Et le livre de la mémoire n’existe pas

Nous ne nous sommes rien dit ou presque de nos prières. N’avons rien dit de nos circulations, de nos absences, au miracle du toucher Corps et Âme. Rien dit sur la présence des dieux de printemps qui habitent dans les pins craquant sous la chaleur. N’avons rien entendu non plus de nos langues que leur jubilation d’hélice sur nos seins et nos cuisses.

Il faudrait pourtant dire la trace des doigts sur les verres et sur les vitres, les manifestations du Ciel, le songe musical des villes,                                                 la beauté du ventre des femmes,                                                             entendre les basses, la pulsation amoureuse des basses.

Nous sommes des paroliers impatients. L’oracle c’est le réel.             Juste à côté de l’image et du dit, la pythie désordonne sa coiffure.                Et lorsque nous traversons l’étrange, rien ne nous semble l’être. On y croise nos corps et nos textes désirant en abyme – frères et sœurs, humanité déjà ancienne, mais ce sont toujours des visages anonymes porteurs des mêmes implorations, des mêmes paysages. Nous sommes du temps ses lenteurs infinies.

Jusqu’au dernier regard            

prose de la Rose l’Âme.

Envisage la mémoire en unités-lumière.

  Recours à l’Encre et à la Pluie à grands seaux de silence. Soutiens l’heure éternelle glissée sous chaque ville, dans chaque corps et chaque esprit où reposent des lunes de lavis, des constellations de familiers lointains.

Voue compagnon de joie et de lenteur Air Eau Soleil notre solitude l’élévation de sa parole au Vent – au souffle de la Terre à la Fleur incendiaire la vie hors du temps ce round que l’être sans cesse inaugure dans l’ouragan, l’effroi, le secret.

Invente continuellement tes traces, on les effacera de même.

Masque avec discipline ton immobilité la puissance de tes épaules, la fragilité de tes fictions. Beaucoup ignorent ce qu’au pied de la lettre voir et agir, partager le livre, veulent dire.

Sans rien n’omettre de l’Eau et des Ciels, debout, pieu fiché dans le sable, laisse les choses légères et graves te jouer des tours et conjurer le récit. La joie revient.

Il faut apprendre – je crois – à écrire peu sur la forme de sa perte. Dessiner le chant n’est pas en être le sel, et dire ce qui se voit ne délivre aucune preuve. Il faut tenir son vide pour dit autant que le respir nous en permet la profération. Choisir la tendresse, le fil coupant de ses pétales. Agir muettement, écouter ce qui se lève des autres cadences.            

Emprunter l’escalier des saisons dont les jours sont des siècles. Boire et reboire l’Eau à nos lèvres de salades. Suivre du regard le tube du vent suspendu au soleil.

Et puisque tout est parfait – Air trois fois inspiré – l’image seule de l’enfance à la fin reviendra, la mémoire du présent épousant gestes et pensées, et tous nos baisers de mucine nos routes nos dires nos jeux, tant nous avons dansé bougé et remué l’air passionnément, furieusement, de nos cœurs et de nos mains, courageux va-nu-pieds, passeurs obstinément cois sur nos Ciels de misère, le désordre de nos ravissements, le murmure de nos chants.

*

J’ai depuis longtemps jeté mes bourreaux aux orties, aimé nombre de visages.  – prose des visages du Soleil aux couronnes d’épines de leurs résurrections. Océans oiseaux rapides Arbres.                                                            Et partout sous les arbres, sous l’Herbe aux cheveux de Rosée où ombres et lumières s’entrecroisent, comme dans la géométrie familière que composent ces chaises ces échelles et ces lits qui clôturent notre esprit,                                 le tient est là, et encore à venir. 

*

Des voix réclament jour après jour qu’on inhume les phrases. Alors je prends à pleines mains des bouquets d’herbe et de gravier. prose des pays de paille, des chemins et des abeilles, des pistes, des paysages de pluie, des laisses de mer, du voyage. – prose des oiseaux jardiniers – prose des temps obliques,            d’une mosaïque de Ciels, car nous avons été patiemment attendus par des mendiants qui ont fait don de leur parole.

Je me rappelle maintenant avoir décroché le mot orgueil de mes cervicales.

C’est que judicieusement placé sous un autre mot, il servit alors de point d’appui idéal au poème-levier. – Prose de l’entente de l’improbable équilibre,           des mots-fougères,            de mon chant de mendiant.

– « Mais de quoi alors pourrions-nous bien parler                                        et qui êtes-vous d’ailleurs ? »

–  De rien de l’intériorité du voyage du pas                                                                      du tout                                                                                               du non-advenu    de l’indéterminé                                                de nos jours enthousiasmants                     enclos de joies tristes,                                         de la fiche électrique de la radio débranchée que je perçois, telle une main gantée, l’extrémité suggestive d’un vide.

–  Prose des reflets du chant ( l’intercesseur) – de la bienveillance de l’éros, de choses légères et graves, des unités de pensées, des interstices de lieux sans lieux, de l’oyat des dunes, de la pyramide des patelles.                           Mendiant – dément peut-être-, mais pas artiste                                 et d’ailleurs oui, sûrement laborieux, non confessionnel         individu indivisible mais invisible,          clandestin.       

Aux hiatus d’offrir des retours, un infini de phrases ruines, de résonances, d’émeutes acouphènes, par épiphanies de silence et changements de perspective, pourvu que le chant aigu, l’aiguille de son qui traverse nos têtes, puisse lier ce qui est à brûler aux vieilles cendres et aux fleurs, et que, pénétrés par la permanence de son timbre nous restions sans vérité, marchant comme tout le monde au-dessus des morts, dans l’aura du jour et son cerne noir en compagnie des bêtes, puisque nous sommes fait de chair et de Ciel qui tiennent ce sifflement lavé par l’eau des rivières pour un chant sacré, un vieux rêve rivé à nos vieilles mémoires.           

Jusqu’aux derniers signes,          nombres.

J’y serai.         

C’est par leur bouche leur miroitement seulement par leur bouche que tient le monde.    Tête obscure       

vouée au chant.

         Entêtement des corps-livres

des renaissances.

*

Et le livre de la mémoire n’existe pas. – Prose du chant de son tremblement de l’éclat descendu dans les Arbres puis glissé dans les pierres –  prose du plexus solaire du regard rhapsode de la convulsion des jours jusqu’à ce que dans l’œil toutes les ères se confondent et que la prière soit une marée d’équinoxe une marée aux tambours de soude brûlée au souffle bramé et piqué de serpolet de fagots de bois flottés emmaillotés de sable et de goudron de cils de gourbet –  prose de toi mon père paysan-soldat de tes gifles lourdes pelles de terre à patates que ça te plaise ou pas puisque je t’aime –  prose de l’enfant bercé par la sorgue à l’œil ouvert où palpite le cœur sans sommeil –  prose de la peur de ta voix entaillée par la lune dans le mortier des nuits de sable de dents cariées et d’oreillons comme paire de tenailles aux mâchoires de fièvre –  prose de ma langue de mon vieil Espéranto en sifflements d’autocuiseur en vagues de Ciels roses et de jambes de soleil ricochés sur les moellons ocres et gris des fermes de la Dordogne et des Charentes –  prose de quartz de silex et de pyrite d’ombres et de couteaux de ton patois aux accents Roumain –  prose de ta femme engrossée six fois par tes excès de fatigue –  prose du silence mais aussi d’omelettes aux cèpes de truite meunière –  prose de lard de piment de persil de tomates farcies et de canards rôtis –  prose des tablées familiales belliqueuses dès que le vin de Bordeaux succédait au Sancerre –  romance gitane où l’amour se chante mais ne se dit pas –  prose improbable de glaise bêchée de luzerne et de trèfle violet fauchés avec le soleil et la Rosée des pare-brise –  prose des dernières proses au paroxysme de notre mémoire anténumérique de poulaillers et de lapinières de fossés de brûlis de granges de remises où les ailes des faux les squelettes rouillés des faucheuses dorment le pays des vents des pailles et des poussières d’été restées collées à la graisse des essieux –  prose du faire et des prières de midi en liturgies de jambes et de bras fermes aux vidanges des citernes –  prose des pluies aigres et froides de gels qui ceignent cruellement les reins et les poignets – prose des corps aimés de vos courbes et vos plis d’où surgissent les effluves de pays sauvages et calmes –  prose de nos voyages d’amour aux lenteurs incroyables –  prose jusqu’au bout sur nos dépouilles amoureuses et les ambres qui ornèrent nos lits des variations spatiales du chant de l’enveloppement infini de la mélopée des corps et des corps dans l’entremêlement ordonné des transformations –  prose obscure de la totalité par bribes de sources et de rivières –  prose de la maladie des tourbes d’affects des sables mouvants –  prose des fontaines et des eaux souterraines de la langue morte lorsqu’elle est peau morte d’une danse des signes –  prose des âmes simples aux songes amoureux des réminiscences affleurées par le vent glissé dans les arbres puis dans les pierres et dans les cendres –  prose de l’eau des corps et sa mémoire que l’âme dans ses plis retient –  prose du commencement de la Rose du Nous du jaillissement d’une époque à venir. Seuls les accords de musique et la danse animent encore les tentatives d’effacement. Ce qui nous manque est magnifique.

Je suis nomade d’ici, où mon île apparaît parfois au cœur des pierres veinées de silice sous la constellation du crabe dont l’ami Mano me promit un jour de viscères noirs de surveiller ses étoiles.

      Prose des sud et de l’orient du sein aubergine au lait des sources et seuils nets de joies désertes en purs déserts dormant leur gerçure de silice                     des septentrions aussi –  Prose immobile du Texte du dire muet des choses de la dysharmonie élégante des chants poussés par ceux qui vivent encore avec les paysages et s’entretiennent avec les visages de leurs Ciels.

*

En moi mon amour nombre de tes visages –  prose de leurs baisers et l’argent mousseux de leurs rives          tes lèvres. –        Prose des consolations des phonèmes des inflexions tonales des langages-couleurs du timbre de nos rires et de nos peines qui ne feront pas un livre mais un poème serpent.

Sylvie, tiens-moi la main et partons. J’habite dehors avec toi parmi les choses et les vieux signes

dans la bouche du songe du jour et de la nuit.

Extrait de Sans cesse – Editions TARMAC 2018

Image d’entête – Travail personnel

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