tomates était avalée et tout l’univers avec, et que le don ainsi ouvert, sa présence réelle, nous éloignait du souvenir.
Ainsi s’ouvre, multiplié. À tout de suite ! s’accomplit affecté, imparable. Toutes circonvolutions égales, et Ainsi de suite. On dort si près des rêves de l’autre déjà énoncés ; sèmes clairs et abstrus, corps lumière et tous les tableaux descendus jusqu’au sein de la langue, ses plis vocaux, et dans la chambre aux soies ciliées des cochlées électriques.
Ainsi renonce, plaide, perce, transperce, crève, démolit ; efface tout trace d’inquiétude tangible sur les pelouses, dans les arbres et les yeux aux iris verts de l’eau.
Ébruite l’insaisissable depuis un axe pyramidal, Kaïlash, jusqu’aux glacis de l’Ossau, verglas dans l’air vertical happant des ombres les bruits. Sans piété aucune sommes nombreux à n’en vouloir dire que l’enfance. Vidéo, je vois ; inadvertance primordiale ! sabayon luisant de tiges et brins ; pas grand-chose pour ainsi dire.
;indécidable, mal si pas serait n’ce
le souvenir heureux et guéri.
Assez de voix. Il faut entendre, doucement vivant. Ainsi très murmuré intercepte des douleurs les sonorités.
C’est Ainsi. L’impondérable dissémine sans cesse, et cela ne signifie rien.
Habitant le dire, son style et son rythme, marchons vers ce qui ne s’explique. Aucune hallucination. La porte est ouverte. Tous les matins cette porte s’ouvre. Il s’agit bien de ça. Rien ni personne ne peut faire que cela puisse se dérouler autrement. Le temps nous appartient. Des anamorphoses | âmes-sources | dansent. Tous les matins un même petit soleil énoncé de nouveau en silence. Prose de la rosée du dire à rosée d’iris ignée d’amour boucle et bouche de commencement. Prose du vif qu’à chaque printemps la rose embaume, de la voute de nuit et d’échos où le bois et la pierre se métamorphosent, où coulent toutes les rivières et les fleuves. Prose de ma langue qui n’en est pas une, du livre muet mu par les corps qui se tiennent dans le présent comme dans l’imparfait. Prose de nos tristesses, de nos consolations, des parfums et des signes que nous adresse le vide, du livre qu’il faut taire pour retrouver le monde, de mes prières qui proférèrent sourdement le duvet de tes jambes jusqu’à ton gouffre, ciel d’en haut, l’œil à la serrure noire et rose, musicale. Prose des coquelicots puisque cela me fut permis de le dire, de la terre, des couleurs et des frôlements ivres de nos silences et de tous nos mouvements. Prose des lectures faites à voix basse. Prose de l’avancée des silences, de l’oubli, des discussions entretenues avec les morts, de mes lèvres sur tes seins comme sur l’infini ruban des jours. Prose des glissements géométriques des heures et des corps parés d’ombres et de clartés, de notre entêtement à aimer entre la nuit d’étoiles et l’horreur des massacres ; entre mon ciel familier et les murs d’Alep et de Minbej déchirés par les balles. Les bombes. Les barils d’explosifs. Les missiles TOW et M79. Les bombes au phosphore. Mais j’ai ouï dire qu’il ne valait mieux pas. Qu’il y avait quelque chose d’obscène à chanter ainsi. Que nous ne recevrons bientôt plus que des réponses. Des réponses éphémères et totales. Des réponses de vents, de canicules, de tempêtes solaires, d’incendies. Que sous peu nous n’aurons plus que des réponses vaudou. Des réponses de virus aux culs-de-sac organiques, d’oxyures, de fleurs virales, d’un rire jamais entendu. Des réponses de fous aux lèvres et aux paupières cousues. Il est bientôt six heures. Réveil rituel de l’asthmatique. Sylvie prépare le café. Petit déjeuner. Frugal. Inhaler le traitement de fond. Respirer profondément. Reprise des prières : respirer. Je sens mon cerveau se délecter de l’infatigable langage qui nous fait tanguer. À chacun de goûter son propre balancement. Sa musique intérieure. « Je danse sur le fil ». Entre les feuilles du temps pas d’instrument. Pas de temps. Mais une matrice invisible et fermée. Eaux et plusieurs Ciels. Mais des signaux venus du monde des mères. Et nos soleils intérieurs. Et des ondes sinusoïdales de sons et photons. Cantique quantique. Je suis en équilibre. Mes pieds entendent. Mes mains voient et je ne suis rien. Fleurs. Fleurs. Le gouffre. L’équilibre. La lumière. Arbres. Nos mains. Le voyage incessant dans les temps de notre histoire. Je me fie à l’étoile. J’écoute et distingue dans la tendresse des jardins du monde, et dans chaque regard qui s’y pose, un immémorial désir de bienveillance. Ne pas se reposer. La vérité est belle, hideuse et incompréhensible. « Oui, merci Sylvie, je veux bien un autre café. »
Extrait de « Sans cesse » Editions TARMAC 2018
Image d’entête: travail personnel (évocation du travail de l’artiste, Jean-François Simon)
À son premier quartier, mélancolie, d’une pâleur magnifique. Plus d’autre mouvement que le glissement de l’obscurité. Ici et ailleurs, palpant l’intangible cœur de tes doigts et de ta bouche, cerveau-feuille humant des forêts les secrètes fontaines, l’herbe minérale coupante, aux doigts de scie, empruntant aux lèvres de l’eau les rivages de grès et d’hyacinthes, tu avances dans le poumon de l’air aux vitres de saphir.
Accroupi, le regard fixe, tu interprètes les craquelures que font les pointes de soleil sur la croûte terrestre. Rien n’y sera jamais écrit. Ici, Augé et Hespéris dansent ventre contre ventre sur Painkillers and Alcohol de Judah Warsky. – Venez ! te disent-elles.
Leurs arômes, dictames aigres-doux de sueur et d’ambre tressés dont les cirrhes enserrent le seuil du vide, remplissent l’illimité. Elles m’encouragent encore. – Passez ! me répètent-elles. Apparaissent alors flottant sous le ciel de ta chambre, dans leur propre matière, des jarres de pluie et des bâtons pour les briser, et sous une jupe d’étoiles, agate entre les lèvres, une sirène hermaphrodite.
Tu es enfermé dans un sein dont l’aréole fleurit et sonne à chaque fin du monde. L’obscur a sa route, lieu clos, âpre. Langue de neige et de nuit que la parole étreint et prolonge ou éteint. C’est maintenant ou jamais de laisser la mort à sa place, assise et coite.
À la première seconde, s’enfante une mère (on n’y peut rien), le visage de soi. L’image reptile en un éclair entre par l’œil pour se lover derrière le front. Le thalamus, chambre nuptiale des ombres, absorbe alors cette brillance en lui mangeant les lèvres. Empreinte. L’inquiétude ensuite, infinité gravide, s’engendre dans la suivante. Ainsi tu traverses ceux qui firent tomber les autres, au fil des morts, tout en bas, dans des profondeurs, sur les cimes où il n’est plus question de fuir mais de dire les ombres, les averses de silence. En permanence, l’esprit resserre le lacet des courbes et droites du réel, avale tes ombres. Tu te couches en chien de fusil, les mains serrées sur ton museau. N’attends pas de devenir.
Tes premiers visages ne sont plus. Jusqu’au livre, tiens-toi sur le seuil, surveille tes images.
Sur l’autoroute, tu souris intérieurement aux lacunes et aux précipités de ta pensée. Lancée à 130 km/h dans la chaleur de l’été, la voiture est un four cinétique où se lèvent et cuisent les songes. Tu pilotes une Ariane qui vole sur ses enjoliveurs chromés.
Contre l’absurde, il faut chanter. Car conjurer l’absurde vaut toujours mieux que de s’y habituer. Parce qu’il existe une sorte de totalitarisme de la pensée – et par conséquent une sorte de totalitarisme de l’agir normatif dans les rapports que nous entretenons avec ce qu’il est convenu de nommer la réalité -, la révolte, qu’elle soit poétique ou d’une autre nature, est de toute évidence un appel à faire naître une autre façon d’être au monde. N’y a-t-il pas urgence en effet à sortir de l’entre-soi, à repousser les « formes » qui s’imposent ou que l’on s’impose, à questionner les apparences, à passer outre nos limites, à trahir nos « territorialisations », nos schémas intellectuels et utilitaristes ? N’y a-t-il pas dans l’art la possibilité d’éprouver notre rapport au monde, de retrouver l’usage des facultés de perception dont nous sommes porteurs ?
Le langage peut servir à ça. Expérimenter le langage pour questionner ce que nous prenons pour des formes et dont le sens nous échappe. Pressentir -consciemment ou inconsciemment- (peu importe après tout) que derrière la trace, l’invisible nous informe, qu’il n’y a pas de formes mais des durées, des poussées de percepts intuitifs ; des avancements de joies.
« il n’y a pas d’autre musique que celle des lichens » Ecrire n’est pas décrire, ni même représenter. C’est dessiner l’enfance, une mémoire inscrite dans toute chose ; c’est chanter jusqu’à supprimer l’œuvre.
Celui qui sait voir, sait écrire. Et l’œil a beau rouler comme un « dé rond » sur les surfaces, ou être « devenu sel », c’est l’âme qui regarde des apparences ce qui tremble et qui est, permettant au langage d’établir des ponts entre le « réel » et ce qu’il est d’usage de qualifier de « rêve ». Le voile alors se déchire et s’ouvre sur une forêt d’échos, un labyrinthe de couleurs de sons et d’odeurs. Ici c’est bien au tour du lecteur-promeneur d’entendre et de voir à travers les analogies et les métamorphoses ce qui contraint le poète-chaman à « remonter le courant avec des rames cassantes comme des ailes » ou à se tenir « debout sur des nénuphars marins en quête de souvenirs perdus ».
Car c’est souvent comme
ça que se passe. Révolte, questionnements et désillusions sont nombreux « Autant
de joutes. Autant de nuits que d’insomnies » « Rien n’a de
contours sauf l’attente » tant il est difficile de trouver du sens à un héritage
parfois encombré ou torturant.
Mais écrire c’est également penser la mer lorsque la distance ne nous permet pas de la toucher ou de la voir. Et n’est-ce pas précisément cela que d’être au monde dans cette distance qui nous sépare de ce que l’on ne voit pas mais que l’on sait exister ? Ce qui fait sens se trouve donc peut-être dans cette relation nomade entre penser et être dans une information se tenant à la fois en soi et hors de soi. Serait-ce une intention que d’être au monde, et la vie elle-même pourrait-elle résulter d’une volonté ? Quand et comment entrerons-nous en conscience dans l’unité en tant que créateurs du monde?
Ainsi, c’est tout de même bien ancré dans notre réalité – dont le principe est malheureusement hélas fréquemment nié, puisqu’on lui conteste partout ou presque sa part gazeuse, numineuse, sublime – qu’il faut continuer intérieurement, très confidentiellement, mais avec application à danser et chanter le monde pour lui-même, pour ce qu’il est ; une partie de nous.
Je dis avec application, car la condition pour être le danseur de son propre chant requiert un engagement personnel et total, un vrai retournement vers soi, sinon on s’emmêle vite les pinceaux. Il ne suffit évidemment pas de passer d’une « constellation » à une autre, et de se parer de ce qu’elles disséminent, pour se faire soi-même pulvérulence, rhapsodie ou être reconnu comme poète. Franchir le seuil du sens commun, puis régler son chant, son pas, à la tension, à la rigueur de cette recherche, de cet enfoncement, c’est entrer peu à peu dans la conscience ; le palais de notre propre matrice.
Obéir, au sens commun du terme, n’est rien. Il suffit de hocher la tête pour qu’on vous laisse tranquille. Mais être libre d’obéir à la danse et au chant, c’est être à sa juste place.
Et Miguel Ángel Real, que je salue, est dans son chant d’inquiétude, à sa juste place.
COMME UN DÉ ROND
Traduit de l’espagnol par l’auteur et par Florence Real
« Vous piochez dans la glace suivant la ligne du partage des eaux, ignorant les consignes de prudence, en dispersant tout, sauf le matériel : les gants, l’eau et le sac. Si l’on n’y prend garde, l’acier colle aux doigts nus. Tu ouvres la voie. Thierry suit en criant : « on n’rentre pas ! on n’rentre pas ! »
Par -20°, les labiales sont pourtant à la peine, et la ville en bas est aperçue comme une brique chaude. Mais pas de retour possible sans cet entêtement fraternel qui consiste d’abord à essayer de se perdre. Sous les congères, tu vois la peau des prairies veinée de petits rus, et dans la neige bleue, ce qui recouvre les mots. » (Enfance – Hautes-Alpes 1967)
« La loi est toujours une composition d’illégalismes qu’elle différencie en les formalisant. Il suffit de considérer le droit des sociétés commerciales pour voir que les lois ne s’opposent pas globalement à l’illégalité, mais que les unes organisent explicitement le moyen de tourner les autres. La loi est une gestion des illégalismes, les uns qu’elle permet, rend possibles ou invente comme privilège de la classe dominante, les autres qu’elle tolère comme compensation des classes dominées, ou même qu’elle fait servir à la dominante, les autres enfin qu’elle interdit, isole et prend comme objet, mais aussi comme moyen de domination. »
9. Surveiller et Punir, 84, 278. Interview de Michel Foucault in Le Monde, 21 février 1975 : « L’illégalisme n’est pas un accident, une imperfection plus ou moins inévitable … À la limite, je dirais que la loi n’est pas faite pour empêcher tel ou tel type de comportement, mais pour différencier les manières de tourner la loi elle-même. »
Foucault – Un nouveau cartographe de Gilles Deleuze Les Éditions de Minuit (2012)
Michel Savattier est un peintre contemporain qui ne peint pas pour se faire voir. Il se meut librement dans son art.
Débarrassé des préoccupations qui encombrent l’esprit, hors de tout intellectualisme, il respire et peint à l’endroit où vibre la lumière primordiale qui sourd du puits de l’être.
Toutes ses créations s’étoilent en vitraux, débouchent sur des aires où, dans des apparences de lavis, des nappes d’ambre ou d’azur, des abrasions de jade ou de jaspe, des écrasements de craie, des stases noires et carminées, des coulées laviques, se libèrent des figures.
Pour mieux dire, j’ai vu et senti dans ses tableaux des âmes observer mon regard. Et je dis que des figures s’y libèrent, parce que j’en ai distingué n’appartenant plus au familier contour d’une image corporelle, mais se diffusant comme un nard subtil parmi les éléments d’un ordre où vibre le silence.
Aucune promesse dans cette peinture pariétale que je ressens pour ma part comme étant au-delà d’une pure perception corticale de l’espace.
Nul départ. Aucun discours. Mais un état des lieux de la condition de l’être qui en a fini avec toute rhétorique, et ne veut qu’être.
Sa peinture est le médium effleurant l’aperçu d’un infini qui appelle, aspire l’être à son parfum.
Même dans ses portraits, la peinture de Michel Savattier témoigne de cette aspiration ou de cet abandon. Le vide est un autre corps ; l’exil, une naissance.
Pas d’épaisseurs, mais des verticalités, des souffles de couleur s’épousant, voilant le vide ; des paysages de lumière que sa peinture aux mille fenêtres médite.
Une plénitude de l’être est peinte, et c’est devant nos yeux que ses perspectives se volatilisent et entrent dans une vacuité sans la nécessité de devoir s’y accomplir.
Cet artiste n’est ni en avance ni en retard. Il est ainsi, dans un renoncement lui permettant de se reconnaitre et de s’entendre. Et s’entendre revient à pénétrer une musique s’unissant aux couleurs des regards et des rencontres qu’elle transporte.
Car ici, l’Entre est à l’œuvre dans une solitude dépassée. Le peintre ouvre et s’ouvre lui-même à la grâce d’une communion chromatique et sensuelle entre la peau et les pigments minéraux utilisés.
Des silhouettes, mais aussi des failles, des tourbillons, des échafaudages ou des jonctions de textures donnent à la profondeur de ses ciels intérieurs une résonance parfaite.
C’est ainsi, dans la peinture de Michel Savattier, que se psalmodie la recherche du passage où nous pressentons que seul l’amour préexiste à la couleur, au geste.
Article paru dans le numéro 21 de la Revue FPM des Editions TARMAC
Nous sommes sans cesse en quête d’épouser la réalité de ce monde, et la plupart du temps nous semblons également être confrontés à la pratique paradoxale d’y éprouver l’absence, ce sentiment étrange que quelque chose, quelque part, à portée de main ou de cœur, nous reste désespérément inaccessible.
À cela, dans un langage qui appartient d’abord au souffle, la poésie ne peut se résigner.
Parce que Flora Botta est résolument et en toute conscience au monde, et parce que sa voix sait qu’il ne lui suffit pas de sortir d’une bouche pour que la pensée et la parole lâchent prise, pour que la profération s’ouvre sur le dire du corps et de l’âme dans sa texture essentielle, elle dira en prières jaculatoires, dans un chant qui conjurera le temps et les apparences, sa joie féroce d’être mariée à la terre, et son ivresse d’aimer qui la fait tomber vers le ciel.
Si La nuit est le mensonge semble de mon point de vue être une prière adressée au vide – à ce par quoi finalement nous sommes comblés -, c’est aussi un dire de l’instant et de l’extase. Et lorsque l’exercice d’écrire excède l’écriture ou que l’écriture renonce à elle-même pour le chanter, ce dire est animé par un don prodigieux qui fait surgir l’être et le fait danser sur le fil d’une mémoire oubliée.
L’énonciation du monde par le souffle y outrepasse tout marquage des mots et des signes. Bien sûr, l’incantation est préalablement écrite – même si peut-être elle n’est que transitoirement scellée – mais son langage est vivant, et ce langage danse même sûrement bien en deçà de l’oblitération corporelle des mots. C’est le chant d’une conscience sensorielle où l’âme des signes et des choses est convoquée à un présent primordial.
Outre ce qui s’y impose comme un chemin désencombré des peurs et la permanente mise en équilibre du mystère et de la clarté, ce chant procède d’une expérience du dessaisissement du moi pour un détour nomade, animiste, vers l’insituable soi. Dans une langue qui sans cesse fait naître la locutrice, et dévoile une réalité mouvante dans l’espace et le temps, la poésie (le dire de l’intuition) amène Flora Botta à faire l’expérience d’une clairvoyance totale où le je est presque toujours du registre de l’autre. …/… Syllabes coupées : qu’est-ce que tu essayais de me dire ? tu étais là je t’ai sentie pourtant je ne te connaissais pas je ne t’avais jamais vue auparavant. C’étaient les derniers instants avant la chute. …/…
Le monde ne se résume pas à ce que nous croyons en percevoir. La conscience est collective, et l’inconnaissable bien partagé entre hasard et les « causalités naturelles »…
…/… Qui nous apprendra à ne pas mourir si vite ? …/… probablement personne d’autre que soi. C’est comblé par le détachement, la joie profonde d’être consolé par ce qui jamais n’advint, qu’il nous faut d’abord mourir pour devenir. Le chant qui place parfois la mort dans son drap de couleur or ou dans le fuselage d’un avion qui se crashe le sait …/… c’est la vie qui se renouvelle âpre sainte bridée et chère ne savoir rien d’autre que se qui se fait en passant par l’amas de gouffres qui s’ouvrent et nous avalent cependant vainqueurs ressortir de ce ventre y rentrer dedans nous évanouir dans ce ventre y renaître à chaque ventre chair et corps et luire davantage …/…
Nous n’avons donc pas d’alternative, il nous faut vivre à condition d’aimer. Brûler maintenant. Demain, il sera trop tard. Demain est un leurre. La vie doit passer par la dévoration de son espace incarné ; la promesse seule résidant dans la puissance magique des mots-corps – corps sans racines – qui ne cessent de se tenir et de marcher à nos côtés.
Il faut vouloir vivre …/… comme un fou les mains dans la rue creusant l’espace d’un instant …/… Peut-être est-ce l’enseignement clé que nous délivre le chant vertical et immémorial de Flora Botta. Car ne pas être possédé, c’est en quelque sorte être dépossédé du privilège des voix et du souffle. Comment alors entendre et comprendre les ombres. Comment nous tourner vers le ciel, l’eau et la terre si nous sommes sans visage. Alors la nuit devient un mensonge au sens de notre propre tromperie vis-à-vis de l’amour et de l’image que nous nous faisons de nous-mêmes, de notre origine ; quand en réalité, elle est ce seuil étrange que nous devons franchir afin que nous puissions enfin toucher et dire le lieu où s’accomplit le rêve.
Flora Botta nous propose là un texte qui à mon sens témoigne d’un authentique dialogue avec soi-même, et qui, descendant loin dans l’intime, enjoint à l’être de s’engager dans une véritable Œuvre de transfiguration pour qu’enfin la matière et l’esprit ne forment plus qu’un seul et même précipice de lumière. De la plus pure poésie.
Article paru dans la Revue papier FPM N°20 .
La nuit est le mensonge Editions Le Nœud des Miroirs Edition bilingue Préface de Christophe Mileschi
« Dans la rencontre amoureuse, je rebondis sans cesse, je suis léger. »
Roland Barthes – Fragments d’un discours amoureux
« L’eau parle sans cesse et jamais ne se répète. »
Octavio Paz – Liberté sur parole
SANS CESSE –
Petite introduction
Pour reprendre un peu les termes de la présentation que j’avais adressée à Jean-Claude Goiri lors de nos premiers contacts, je crois qu’il faut admettre cette prose poétique comme une sorte de prière athée ou profane qui par sa construction anarchique peut aussi ressembler il est vrai à une proposition libertaire.
SANS CESSE est un texte vitaliste (que je revendique comme tel) tissant dans ses lignes les signes et les images d’une espérance dégagée de toute morale moralisante. C’est un texte doux et fort à la fois qui colle pas mal, par certains de ses aspects, aux questionnements de notre époque, mais dont l’intérêt principal réside, me semble-t-il, dans son désir adolescent de déchirer le voile d’une réalité dont on nous prie de croire par tous les moyens ou presque quelle serait ainsi, avec toutes ses fictions, à prendre ou à laisser. Le hasard qui d’ailleurs traverse souvent le chant apparaît comme une réciprocité à la nécessité, aujourd’hui plus que jamais, de croire aux forces de la vie.
S’il n’y a dans ce texte aucune autre organisation que celle que le rêve et la spirale de l’ammonite mettent à la disposition de chacun de nous, SANS CESSE n’est pas pour autant un simple récit onirique. Bien entendu, de multiples lectures sont possibles. On peut très bien l’interpréter par exemple comme étant un regard posé sur le/les temps, où la poésie et la sensualité -parfois déclinées au deuxième degré- forment la trame d’une narration dans laquelle on est en mesure de reconnaitre les séquences d’une histoire quelque peu autobiographique faite d’expériences, d’apparitions et de rencontres au sens de « synchronicités » merveilleuses où le hasard, la mémoire et donc le rêve tiennent une place prépondérante.
Miguel Angel Real qui a choisi d’en présenter des extraits dans la revue mexicaine La Piraña l’a compris avec beaucoup d’intuition. Si l’on en juge par les passages que le poète a sélectionnés pour les traduire en espagnol, on devine que son intérêt se porte sur ce que recèle ce texte quant aux questionnements relatifs à l’écriture, à la parole et aux méandres du dire qui prennent source dans les strates profondes de l’intime, et ne servent pas seulement à raconter une histoire. Il est vrai que les trois-quarts du récit proposés sous la forme d’un monologue intérieur, où le je et le tu établissent une sorte d’ambiguïté, posent la problématique de qui suis-je,qui parle et depuis quel lieu, mais aussi de l’isolement, de l’internement consenti de celui qui écrit depuis sa cellule et ne cesse de l’habiter comme une sorte d’aveu, ainsi que l’évoque la postface de Onuma Nemon. Ce qui par ailleurs n’empêche en rien la parole de s’en extraire trouvant naturellement la plupart du temps son accomplissement dans sa relation au vivant, et par conséquent, effectuant son rôle de transmettrice de signification qui lie le chant à la propre existence du narrateur, à sa corporéité, mais aussi à son rapport (critique) avec lui-même, avec le monde et le cosmos.
Nous nous construisons tous une histoire qu’il est nécessaire de réinventer en permanence en la faisant vivre, revivre, en la prolongeant sans cesse tout en rebattant les cartes du rêve, et en rehaussant les voix qui par le passé nous ont pourtant déjà beaucoup dit, mais encore pas assez, tant on perçoit par leurs échos qui parfois arrivent jusqu’à nous, et fugitivement nous traversent, qu’elles nous manquent et nous hantent continuellement.
Par le langage, c’est une part de l’inconscient qui pilote. Je n’invente rien. C’est Lacan qui le dit (mieux que moi). Mais si l’on excepte la poésie minimaliste, on sait bien que l’inscription ne cède jamais trop de terrain à l’indicible dénué de toute intention et en face duquel, de toute façon, la parole finit par s’éteindre.
Toute inscription installe – énonce – donc le réel à sa façon, et occupe une temporalité anamorphique qui est la seule temporalité peut-être finalement qui vaille la peine d’être relatée.
Car dans une histoire – eût-elle été sommairement inscrite dans l’écorce d’un tronc d’arbre par la pointe d’un couteau -, ce sont bien les réminiscences qui, à travers la profusion des réflecteurs mémoriels, provoquent le geste du dire et par conséquent ce qui se manifeste dans le poème, la danse, le tableau, la photo, dans l’intonation du chant, etc. Tout comme elles provoquent le surgissement des présences, lesquelles peu à peu s’inscrivent au rythme des turbulences langagières dans l’énoncé de celui ou celle qui exprime à sa manière ce qui peuple son dire, circule en son sang, et parfois s’en défait.
Ainsi dégagé des contraintes comme des fictions, le dit se déliant de mémoires oubliées peut être alors au plus près du geste, libre de toute obligation esthétique ou de quelque autre principe.
Je ne sais pas, au fond, si la « gestuelle » de SANS CESSE aura pu m’aider à me défaire des mémoires oubliées dont mon organisme pourrait avoir gardé traces. J’en doute. Si écrire est pour moi (comme pour nombre de mes semblables) une nécessité et une épreuve, cette pratique de cinglé ne résoudra probablement jamais totalement (pour ce qui me concerne) les traumas enfouis. Même si par endroits il y a eu des failles, et donc de profondes plongées, et que le dire a tournoyé au-dessus de l’Insula.
Pour le reste, ce que l’on appelle communément le style – la manifestation presque physique du dire, sa danse -, je crois tout de même qu’un chant parvient à s’en dégager. Mais c’est un chant d’asthmatique qui s’inscrit dans un tissu de fortes activités émotionnelles ; un lieu où souffle et dit girent, se débordent mutuellement et s’arrogent le droit de se perdre comme de faire perdre à une lecture le fil de « l’histoire ». C’est désordonné, parfois presque non-verbal et par conséquent quasi-musical, comme dans la vie ; je veux dire accompagné d’une bande-son et image profuse.
Rien à voir hélas, avec l’écriture de conscience, simple et forte, à la fois rassurante et inquiétante au sens d’un mouvement, d’une oscillation de l’être, corps et âme en équilibre constant dans la réalité du monde, que l’on rencontre par exemple chez Didier Ober, un poète Creusois que j’ai découvert dans la remuante revue Traction-Brabant.
On aime d’emblée son écriture parce qu’on la sent proche de nous, et qu’elle touche une part de l’intime, une part de notre conscience la plus profonde qui est en relation avec le cosmos. On lit sa poésie, et on est immédiatement embarqué, comme lorsqu’on fait rouler une pierre dans nos doigts, et que, par le simple fait d’observer le minéral, notre esprit s’échappe et nous éloigne subtilement des fictions ou des passions qui nous empoisonnent et nous emprisonnent. C’est simple et beau.
Pour essayer d’être complet, je dois ajouter que SANS CESSE s’est construit pour partie au cours de ces dernières années au rythme de la publication de plusieurs recueils dans la Collection Encres Blanches des Editions Encres Vives dirigées par Michel Cosem.
Le principe : écrire dans un bloc-notes initialement intitulé Dormir le temps des « épisodes » ou « chapitres » qui seront immanquablement réécrits à « plusieurs voix », et s’engouffreront dans une infinie spirale de mondes, de textes (quelques fois détruits) et d’évènements (vécus de près ou de loin) aux correspondances réciproques. Ce sont eux qui accueilleront les toutes premières versions d’une prose réinventant en permanence le chant et ses métamorphoses qui circulent dans le sang d’un narrateur pluriel.
Ni discours ni mimique littéraire, mais une libre itinérance, une rhapsodie – au sens musical du terme – de solitudes, de coïncidences etc. qui interrompent parfois le banal cours des choses – la chronologie -, et rendent brusquement la réalité effrayante, sinistre ou merveilleuse.
Des exigences cependant : aucune rhétorique codée, et que la prééminence du chant comme de l’écrit ne cède pas au lisible. À ce titre, l’indéfectible soutien de Michel Cosem à l’égard des poètes – et par conséquent à l’égard de la critique et des alertes que propose encore la poésie – est inestimable. Terre-à-terre fut publié en 2017 chez EV grâce à l’esprit d’ouverture de cet homme. C’est formidable. Je pense que personne d’autre n’aurait consenti à publier ce texte énumératif des espèces animales et des biotopes menacés de disparition. Terre-à-terre est peut-être d’ailleurs le dernier chapitre en date d’un livre qui aura toujours été davantage rêvé qu’il ne fut souhaité fini. Je ne retins pas ce « chapitre » pour SANS CESSE, mais sa présence enrichira très certainement de futures propositions.
Le manuscrit personnel aura compté jusqu’à deux cents pages.
Pour certains éditeurs, l’ensemble était trop volumineux. Pour d’autres, c’était la nature-même du texte qu’ils jugeaient inclassable. Quelques revues cependant ont signalé le texte, comme la revue Secousse des Editions Obsidiane par l’intermédiaire de Christine Bonduelle et François Boddaert.
Nous sommes en 2016. J’affronte un Cancer, et Jean-Claude Goiri me fait part de sa volonté de publier mon chant dans sa totalité.
Durant plusieurs mois le manuscrit est alors passé au crible. Des pans entiers sont élagués, dégrossis, corrigés, mais avec la ferme intention de ne réduire du texte aucun de ses à-pics, de n’en gommer aucunes brisures ni d’en blanchir le plus petit de ses psaumes.
Sa disposition « finale » se réalisera à l’occasion d’un pur jaillissement, d’une nécessité de proposer le début d’une réponse à – qui suis-je ou qui es-tu ? – correspondant au chapitre IV lequel, à mon sens, pouvait permettre à l’ensemble de tenir.
SANS CESSE s’est véritablement organisé à ce moment-là.
Ça chuchote partout et un peu dans tous les sens, mais il n’y est jamais question de répondre à la violence ou au mépris autrement que par un hymne à la joie, à l’ardeur spirituelle.
Patrice Maltaverne, le poète du réel, auteur de nombreux recueils, dira : « Ce qui est montré ici, c’est l’amour de la liberté et de la vie, la beauté des paysages, le désir des corps, bref, le côté solaire des choses…Une poésie de la lucidité également, envers et contre tout. »
Immense compliment.
SANS CESSE est une errance qui n’en aura probablement jamais fini avec ses paysages.
Comme toute errance, elle ne s’inscrira jamais dans le sillage de ce qui se dit (doit se dire ou doit se faire). Elle est remplie et se nourrit d’un joyeux foutoir qui se moque pas mal des systèmes qui font de nous des cooptés ou de très discrets locataires du rêve.
Quoi qu’il en soit, elle restera ouverte à tous les vents, à tous les sens ; ancrée dans la parole, l’expression même de la vie.
« Sous mon diaphragme, je porte un vieil enfant qui suce à longueur de temps ses longs cheveux. Je suis incompréhensible. Et curieusement tous mes proches me reconnaissent, et accordent simplicité à mon langage quand je ne suis qu’à la tête d’un cortège de fictions. »
G.V
Article paru dans la rubrique L’établi du FPM sur le site des Editions Tarmac
Il y a de cela quelques semaines, lorsqu’on ouvrait la page internet du site éditorial des Éditions TARMAC, on était accueilli par une singulière petite vidéo. On pouvait y voir la rame d’une embarcation entamer sans hâte, dans un incessant et silencieux mouvement, la surface des eaux paisibles d’un lac ou d’une rivière.
Intrigué par ce petit film qui m’évoquais la métaphore Alicienne du miroir, je me décidais à le visionner sur Vimeo en agrandissant la fenêtre pour le lire en plein écran.
Une légende y disait : « Quelque chose déborde, quitte la rive Les chemins les rivières les cheveux Laisse filer une ombre errante, un rêve fou »
C’est ainsi que je découvris les vidéos de Lo Moulis, puis plus loin la présentation de sa recherche plastique sur les pages lomoulis.net/ ou meme-pas-grave.over-blog.com/
À la lenteur du regard sur le monde que pose l’artiste photographe, vidéaste, céramiste et graveuse, se lient force, finesse, bienveillance et humanité.
Ce regard est un langage ; un Fado.
Il n’y a pas à le commenter parce qu’il n’appelle pas à cela. Il s’agit d’abord d’entendre son propos sensitif, ses émissions émotionnelles ; ce en quoi une telle démarche peut par exemple nous interroger. Pourquoi d’ailleurs toujours commenter ? On essaie au préalable d’entrer en relation avec cette parole silencieuse ou l’on passe son chemin.
Et si on a l’intelligence de s’intéresser un peu aux autres, à ce qu’ils proposent souvent dans un murmure, on envoie en retour des signaux d’amitié, de fraternité pour dire la joie et l’intérêt que l’on éprouve à découvrir leur espace de création, le dire allusif du rêve qui s’y manifeste, la sensation à la fois intranquille et délicieuse des départs qui y sont suggérés. Nul besoin alors de grands mots. Aucune nécessité non plus de devoir comparer ce qui s’y noue ou s’y dénoue à d’autres propositions inscrites dans l’histoire de l’Art.
Pour ma part, j’ai simplement voulu témoigner à propos du travail de cette artiste parce que j’ai aimé me sentir invité par les formes visibles de sa musique intérieure. J’ai aimé être désorienté, dérouté, dans la lecture de ses eaux-fortes où se rencontrent autour des apparitions ou des absences, des temps d’enfances (emportement et innocence) ; où entre l’esprit et les éléments – l’esprit des choses ou des lieux -, entre les allégories et nos histoires, entre la violence et la grâce, entre les apparences et la profondeur, le dialogue entretenu est constant. J’ai également vu un geste s’accorder à une danse des épiphanies dans l’invisible et perpétuel mouvement ; entendu que pour l’artiste dire ne semblait pas essentiel.
Alors je me suis laissé transporter au gré des visions et des paysages inconnus qui transparaissent parfois en surimpression d’un étrange codex. J’ai pris la route que m’ouvrait cette œuvre étonnante, suivi ses tracés sans attendre de savoir si la forme d’une médiation quelconque entre la technique et le chant se révèlerait et installerait une distance.
Tout est juste dans le regard de Lo Moulis ; doux et implacable à la fois.
Elle est l’œil, le point de vue, le labyrinthe, le tracé, le trou, le geste même qui caresse les mythes dont le stuc se défait, et qui se prête au silence jusqu’aux marges des patios, des chambres à ciel ouvert, jusqu’aux ombres verticales qui contestent l’hégémonie de la lumière ; la desquamation lépreuse des murs de la ville surveillée par les chiens.
Dans un monde où l’information et la publicité obturent la parole pour promouvoir la consommation et empoisonner notre noyau de spiritualité, des résiliences éclosent ici et là qui maintiennent ouverts des réseaux d’opposition au consumérisme et à la crétinisation; des lieux où se rencontrent artistes et pratiques artistiques qui permettent de reprendre d’autres narrations, d’autres liturgies.
Il est donc primordial de se faire l’écho de toute tentative œuvrant à la dissémination du rêve, et ce même si nos saluts très confidentiels rendent d’abord hommage aux marges ou aux friches que très humblement mais non sans enthousiasme nous occupons.
« Nous sommes définitivement éphémères » oui, mais nous voyons dans chaque instant la preuve de notre immortalité. Alors la trace, comme le chant ou la danse épousant les lignes imperceptibles du gouffre et du ciel, nous offre l’issue : la dérive.
Je regarde encore votre Eklinggarh – T’envoie mes prières, te souhaite la lumière et du vent
et dans ma tête des personnes dansent comme des oiseaux
pendant que la mort dont j’ai la garde me soulève l’estomac.
Obrigado Lo Moulis! pour votre fado vagabond, son errance sacrée.
Deux nouvelles parutions aux Éditions Caméras animales – LESALARIAT PUE de Beurk, et AdolescenZ signé Aurélien Marion
Ces deux textes sont comme deux « TRACTS » qui pourraient provenir d’un syndicat Acéphale dont les membres les plus actifs seraient Antonin Artaud, Sarah Kane, Joyce, H.D. Thoreau, François Richard, Guy Debord, Onuma Nemon, Mehdi Belhaj Kacem, Pierre Guyotat etc.
Deux pratiques d’écritures verticales. Rhétoriques radicales. Énoncés pythiens. Deux documents ethnographiques. Aucune théorisation. C’est brutal. Sauvage. Neuf. Vif. Vivant.
Deux textes qui s’embrassent et s’embrasent mutuellement sur l’urgence de faire entendre l’impérieuse nécessité de stopper le stupide process économico social contemporain capitaliste dans lequel nos sociétés humaines sont empêtrées et crèvent à petit feu.
Derrière ces deux avertissements aussi différents que complémentaires : un appel au secours. Et c’est la jeunesse, encore et toujours, qui le hurle.
Des douze récits que François Dominique nous propose dans Délicates sorcières, on retient immédiatement ― avec les lieux et les parfums qui les enveloppent ― d’intenses et fragiles instants où les femmes essentiellement incarnent des seuils, des passages.
Chaque récit ou presque est une rencontre, et chaque rencontre est pour le narrateur l’occasion de vivre et de partager un voyage lié directement ou indirectement au mystère de la musique des corps, des voix, des traces (présences absentes) et de leurs murmures.
Le partage auquel nous prenons part, nous lecteurs, se fait bien sûr par l’intermédiaire du texte où l’art de l’écrivain témoigne de l’intérêt que ce dernier porte à l’égard des objets et des lieux familiers qui composent ce que nous appelons communément les éléments de la réalité, laquelle se révèle parfois pourtant par nombre de ses aspects bien singulière.
Le sensible et l’étrange dont on est toujours captif y occupent un espace toujours inédit recelant des temporalités que rythment absences et présences, c’est-à-dire ce qui (je cite F.D) « se joue de nous » dans l’incessant mouvement d’interférence qu’entretiennent les lieux, les objets et les personnes avec l’esprit qui les visite, échange avec eux, et tente de les comprendre ; un espace où les occasions qu’a le rêve d’y prendre corps sont infinies.
J’ai beaucoup aimé retrouver chez cet auteur ce qui, dans sa perception du temps et de l’espace, semble lié à l’inquiétude (encore au sens du mouvement), au balancement qui s’opère entre les certitudes et le hasard, les réminiscences et l’attente.
C’est d’une maîtrise poétique remarquable de légèreté et de précision.
En lisant cet ouvrage, j’ai pensé à la puissance évocatrice des mots (des noms) qui semblent parfois nous rêver, et j’ai entendu de Maurice Ravel sa Pavane pour une infante défunte.
S’agissant du visage central qu’il nous appartient (selon ce qui nous est dit dans l’avant-lire) de découvrir ou de reconstituer à partir des douze pièces du puzzle que forment les récits, il possède à mon sens (ce qui n’est pas une hypothèse très originale de ma part) les traits énigmatiques de l’Autre.
Dans cet autre, il y a celui de l’auteur et le nôtre également, mais par-dessus tout, le texte lui-même comme principe d’altérité.
Tel un réseau complexe de courbes se dessinant dans l’espace, créant au fil de la lecture une zone faciale légèrement mouvante, tour à tour concave et convexe où s’organisent d’abord, se fondent, s’épousent puis se déterminent enfin les lignes d’une figure géodésique, un visage-paysage qui m’est cher est apparu peu à peu.
J’y ai reconnu le visage-monde et le visage-masque du plein et du vide des artistes, des chamans, des cabalistes ou des alchimistes. Non une simple et belle apparence, mais cette énigmatique profondeur de l’effacement qui nous raconte silencieusement ce que nos sens saisissent ― que l’on se tienne dans les ténèbres ou la lumière ― comme potentialités de la matière, comme pratiques de l’esprit et de l’agir, telles d’inépuisables possibilités d’être et de devenir.
Ce visage existe bel et bien donc : c’est ce livre cosmographique qui en a tous les traits en somme ou du moins qui les propose ; c’est le Livre dodécaédrique du vivant, des ombres et des miroirs, bien sûr, mais aussi des noms, des lignes et des traces que nous portons en nous-même. Livre dont il faut s’appliquer ― sous peine de perdre l’équilibre ― de tenir les pages ouvertes.
Délicates sorcières est un ouvrage renfermant un très beau traité d’imagination, de géométrie sacrée, de traduction et de patience ; un magnifique et silencieux portrait du mystère de l’être.
Je ne le dis pour personne ce lieu sans bords et sans hasard, au hasard de ce qui s’y manifeste et nous méduse. Ça en fait chier pas mal, la beauté, l’éblouissement. Air feu océan matrice, l’immense femme-tresse spirale révolutionne gire dévoue demeure voue existe virgule articule n’explique et n’identifie coupe sabre éclot sans but déterminé.
Du monde, je n’y ai jamais vu qu’une lisière à vrai dire peu fréquentée où les atomes bondissent dans la vibration d’une poix ondulante ; un Univers Aspic. The never ending trip… ainsi/ œil soleil oiseau /ne tourne pas les pages – jamais –, mais frappe les atomes, ramenant au temple d’insécables permanences. Soudaines sidérées, réverbérant un swing de lumière lente et bleue, mille faces en surgissent pourtant, inertes, récessives.
– « le sud ? » c’est par-là, maugréa-t-il sans lever les yeux, en indiquant de la main la porte donnant sur le couloir. Et il rajouta : « vous y ferez quoi dans le sud ? – « je n’sais pas… est-ce si important ? » et l’ombre disparut la chance→ suerte sur le terrain de l’homme, une corne en plein cœur.
Car il n’y a pas un point obscur, mais des entres, des songes extraordinaires où d’évidence rien ne s’endort : c’est Ga’nza, une explosion vertigineuse de lignes et d’images par milliers ; une transe sacrificielle, une danse de courage. À cet endroit de pure réalité, Ainsi n’est plus un fatum. C’est un maelström de chants, de danses et de musique. Et la main qui porte la lame sur le prépuce porte un mystère et une souffrance. Derrière les cirrhes du grand tapage Ainsi admet tout. – « dis, quand reverrons-nous dans la mort, l’enchantement des fins dépassées ? »
L’eau de la mer des Tchouktches, des Sargasses et des Antilles, de la Méditerranée, de la mer d’Arabie et de la Caspienne, de la Mer Noire, de l’Adriatique, du Nord et celle de Chine bientôt montera. Vers le chant et ses lignes, fascinante mélopée, tous les points et les courbes d’un pur désert. L’ivre est là, cadenassé – inachevé, dans sa chair d’être et ses voix radiophoniques –, admettant la nuit.
L’eau de la Mer Baltique et celle du Japon, de la mer d’Okhotsk, de Béring, de Kara et celle de Barents ; l’eau de la mer des Laptev, du Groenland et de Norvège bientôt montera. Le corps est pris par les sens, le cœur lui tenant lieu d’aurores désordonnées. La fin est commencée, bifurcation ; c’est par là que ça commence. Ça exhale et veut parler, précipiter la fuite. Pas de mots. La mémoire, les lignes sont dans l’œil – innées –, et les parfums en conscience des pores, prophétie par ce pertuis qu’il faut franchir. L’eau de la mer du Labrador et de Beaufort, d’Andaman, de la Mer Jaune, de la Mer Rouge et celle de Java bientôt montera. L’odeur de la nuit est d’une sauvagerie qu’ainsi et mémoire, hallucinés par les ombres et leur tapage qui passent par les failles de l’enclos, admettent sans illusion. Déjà le rut d’un souvenir plaqué sur les reins du rêve, mais sans jamais perdre de vitesse sa durée vertébrale et gazeuse. Ça respire, entend et voit. Cet impossible lieu parle plus vite que les mots. Le corps y est coupé par l’attente, mais respire encor la hâte de commencer. Le souffle menace même d’aller plus vite à sentir l’imminente rupture. N’y rien attendre est une urgence d’éther.
L’eau de la mer de Timor, de Célèbes, de banda, d’Arafura, de Bismarck et celle des Salomon bientôt montera ; l’eau de la mer des philippines, de la mer Blanche, de la mer de Sibérie, de Corail, de Marmara et celle de Tasman aussi. Et puis après tout, qu’importe ; nous nous ignorons tellement. Tourné vers le visible et l’invisible, tenant dans la bouche la clef d’un langage, l’esprit aussi concret que l’air, néant ne change rien au tout, sinon que voudrait dire le réel si sa masse n’était critique, se dissolvant et coagulant en permanence ; si son aria n’était ivre de ses aubes aux condensations brûlantes.
Dans la Revue Festival permanent des mots, une note critique sur le dernier recueil de Gilles Venier, Terre-à-terre. Que du bonheur! Vifs remerciements à Jean-Claude Goiri.
Voici bientôt dix mois que le dernier opus de Onuma Nemon, États du monde, a été publié par les Éditions Mettray.
Après donc presque une année de lecture menée parallèlement à d’autres lectures du moment, mon exploration de cet Everest scriptural se poursuit.
À chaque reprise de l’ouvrage se répète l’expérience déjà vécue lors d’immersions similaires dans les œuvres de Sollers, Joyce, Céline, Pound ou même Gatti …
Chaque fois j’en éprouve une vraie joie – disparaître dans la forme déraisonnable d’une entreprise artistique vitaliste fondée sur le réel et sa perméabilité au rêve.
Intuition du vide – Le temps n’existe pas.
Atemporalité du vide –
Écrire (lire) lentement – suivre les traits des marges spatiales qui fixent parfaitement les territoires de l’Aïon et du Kairos.
Tout peut être embrassé – il faut une cime – les crêtes et les à-pics sont nombreux.
Mais franchir d’abord un pont étroit au volant de la Chrysler rouge du premier narrateur, en pariant passer l’ouvrage de nuit et à toute allure, tous feux éteints, en équilibre, presque porté par l’air qui s’engouffre sous le châssis, en quasi apesanteur dans l’habitacle, sourd au hurlement du moteur, le regard fixé sur la bande de roulement et les lignes parallèles du parapet qui dessinent la rampe de lancement, d’emportement.
Seule l’action compte, ses instantanés – la chaleur des frottements, des oscillations.
Plaisirs d’enjambements, de survols (pour ce faire, le lâcher prise est bien sûr recommandé) ou descente quasi spéléologique dans la multiplicité des sens.
Et tant pis si l’érudition de l’auteur lézarde fréquemment l’épaisseur du rêve.
Pour suivre l’écrivain, il nous faut agir avec lui – mot à mot parfois sinon rien n’est possible.
L’acte véritable est donc bien de le suivre. Les impressions ressenties seront autant d’instants primordiaux qui prolongeront la jouissance de notre entêtement à affronter la somme de réalité(s) contenue dans les États du monde, ce « feuilleté de signifiance », parce que la part du réel y est étourdissante, et qu’elle dérange l’idée que nous nous faisons du monde et des trajets humains.
Le saut est fait. Nous sommes du franchissement, dans l’inconfort du voyage.
Au rythme de la lecture, des kilomètres avalés, le volume se déplie, étale ses cartes, déploie ses mondes – villes, quartiers, prairies, forêts, lacs, fleuves, taïga, toundra, mers, grandes prairies, fleurs, animaux, continents textuels etc. -, montre ses multiples figures, présente ses corps.
Je veux dire que les franchissements sont nombreux, et que des cartes existent, mais que par son inscription – en dévoilant ses contours, ses bords; en formulant ex abrupto les instants comme un peintre le ferait sur sa toile, soulignant, cernant les vides où se forment des constellations par ses inventions typographiques et autres propositions graphiques -, la forme créée dépasse la littérature et toutes les actions, les instants mêmes qu’elle relate et qui sont des mondes à eux seuls.
« Mais ce que je voulais te dire au début, Louis, mon idée de départ, dans l’écriture, c’était d’arriver à un dehors du récit, à une sorte d’anachronisme parfaitement emboîté. »
Il y a donc ce que O.N en dit et qui éclaire partiellement la recherche, et ce qui ne l’est pas et qu’il faut essayer de débusquer en s’en référant aux « images », aux autres « traces » de l’inscription, voire à des pistes dont les correspondances se retrouvent dans les vocables eux-mêmes, Pierres de rêves indiquant que le sens est aussi un vortex oraculaire ou méditatif et qu’il n’y est pas question de dire le temps ou la situation autrement qu’en y provoquant une distorsion du réel et l’accélération des enchevêtrements spirituels qui s’y produisent.
Je crois en outre qu’il faut accepter que le rapport entre les différentes narrations ou les personnages entre eux, entre les espace-temps et les multiples destins qui les traversent puisse être aussi ténu parfois; subtil, de l’épaisseur d’un trait, au fil des portraits ou des partitions du chant.
Il est également possible après tout qu’une nécessité occulte propre à l’auteur préside à l’existence et donc à la nature même de cette liaison laquelle associe aux Voix agissantes les forces naturelles élémentaires elles-mêmes, les lieux, les hommes et les Dieux. J’ai retrouvé d’ailleurs dans le chapitre intitulé À propos de Pouchu. Octobre 1945, un dieu Kon « dieu sans nerfs ni articulations » qui « réunit les territoires en leur donnant un sens lié, relié …/ »
Il y a aussi dans l’idée des Voix, l’idée d’enregistrer leurs vibratos, l’intention d’en sauvegarder impérativement l’ampleur des graves et des aigus, les silences et les durées de débordement comme une preuve de vie.
Bien que la langue soit avant tout une énonciation du corps dans le souffle, le corps donne aussi aux mots (à des mots) valeur de de trace(s).
Doit-on cependant en déduire que l’écriture ici rêve le corps comme le monde ? Évidemment non.
L’écriture résulte d’un acte de haute et pleine conscience dont les tracés attestent quelquefois qu’elle peut être le lieu où les mots et la vie entrent réellement en interférence. Elle procède véritablement du balancement constant de l’ombre dans la lumière, de la danse de l’infamie avec l’amour, du Tango d’Apophis avec Mnémosyne sur le parquet de bal de notre gyrus angulaire.
Il s’ensuit que la poésie danse immobilement bien au-delà de la marque de la lettre, du marquage de l’esprit par la lettre. Ainsi l’avancée, la progression, semble se faire dans une mémoire qui s’en/visage en unités-lumière, le rêve-temps du Pays des rêves apparaissant, non dans le bois chantourné d’un vieux mythe d’écrivain, mais plutôt dans la présence d’esprits, dans le mouvement et l’esprit même des objets, des hommes, des espaces ou topos du monde porté par O.N et qui le porte.
Parcourir les lignes des États du monde, c’est explorer le tracé d’un spectrogramme révélateur en somme d’un espace-temps sonore déterminé qui entre en résonance avec notre propre sensorialité. C’est réceptionner la polyphonie Nemonienne comme un espace d’interférences entre oralité et écriture -géométrie et algèbre-, entre la trace et la parole; un lieu d’interaction aussi entre le scripteur et le lecteur.
« ON NE PEUT VIVRE avec les Morts, mais on ne peut vivre non plus sans eux. » Parce que les morts comme les vivants n’appartiennent pas au passé lequel, à défaut d’être une imposture, reste une illusion, tous les corps (morts ou vivants) sont du présent. Et le Voyage au pays des morts est la reprise, à mon sens, d’une discussion avec des êtres chers qu’une instance protoplasmique transporte en permanence. Là, ce sont encore les voix qui appartiennent au narrateur, au texte, ainsi qu’aux autres protagonistes appartenant à cette singulière « unité de mémoire » objectivée dans ce Chant pluriel, qui agissent sur l’instant suspendu où tout commencement devient, redevient possible. C’est bien ainsi, au sein même de la parole – la sienne /les siennes, les nôtres – que s’opèrent les mutations, la dérive des continents, des îles (je/tu/il – nous/vous/ils) ou des durées. Cet avertissement adressé au lecteur à propos de Louis de Verteillac nous informe très clairement : « Il suffisait que je m’endorme près de la radio en la laissant ouverte sur une fréquence secrète de radio-amateurs, pour qu’à un moment donné l’irruption se fasse ; et l’avalanche des Voix se déclenchait, se mêlant à mon rêve, tandis que je circulais au milieu d’elles. Je vous les laisserai désormais entendre comme elles surgissent. »
Il n’en reste pas moins vrai que c’est tout de même parfois compliqué de maintenir le cap.
Sans que l’on en ait vraiment pris conscience, on finit par s’égarer, flottant dans ce qui ressemble à une géométrie elliptique ou hyperbolique du récit selon que les motifs de l’itinérance mémorielle se recoupent, et de manière coïncidente se confondent momentanément en une seule histoire, ou que quelques réalités parallèles en viennent à se croiser à un même endroit éclairant d’une lumière stupéfiante une intersection narrative dont on ne sait cependant si elle nous permettra de poursuivre l’expérience sensualiste avec le même degré d’intensité éprouvé jusque-là ou de poursuivre tout court.
« Pas de sermon ! Le passage ! » rien que le passage, et le périple se fera (entre autres univers) à travers les mystères d’Eleusis ou le Jardin des délices ; il ne s’agit là bien sûr que d’une interprétation toute personnelle.
À la paix succédera la guerre. L’existence est souvent faite de merde où les fleurs puisent force et beauté. Le sexe et la mort y sont étroitement et fantasmatiquement liés.
Car dans cette recherche, le Cul est un creuset alchimique, l’endroit sublime des fumets de campagnes, le seul vrai cadran humide et chaud aux humeurs délicieusement ammoniaquées et hydrogénées de l’horloge universelle. Les arbres sont des corps, mais oui, et les corps déchirés, lorsqu’ils sont vus, portent la tête d’Orphée. Quant au champ lexical lui-même, il est un étamoir où le fer à souder du Maître verrier fait fondre le métal sous l’égide de Saturne.
Enfin, c’est ce qu’il me plait à croire lorsque je marche dans ce labyrinthe textuel et que je fais abstraction de ce qui s’efface provisoirement des histoires relatées – les pages lues n’en demeurant pas moins présentes – à mesure de l’assemblage des chapitres tels des calibres de verre entourés par l’âme et les ailes du plomb.
Car les États du monde sont composés par les pièces d’un immense vitrail cervical où les étincellements, la scintillation provoqués par le flux, les décharges émotionnelles, les informations, les pensées qui le parcourent en dévoilent le réseau nerveux, électrique.
Pas de fiction, de philosophie etc., mais par touches épaisses, directes, par vides – tantôt aussi terribles que froids -, de la pure poésie, dure parfois comme la terre gelée de Kolyma.
Du réel, rien que du réel ! comme des coups de feu, mais aussi le « (chemin suivi en débarquant dans le rêve) »… et toujours « autre chose que le discours indirect. »
C’est le mélange de ces deux drogues dures (réel et rêve imbriqués) qu’affectionnent les multiples narrateurs des États du monde dont Bordeaux semble être l’historique plaque tournante du trafic mnémique, mais encore : Paris, Bruges, Auch, Tours, Varykino, Buenos Aires, New-York, … et j’en passe.
Je (comme le récit ou le temps) n’existe pas. « Quand on descend, la montée a disparu (les deux sens ne coexistent pas) » Seul le mouvement, l’exact pétrissage que la réalité de la vie impose aux êtres, inquiète puis fixe le regard.
C’est à la fois simple et difficile, complexe ; comme dans toute grande œuvre.
Énigme sur démesure – Cheminement, processus évident – Le corps et sa mémoire – Principe essentiel – Adéquation à l’instant.
Les humains, leur génie et leurs bassesses, brillent et s’éteignent comme les instants dans la boue des tranchées, sous les corps impudiques des Ménades, dans les rues des quartiers prolétaires, la turpitude et l’horreur des Camps, lors de moissons solaires ou mélancoliques, dans un jardin potager, sur un adret parmi les hauts sapins, dans un atelier de mécanique automobile ou une arrière-boutique. Les bêtes font bien sûr partie du troupeau. Les choses trimbalent des époques, lesquelles évoquent muettement leurs usages.
Le monde est silencieux et assourdissant comme dans un film de Jean-Daniel Pollet.
Et puis partout les odeurs ! Odeur de « l’herbe tranchée » « palpitations en cadences folles …/… sur des orchidées, jacinthes, pivoines de Chine à odeur de rose, les iris parme, les hautes jonquilles » et toujours la surprise de les voir, comme si on y était, graciles sur leur pied vert d’eau.
Effluves vaseux des marées – lumière
Puanteur des béances – lumière
Haleines – fleuves – jardins
Cloaques, mais la lumière encore
–
Horreurs comme merveilles – Équinoxes, par vagues spirales
Somme d’ex-voto, de promesses ?
–
Derrière le langage il y a la puissance
d’un œil-langage
un corps-delta, un trou de conscience.
–
Qu’importe son nom – sans nom.
Il y aura toujours quelqu’un pour que le rêve et le vide soient portés à nouveau.
Publié par Poésiechroniquetamalle, l’espace critique de la revue de poésie Traction-brabant dirigée par Patrice Maltaverne, un compte rendu critique du dernier recueil de Gilles Venier, Terre-à-terre, ici: http://poesiechroniquetamalle.blogspot.fr/
Double séparation, c’est d’abord un rythme, une pulsation qui fait de ce texte un monologue très inspiré. J’y ai entendu une véritable voix accompagnée par de longs et lents riffs de guitare électrique.
Ce murmure atonal parle de l’humanité, de ses visages et de ses regards en abyme.
Pour moi, Patrice Maltaverne est un vidéaste.
Son œil est sa caméra. Il regarde ces regards, suit tous ces corps en mouvement empêtrés dans l’espace où mystère et réel étroitement liés ne leur facilitent pas la tâche. Comme tout grand photographe, ce poète est aussi un peintre, c.-à-d. celui qui voit dans le moindre geste la réverbération des êtres et des choses.
Sa vision est tactile. Mais il sait que tout ce qui est observable à travers l’invisible est aussi question d’interprétation.
Sous nos yeux, le développement du négatif, la translation est permanente mais jamais tout à fait complète, même si parfois les hypothèses poétiques de l’auteur apparaissent soudain comme de terribles évidences. Le film (le chant, le poème, la musique) se poursuit implacablement dans la lenteur comme une prière, une conjuration du sommeil et des fictions qui savent eux parfaitement polluer le songe et le langage.
Oui, il y a quelque chose de désenchanté dans la prose de Patrice Maltaverne, mais on pourrait écouter son blues sans cesse jusqu’à ce que le silence finisse par gagner.
« Il serait normal / Que nous allions dans le même sens/ Indistinctement vers la nuit/ Sans rien nous dire / Ensemble soudés / Comme du métal de portière.
Un extrait de « sans cesse » est paru dans le dernier numéro de la très belle revue Souffles – « les écrivains Méditerranéens » – à l’occasion du centenaire de la naissance du mouvement DADA.
Sortir du neutre, de la neutralité, affectivement, spirituellement, charnellement. Mettre sa peau sur la table. Danser son souffle jusqu’à la folie. Écrire sa danse. Danscrire, transcrire sa danse la langue en avant. Rester fou, et dans ce devenir, rester en mouvement dans la nécessité de dire et de taire, de comprendre (se comprendre), « On nous dit que nous sommes des concurrents. Toi tu te dis que toi et moi on est concurrents. Moi je pense que. Nous ne sommes pas des concurrents. Nous sommes des alliés. » connaître et commencer sans cesse. Voici ce dont il est (en partie) question dans ce texte.
Même si du syn-t.ext il est dit par l’auteur qu’« il représente un point où la littérature s’effondre infiniment sur elle-même », pour moi, cela reste de la littérature ! et de la bonne ! Impossible qu’il puisse s’agir là d’une diatribe antilittéraire. Là où à chaque page ça hoquette, râle, raille, s’éraille, menace, chie, aime, rêve, espère, désespère, arrache, prie et combat, écrit à haute voix que « tant de la réalité se passe loin des mots, loin de la parole », j’y ai senti pour ma part des averses de langage, des bombardements de mots particules atomiques d’une pensée musicale ; un précipité amoureux.
Certes, dans le labo syn-t.ext on n’y romance pas, mais on est au travail ; dans un travail de rassemblement, d’assemblage et de recombinaison, donc de structuration, puis d’étoilement ; dans le travail pneumatique d’une langue différente qui ne communique pas mais, se disséminant, opère aussi sur sa matière même, sa substance transmettrice.
On est dans un « crâne vitrail », dans un « quartier à la cervelle de rat », un non lieu, un envers où tout s’engouffre, et où tout est repris. Ce syn-t.ext n’est donc plus simplement un poème, mais une sorte de nucléosynthèse poétique. C’est un souffle lié à d’autres respirs qui constamment reculent leurs limites ; un dire en équilibre précaire mais qui sans cesse déséquilibre ses propres hypothèses, disperse ses condensations, précipitant entre eux les mots les plus légers afin d’atteindre une lourde masse critique écrivant le réel.
C’est du gros son et de l’ultrason, de la lumière en mouvement. « Chaque âme est une magnifique centrale nucléaire. Rassemblez-les, vous avez le soleil » (amatemp13). Enthousiasme, extra lucidité, objectivisme et pessimisme, voici les grands ressorts d’un brûlot poétique où s’embrase instantanément toute métaphore.
Entre le contenu très solaire du chapitre Whatever it takes et la très artaldienne page 143 « Je n’approuve pas mon corps / Je n’approuve pas mon existence / Je n’approuve pas les molécules qui me constituent / … etc. je ne relève aucune contradiction gênante, mais les sursauts symptomatiques d’une âme et d’un corps scintillants vifs dont les particules élémentaires s’excitent probablement selon les variations de l’intensité magnétique terrestre, du récit de l’univers.
On comprend tout d’emblée, même si l’on n’est pas titulaire d’une maîtrise de science ou de philo. Ça se lit par bloc. Ça rentre instantanément par l’œil pariétal, impactant directement les plexus et rachis. Il faut voler, reprendre à son compte ce syn-t.ext, le faire voler, et à son tour s’envoler avec ses métamorphoses, ses mutations, ses vertiges : toutes les cristallisations d’une pensée et d’une parole qui n’ont pas d’autre intention finalement que de se défaire de leur enveloppe charnelle.
Comparaison peut-être un peu osée, mais oui, j’ai pris ce syn-t.ext dans le buffet comme lorsque je découvris -il y a quelques années déjà- Paradis: avec émotion.
Allez, encore un petit extrait de syn-t.ext, pour la route : « je t’en supplie, lis ces mots et réponds-moi en détails dans mes rêves. | Au revoir au jour qui est là et que je ne vois pas. | Au revoir au jour qui est là que j’aime et que j’ignore. | Ce que je veux te dire n’a pas de fin et je m’arrête ici. | »
À suivre …
Gilles VENIER
15€ Chez Librairie Editions tituli (Amazon, Fnac, etc.)
les hypothèses du rêve et de lucidité au millimètre ?
–—
Dehors, assis parmi les voix
dans l’inversion des climats,
un sommeil ardent, les remous d’une langue aveugle :
voir enfin,
peut-être même dire les nerveux tournepierres
acharnés fouilleurs des estrans
sous le ciel poudreux de la cimenterie,
rendre compte, acter
mais quand, avec quel langage ?
–—
S’INVENTER
un plein vide.
Rassembler et en disperser les sons. Resserre ta pensée.
Dans l’enclos, ce monde feuilleté de figures, – lesquelles n’entendent pas leur propre récit d’éloignement, leur séparation intime et profonde avec l’autre partie de leur être,
où toutes les solitudes et leur représentation transhument lumineusement –,
ça claudique, oscille partout méchamment.
Chorégraphie des solitudes, des représentations.
Nous disparaîtrons sans n’avoir jamais rien perdu ni personne.
Prière (Ecrire) Collection Encres BlanchesN°660 Mars 2016
Le volume est une mise à jour, une modification ou extension du code source : Manifeste mutantiste 1.0 et de son « logiciel » 1.1
Les mutantistes sont partout, et forment, selon Nikola Akileus, un agrégat.
L’agrégat mutantiste est une force de potentialités. Chacune de ses cellules travaille à la mise en œuvre d’une puissance, à l’accroissement exponentiel d’une somme potentielle de lucidités, d’un corpus de singularités.
Cependant, ce collectif s’affirme être un ensemble sensible et anticapitaliste de ressources humaines au sens où la plupart de ses actions sont menées anonymement, et ne s’inscrivent jamais dans une recherche de notoriété ou de profit.
Les mutantistes ne désignent pas le réel, mais font montre de facultés d’adaptation issues d’un savoir transversal permettant de le faire surgir dans toute son épaisseur ou sa part gazeuse en interférant poélitiquement dans le champ social et en tous lieux.
En passant outre ou en détournant les fonctionnements parodiques de notre société du spectacle et de ses fictions, leurs actions ou propositions intuitives (et elles sont nombreuses et concrètes dans ce nouveau Patch 1.2) consistent à questionner ou à révulser l’asphyxie cérébrale des masses.
Une cible (parmi d’autres) du mutantisme: l’affaiblissement morbide du dire de la création artistique dans sa relation avec le réel.
L’audace, l’imagination, la capacité de s’émouvoir — d’entrer en mouvement — , et la désappropriation, sont les conditions qui garantissent l’efficience d’une pratique anticonformiste dont ces poètes font preuve, opérant donc de préférence dehors, dans la rue, un supermarché etc.
Pour ces réfractaires à la compétition, à la dictature des Marchés, et au virtuel aliénant, l’existence est naturellement liée au rêve comme à l’acte vital, au corporel, à l’expérience, et à l’exploration mentale.
Ce sont le plus souvent des objecteurs de croissance, des danseurs-lutteurs mus par un ravissement commun constellé de veilleurs solitaires.
Accordant paradoxalement à la pensée l’importance qu’ils réfutent parfois aux mots, ils défendent l’idée d’une autre manière de créer et de vivre ensemble, ouvrant des perspectives sociales, littéraires ou artistiques totalement novatrices.
Véritable concentré de créations et de pratiques singulières, que personnellement je perçois comme une zone subtile d’inscription spatiale paginée, ce Patch 1.2 — leur troisième codex poétique en somme — semble être adressé à quiconque souhaitera en divulguer la philosophie, et surtout à tous ceux qui voudront s’inspirer des procédés de résistance (machines) qui y sont présentés, en disséminant, réactivant, réinventant, amplifiant l’écologie dialectique de cet agir affectif qui les sous-tend.
En faisant sécession de toute idée préconçue, ces insoumis au prêt-à-penser œuvrent dans l’errance, dans la profondeur des instants et la vibration des lieux, embrassant simplement l’espace et chantant obscurément la source de ce qui ne se pense et ne s’achève, l’immensité que ne soutient nulle architecture visible ; ce qui ne se pense et ne cesse mais dissout les chimères du temps et de la matière.
Nomadisme et sensitivité – zone de sensibilité – l’Entre – l’émotion – amour – perceptions – jeu – asile – multiprocessing etc., sont autant de lieux-ruches où pour ces activistes toute commémoration disparaît, où la nuit et le soleil redeviennent neufs, d’une sauvagerie, d’une innocence que toute durée admet.
Étendue, tempi, nuances et hauteurs des timbres d’un champ/chant d’énergie électromagnétique, les connexions s’y opèrent organiquement en grappes de cerveaux, les corps et le vide alors interpénétrés.
Vers et depuis ce chant, les droites et les courbes d’un pur désert.
Ce chant appartient au ciel comme au désert.
L’ivre de rêve, l’être empêtré, est pourtant et toujours bien là, cadenassé vertébral, de traviole, pris dans la chair et les mots.
Mais c’est justement lorsque l’homme est pris par le ventre, les yeux et la bouche, que l’odeur du plein-vide lui tient lieu de devenir.
C’est ainsi que la fin est commencée, et c’est par là que ça commence.
Il faut donc saluer le courage et l’impertinence de ces étonnants Mutants « fauteurs de clartés » qui orgueilleusement, mais aussi très ironiquement, s’entêtent à rouvrir le récit collectif par le ventre.
Afin que le corps et l’esprit poursuivent un récit singulier, mutuel et croisé dont la mémoire est plus vieille que le mythe lui-même, et dans lequel sont étroitement liés distance, surface et profondeur, symboles et concepts, et où les mots renvoient à une multiplicité complexe des représentations, et non à un inventaire des genres ou des morales, il faut bien en effet que —de temps à autre — quelques insatisfaits, même très confidentiels, soient capables d’avancer, sans chef (au sens de Bataille) et clandestinement s’il le faut dans leur propre récit, pour s’en remettre à la disposition du rêve comme du réel.
Il est une parole d’avant la parole, elle regarde la terre, profère sa couleur depuis la danse, car la parole d’origine est une danse, et la musique qui l’anime s’entend par tous les pertuis.
C’est par les yeux que surgit ce rêve de danse, et par la bouche, souvent d’effrayants visages.
S’ouvrir à soi — à son invisible feu — revient à desserrer les portes de la danse silencieuse.
Alors le corps-langue chute. Il ne s’effondre pas.
Sa chute est une gigue entêtée qui retourne à l’insaisissable.
Après le kairos et le chronos, voici l’éternité, qui n’est pas linéaire ni cyclique, et nous réserve bien des surprises, des temps renversés et renversants, inversés et subversifs; la création se tait : crainte respectueuse de l’homme auquel elle ne veut pas faire de mal? Attente du dialogue humain pour oser bruire de feuilles, fleurs, pleurs, cris et balbutiements froissés de la bogue tombée ou du cerf solitaire… la création se tait… Le temps n’est plus comme un simple Charognard, temps obscurs des Ténèbres de l’Érèbe, où les dieux acceptaient d’être dés-altérés, par l’eau humaine dont ils se nourrissaient et qui les apaisaient : le sang, cette carte d’identité archaïque… C’est aussi pourtant le liquide qui rend frère aussi, non ? Mais vient peut-être maintenant un temps-révolution, celui de Nyx, la Nuit, qui ne connait pas le logos mécanique, ritualisé… Ce temps là métamorphose la Nuit en Jour, et signale un temps autre, « enroulé dans le secret » de chaque être, ignoré de lui, intuition confuse d’une des réalisations possibles de l’être… Aïon… pour l’homme sa double nature, mortelle et divine, superposition de toutes les temporalités, sortie du cercle et de la sphère image du Parfait, pour avènement de la troublante perception du voyage des quanta vers on ne sait où, réunion, destruction, fusion, mondes parallèles, trajectoires discontinues, déformantes, changements, spectres gris, ni ronds, ni carrés, ni donc spectres… Devenant autres, d’un Ordre autre, colorés par la seule poésie
Oui, la vie est Prière, et la Prière comme l’Aïon, des encres vives du silence de l’écriture nées de la fenêtre souffrante du poète
Brigitte DUISIT
Les textes Aïon et Prière, signés respectivement par Régis NIVELLE et Gilles VENIER, ont été publiés en 2014 aux Éditions Encres Vives.
Un site qui présente la revue papier du même nom, et le travail qui y est proposé. Attention, ici, on ne se pousse pas du col, c’est pas le genre de la Maison. Le ton est donné par Patrice MALTAVERNE. Pertinence et impertinence sont donc fréquemment convoquées dans les fameux « Incipits finissants » du fanzineoù le poète chroniqueur s’en donne à cœur joie. C’est souvent grinçant, ça fulmine, vitupère, ça gueule et en même temps l’humour n’est jamais très loin.
L’arborescence du site est riche. Beaucoup de liens vers les sites d’autres poètes. On y retrouve notamment le lien des Editions Le Citron gare ou celui de Poésie chronique ta malle.
La version papier paraît 5 fois par an.
« Tous ces panneaux, tout ce mobilier urbain, ça coûte et ça en jette. Et s’agissant de littérature, matez moi ces festivals. On y trouve des bouquins partout et des écrivains, tous plus pros les uns que les autres. Le monde entier est là, comme dans une vitrine. » P.M.