MUT 1.3 COLLECTIF MUTANTISTE

Quatrième livre collectif des mutantistes.

Dans ce volume, MUT 1.3 – tous les mécanismes for rêveurs sont neuf, comme ils le sont à chaque publication.

Ça danse et chante tous azimuts dans une créativité qui appartient au débordement. Déborder le souci du profit, l’infantilisation, et les fictions médiatiques. Parce que créer c’est aussi mettre en marche le corps sonore et le dire qui en sort. C’est aussi tordre le corps et laisser les grincements se faire entendre. C’est ouvrir le corps et l’esprit à une danse d’insoumission débordant forcément du cadre.

La communication est loin, la littérature pas tant que ça, la musique comme une respiration vitale.

La poésie des mutants est celle du combat. Sonore, vocale, musicale, visuelle – calligraphique – concrète et gestuelle, elle appelle et agit. Elle s’écrit, rit et peste de n’être rien mais d’être forte.  « Ses mots sont animaux »

Cela fait quelques années déjà que leur « machines » proposent de spiraler les mots, les gestes, et toute action pouvant contredire les vieilles rhétoriques sociales et artistiques bourgeoises, c’est-à-dire d’étoiler – de sons, d’énoncés, de danses, d’incantations -, la guérison des cœurs.

Si j’osais, je dirais que la mosaïque de propositions des mutants rappelle – certes à des degrés divers -, les propositions que firent en leur temps, Antonin Artaud, Jean-Luc Godard (pour son travail sur le langage mais qui cependant dut beaucoup au cinéma lettriste pour l’indépendance de l’image et du son), Maggy Mauritz (encore vivante, je crois), Maurice Blanchot, le mouvement anarchiste, l’iconoclaste et inclassable Robert Filliou « Ne rien décider Ne rien choisir Ne rien vouloir Ne rien posséder Conscient de soi Pleinement éveillé TRANQUILLEMENT ASSIS SANS RIEN FAIRE », Guy Debord et Isidore Isou, Roberto Altman ou encore les dadaïstes, les « fluxus » etc. etc. 

Les mutants regardent le ciel, prient l’eau, parlent au soleil et aux étoiles, à l’air, et créent les lieux où ils se manifestent. Ce sont donc des corps qui avalent la musique du vide, font entrer l’air jusque dans l’esprit, que le cœur et le souffle ensuite restitueront en une vibration toute singulière. Ainsi tout le corps (même immobile) utilisera ce souffle – pieds, sternum et sacrum maîtres de la sustentation -, pour dévoiler l’espace, ou sur un autre et très différent plan, fera surgir, par exemple, une « poésie de Fin du Monde » (Machine YS-11) Poésie WTF « what the fuck » en français : « c’est quoi ce bordel » ou encore une « Chorégraphie de citations pansées » (Machine YS-15) : « Se présenter sur scène intégralement recouvert de pansements de toutes les couleurs et de toutes les formes. Le public partiellement attentif, ne sachant pas encore que ces pansements recouvrent des centaines de citations (écrites au Bic, avec un dermographe, ou bien avec un scalpel ou une lame de rasoir) des plus grands textes littéraires contenant des blessures diverses, assistera à une danse-arrachage. En effet, le danseur, en équilibre précaire permanent, retire un à un douloureusement ses pansements, qu’il peut ensuite jeter dans le public. »

Pour moi, l’ensemble des propositions de MUT 1.3 est aussi une « Machine » ou un dispositif propositionnel résultant des interactions neuronales des participants en conscience. Ses circuits interagissant en réseau de connectivités augmentent le risque de désordre, c’est vrai, mais ce faisant, replacent toute la potentialité des corps expérimentés dans l’unité d’une information non localisé leur permettant de rompre dans une furieuse pantomime avec l’enfermement mental des corps et des esprits, appelant ainsi à réinscrire dans le réel chaque acte de sensation en création, chaque expérimentation corporelle et spirituelle dans les parfums du hasard et de l’amour.

Informations sur ce mouvement sur le site de Caméras Animales  https://www.camerasanimales.com/ où l’on trouve un lien vers le blog https://mutantisme.blogspot.com/ ou encore sur ce pdf http://vermifed.com/wp- content/uploads/2020/10/Vermif.Labo_.M.Richard1.pdf et sur bien d’autres sites comme par exemple la revue des ressources https://www.larevuedesressources.org/manifeste-du-mutantisme,1515.html

MUT 1.3 -Editions Caméras Animales. 15 Euros

ISBN :978-2-9559879-1-9

www.camerasanimales.com

Ÿcra percer à nuit le monde

Et si l’expérience du corps était une mission de l’âme, l’épreuve de l’incarnation dans les fréquences du vide, dans la pratique consciente de plusieurs traversées; d’exister ?

Et si la vie couvait encore un dire inouï des formes natives du visible et du dire, couvait la mort, le corps-rêve à la porte du feu, et que la danse de l’écriture irisait l’errance subtile du graphe qui affleure à la surface du codage serré des lettres de l’illisible, irisait la justesse des tons aux réminiscences parfumées et le rythme du silence, les vibrations entre l’envers et l’avers ?

Et si dès aujourd’hui nous n’avions jamais fini de lire Ÿcra percer à nuit le monde – de recommencer sans cesse à entendre, à respirer et voir ce texte incomparable : tissu mouvant d’une littérature s’accomplissant, détachée de la signification qu’éventuellement on pourrait lui accorder, qui danse et dansera longtemps sous nos yeux, et moi avec …

V I E – Livre second : Ÿcra percer à nuit le monde de François Richard

ISBN : 978-2-916492-68-1

200 pages

Prix : 15€

Editions Le Grand Souffle http://www.legrandsouffle.com/site-edition/edition

Image d’entête – Travail personnel: Acrylique sur toile de 50/80 cm

mathias richard – 2020 : l’année où le cyberpunk a percé

Un petit livre remarquable de Mathias Richard vient de paraître aux Éditions Caméras Animales.. Dès la première page de ce qui ressemble à un carnet de notes, le ton est donné : « avec ma main de pain de mouche de mutation Suzuki/putain/ j’écris des Poèmes dans le Ciel ». Dans un carnet, on n’écrit pas pour être lu. On ne devrait pas écrire pour être lu. Des notes, des fragments de lettres, de courts poèmes ; fièvres et expériences de la fièvre y sont consignées chaque fois comme l’imminence d’une fin et d’un commencement. De brèves prières, et toujours la puissance d’un chant, la volonté de chanter même si « Survivre, c’est assister au désastre un peu plus longtemps ». Garder sa liberté de chanter, et le faire faire vraiment, sans avoir recours au spectacle, c’est-à-dire chanter (même à voix basse) à l’adresse des humains comme à l’adresse du vent, du soleil, ou de la terre, c’est proposer au chant du monde de le rejoindre. Il n’est alors plus question de survivre en assistant au désastre, mais de vivre… même abimé, « brisé » ou « maté ».

Ce texte est revendiqué par l’auteur comme étant un « livre de l’intérieur », témoignant d’un enfermement forcé lié aux « restrictions sanitaires » qui furent instaurées par les pouvoirs publics durant la pandémie. C’est aussi depuis une intériorité plus intime et plus profonde celle-là – où les réseaux neuronaux, l’esprit et le cœur diffusent ensemble leurs informations-, que le dehors dépeuplé, figé ou stérilisé par décret peut apparaître d’autant plus invraisemblable. Mathias Richard consigne les effets de ce processus intime qui immanquablement conduit les mots à se heurter aux idées, et noue affreusement l’affect au poids d’un corps immobile. Même si de la réalité aucun vocable ne peut vraiment témoigner, derrière chaque phrase, chaque mot, se révèle un cosmos spiralé de lumière et de vide. En conscience, le corps et l’esprit tanguent acceptant la souffrance. Seuls l’esprit et le corps savent que le manque est essentiel, et que nous sommes aussi constitués par des milliers de paysages aux milliers de pétales et d’une infinité de capsules d’espace-temps. Et l’esprit et le corps veulent constamment danser et chanter, dans l’instant pur, ce manque et ce plein fractal de vide et de plein qui nous constituent et nous font vivre.

Tout est toujours possible. En homme d’action, en performeur, Mathias Richard ne s’emporte pas sur un futur déjà réalisé. Son parcours, son voyage, il veut le partager avec la communauté humaine « ceux qui sont étrangers partout » qui habite aujourd’hui l’impatience de créer, de se recréer, de communier, et qui déjà tente de conjurer le sort que nous réservent les inquiétantes promesses de l’intelligence artificielle.  Pour faire tomber les masques des impostures en tout genre, de la fausse bienveillance politique et sociale de nos systèmes économiques et sociaux, on doit encore pouvoir bifurquer, reprendre les chemins de traverse du faire, saisir les effets potentiellement positifs pouvant surgir de circonstances aberrantes. Rien de naïf ou d’utopique dans cet espoir. Agir est avant tout un don de soi-même.

Alors oui, parfois le respir du dire de l’artiste est tour à tour ample et court, asphyxié et vivant. À une lyse de rage lourde ou à l’étoilement d’un désir se succèdent quelques précipités poétiques qui n’ont bien sûr rien à voir avec une sorte d’astuce d’écriture, et encore moins avec de la communication. Des invocations existent aussi dans Mix 01 (12.09.20). Ces mantras que l’on peut prendre pour des répétitions obsessionnelles appartiennent au chant, au souffle, où l’être se rejoint dans sa verticalité. « ce n’est pas moi qui exprime ces mots, c’est le Monde.  

Partout dans ces textes, une compréhension intuitive de la réalité. Pour Mathias Richard, avant de ne plus penser, de refuser de penser, de ne plus rien écrire, de ne plus rien vouloir [ou pouvoir] écrire, de ne plus faire parler le souffle ; avant de fuir les apparences, l’urgence est de girer dans les couleurs, de courir tel un funambule au-dessus du vide et ses hypothèses.

Avec ou sans masque, un corps-texte(s) inviolable.

  • Date de parution 08/06/2021
  • Edition Caméras Animales
  • Prix: 10€
  • ISBN / 978-2-9559879-0-2

http://www.camerasanimales.com/

l’ivre de lumière et de nuit

Mère

l’ivre de lumière et de nuit

écoute partout la mer

Je te parle assis dans le vide

bois dans la coupe de tes mains

dors en ton pays

_

L’eau tombe dans mon corps

mais c’est toi me buvant

l’espace lisant ma peau         

l’eau de ma prière

_

Je te parle depuis un songe maternel

mangeant et buvant ses bruits

_

Semence frappée        est-ce bien ma demeure ?

_

Asile à la nuit pleine              

la lune est bleue ou blafarde

mais on chante à plusieurs

aux vibratos des pulsars

_

Nous ne sommes pas seuls

partout est la demeure de nos mémoires

_

Écrire n’est rien                      le corps peut le dire

_

Tout est dans le sans nom

que le vide

l’esprit et la matière portent au feu

la torche étoilée de l’iris

_

N’écrivons pas

_

Lorsque je t’aurai rejointe

nous nous assoirons    au sein des voix          des murmures

nous laissant enrouler

par la vitesse

la lumière et les ténèbres

Et nos mains

toujours assoiffées de figures

de lèvres vives                       

de pluie

attraperont les mythes par les cheveux

_

Jusqu’au plus léger dire

vagabonderons

passerons même une journée à Tübingen

où André en uniforme nous rejoindra pour t’embrasser

_

Quels autres furent tes amants ?

_

Feignant d’être surprise sur le fil de ta mémoire

tu souris en portant tes mains sur ta bouche

_

Ton Adam fut amour en tes deux feux vivants

du jardin jusqu’à ta main

de tes eaux jusqu’à la porte de ton cœur

apprenti de tes voiles de tes parfums 

_

Avec toi migre ma pauvre langue

aux herbes odorantes

adoptant la respiration des nuits et des jours

qui chante les bois frais

les carex                      les iris et les prêles des marais

_

Car c’est toi qui crées les euphorbes

les nuées aux lés mauves et argentés

les hortensias bleus de l’ile de ré

toi qui couvres d’orichalque les falaises de la corniche basque

au coucher du soleil

et ordonnes à la bise et ses framées de gel

de dessiner sur les vitres des fenêtres

les partitions fractales de l’eau et de l’air

_

Transporte-moi du bord des lèvres

aux mains ailées ouvertes et spatiales

_

Profère ce qui nous traverse

nous dépasse

et pare les choses inexistantes

_

Murmure-moi ce que racontent l’eau

les résurgences

le puits salé d’Ugarre

et les sources de la Nive en forêt d’Orion

toutes les sources et toutes les fontaines

les arcatures des châtaigniers à Bidarray

et le peuple des grands pins à la gemme ambrée

du col de Gleize vers Chaudun

l’odeur fumée des feuilles

la fumée des brûlis

l’offrande parfumée que les feux de bois morts adressent au silence

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Extrait du recueil publié par les Editions Encres Vives dans la Collection Encres Blanches N° 797 – Avril 2020 ISSN 1625-8630 – ISBN 2-8550 Dépôt légal Avril 2020

_

Image d’entête: Mère totale – Pastel de Olivier NEBOUT

Mère.

Quand tu pris la décision de ne plus attendre

l’eau tomba averse dans nos bouches

depuis le câble téléphonique

et nos cœurs se mirent à battre un sourd vacarme d’orphelins

où s’est fixé ton visage mais aussi ta voix

sa danse

dans sa lenteur basse mais claire

lorsque que tu lançais ton chant de dimanche

dans ta maison du peu bien rangée

_

Maintenant ton cœur germe entre les pavés de la cour

disjoints par le vent le soleil et l’eau

_

Tu es de ce lieu où

par le songe d’une bourrasque de feuilles

sous un rideau de pluie froide

les oiseaux ont porté et glissé ton corps

_

Tu es aussi cet autre et même lieu-visage

une pensée du royaume 

un sommeil

_

Que des gestes

ou presque

alphabet silencieux

si familier et étrange à la fois

Ainsi des mains murmurent la soif

sans appartenir aux larmes

Ainsi s’écoutent des chants

s’enfantent

des souffles-gestes

_

Des animaux invisibles

se faufilent parmi nous et parlent tout bas

eux aussi

en penchant respectueusement la tête

_

Âge de la lune 23,80 jours

Les cœurs s’envolent

Le chant s’élève

La peau soudain écoute le vide

l’enchantement d’un chant de coquillage

conque rose et nacrée de tous les commencements

naissance de la fin et du début

_          

Le rêve est nu

la parole court                        recouvre sa forme

s’emplume      s’enroule

aux spirales de l’air

_

Paroles et corps transparents

ruissellent maintenant d’une mémoire à la vitesse prodigieuse

Frôlement d’un fluide aérien

impondérable lave de conscience

rumeur d’une mutation

– On évite de regarder le ciel

_

L’assemblée se meut

en une chorégraphie indécise

Ainsi monte

une prière

un bruissement d’avant le monde

– les morts sont en voyage

_

Tous les 9 février

 je te préparerai un thé mandarine

_

Extrait du recueil publié par les Editions Encres Vives dans la Collection Encres Blanches N° 797 – Avril 2020 ISSN 1625-8630 – ISBN 2-8550 Dépôt légal Avril 2020

Image d’entête: pastel de Olivier NEBOUT

Qui parle encore du drap raide et froid qui claque entre les strophes ?

Qui parle encore du drap raide et froid qui claque entre les strophes ?

Je ne suis qu’une tête-fenêtre, une veste de postier, une tête-cœur obturée. Je n’ai aucun métier, et habite depuis toujours la même piaule à l’architecture parfumée des corps, dans un petit théâtre immobile qui avance vers la mer.

Regarde, c’est toi et c’est moi aussi, sur le trottoir de l’hôpital. J’ai froid et sue à grosses gouttes. Ma figure est prise sous un masque d’insecte. Quelque chose te dit qu’il fait beau, et j’ai froid. Personne ne me reconnait.

La turbine d’un hélicoptère en approche hurle sur ton rêve. L’urgence, c’est le réel, là, juste derrière. Arrête-toi.

Dans la maison de ma mère, je vois des paysages de lessives aux proportions fantastiques, et dans la maison de mon père, j’ouvre au feu les portes. Énergiquement des mondes y sont lavés, et des mythes bouillent dans la lessiveuse rouge en acier galvanisé, tandis que des bouches énoncent des noms de villes et des noms de famille dans une langue de Savon de Marseille et une haleine de Gitanes.

De toi, je veux savoir quoi faire. Ton autel se bâtit. Mais tu ne comprends plus ce qui est dit. Les mots que tu reçois sont des flèches molles. Je me tais et vole. Je suis toi, mon père, et toi aussi ma mère des jeudis et des midis, des étés de voyages en Simca.

Nous sommes des lève-tôt silencieux, échafaudeurs de combines pour faire passer la pilule des jours amers. Des laborieux sédentaires vouant à nos deux astres la bonne odeur du pain. Dandinant, le regard égaré sous nos joies de pauvres, attendons le dernier grand coup de tristesse qui nous sera porté et nous fera jouir, grand tintamarre entre cerveau et pubis.

Mal ajusté à mon corps, je flotte un peu. Flotte mon ciel de roches et de montagnes, de vagues de terre de bruyère et de pins.

Des sacs d’angoisse peuvent bien s’empiler sur mes vertèbres. Sous la charge, l’emboîtement de verre crisse, mais l’orgueil qui est aussi pierre à levier t’a appris à tenir. Qu’ils s’y amassent donc comme ils le peuvent. Midi m’est toujours léger et me danse encor des immeubles blancs avenue des Ternes, kiosques de moineaux boulevard Barbès, affiches colorées qui clament l’humanité, les jupes et jeans, jambes d’une pure merveille te délivrant un billet pour un vol spirituel au parfum de Chesterfield. Volent au mètre par seconde les routes nationales bordant la lente marche des pluies, la lumière jaune que les grands arbres accrochent pour peindre nos visages !

Extrait de Sans cesse – Editions TARMAC 2018

image d’entête – Travail personnel

https://www.tarmaceditions.com/sans-cesse

Et le livre de la mémoire n’existe pas

Nous ne nous sommes rien dit ou presque de nos prières. N’avons rien dit de nos circulations, de nos absences, au miracle du toucher Corps et Âme. Rien dit sur la présence des dieux de printemps qui habitent dans les pins craquant sous la chaleur. N’avons rien entendu non plus de nos langues que leur jubilation d’hélice sur nos seins et nos cuisses.

Il faudrait pourtant dire la trace des doigts sur les verres et sur les vitres, les manifestations du Ciel, le songe musical des villes,                                                 la beauté du ventre des femmes,                                                             entendre les basses, la pulsation amoureuse des basses.

Nous sommes des paroliers impatients. L’oracle c’est le réel.             Juste à côté de l’image et du dit, la pythie désordonne sa coiffure.                Et lorsque nous traversons l’étrange, rien ne nous semble l’être. On y croise nos corps et nos textes désirant en abyme – frères et sœurs, humanité déjà ancienne, mais ce sont toujours des visages anonymes porteurs des mêmes implorations, des mêmes paysages. Nous sommes du temps ses lenteurs infinies.

Jusqu’au dernier regard            

prose de la Rose l’Âme.

Envisage la mémoire en unités-lumière.

  Recours à l’Encre et à la Pluie à grands seaux de silence. Soutiens l’heure éternelle glissée sous chaque ville, dans chaque corps et chaque esprit où reposent des lunes de lavis, des constellations de familiers lointains.

Voue compagnon de joie et de lenteur Air Eau Soleil notre solitude l’élévation de sa parole au Vent – au souffle de la Terre à la Fleur incendiaire la vie hors du temps ce round que l’être sans cesse inaugure dans l’ouragan, l’effroi, le secret.

Invente continuellement tes traces, on les effacera de même.

Masque avec discipline ton immobilité la puissance de tes épaules, la fragilité de tes fictions. Beaucoup ignorent ce qu’au pied de la lettre voir et agir, partager le livre, veulent dire.

Sans rien n’omettre de l’Eau et des Ciels, debout, pieu fiché dans le sable, laisse les choses légères et graves te jouer des tours et conjurer le récit. La joie revient.

Il faut apprendre – je crois – à écrire peu sur la forme de sa perte. Dessiner le chant n’est pas en être le sel, et dire ce qui se voit ne délivre aucune preuve. Il faut tenir son vide pour dit autant que le respir nous en permet la profération. Choisir la tendresse, le fil coupant de ses pétales. Agir muettement, écouter ce qui se lève des autres cadences.            

Emprunter l’escalier des saisons dont les jours sont des siècles. Boire et reboire l’Eau à nos lèvres de salades. Suivre du regard le tube du vent suspendu au soleil.

Et puisque tout est parfait – Air trois fois inspiré – l’image seule de l’enfance à la fin reviendra, la mémoire du présent épousant gestes et pensées, et tous nos baisers de mucine nos routes nos dires nos jeux, tant nous avons dansé bougé et remué l’air passionnément, furieusement, de nos cœurs et de nos mains, courageux va-nu-pieds, passeurs obstinément cois sur nos Ciels de misère, le désordre de nos ravissements, le murmure de nos chants.

*

J’ai depuis longtemps jeté mes bourreaux aux orties, aimé nombre de visages.  – prose des visages du Soleil aux couronnes d’épines de leurs résurrections. Océans oiseaux rapides Arbres.                                                            Et partout sous les arbres, sous l’Herbe aux cheveux de Rosée où ombres et lumières s’entrecroisent, comme dans la géométrie familière que composent ces chaises ces échelles et ces lits qui clôturent notre esprit,                                 le tient est là, et encore à venir. 

*

Des voix réclament jour après jour qu’on inhume les phrases. Alors je prends à pleines mains des bouquets d’herbe et de gravier. prose des pays de paille, des chemins et des abeilles, des pistes, des paysages de pluie, des laisses de mer, du voyage. – prose des oiseaux jardiniers – prose des temps obliques,            d’une mosaïque de Ciels, car nous avons été patiemment attendus par des mendiants qui ont fait don de leur parole.

Je me rappelle maintenant avoir décroché le mot orgueil de mes cervicales.

C’est que judicieusement placé sous un autre mot, il servit alors de point d’appui idéal au poème-levier. – Prose de l’entente de l’improbable équilibre,           des mots-fougères,            de mon chant de mendiant.

– « Mais de quoi alors pourrions-nous bien parler                                        et qui êtes-vous d’ailleurs ? »

–  De rien de l’intériorité du voyage du pas                                                                      du tout                                                                                               du non-advenu    de l’indéterminé                                                de nos jours enthousiasmants                     enclos de joies tristes,                                         de la fiche électrique de la radio débranchée que je perçois, telle une main gantée, l’extrémité suggestive d’un vide.

–  Prose des reflets du chant ( l’intercesseur) – de la bienveillance de l’éros, de choses légères et graves, des unités de pensées, des interstices de lieux sans lieux, de l’oyat des dunes, de la pyramide des patelles.                           Mendiant – dément peut-être-, mais pas artiste                                 et d’ailleurs oui, sûrement laborieux, non confessionnel         individu indivisible mais invisible,          clandestin.       

Aux hiatus d’offrir des retours, un infini de phrases ruines, de résonances, d’émeutes acouphènes, par épiphanies de silence et changements de perspective, pourvu que le chant aigu, l’aiguille de son qui traverse nos têtes, puisse lier ce qui est à brûler aux vieilles cendres et aux fleurs, et que, pénétrés par la permanence de son timbre nous restions sans vérité, marchant comme tout le monde au-dessus des morts, dans l’aura du jour et son cerne noir en compagnie des bêtes, puisque nous sommes fait de chair et de Ciel qui tiennent ce sifflement lavé par l’eau des rivières pour un chant sacré, un vieux rêve rivé à nos vieilles mémoires.           

Jusqu’aux derniers signes,          nombres.

J’y serai.         

C’est par leur bouche leur miroitement seulement par leur bouche que tient le monde.    Tête obscure       

vouée au chant.

         Entêtement des corps-livres

des renaissances.

*

Et le livre de la mémoire n’existe pas. – Prose du chant de son tremblement de l’éclat descendu dans les Arbres puis glissé dans les pierres –  prose du plexus solaire du regard rhapsode de la convulsion des jours jusqu’à ce que dans l’œil toutes les ères se confondent et que la prière soit une marée d’équinoxe une marée aux tambours de soude brûlée au souffle bramé et piqué de serpolet de fagots de bois flottés emmaillotés de sable et de goudron de cils de gourbet –  prose de toi mon père paysan-soldat de tes gifles lourdes pelles de terre à patates que ça te plaise ou pas puisque je t’aime –  prose de l’enfant bercé par la sorgue à l’œil ouvert où palpite le cœur sans sommeil –  prose de la peur de ta voix entaillée par la lune dans le mortier des nuits de sable de dents cariées et d’oreillons comme paire de tenailles aux mâchoires de fièvre –  prose de ma langue de mon vieil Espéranto en sifflements d’autocuiseur en vagues de Ciels roses et de jambes de soleil ricochés sur les moellons ocres et gris des fermes de la Dordogne et des Charentes –  prose de quartz de silex et de pyrite d’ombres et de couteaux de ton patois aux accents Roumain –  prose de ta femme engrossée six fois par tes excès de fatigue –  prose du silence mais aussi d’omelettes aux cèpes de truite meunière –  prose de lard de piment de persil de tomates farcies et de canards rôtis –  prose des tablées familiales belliqueuses dès que le vin de Bordeaux succédait au Sancerre –  romance gitane où l’amour se chante mais ne se dit pas –  prose improbable de glaise bêchée de luzerne et de trèfle violet fauchés avec le soleil et la Rosée des pare-brise –  prose des dernières proses au paroxysme de notre mémoire anténumérique de poulaillers et de lapinières de fossés de brûlis de granges de remises où les ailes des faux les squelettes rouillés des faucheuses dorment le pays des vents des pailles et des poussières d’été restées collées à la graisse des essieux –  prose du faire et des prières de midi en liturgies de jambes et de bras fermes aux vidanges des citernes –  prose des pluies aigres et froides de gels qui ceignent cruellement les reins et les poignets – prose des corps aimés de vos courbes et vos plis d’où surgissent les effluves de pays sauvages et calmes –  prose de nos voyages d’amour aux lenteurs incroyables –  prose jusqu’au bout sur nos dépouilles amoureuses et les ambres qui ornèrent nos lits des variations spatiales du chant de l’enveloppement infini de la mélopée des corps et des corps dans l’entremêlement ordonné des transformations –  prose obscure de la totalité par bribes de sources et de rivières –  prose de la maladie des tourbes d’affects des sables mouvants –  prose des fontaines et des eaux souterraines de la langue morte lorsqu’elle est peau morte d’une danse des signes –  prose des âmes simples aux songes amoureux des réminiscences affleurées par le vent glissé dans les arbres puis dans les pierres et dans les cendres –  prose de l’eau des corps et sa mémoire que l’âme dans ses plis retient –  prose du commencement de la Rose du Nous du jaillissement d’une époque à venir. Seuls les accords de musique et la danse animent encore les tentatives d’effacement. Ce qui nous manque est magnifique.

Je suis nomade d’ici, où mon île apparaît parfois au cœur des pierres veinées de silice sous la constellation du crabe dont l’ami Mano me promit un jour de viscères noirs de surveiller ses étoiles.

      Prose des sud et de l’orient du sein aubergine au lait des sources et seuils nets de joies désertes en purs déserts dormant leur gerçure de silice                     des septentrions aussi –  Prose immobile du Texte du dire muet des choses de la dysharmonie élégante des chants poussés par ceux qui vivent encore avec les paysages et s’entretiennent avec les visages de leurs Ciels.

*

En moi mon amour nombre de tes visages –  prose de leurs baisers et l’argent mousseux de leurs rives          tes lèvres. –        Prose des consolations des phonèmes des inflexions tonales des langages-couleurs du timbre de nos rires et de nos peines qui ne feront pas un livre mais un poème serpent.

Sylvie, tiens-moi la main et partons. J’habite dehors avec toi parmi les choses et les vieux signes

dans la bouche du songe du jour et de la nuit.

Extrait de Sans cesse – Editions TARMAC 2018

Image d’entête – Travail personnel

.https://www.tarmaceditions.com/sans-cesse

rouille des liens de terre et d’herbe

Je n’ai pas peur. Personne n’inventera un autre langage. Écrire, même mal, vaut toujours mieux que parler.

Un dernier visage – celui du dernier au revoir, du dernier coup de vis – tel un masque aux yeux de pyrite, n’oblige pas à dire. C’est un visage enchâssé dans l’or où siègent passé et avenir ; une très vaste musique. Nombreux sont les lieux, les objets, capables de léguer leur prière qui éclairent ce visage. Nous parlons avec le Ciel, avec la lumière et la nuit ; les nôtres, infiniment. Pour autant, je ne sais pas ce que je suis, ni à qui appartient véritablement cette tête. Mais elle sait fixer le soleil à la langue noire pour en faire de la nuit.

J’entends l’eau et le vent. Sur leurs lèvres siège la mémoire du temps.

J’avance, oscille dans l’idée d’un simple scintillement sur le vide. Un jour viendra où je sentirai le vide aspirer les cendres de ce crâne. Et pendant un moment tout flottera, filera dans un souffle. C’est ainsi que peut-être ma première vraie face dans sa pâleur apparaîtra.

J’écris mal que c’est une prière, le regard que l’on se porte. Tout comme nos inscriptions, et l’élan du cœur ; que ce sont des prières.

J’écris mal la vérité des belles apparences. Le vide par le pertuis des images laisse s’évanouir des mots leur respir et leurs résurrections. Alors comment dire avec les mots ?

Écrivez-moi avant que je n’entende plus que les seules voix murmurées par l’eau l’air les forêts et l’art des grands photographes.

Érudite, durite, vidure, la pensée. Mais je ne sais pas ce que cela veut dire. Éiséop petite musique votive et personnelle : à d’autres !

Je n’apporte aucune réponse. Mais je crois aux légendes des regards, à la puissance de l’intention. Je ne suis hélas qu’un puissant corps de mots — des milliers de fois chantés, et il est vrai, à mon adresse uniquement.

À chaque marche franchie le corps est sans autre vérité que le mouvement et les ondes qui le traversent.

Tâcher d’être. Divulguer les grands rushs de lumière, les rayonnements qui passent par les chairs aux bouches de fleurs. Ça bouge. Non rien. Y a l’temps. Non plus l’temps. C’est quoi le temps d’ailleurs : énoncer. Alors ne t’obéis pas. Encorne ici lentement au hasard. Pénètre et accueille tous les sens indispensables au chant. Danse maintenant avec justesse | pluie | goûte sa musique | Océan. Danse silencieuse de l’inscription. Inaugure son éphéméride d’un jour. Toujours le même jour et sans dieu.

Je possède plusieurs visages: quartz, soleil et lune. Aucun n’est vraisemblable et tous ont une réalité. Et tous me manquent. Hommes, est-ce que le monde s’imagine, et la parole et la phrase que relatent-elles des mots et des peuples ? Entendre. Épier. Écrire. Prier. S’y construire une cahute. Aérienne. C’est l’esprit qui l’emportera. Le dedans sur le dehors. L’ironie du vide sur la terreur.

Réclusion ordinaire. Je ne me veux pas. Très bien. Et après. Invisibilité du singulier. D’une ère l’autre. Félicité. De la sortie des eaux à la pensée algorithmique. Existence | joie de pluie | de la houle des dunes. Joie de ton baiser velours et tous tes baisers. Joie anonyme, sourde, épaisse, à rosée de ce qui tambourine et s’ébroue du ciel à rosée de feu | joie boue | joie aux fenêtres brisées de ciels | joie de la peau pétrissant la glaise | joie à boire chaque image dans les livres décousus de fatigue, à tendre l’oreille au silence, à la pavane des corps faisant voler des mondes | joie blanchissant parfaitement la pierre | joie à toucher le fer des ponts à gros rivets, ces cargos d’azurs et de vent | joie rouille des liens de terre et d’herbe.

Extrait de « Sans cesse » Editions TARMAC 2018

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Debussyste. Zapatiste. Spatial. Sollertien.

Je reprends : je suis un gadjo. Un pousse-mégot. Fada. Un lazzarone. Idéal imprévisible. Oculus rift bientôt sur le nez. Une langue insupportable. Cynips. Scintillateur aléatoire. L’informulé. Anamorphose. Hic. Têtu. Noir. Abîmé. uber vtc. Psychopompe. Optimiste. Au piano-lit. Domestique. Méprisé. Scaphandrier. Homme de ménage. Enthousiaste. Vidéaste. Refoulé. Ambitieux. Alarmiste. Démesuré. Hystérique. Commencement. Ardent fessé. Chant du seuil. Rêveur sensationniste. Ut. Interprète de l’échec et des possibles. Seul et pluriel. Clos. Évasé. Femme à corps d’oiseau. Une rose. Criminel passif. Enchanteur. Ouvrier en bleu de chauffe. Lithophage forant l’agrégat. Indéterminé. Écrivant quel sommeil. Le dehors d’en dedans. Corps étonnamment organique. Énoncé éruptif corporel. Émulsifiant. Colorant. Graisse tremblante. Sexe idiot. Correspondant. Colporteur. Manutentionnaire. Voix radiophonique. Chthonien. Aérien. Différant. Pacemaker. Mes cœurs. Des cœurs. Arias de lumière. L’oubli. Boue. Un programme. Enfant invraisemblable. Lâche. Une copla mal taillée. L’époux gelé. Au désert. En plein désert. Exaltation. Délire chaud et froid. Ce que force veut dire. Flux performatif. Textuel. Nu. Tensions cervico-brachiales. Le plein. La marge. Orphelin. Imaginiste. Flexible. Manque. Fatigué des meutes. Bandé. Attentif. Érectile. Hum. Menteur. Hors manifeste. Buissonnier. Bienveillant. Cru. Peau-plaie. Suicidé. Empressé. Maladroit. Étranger. Parole. Une Fiction.  Caresse. Oisif. Entrecroisé. Hésitant. Errant. Confession. Antidémocratique. Confidentiel. Corps-texte. Tressage. Danse impondérable du désir à l’adieu. Sans devenir. Virgule. Articulation coupante. Sabre. Sans but. Gueux probablement définitif. Prosateur. Inutile. Tyran. Listé. Fainéant. Héroïque. Désespéré. Amoureux. Obscur voyant. Opacité sainte. À la poupe. Au cul et au ciel voué. Accidenté du travail. Marcheur invétéré. Ricanant. Refuznik. Insoumis aux nouveaux millimaîtres et aux tutus de la vieille et de la nouvelle langue. Objecteur de croissance. Sorcier(ère). Solitaire. Été. Don. Névrosé. Feuillu. Herbu. Vicieux. Aborigène. Mythomane. Suspect. ada.text_io.put_line. Occitan. Macabre. Excité. Adepte. Malestruc. Maladroit fan de truc malec. Charnel. Juif. Arabe. Apatride. Debussyste. Zapatiste. Spatial. Sollertien. Flaubertien. Archaïque. Affectionné symboliste. Métaphysicien. Deleuzien. Ombre. Banquier – pour qui n’a pas lu Pessoa. Durée. Simpliste. Acédique. Vagabond. Etarra. Mallarméen halluciné. Illuminé. Zen. Intercesseur. Immobile opiniâtre joueur de dés. Improductif immoral. Chieur. Incarnadin à la face de vit. Splendeur d’une face de nourrice. Religieux zonard. Inutile suture. Plaie rouverte. Idiome ahurissant. Chorée loquace. Heurté. Paradis renversé. Infecté de survie. Le rêve de s’ouvrir en rivière. Amibe. Jeté. Colleté. Aïon que personne ne saisit. Désirant. Anonyme et véloce. Gonflé de tableaux. Lisier. Mamelle. Barque de glaïeuls. Calfaté de mystère. Alcoolique. Disputeur. Mystique. Le nez fourré dans ses chapelets d’œufs. Sensitif. Iconoclaste. Obscur. Image. Larve à qui l’on ne donne plus beaucoup crédit. Teigne récurrente sous son duvet. Jaloux. De mèche avec l’amant. Dans l’odeur apaisante de la guerre des sexes et des classes. Faillible montreur. Clair ulcère. Délégué syndical. Verrue qui grésille sous l’azote liquide. Vocable social. Emmuré dans l’orgueil des plus humbles. Armé et sourd. Ex-voto. Léger et grave. Trachée des suppositions. Chevelure des mauvais jours. Aubaine. Physique idéale du son. Anche. Augure assis parmi ses chats. Sans chef. Sans tête. Inaudible. Brume. Lesbien. Empreinte. L’idée d’une fin aussi. Des images encore. L’incertitude. Une noire tégénaire. L’élégance d’un baiser. Gelée opaque. Régurgité des croupes d’où s’écoulent les prières. Une question. Des questions. Inoxydable raison. Pur fictif. Neuf. Journal mental. Urticaire. Brêlé de nervures chaudes et tendues. Aporie. Sans mémoire. À rebours. Approximatif. Hasardeux. Hypothèse du rêve. Inconcevable. Fraternel. Hérétique boiteux et tout le saint-frusquin disputant aux rites fictionnels le corps des choses et le voyage. Lyse onctueuse échevelée chromatique. 

Extrait de « Sans cesse » Editions TARMAC 2018

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Jean-Luc Godard et Jean-Daniel Pollet

– Envoûté par des bribes d’opéra, par le bruit des rames entamant l’eau, par des éclats de voix, fracturations chuintements pointillistes, vitesse des points de couleur d’images en gros plan, par le vol, l’envol des draps et des fenêtres ; par les mots tels des poignées de cheveux dans la bouche

captivé par les films de Jean-Luc Godard et Jean-Daniel Pollet, par les marges, les miroirs, l’enchevêtrement de larves, christs et petits cailloux, les ogives d’aisselles 

hanté par l’abjecte, l’insoutenable image télévisée de l’assassinat commis en pleine rue de Saigon par le général Nguyen Ngoc Loan exécutant d’une balle dans la tête l’homme à la chemise à carreaux ; par les 30 millions d’esclaves qui survivent en ce monde, les horreurs du génocide rwandais, Sarajevo, la boue de Calais, les saloperies ordinaires commis par les États : par Auschwitz, les enfants et les peuples martyrisés ; par nos compromissions, par l’assassinat du Père Jacques Hamel ; par la production, le travail esclavage, l’exclusion, la stérilisation des esprits, les reculades, les rapts, les sarcasmes, les fuites, les hontes

rêvé par l’odeur des nuques, par l’île des morts, le noyer de Sarzeau, la tourbe et le ciel reflétés dans les flaques de neige fondue, par la mélancolie, le gois de l’île de Berder, par les bébés au parfum gras de la matrice

fasciné par la mémoire des pierres, la foudre, la connaissance ; par la viande zébrée de magie, les vortex de clarté, la lumière, les béances cadavériques du plaisir et la soie du désir, l’illisible tracé, la peinture romanesque, la poésie et sa musique aux corps invisibles mais inévitables

transporté par le goût des prunelles, par l’adagio en ré mineur BWV 974 de Jean Sébastien Bach, les errances, la mystique, la Méditerranée, la ronde des fées dans les sorbiers aux oiseaux et les saules, la jouissance, l’amour, le vide, les ponts et la lune ; par les trouvailles, la belle morve des oisifs, par la mémoire de l’eau, l’éclair des truites aperçu sous la loupe verte des eaux ; par les framées du givre, par les petits voyages entrepris avec Sylvie, par le son des cloches des troupeaux du Puys de Manse, le vent du gouffre, les fossés, le gypse, l’herbe rase des bellons, la noirceur des chemins, la belle démesure d’accolements cristallins et sylvestres de la vallée du Champsaur ; par la forge du père Garnier, l’acier luisant, l’odeur de sang cuit qu’ont les atomes d’acier expulsés de la masse chauffée à blanc puis réduite au pilon dans des gerbes orangées et bleues noires ; par les églises végétales, la mélopée, le voilé, la transparence des rochers, le feu et ses fruits racornis à manger loin du lait ; par la grâce, le mouvement, la tendresse, la lenteur consolante, la buée, les genets vaporeux, l’océan ; par les confitures et les cerises d’Ixtasou, les jupes relevées du rêve qui danse ; par les rares amitiés, l’exaltation, le toucher, la mémoire, les horizons

ému par les barques, les vaporettos, le sel, la beauté des cimes. par ce qu’un regard peut demander à une bouche, et le ciel à la terre ; par le pain, la terre, les textes et les arbres, par le basilic, les contre-indications à vivre, le spasme du hoquet à l’énoncé perdu. par l’inachevé, les cataplasmes à la moutarde, les cuites sévères, l’œil et ses flèches, les tarots, l’hélice du soleil, l’oiseau, les brèches, les joies, les astres, les masques et les statues de midi ; par les trous d’ombres bleues dans la glace, les landes emmaillotées par les toiles d’araignée, la pluie fine, les digitales, les tourteaux d’Hossegor et les huîtres du Cap-Ferret ; par le rayonnement platine des daurades et les fossiles téléostéens vus à Hendaye, la fricassée de gambas flambées à l’armagnac, les chats, les tripes à la basquaise de dix heures

touché par les gares, les objets, les spirales, les rhizomes, les lauriers, par les beautés du lot et du Célé, la Provence, le paganisme, l’International Klein Blue, les photos, les aubes, les anfractuosités du poème, les sources et les rivières, leurs limons ; par les écharpes d’odeurs, par ce qui règle les étoiles avec tant de justesse, l’œil érodant comme un fou ses limites ;

étonné par les cils des vorticelles, la stupéfiante métamorphose du cul en écubier, l’écorce et les écorchés

troublé par les sex-shops, l’écrit, l’écrin, l’écrou, l’épreuve, les colonnes ; par l’œuf, l’embryon céleste, les coqs, l’or fondu du silence versé tempus mortis dans les voies digestives, et par les monolithes en H de Pumapunku

impressionné par les concaténations archaïques des tons chez Bacon ou chez Lucian Freud, le verre et sa source de sable, par les nébuleuses, l’hymne hydrogénique du cosmos, la farine des cendres 

bercé par la prose ronflante du moteur de la Simca qui naviguera encore longtemps parmi les parfums de la route menant de Gap à Briançon ; par le froissement sec des chardons bleus, par les planeurs glissant dans le ciel de Mont-Dauphin ; par le chant infini qu’on redécouvre sur les falaises au pied des pins parasol, des arols ou dans la rouille des saisons que le fer concentre, et – contemplant encore aujourd’hui d’en haut du souvenir le tracé du col que des voitures en montant soulignaient sagement, – j’écris.

Et voici qu’à mon esprit s’impose soudain le rêve que je crois incarner, une inquiétude douce mêlée de paix de n’être que ça au fond, double délirant le monde, expérimentant ce délire, et peut-être rien d’autre. Qui sait.

Ne confirmez svp. Je doit suivre sa chance, eut-elle été rêvée. Énoncé offert. Aucun but. Révolution et charme des signes. Chantez vous-même cette indécidabilité inconnue, sans l’amplification courante.

Extrait de »Sans cesse » Editions TARMAC 2018

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Ne rien craindre des railleries, des mépris

Âge de la lune : 6 jours 16 heures 16 minutes. Je ne le dis pour personne ce lieu sans bords et sans hasard, au hasard de ce qui s’y manifeste et nous méduse. Ça en fait chier bon nombre, la beauté, l’éblouissement.

Air feu océan matrice, l’immense femme-tresse-spirale révolutionne gire dévoue demeure voue existe virgule articule n’explique et n’identifie coupe sabre éclot sans but déterminé.          Du monde, je n’y ai jamais vu qu’une lisière à vrai dire peu fréquentée où les atomes bondissent dans la vibration d’une poix ondulante ; un Univers Aspic.                                                                The never ending trip… Ainsi/ œil soleil oiseau /ne tourne pas les pages – jamais –, mais frappe les atomes, ramenant au temple d’insécables permanences. Soudaines, sidérées, réverbérant un swing de lumière lente et bleue, mille faces en surgissent.

« le sud ? … c’est par-là » maugréa-t-il sans lever les yeux, en indiquant de la main la porte donnant sur le couloir. Et il rajouta : « vous y ferez quoi dans le sud ?  »
– « je n’sais pas… est-ce si important ? » et l’ombre disparut, la chance→ suerte sur le terrain de l’homme, une corne en plein cœur.

Car il n’y a pas un point obscur, mais des entres, des songes extraordinaires où d’évidence rien ne s’endort : c’est Ga’nza, une explosion vertigineuse de lignes et d’images par milliers ; une transe sacrificielle, une danse de courage. À cet endroit de pure réalité, Ainsi n’est plus un fatum. C’est un maelström de chants, de danses et de musique.   Et la main qui porte la lame sur le prépuce porte un mystère et une souffrance. Derrière les cirrhes du grand tapage Ainsi admet tout. – « dis, quand reverrons-nous dans la mort, l’enchantement des fins dépassées ? » 

L’eau de la mer des Tchouktches, des Sargasses et des Antilles, de la Méditerranée, de la mer d’Arabie et de la Caspienne, de la Mer Noire, de l’Adriatique, du Nord et celle de Chine bientôt montera. Vers le chant et ses lignes, fascinante mélopée, tous les points et les courbes d’un pur désert. L’ivre est là, cadenassé – inachevé, dans sa chair et ses voix radiophoniques –, admettant la nuit.

L’eau de la Mer Baltique et celle du Japon, de la mer d’Okhotsk, de Béring, de Kara et celle de Barents ; l’eau de la mer des Laptev, du Groenland et de Norvège bientôt montera. Le corps est pris par les sens, le cœur lui tenant lieu d’entrailles essentielles. La fin est commencée, bifurcation. Et c’est par là que ça commence. Ça exhale et veut parler, précipiter la fuite. Pas de mots. La mémoire, les lignes sont dans l’œil – innées –, et les parfums en conscience des pores, prophétie par ce pertuis qu’il faut franchir. L’eau de la mer du Labrador et de Beaufort, d’Andaman, de la Mer Jaune, de la Mer Rouge et celle de Java bientôt montera. L’odeur de la nuit est d’une sauvagerie qu’ainsi et mémoire, admettent sans illusion.

Déjà le rut d’un souvenir contracte les lombaires du rêve, mais sans que la réminiscence ne détériore la nature vertébrale et gazeuse de l’affermissement. Ça respire, entend et voit. Cet impossible lieu parle plus vite que les mots. Le corps y est coupé par l’attente, mais respire encor la hâte de commencer. Le souffle menace même d’aller plus vite à sentir l’imminente rupture. N’y rien attendre est une urgence d’éther.

L’eau de la mer de Timor, de Célèbes, de banda, d’Arafura, de Bismarck et celle des Salomon bientôt montera ; l’eau de la mer des philippines, de la mer Blanche, de la mer de Sibérie, de Corail, de Marmara et celle de Tasman aussi. Et puis après tout, qu’importe ; nous nous ignorons tellement. Tourné vers le visible et l’invisible, tenant dans la bouche la clef d’un langage, ainsi ne change rien au monde. Sinon, que voudrait dire le réel → si sa masse n’était critique, se dissolvant et coagulant en permanence au gré des expériences que nous en faisons ; si son aria n’était ivre de ses aubes et de ses nuits aux condensations brûlantes.

Ça s’enfonce loin, non pas depuis la secousse des mots – leurs à-coups – mais sous la lumière et depuis la lumière. Ça se déplace d’ailleurs plus vite qu’eux, et, sans reconnaissance à leur égard, monte aux étages les plus sombres du dire, prend une cambuse et en tapisse les murs de graphes dont l’amorphisme des jambages en disperse les sources.

Ainsi trouble d’abord, abîme chaque fois un peu plus la perspective, heurte le regard lequel néanmoins peu à peu s’aiguise, glisse sous les contrastes et dépasse les apparences. D’abord la joie – poudreuse –, puis la confusion – un maelstrom de voix – bien sûr. Des paysages, des immeubles, des affiches de rue aux en-têtes colorés ceignent harmonieusement ce lieu indéfini où tout ce qui s’y produit ne semble témoigner que d’une différance, d’un saut à la fois obscur et transparent, à la fois vide et jalonné de repères que rythment les heures claires et volatiles du matin, puis celles de l’après-midi, lourdes et dorées, et les plus graves – presque ennuyeuses – qui lentement précèdent le mystère du nocturne, égrenant l’immobile rythme des ombres, comme le pas d’un cheval au travail à la longe trace le cerne étroit et répété d’un seuil.

Le silence y est une fréquence, un processus de questionnement, d’où naissent inquiétude et langage. Autour du miracle des heures, de la traîne des saisons, du tain des flaques où les silhouettes indécises se fragmentent entre ciel et terre ; autour de la trace ténue où se partagent puissance et l’idée d’être –  ce dont l’agilité du présent se sert mêlant les régions musicales des parfums à la salive crayeuse des peurs et des pensées –, autour d’impeccables intranquillités, partout des ors mangent dans sa main.

C’est d’Ainsi qu’émanent les fréquences, et que le hasard se comprend dans l’attente impatiente de bonté ; par transition fréquentielle.

Extrait de « Sans cesse » Editions TARMAC 2018

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Ne rien craindre des railleries, des mépris (suite)

Ainsi dessaisit tout aussi, mensonge comme vérité ; déroute, épuise, aère, enthousiasme ou obture la pensée, épanouit ou éreinte les corps, infiniment. Jouons-y le jeu des va-et-vient de l’esprit et des corps. Aimons-nous ! traversons le temps dans l’aura de la musique et les luminescences du rêve.                                                                                               

 Écoute seulement. Aveuglément.

Ainsi peut bien oublier constamment ses mues d’Ios  – rouilles négligemment abandonnées , et tenir aujourd’hui la gare de triage et le port (ses attroupements de grévistes) dans une durée énigmatique à la porte de l’inconnu que l’on ne passe qu’en vousoyant l’orée, l’oscillation du présent y est sublime.

Entre désordre → (phénomènes) et harmonie, plusieurs temps existent dont il est impossible d’effacer les traces.                                 Qu’il en soit Ainsi avec son aplomb ordinaire qui se confond ici dans les eaux vertes de l’embouchure et les vagues sur la digue écrasées, dispersées en milliers de gouttelettes, en petits miroirs disséminés par le vent dans les fossés de prose et de rosée, comme par-dessus les flancs rouillés des bateaux – pour certains chargés de voitures européennes, japonaises ou coréennes – alourdis pour d’autres par des quantités de bois ou de ferraille.  

Ainsi ne cherche pas à en savoir davantage. N’a jamais cherché non plus quelle curieuse parenthèse créatrice, quel processus, fit du corps notre étroit et inconfortable scaphandre. Ainsi fomente les formes, le sacrum de sa langue – le goût et le sexe –, plonge ses vertèbres dans le fracas hétéroclite de couleurs phénoménales, lâche des corps plus vrais que nature, les précipitant sur la matière même des choses, et laisse sans arrêt l’espace tomber.

In sic, voici mes moires qui dansent, nobles et rouées. Comme auront été bons vos yeux, d’abord sévères, puis attendris, portés sur les nôtres menacés par la chute, le rétrécissement du vide, l’occultation des signes. 

Entre l’Euphrate et le Tigre, comme au sortir d’un anéantissement     (Abu Ghraib de l’éden ; l’horreur des cages, des coups de trique, des corps rendus inhumains et des chiens démons)                               même si elle n’est rien que le souffle d’un sac de poussière, – cette poix sèche crachée, arrachée avec son tapioca glaireux qui obstrue de nuit les bronches, et qui s’accroche ensuite aux parois du pharynx, avant que les mots ne s’échouent disloqués vers la bouche   carte du monde et du soleil ; bouche si désœuvrée et tellement ensuquée par le vide et la peur, par la boue léthargique du dernier sommeil, qu’il lui faut d’abord épeler un juron, – la parole veut encore s’étoiler et déborder ses ruines leur ajustant des lés de ciels extravagants !

L’air bouge dans un signe très ancien que des effluves d’asphalte et le goût délicieux de mes cigarettes espagnoles embaument. À peine un éclat, un vague balancement, et c’est la totalité des choses qui fond sur l’arrière de la langue. Aujourd’hui est la mère, la permanence d’Ainsi.

Une pituite pleine d’une infinité d’images du monde ferme mes yeux sur le souvenir flottant du voyage ; la neige, les plages, et ces lueurs sur la peau de l’onde que les notes de Little Wing accompagnent, jusqu’à la maraude inconsciente des aurores entichées d’extraordinaires imagos qui content à toute vitesse l’inatteignable et immobile aisselle.

Impossible ainsi d’oublier celle qui aura dansé pour moi durant des jours dans une chambre minable d’un hôtel meublé. Arrêter ça. Mais comment ? Éternels ces moineaux qui, depuis la rambarde du balcon, nous épiaient puis, dans un vol rapide, venaient chaparder les miettes brunes de pain bis abandonnées sur les draps de notre lit international ! Quel cinéma !

Nous habituer à ne vouloir rien devenir

Des idées nous ont tenté et nous tentent encor, des images et des actions→ naissances. Avons ainsi épuisé un bon nombre d’hypothèses dans l’intention d’agir ; naître et renaître toujours. Mais est-ce bien de cela dont il est question ? des hommes tombent, et dans nos livres s’amenuise doucement le souvenir de la raison des corps et des rendez-vous dans l’atmosphère au grain léger.

Parfois, par grand calme, réapparaît pourtant la poussière des saisons qui ornait les chemins, les gravières du Drac blanc, les rives de la Neste d’Aure ou celles du gave d’Azun, les prés où, durant l’été, allongés en plein soleil, nous rechargions de chaleur nos corps engourdis par la fraîcheur des baignades.                 Certes, nous fîmes bien peu cas des guerres, du malheur des hommes. Certes, derrière nos masques, dans les arômes de nos cabines corporelles, individuelles et insatisfaisantes, avons dormi d’un sommeil malade, la tête abîmée, farcie de rêves et couverte de fêlures. Quelques fois nous nous serons aussi tout de même battus pour essayer l’exil, rejoindre dehors un espace asilaire et subtil ; un lieu idéal et commun. Du reste, avons aimé sans que jamais ou presque l’instinct n’ait pu assombrir aucun de nos gestes. Et si lors de nos étreintes –  le visage enfoui dans les voiles, les plis les plus intimes de l’être, la bouche embrassant et fouillant les muqueuses de velours et de musc d’où jaillissent des flopées d’étoiles, il ne fut pas tant cas de ruse du vouloir que de l’augural retour– , nos yeux, nez et langues ne cessèrent d’acclamer au périmètre des faces, ce qui en inondait les berges, la beauté et l’audace des crépitements, puis l’onction des émissions et leurs odeurs abondantes, envahissant notre désir fou et vain d’y pouvoir disparaître.

Coquillards enluminés de complaintes, n’ayant eu de cesse de nous déprendre, de nous éloigner du pays du père, des meutes – accomplissant à rebours des pratiques communes l’exubérant prodige de s’offrir quelques fraternelles solitudes -, on se filme pudiquement, sans caméra, avec la mort qui sait bien que l’on feint. Et on ne l’imagine pas – avec ou sans visage –, puisque nous la portons joyeusement, tournoyant et criant autour du rien, comme si l’on venait de naître.

Voilà. Déjà plus rien d’autre que la limpidité, l’air et les eaux de neige violaçant la peau, le vent aux lames froides balayant une voûte céleste au bleu luzien. Et nos simples figures tournées vers d’autres figures, d’autres corps, demandent au ciel de bien vouloir les accompagner. Car nous voulons nous étendre sous le ciel, et chanter en nous battant les lèvres avec les mains comme nous le faisions quand nous étions enfants ; entrer dans l’énonciation d’une langue étrange et complexe.

Compassion envers ceux qui réfuteront cet écoulement métamorphique du vivant.

Je ne le dis pour personne, cet espace de verre, hymne aux épaules sublimes. Ne rien craindre des railleries, des mépris. Ce qui nous ceint est un cœur sans durée. L’embrasser avec quoi : le texte → canto : aux paysages de pierres et d’herbe, d’évanescences claires et musicales du voyage intérieur. Mais c’est aussi dehors, montant vers l’épaule d’avril, par l’insaisissable échelle de splendeur, qu’il n’est plus lieu d’écrire. Y pourvoient déjà avec peine, les chapitres insaturés à doubles ou triples liaisons ; un peu mieux les primevères des talus jaunes et verts resurgissant sous le givre.

Mort, vois nos mains, nos inscriptions, entends notre souffle, il n’y a là-dedans rien qui puisse satisfaire tes masques.

Trop de travail sur la langue, pas assez d’écoute à l’égard du songe des signes et des légendes. Passé l’incrédulité, c’est-à-dire l’attention ahurie prêtée au déboulement sauvage d’une zébrure scindant soudainement le passage, il faudra du ciel et des corps se convaincre.

Il n’y eut pas d’année qui fixa mieux qu’une autre la permanence d’Ainsi. Averses de soleil et de nuit. Et nous, pauvres de nous, sommes venus plus d’une fois apposer souffle et lèvres sur des noms, des corps, des langages- corps, des histoires, et toujours on nous a sommé de révérer l’esprit du temps.

Ainsi _ prolifère là, sous la peau et non seulement dans l’idée, mais également par le corps craie, et pas uniquement par le corps craie, sa délicatesse tortueuse et bordée de pivoines et d’alouettes. Affleure par ce penchant pour les ciels et pour les corps qui dansent et chantent en frappant la terre des pieds. N’émerge point seulement de la terre ni seulement de la danse, mais aussi de toutes les époques cuites avec leur mémoire.

 Abonde par la bouche intuitive, et non par la seule raison. Ni absolument par l’œil.                                            Inonde mêmement le cœur, sa boîte noire et touffue, et non la seule gloire du souffle que la tétine du sommeil diminue jusqu’à l’amble et endort, mais bien sûr aussi par ce souffle que l’esprit sait rivière large et courbe dont le lit fomente le courage obscur d’enfants perles.

Ni dehors, ni dedans, mais dans la course immobile des temps, les corps translucides de l’enfance de l’aube ;   dans ta bave et ta flore, à l’à-pic d’une rêverie létale où l’âme fait le choix de la terre et de l’eau, se passe de durée, vide flottant à plusieurs cœurs au sens parfait des principes du rêve et des substances fondamentales ; dans les signes s’évanouissant sans perte ; sous les aspersions de la lumière, bondissant vers les lacs d’Ayous, au printemps des gentianes, des orchidées, jonquilles, renoncules et des parterres d’airelles bleues ou des tapis de camarines ; dans les contrastes sylvains de verts sombres que les grands cheveux blancs et froids des cascades brumisent ; ou dans le Néouvielle, lorsqu’on grimpait jusqu’aux derniers spasmes supportables, soit d’un soléaire, soit d’un gracile qui finalement nous jetaient riant et jurant dans  le délice de l’ombre d’un pin à crochets, passées les landines de genévriers nains et de raisins d’ours, et que nous n’existions ! et encor lorsque l’amour était partagé autour de gros morceaux de pain→eish la vie à pleine vinaigrette, et que la délicieuse salade de tomates était avalée et tout l’univers avec, et que le don ainsi ouvert, sa présence réelle, nous éloignait du souvenir.

Ainsi s’ouvre, multiplié. À tout de suite ! s’accomplit affecté, imparable. Toutes circonvolutions égales, et Ainsi de suite. On dort si près des rêves de l’autre déjà énoncés ; sèmes clairs et abstrus, corps lumière et tous les tableaux descendus jusqu’au sein de la langue, ses plis vocaux, et dans la chambre aux soies ciliées des cochlées électriques.

Ainsi renonce, plaide, perce, transperce, crève, démolit ; efface tout trace d’inquiétude tangible sur les pelouses, dans les arbres et les yeux aux iris verts de l’eau.

Ébruite l’insaisissable depuis un axe pyramidal, Kaïlash, jusqu’aux glacis de l’Ossau, verglas dans l’air vertical happant des ombres les bruits. Sans piété aucune sommes nombreux à n’en vouloir dire que l’enfance. Vidéo, je vois ; inadvertance primordiale ! sabayon luisant de tiges et brins ; pas grand-chose pour ainsi dire.

;indécidable, mal si pas serait n’ce                              

le souvenir heureux et guéri.

Assez de voix. Il faut entendre, doucement vivant. Ainsi très murmuré intercepte des douleurs les sonorités.

C’est Ainsi. L’impondérable dissémine sans cesse, et cela ne signifie rien.

Extrait de « Sans cesse » Editions TARMAC 2018

Image d’entête: travail personnel

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des réponses de virus

Habitant le dire, son style et son rythme, marchons vers ce qui ne s’explique. Aucune hallucination. La porte est ouverte. Tous les matins cette porte s’ouvre. Il s’agit bien de ça. Rien ni personne ne peut faire que cela puisse se dérouler autrement. Le temps nous appartient. Des anamorphoses | âmes-sources | dansent. Tous les matins un même petit soleil énoncé de nouveau en silence. Prose de la rosée du dire à rosée d’iris ignée d’amour boucle et bouche de commencement. Prose du vif qu’à chaque printemps la rose embaume, de la voute de nuit et d’échos où le bois et la pierre se métamorphosent, où coulent toutes les rivières et les fleuves. Prose de ma langue qui n’en est pas une, du livre muet mu par les corps qui se tiennent dans le présent comme dans l’imparfait. Prose de nos tristesses, de nos consolations, des parfums et des signes que nous adresse le vide, du livre qu’il faut taire pour retrouver le monde, de mes prières qui proférèrent sourdement le duvet de tes jambes jusqu’à ton gouffre, ciel d’en haut, l’œil à la serrure noire et rose, musicale. Prose des coquelicots puisque cela me fut permis de le dire, de la terre, des couleurs et des frôlements ivres de nos silences et de tous nos mouvements. Prose des lectures faites à voix basse. Prose de l’avancée des silences, de l’oubli, des discussions entretenues avec les morts, de mes lèvres sur tes seins comme sur l’infini ruban des jours. Prose des glissements géométriques des heures et des corps parés d’ombres et de clartés, de notre entêtement à aimer entre la nuit d’étoiles et l’horreur des massacres ; entre mon ciel familier et les murs d’Alep et de Minbej déchirés par les balles. Les bombes. Les barils d’explosifs. Les missiles TOW et M79. Les bombes au phosphore. Mais j’ai ouï dire qu’il ne valait mieux pas. Qu’il y avait quelque chose d’obscène à chanter ainsi. Que nous ne recevrons bientôt plus que des réponses. Des réponses éphémères et totales. Des réponses de vents, de canicules, de tempêtes solaires, d’incendies. Que sous peu nous n’aurons plus que des réponses vaudou. Des réponses de virus aux culs-de-sac organiques, d’oxyures, de fleurs virales, d’un rire jamais entendu. Des réponses de fous aux lèvres et aux paupières cousues. Il est bientôt six heures. Réveil rituel de l’asthmatique. Sylvie prépare le café. Petit déjeuner. Frugal. Inhaler le traitement de fond. Respirer profondément. Reprise des prières : respirer. Je sens mon cerveau se délecter de l’infatigable langage qui nous fait tanguer. À chacun de goûter son propre balancement. Sa musique intérieure. « Je danse sur le fil ». Entre les feuilles du temps pas d’instrument. Pas de temps. Mais une matrice invisible et fermée. Eaux et plusieurs Ciels. Mais des signaux venus du monde des mères. Et nos soleils intérieurs. Et des ondes sinusoïdales de sons et photons. Cantique quantique. Je suis en équilibre. Mes pieds entendent. Mes mains voient et je ne suis rien. Fleurs. Fleurs. Le gouffre. L’équilibre. La lumière. Arbres. Nos mains. Le voyage incessant dans les temps de notre histoire. Je me fie à l’étoile. J’écoute et distingue dans la tendresse des jardins du monde, et dans chaque regard qui s’y pose, un immémorial désir de bienveillance. Ne pas se reposer. La vérité est belle, hideuse et incompréhensible. « Oui, merci Sylvie, je veux bien un autre café. »

Extrait de « Sans cesse » Editions TARMAC 2018

Image d’entête: travail personnel (évocation du travail de l’artiste, Jean-François Simon)

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Miguel Ángel rEal – Comme un dé rond

Contre l’absurde, il faut chanter. Car conjurer l’absurde vaut toujours mieux que de s’y habituer. Parce qu’il existe une sorte de totalitarisme de la pensée – et par conséquent une sorte de totalitarisme de l’agir normatif dans les rapports que nous entretenons avec ce qu’il est convenu de nommer la réalité -, la révolte, qu’elle soit poétique ou d’une autre nature, est de toute évidence un appel à faire naître une autre façon d’être au monde. N’y a-t-il pas urgence en effet à sortir de l’entre-soi, à repousser les « formes » qui s’imposent ou que l’on s’impose, à questionner les apparences, à passer outre nos limites, à trahir nos « territorialisations », nos schémas intellectuels et utilitaristes ? N’y a-t-il pas dans l’art la possibilité d’éprouver notre rapport au monde, de retrouver l’usage des facultés de perception dont nous sommes porteurs ?

Le langage peut servir à ça. Expérimenter le langage pour questionner ce que nous prenons pour des formes et dont le sens nous échappe. Pressentir -consciemment ou inconsciemment- (peu importe après tout) que derrière la trace, l’invisible nous informe, qu’il n’y a pas de formes mais des durées, des poussées de percepts intuitifs ; des avancements de joies.

« il n’y a pas d’autre musique que celle des lichens » Ecrire n’est pas décrire, ni même représenter. C’est dessiner l’enfance, une mémoire inscrite dans toute chose ; c’est chanter jusqu’à supprimer l’œuvre.

Celui qui sait voir, sait écrire. Et l’œil a beau rouler comme un « dé rond » sur les surfaces, ou être « devenu sel », c’est l’âme qui regarde des apparences ce qui tremble et qui est, permettant au langage d’établir des ponts entre le « réel » et ce qu’il est d’usage de qualifier de « rêve ». Le voile alors se déchire et s’ouvre sur une forêt d’échos, un labyrinthe de couleurs de sons et d’odeurs. Ici c’est bien au tour du lecteur-promeneur d’entendre et de voir à travers les analogies et les métamorphoses ce qui contraint le poète-chaman à « remonter le courant avec des rames cassantes comme des ailes » ou à se tenir « debout sur des nénuphars marins en quête de souvenirs perdus ».

Car c’est souvent comme ça que se passe. Révolte, questionnements et désillusions sont nombreux « Autant de joutes. Autant de nuits que d’insomnies » « Rien n’a de contours sauf l’attente » tant il est difficile de trouver du sens à un héritage parfois encombré ou torturant.

Mais écrire c’est également penser la mer lorsque la distance ne nous permet pas de la toucher ou de la voir. Et n’est-ce pas précisément cela que d’être au monde dans cette distance qui nous sépare de ce que l’on ne voit pas mais que l’on sait exister ? Ce qui fait sens se trouve donc peut-être dans cette relation nomade entre penser et être dans une information se tenant à la fois en soi et hors de soi. Serait-ce une intention que d’être au monde, et la vie elle-même pourrait-elle résulter d’une volonté ? Quand et comment entrerons-nous en conscience dans l’unité en tant que créateurs du monde?

Ainsi, c’est tout de même bien ancré dans notre réalité – dont le principe est malheureusement hélas fréquemment nié, puisqu’on lui conteste partout ou presque sa part gazeuse, numineuse, sublime – qu’il faut continuer intérieurement, très confidentiellement, mais avec application à danser et chanter le monde pour lui-même, pour ce qu’il est ; une partie de nous.

Je dis avec application, car la condition pour être le danseur de son propre chant requiert un engagement personnel et total, un vrai retournement vers soi, sinon on s’emmêle vite les pinceaux. Il ne suffit évidemment pas de passer d’une « constellation » à une autre, et de se parer de ce qu’elles disséminent, pour se faire soi-même pulvérulence, rhapsodie ou être reconnu comme poète.  Franchir le seuil du sens commun, puis régler son chant, son pas, à la tension, à la rigueur de cette recherche, de cet enfoncement, c’est entrer peu à peu dans la conscience ; le palais de notre propre matrice.

Obéir, au sens commun du terme, n’est rien. Il suffit de hocher la tête pour qu’on vous laisse tranquille.  Mais être libre d’obéir à la danse et au chant, c’est être à sa juste place.

Et Miguel Ángel Real, que je salue, est dans son chant d’inquiétude, à sa juste place.

COMME UN DÉ ROND

Traduit de l’espagnol par l’auteur et par Florence Real

Éditions Sémaphore.

Collection Arcane

La nuit est le mensonge de Flora Botta

Flora Botta –                                                                                                                         Un chant immémorial

Nous sommes sans cesse en quête d’épouser la réalité de ce monde, et la plupart du temps nous semblons également être confrontés à la pratique paradoxale d’y éprouver l’absence, ce sentiment étrange que quelque chose, quelque part, à portée de main ou de cœur, nous reste désespérément inaccessible.

À cela, dans un langage qui appartient d’abord au souffle, la poésie ne peut se résigner.

Parce que Flora Botta est résolument et en toute conscience au monde, et parce que sa voix sait qu’il ne lui suffit pas de sortir d’une bouche pour que la pensée et la parole lâchent prise, pour que la profération s’ouvre sur le dire du corps et de l’âme dans sa texture essentielle, elle dira en prières jaculatoires, dans un chant qui conjurera le temps et les apparences, sa joie féroce d’être mariée à la terre, et son ivresse d’aimer qui la fait tomber vers le ciel.

Si La nuit est le mensonge semble de mon point de vue être une prière adressée au vide – à ce par quoi finalement nous sommes comblés -, c’est aussi un dire de l’instant et de l’extase. Et lorsque l’exercice d’écrire excède l’écriture ou que l’écriture renonce à elle-même pour le chanter, ce dire est animé par un don prodigieux qui fait surgir l’être et le fait danser sur le fil d’une mémoire oubliée.

L’énonciation du monde par le souffle y outrepasse tout marquage des mots et des signes. Bien sûr, l’incantation est préalablement écrite – même si peut-être elle n’est que transitoirement scellée – mais son langage est vivant, et ce langage danse même sûrement bien en deçà de l’oblitération corporelle des mots. C’est le chant d’une conscience sensorielle où l’âme des signes et des choses est convoquée à un présent primordial.

Outre ce qui s’y impose comme un chemin désencombré des peurs et la permanente mise en équilibre du mystère et de la clarté, ce chant procède d’une expérience du dessaisissement du moi pour un détour nomade, animiste, vers l’insituable soi. Dans une langue qui sans cesse fait naître la locutrice, et dévoile une réalité mouvante dans l’espace et le temps, la poésie (le dire de l’intuition) amène Flora Botta à faire l’expérience d’une clairvoyance totale où le je est presque toujours du registre de l’autre. …/… Syllabes coupées : qu’est-ce que tu essayais de me dire ? tu étais là je t’ai sentie pourtant je ne te connaissais pas je ne t’avais jamais vue auparavant. C’étaient les derniers instants avant la chute. …/…

Le monde ne se résume pas à ce que nous croyons en percevoir. La  conscience est collective, et l’inconnaissable bien partagé entre hasard et les « causalités naturelles »…

…/… Qui nous apprendra à ne pas mourir si vite ? …/… probablement personne d’autre que soi. C’est comblé par le détachement, la joie profonde d’être consolé par ce qui jamais n’advint, qu’il nous faut d’abord mourir pour devenir. Le chant qui place parfois la mort dans son drap de couleur or ou dans le fuselage d’un avion qui se crashe le sait …/… c’est la vie qui se renouvelle âpre sainte bridée et chère ne savoir rien d’autre que se qui se fait en passant par l’amas de gouffres qui s’ouvrent et nous avalent cependant vainqueurs ressortir de ce ventre y rentrer dedans nous évanouir dans ce ventre y renaître à chaque ventre chair et corps et luire davantage …/…

Nous n’avons donc pas d’alternative, il nous faut vivre à condition d’aimer. Brûler maintenant. Demain, il sera trop tard. Demain est un leurre. La vie doit passer par la dévoration de son espace incarné ; la promesse seule résidant dans la puissance magique des mots-corps – corps sans racines – qui ne cessent de se tenir et de marcher à nos côtés.

Il faut vouloir vivre …/… comme un fou les mains dans la rue creusant l’espace d’un instant …/… Peut-être est-ce l’enseignement clé que nous délivre le chant vertical et immémorial de Flora Botta. Car ne pas être possédé, c’est en quelque sorte être dépossédé du privilège des voix et du souffle. Comment alors entendre et comprendre les ombres. Comment nous tourner vers le ciel, l’eau et la terre si nous sommes sans visage. Alors la nuit devient un mensonge au sens de notre propre tromperie vis-à-vis de l’amour et de l’image que nous nous faisons de nous-mêmes, de notre origine ; quand en réalité, elle est ce seuil étrange que nous devons franchir afin que nous puissions enfin toucher et dire le lieu où s’accomplit le rêve.

Flora Botta nous propose là un texte qui à mon sens témoigne d’un authentique dialogue avec soi-même, et qui, descendant loin dans l’intime, enjoint à l’être de s’engager dans une véritable Œuvre de transfiguration pour qu’enfin la matière et l’esprit ne forment plus qu’un seul et même précipice de lumière. De la plus pure poésie.

Article paru dans la Revue papier FPM N°20 .

La nuit est le mensonge                                                                                  Editions Le Nœud des Miroirs                                                                        Edition bilingue                                                                                                      Préface de Christophe Mileschi

François Dominique. Délicates sorcières

Des douze récits que François Dominique nous propose dans Délicates sorcières, on retient immédiatement ― avec les lieux et les parfums qui les enveloppent ― d’intenses et fragiles instants où les femmes essentiellement incarnent des seuils, des passages.

Chaque récit ou presque est une rencontre, et chaque rencontre est pour le narrateur l’occasion de vivre et de partager un voyage lié directement ou indirectement au mystère de la musique des corps, des voix, des traces (présences absentes) et de leurs murmures.

Le partage auquel nous prenons part, nous lecteurs, se fait bien sûr par l’intermédiaire du texte où l’art de l’écrivain témoigne de l’intérêt que ce dernier porte à l’égard des objets et des lieux familiers qui composent ce que nous appelons communément les éléments de la réalité, laquelle se révèle parfois pourtant par nombre de ses aspects bien singulière.

Le sensible et l’étrange dont on est toujours captif y occupent un espace toujours inédit recelant des temporalités que rythment absences et présences, c’est-à-dire ce qui (je cite F.D) « se joue de nous » dans l’incessant mouvement d’interférence qu’entretiennent les lieux, les objets et les personnes avec l’esprit qui les visite, échange avec eux, et tente de les comprendre ; un espace où les occasions qu’a le rêve d’y prendre corps sont infinies.

 J’ai beaucoup aimé retrouver chez cet auteur ce qui, dans sa perception du temps et de l’espace, semble lié à l’inquiétude (encore au sens du mouvement), au balancement qui s’opère entre les certitudes et le hasard, les réminiscences et l’attente.

C’est d’une maîtrise poétique remarquable de légèreté et de précision.

En lisant cet ouvrage, j’ai pensé à la puissance évocatrice des mots (des noms) qui semblent parfois nous rêver, et j’ai entendu de Maurice Ravel sa Pavane pour une infante défunte.

S’agissant du visage central qu’il nous appartient (selon ce qui nous est dit dans l’avant-lire) de découvrir ou de reconstituer à partir des douze pièces du puzzle que forment les récits, il possède à mon sens (ce qui n’est pas une hypothèse très originale de ma part) les traits énigmatiques de l’Autre.

Dans cet autre, il y a celui de l’auteur et le nôtre également, mais par-dessus tout, le texte lui-même comme principe d’altérité.

Tel un réseau complexe de courbes se dessinant dans l’espace, créant au fil de la lecture une zone faciale légèrement mouvante, tour à tour concave et convexe où s’organisent d’abord, se fondent, s’épousent puis se déterminent enfin les lignes d’une figure géodésique, un visage-paysage qui m’est cher est apparu peu à peu.

J’y ai reconnu le visage-monde et le visage-masque du plein et du vide des artistes, des chamans, des cabalistes ou des alchimistes. Non une simple et belle apparence, mais cette énigmatique profondeur de l’effacement qui nous raconte silencieusement ce que nos sens saisissent ― que l’on se tienne dans les ténèbres ou la lumière ― comme potentialités de la matière, comme pratiques de l’esprit et de l’agir, telles d’inépuisables possibilités d’être et de devenir.

Ce visage existe bel et bien donc : c’est ce livre cosmographique qui en a tous les traits en somme ou du moins qui les propose ; c’est le Livre dodécaédrique du vivant, des ombres et des miroirs, bien sûr, mais aussi des noms, des lignes et des traces que nous portons en nous-même. Livre dont il faut s’appliquer ― sous peine de perdre l’équilibre ― de tenir les pages ouvertes.

 Délicates sorcières est un ouvrage renfermant un très beau traité d’imagination, de géométrie sacrée, de traduction et de patience ; un magnifique et silencieux portrait du mystère de l’être.

 

Aux Éditions Champ Vallon

160 pages

16€

FRANÇOIS DOMINIQUE Délicates sorcières

 

SANS CESSE – Âge de la lune : 6 jours 16 heures 16 minutes.

Âge de la lune : 6 jours 16 heures 16 minutes.

Je ne le dis pour personne ce lieu sans bords et sans hasard, au hasard de ce qui s’y manifeste et nous méduse. Ça en fait chier pas mal, la beauté, l’éblouissement. Air feu océan matrice, l’immense femme-tresse spirale révolutionne gire dévoue demeure voue existe virgule articule n’explique et n’identifie coupe sabre éclot sans but déterminé.

Du monde, je n’y ai jamais vu qu’une lisière à vrai dire peu fréquentée où les atomes bondissent dans la vibration d’une poix ondulante ; un Univers Aspic. The never ending trip… ainsi/ œil soleil oiseau /ne tourne pas les pages – jamais –, mais frappe les atomes, ramenant au temple d’insécables permanences. Soudaines sidérées, réverbérant un swing de lumière lente et bleue, mille faces en surgissent pourtant, inertes, récessives.

– « le sud ? » c’est par-là, maugréa-t-il sans lever les yeux, en indiquant de la main la porte donnant sur le couloir. Et il rajouta : « vous y ferez quoi dans le sud ? – « je n’sais pas… est-ce si important ? » et l’ombre disparut la chance→ suerte sur le terrain de l’homme, une corne en plein cœur.

Car il n’y a pas un point obscur, mais des entres, des songes extraordinaires où d’évidence rien ne s’endort : c’est Ga’nza, une explosion vertigineuse de lignes et d’images par milliers ; une transe sacrificielle, une danse de courage. À cet endroit de pure réalité, Ainsi n’est plus un fatum. C’est un maelström de chants, de danses et de musique.   Et la main qui porte la lame sur le prépuce porte un mystère et une souffrance. Derrière les cirrhes du grand tapage Ainsi admet tout. – « dis, quand reverrons-nous dans la mort, l’enchantement des fins dépassées ? »

L’eau de la mer des Tchouktches, des Sargasses et des Antilles, de la Méditerranée, de la mer d’Arabie et de la Caspienne, de la Mer Noire, de l’Adriatique, du Nord et celle de Chine bientôt montera. Vers le chant et ses lignes, fascinante mélopée, tous les points et les courbes d’un pur désert. L’ivre est là, cadenassé – inachevé, dans sa chair d’être et ses voix radiophoniques –, admettant la nuit.

L’eau de la Mer Baltique et celle du Japon, de la mer d’Okhotsk, de Béring, de Kara et celle de Barents ; l’eau de la mer des Laptev, du Groenland et de Norvège bientôt montera. Le corps est pris par les sens, le cœur lui tenant lieu d’aurores désordonnées. La fin est commencée, bifurcation ; c’est par là que ça commence. Ça exhale et veut parler, précipiter la fuite. Pas de mots. La mémoire, les lignes sont dans l’œil – innées –, et les parfums en conscience des pores, prophétie par ce pertuis qu’il faut franchir. L’eau de la mer du Labrador et de Beaufort, d’Andaman, de la Mer Jaune, de la Mer Rouge et celle de Java bientôt montera. L’odeur de la nuit est d’une sauvagerie qu’ainsi et mémoire, hallucinés par les ombres et leur tapage qui passent par les failles de l’enclos, admettent sans illusion. Déjà le rut d’un souvenir plaqué sur les reins du rêve, mais sans jamais perdre de vitesse sa durée vertébrale et gazeuse. Ça respire, entend et voit. Cet impossible lieu parle plus vite que les mots. Le corps y est coupé par l’attente, mais respire encor la hâte de commencer. Le souffle menace même d’aller plus vite à sentir l’imminente rupture. N’y rien attendre est une urgence d’éther.

L’eau de la mer de Timor, de Célèbes, de banda, d’Arafura, de Bismarck et celle des Salomon bientôt montera ; l’eau de la mer des philippines, de la mer Blanche, de la mer de Sibérie, de Corail, de Marmara et celle de Tasman aussi. Et puis après tout, qu’importe ; nous nous ignorons tellement. Tourné vers le visible et l’invisible, tenant dans la bouche la clef d’un langage, l’esprit aussi concret que l’air, néant ne change rien au tout, sinon que voudrait dire le réel si sa masse n’était critique, se dissolvant et coagulant en permanence ; si son aria n’était ivre de ses aubes aux condensations brûlantes.

Extrait de SANS CESSE de Gilles VENIER

Festival Permanent des Mots

Dans la Revue Festival permanent des mots, une note critique sur le dernier recueil de Gilles Venier, Terre-à-terre.  Que du bonheur! Vifs remerciements à Jean-Claude Goiri.

Note critique:   http://www.fepemos.com/single-post/2017/05/17/Terre-%C3%A0-terre-de-Gilles-Venier

Festival Permanent des Mots: http://www.fepemos.com/

 

Terre-à-terre – Poésiechroniquetamalle – Patrice Maltaverne

Publié par Poésiechroniquetamalle, l’espace critique de la revue de poésie Traction-brabant dirigée par Patrice Maltaverne, un compte rendu critique du dernier recueil de Gilles Venier, Terre-à-terre, ici:  http://poesiechroniquetamalle.blogspot.fr/

 

Terre-à-terre – Gilles Venier – 16 pages

Editions Encres Vives http://encresvives.wixsite.com/michelcosem/edition

Le bruit court que l’homme n’est pas.

 

http://lithoral.fr/polaroid-dessins-a-lencre-de-chine-sur-tirages-polaroid-non-reveles-serie2/

Les coïncidences sont toujours éconduites.

La respiration des arbres, des sons et de la lumière.

Ce fut une pluie d’astéries, ___ mais en juillet de quel monde ?

Les Arbres – l’Herbe – le Vent, le Ciel – l’Eau ; Entête du vide.

Vers quel néant, les mystères ?

Même solitude, même providence ; la soie du silence.

Le bruit court que l’homme n’est pas.

L’agilité, c’est le rêve.

Dormons du sommeil des saules sur les copeaux de bois mort.

Az-zahr et al-kymia qu’un souffle suffit à dire.

Dans les soies que la langue caresse, on cherche, mais sans jamais y parvenir, le déséquilibre des parfums amers.

Entre le nez et un bouquet de menthe, l’espace se vide, le départ est constant.

Nous sommes juste d’aujourd’hui, dans l’absurde et séquentiel agencement des pertes.

Je ne me souviens pas avoir voulu dire autre chose. Je témoigne n’être jamais sorti du labyrinthe.

Une sphinge somnole, ancrée au comptoir du bar de la poste.

R.N

L’étoile du monde

 

« Collage de convalescence » 70 x 50 cm. L’Etoile du monde, en référence à une gravure originale de Onuma Nemon.
« Collage de convalescence » 70 x 50 cm. L’Etoile du monde, en référence à une gravure originale de Onuma Nemon.

 

 

« Amour. tes jambes fleuries de veines. Voilà la forme du vide.

Éclairs.

Chant armé de signes.

Le rêve constitué de ses ruines ne suffit pas. La vie si.

Le regard coud nos corps-fruits à des fuseaux de sang.

L’art et le rêve ne suffisent pas,

la vie si.

Mais l’art et le rêve ! leurs prières, leurs décharges de oui électriques. »

Extrait de SANS CESSE (Suite) – Gilles Venier

 

Patrice Maltaverne Double séparation Editions du Contentieux

Double séparation, c’est d’abord un rythme, une pulsation qui fait de ce texte un monologue très inspiré. J’y ai entendu une véritable voix accompagnée par de longs et lents riffs de guitare électrique.

Ce murmure atonal parle de l’humanité, de ses visages et de ses regards en abyme.

Pour moi, Patrice Maltaverne est un vidéaste.

Son œil est sa caméra. Il regarde ces regards, suit tous ces corps en mouvement empêtrés dans l’espace où mystère et réel étroitement liés ne leur facilitent pas la tâche. Comme tout grand photographe, ce poète est aussi un peintre, c.-à-d. celui qui voit dans le moindre geste la réverbération des êtres et des choses.

Sa vision est tactile. Mais il sait que tout ce qui est observable à travers l’invisible est aussi question d’interprétation.

Sous nos yeux, le développement du négatif, la translation est permanente mais jamais tout à fait complète, même si parfois les hypothèses poétiques de l’auteur apparaissent soudain comme de terribles évidences. Le film (le chant, le poème, la musique) se poursuit implacablement dans la lenteur comme une prière, une conjuration du sommeil et des fictions qui savent eux parfaitement polluer le songe et le langage.

Oui, il y a quelque chose de désenchanté dans la prose de Patrice Maltaverne, mais on pourrait écouter son blues sans cesse jusqu’à ce que le silence finisse par gagner.

« Il serait normal / Que nous allions dans le même sens/ Indistinctement vers la nuit/ Sans rien nous dire / Ensemble soudés / Comme du métal de portière.

 

5 € Aux Éditions du Contentieux

7, rue des gardénias

31100 Toulouse

 

http://pascalulrich.blogspot.fr/p/editions-du-contentieux.html

syn-t.ext de Mathias Richard

syn-t.ext Mathias Richard

Sortir du neutre, de la neutralité, affectivement, spirituellement, charnellement. Mettre sa peau sur la table. Danser son souffle jusqu’à la folie. Écrire sa danse. Danscrire, transcrire sa danse la langue en avant. Rester fou, et dans ce devenir, rester en  mouvement dans la nécessité de dire et de taire, de comprendre (se comprendre), « On nous dit que nous sommes des concurrents. Toi tu te dis que toi et moi on est concurrents. Moi je pense que. Nous ne sommes pas des concurrents. Nous sommes des alliés. » connaître et commencer sans cesse. Voici ce dont il est (en partie) question dans ce texte.

Même si du syn-t.ext il est dit par l’auteur qu’« il représente un point où la littérature s’effondre infiniment sur elle-même », pour moi, cela reste de la littérature ! et de la bonne ! Impossible qu’il puisse s’agir là d’une diatribe antilittéraire. Là où à chaque page ça hoquette, râle, raille, s’éraille, menace, chie, aime, rêve, espère, désespère, arrache, prie et combat, écrit à haute voix que « tant de la réalité se passe loin des mots, loin de la parole », j’y ai senti pour ma part des averses de langage, des bombardements de mots particules atomiques d’une pensée musicale ; un précipité amoureux.

Certes, dans le labo syn-t.ext on n’y romance pas, mais on est au travail ; dans un travail de rassemblement, d’assemblage et de recombinaison, donc de structuration, puis d’étoilement ; dans le travail pneumatique d’une langue différente qui ne communique pas mais, se disséminant, opère aussi sur sa matière même, sa substance transmettrice.

On est dans un « crâne vitrail », dans un « quartier à la cervelle de rat », un non lieu, un envers où tout s’engouffre, et où tout est repris. Ce syn-t.ext n’est donc plus simplement un poème, mais une sorte de nucléosynthèse poétique. C’est un souffle lié à d’autres respirs qui constamment reculent leurs limites ; un dire en équilibre précaire mais qui sans cesse déséquilibre ses propres hypothèses, disperse ses condensations, précipitant entre eux les mots les plus légers afin d’atteindre une lourde masse critique écrivant le réel.

C’est du gros son et de l’ultrason, de la lumière en mouvement. « Chaque âme est une magnifique centrale nucléaire. Rassemblez-les, vous avez le soleil » (amatemp13). Enthousiasme, extra lucidité, objectivisme et pessimisme, voici les grands ressorts d’un brûlot poétique où s’embrase instantanément toute métaphore.

Entre le contenu très solaire du chapitre Whatever it takes et la très artaldienne page 143 « Je n’approuve pas mon corps / Je n’approuve pas mon existence / Je n’approuve pas les molécules qui me constituent / … etc. je ne relève aucune contradiction gênante, mais les sursauts symptomatiques d’une âme et d’un corps scintillants vifs dont les particules élémentaires s’excitent probablement selon les variations de l’intensité magnétique terrestre, du récit de l’univers.

On comprend tout d’emblée, même si l’on n’est pas titulaire d’une maîtrise de science ou de philo. Ça se lit par bloc. Ça rentre instantanément par l’œil pariétal, impactant directement les plexus et rachis. Il faut voler, reprendre à son compte ce syn-t.ext, le faire voler, et à son tour s’envoler avec ses métamorphoses, ses mutations, ses vertiges : toutes les cristallisations d’une pensée et d’une parole qui n’ont pas d’autre intention finalement que de se défaire de leur enveloppe charnelle.

Comparaison peut-être un peu osée, mais oui, j’ai pris ce syn-t.ext dans le buffet comme lorsque je découvris -il y a quelques années déjà- Paradis: avec émotion.

 Allez, encore un petit extrait de syn-t.ext, pour la route : « je t’en supplie, lis ces mots et réponds-moi en détails dans mes rêves. | Au revoir au jour qui est là et que je ne vois pas. | Au revoir au jour qui est là que j’aime et que j’ignore. | Ce que je veux te dire n’a pas de fin et je m’arrête ici. | »

À suivre …

Gilles VENIER

 15€ Chez Librairie Editions tituli (Amazon, Fnac, etc.)

www.tituli.fr   tituli Editions

Prière (Ecrire) Editions ENCRES VIVES

 

Prière (Ecrire) éd. ENCRES VIVES

 

–—

Sommes-nous vraiment en bonnes compagnies,

sans armes et sans crimes

abouchés au devenir

d’un entrelacs de souvenirs,

 

où se télescopent anachroniquement

indulgence, ironie, petitesse, exclusivités, exemples, lâcheté,

certitudes,

 

liaisons accumulatives

et flexibles ?

 

 

,impersonnelles vérités, écrire Si

elliptiques ,inattendues

consiste aussi à lire, voire pis,

 

qui d’un crâne fleurira de petites capitules

les hypothèses du rêve et de lucidité au millimètre ?

 

–—

Dehors, assis parmi les voix

dans l’inversion des climats,

un sommeil ardent, les remous d’une langue aveugle :

voir enfin,

 

peut-être même dire les nerveux tournepierres

acharnés fouilleurs des estrans

sous le ciel poudreux de la cimenterie,

 

rendre compte, acter

 

mais quand, avec quel langage ?

 

–—

S’INVENTER

un plein vide.

 

Rassembler et en disperser les sons.                             Resserre ta pensée.

 

Dans l’enclos, ce monde feuilleté de figures, – lesquelles n’entendent pas leur propre récit d’éloignement, leur séparation intime et profonde avec l’autre partie de leur être,

où toutes les solitudes et leur représentation transhument lumineusement –,

ça claudique, oscille partout méchamment.

Chorégraphie des solitudes, des représentations.

 

Nous disparaîtrons sans n’avoir jamais rien perdu ni personne.

 

Prière (Ecrire) Collection Encres Blanches N°660 Mars 2016

lien http://encresvives.wix.com/michelcosem

 

ça dit quelque chose

 

Gilles Venier. Ça dit quelque chose Pdf

Tramway Pierremmanuel PROUX

 

Ça dit quelque chose, mais sans l’essence des pins, les cristaux et les rincées enluminées des pluies qui invitent le hasard à prolonger le récit.

Ça se produit assez fréquemment. Ça archange l’instant, et sa manifestation ne dépend pas que de moi-même.

Ça ne s’écrit d’ailleurs pas, ce cas de renversement intérieur, cette vérité. Ça va bien au-delà.

Extrait de « Prière »

 

 

 

 

 

 

 

Photo © Pierremmanuel PROUX

nullusdies.com

Aïon – Editions Encres Vives

Après le kairos et le chronos, voici l’éternité, qui n’est pas linéaire ni cyclique, et nous réserve bien des surprises, des temps renversés et renversants, inversés et subversifs; la création se tait : crainte respectueuse de l’homme auquel elle ne veut pas faire de mal? Attente du dialogue humain pour oser bruire de feuilles, fleurs, pleurs, cris et balbutiements froissés de la bogue tombée ou du cerf solitaire… la création se tait… Le temps n’est plus comme un simple Charognard, temps obscurs des Ténèbres de l’Érèbe, où les dieux acceptaient d’être dés-altérés, par l’eau humaine dont ils se nourrissaient et qui les apaisaient : le sang, cette carte d’identité archaïque… C’est aussi pourtant le liquide qui rend frère aussi, non ? Mais vient peut-être maintenant un temps-révolution, celui de Nyx, la Nuit, qui ne connait pas le logos mécanique, ritualisé… Ce temps là métamorphose la Nuit en Jour, et signale un temps autre, « enroulé dans le secret » de chaque être, ignoré de lui, intuition confuse d’une des réalisations possibles de l’être… Aïon… pour l’homme sa double nature, mortelle et divine, superposition de toutes les temporalités, sortie du cercle et de la sphère image du Parfait, pour avènement de la troublante perception du voyage des quanta vers on ne sait où, réunion, destruction, fusion, mondes parallèles, trajectoires discontinues, déformantes, changements, spectres gris, ni ronds, ni carrés, ni donc spectres… Devenant autres, d’un Ordre autre, colorés par la seule poésie

Oui, la vie est Prière, et la Prière comme l’Aïon, des encres vives du silence de l’écriture nées de la fenêtre souffrante du poète

Brigitte DUISIT

Les textes Aïon et Prière, signés respectivement par Régis NIVELLE et Gilles VENIER, ont été publiés en 2014 aux Éditions Encres Vives.

Des extraits de ces textes paraissent ce mois-ci dans la revue de littérature l’intranquille,revue liée à l’atelier de l’agneau éditeur http://chronercri.wordpress.com/lintranquille/

Numéro 6 de L’intranquille

Dans ce Numéro 6 de l’intranquille, un superbe dossier réalisé par Dominique Minnegheer sur la poésie Argentine.

Un travail très intéressant mené autour de la problématique de l’écriture et du dire en poésie du point de vue de l’écriture polymorphe des poètes Argentins ou sud-américains et de la résonance critique de cette poésie au regard de l’histoire contemporaine.

Tous les auteurs /auteures et leurs travaux sont très intelligemment présentés, sans que le mythe Borgésien ne vienne « polluer » l’approche.

On y retrouve cependant l’énigme du texte pris entre allégories et réalité, mais aussi et surtout l’énergie -parfois celle du désespoir- et souvent la lucidité et l’audace (énonçant l’insupportable) de parler à la mort -parfois face à la mort- , de convoquer l’histoire en abolissant le temps ou à contrario en le rappelant, d’ouvrir un dialogue avec les forces obscures de la pulsion de mort comme avec celles qui créent et célèbrent la vie.

Ce que disent ces poètes est précisément ce qui ne peut se dire ou plutôt ce que l’on ne peut malheureusement presque jamais entendre hors du champ littéraire, parce que ce dire INESTHÉTIQUE (par opposition à l’illustration esthétique commune abondamment répandue par l’ordre médiatique et par l’ordre tout court) énonce explicitement les preuves accablantes d’une lâcheté ou d’une paresse collective dont les fictions -généralement entretenues par des intérêts consuméristes ou par la peur de l’autre, l’oubli etc.-, se substituent bien souvent à la contradiction du débat rationnel ou à l’intranquille expression artistique qui suscite sinon l’émotion, toujours un questionnement relatif à ce que nous faisons de notre vie.

Instructif cahier Argentin donc qui se révèle être, d’une certaine façon, un ensemble témoignant de l’originalité de la dialectique poétique et la justesse de son expression critique en prise avec les distorsions sociales, l’injustice économique et la barbarie, et de toute manière une formidable introduction/incitation à découvrir ou à redécouvrir les œuvres de ces très beaux représentants de la littérature hispano-américaine.

Pour ce qui concerne l’autre partie de la revue, ce sont les traducteurs qui ouvrent ce numéro 6 et proposent sur une vingtaine de pages des textes qu’une délicieuse porosité mutuelle rend étonnants.

Dans un autre dossier, au fil de créations toutes plus singulières les unes que les autres, on y  échange autour de la question du « Genre  » où les poèmes des intervenants actent un lien direct entre le réel et le langage.

Coup de cœur pour les textes de Besik KHARANAOULI – pardon de formuler ici quelques  préférences dans ce riche ensemble -, pour Marie COSNAY, Marie FRERING, Nina JÄCKLE, Abel ROBINO& Bernardo SCHIAVETTA, Denis-Louis COLAUX, Jean-Marc PROUST, Nini BERNARDELLO, et un petit (gros) pincement au cœur pour la présence de Héctor Viel TEMPERLEY qui est pour moi l’un des plus grands poètes de cette Argentine Éternelle.

R.Nivelle

 

http://www.atelierdelagneau.com/spip.php?article185

http://chronercri.wordpress.com/lintranquille/ 

Extrait de SANS CESSE -Paysages

Et cet irascible coq que personne n’ose trop approcher, qui se pavane et terrorise les poules derrière l’épicerie, dans le jardin potager. Ou cette jument qui, au détour d’un chemin, charge furieusement les passants habillés de couleurs vives. Toute cette force sauvage retardera la mise en faillite du commerce paternel et la visite de l’huissier durant deux hivers.

Depuis la banquette arrière, difficile de comprendre comment le conducteur et sa voiture trouvent le passage dans cette densité noire. Les phares et leur faisceau jaune n’éclairent que les arbres de la forêt semblant vouloir à chaque virage se précipiter sur l’automobile.

Depuis quel endroit, à partir de quel moment, quel entretien, éblouissement ; depuis quelle fêlure la réalité ? c’est une source qui t’a dit que les morts se rassemblaient dans les saisons, les instants et les bruits. Sounds and songs ! serviteurs du vide et de ses parfums.

Le boucher sur la place du village : son avant-bras est totalement plongé dans la gueule du berger allemand qui écume et saigne pour s’être fiché, dit-on, une esquille d’os de bœuf au fond du palais.

Les hautes chambres sont misérables, tout va à la force.

Sacrés, les grands sacs à grains en corde aux bords ourlés sur le café ou les légumineuses qu’ils contiennent. Derrière le comptoir, la sensation délicieuse d’y enfoncer tout un bras.

Tu es loin et ici : inexplicablement. Le bruit surpuissant du moteur d’un autocar qui passe à proximité, abat toute la réalité. Tu es à la porte réservée de l’absence. Appartenir toujours à l’enfance.

 

Chroniques réécrites – Anaérobiose de Mathias Richard – Éditions Le Grand Souffle

Anaérobiose de Mathias Richard – Éditions Le Grand Souffle 

En 2009, j’écrivais à propos d’Anaérobiose, de Mathias Richard, que ce récit était pour moi un texte sensitif par excellence ; un texte cœur, sexe, main, bouche âme et œil tactiles d’un périple en tous sens.

Je n’ai pas changé d’avis. C’est à la fois d’une telle tendresse et d’une telle force, que cet hymne au vivant, le chant ivre de Melrobor-Vampor, se déploie sous les yeux du lecteur à la vitesse de la lumière.

Au fil d’une traversée de l’Europe qui le mènera de Montreuil jusqu’en Turquie, et au gré des rencontres qu’il y fera, c’est dans un langage total en prise directe avec les impacts du réel que le narrateur nous entraîne.

L’écrit sans artifice ni concession dispose en effet du réel sans jamais le trahir, s’approprie du tangible l’infini champ des possibles.

Doté d’une langue pure et insoumise aux fictions des représentations ; d’une langue libre qui ne reconnaît pas d’autre urgence que celle de faire vibrer le corps-verbe, Mathias Richard, retrouve, révèle et rend hommage à l’imperceptible trace de l’âme jusque dans l’asphalte ou nos déchets domestiques.

C’est brut, très beau, et ce n’est peut-être pas non plus tout à fait un hasard si le trajet du voyage passe par la petite ville de Montignac, non loin de Lascaux, ou bien encore que ses compagnons de route d’un moment s’appellent Zach Ovide, dit l’Ogre, Lianh ou bien Annah.

De ce texte ne se dégage donc pas seulement une histoire ou des histoires, mais également la nécessité qu’éprouve l’auteur à évoluer en permanence au delà des mots dans le don pluriel de l’agir, par cet acte sacré qui consiste à joindre l’acte à la parole, mettant en œuvre l’être et le monde dans un rapport essentiel capable de faire naître des lieux et des instants comme autant de sanctuaires qu’une conscience habiterait de sa permanence spirituelle.

R.N

http://www.legrandsouffle.com/en/site-edition/livres/livres-hors-collections/27-romans-recits

Chroniques réécrites – La spirale de la parole – Guillaume Bergon

La spirale de la parole de Guillaume Bergon – Éditions Caméras animales

 

De la lecture de ce texte, on ressort épuisé, l’esprit presque défait.
Mais l’intention de l’auteur n’a-t-elle pas précisément pour but de nous entraîner dans une lecture basse d’abord puis, au fur d’imprégnation rythmique, dans une sorte de vortex qui nous enivrerait au point ne plus trop savoir ce que l’on est en train de parcourir de cette spirale?
Dans une autre critique de ce texte, je crois avoir évoqué une lecture asphyxiante. Je préfère plutôt parler aujourd’hui d’une lecture littéralement saturée, en prise avec un incessant flux nominal.
D’où peut-être cette impression d’immense fatigue pour avoir été confronté à une forme d’expression qui en quelque sorte se nourrirait d’elle-même et, semblable à une transe extatique, s’ouvrirait sur un néant, une non-pensée ou pour le moins, une sidération de la pensée.
Sommes-nous confrontés à une œuvre d’art ? Ce qui est sûr -à mon sens-, c’est qu’en faisant ainsi front à la pensée, en la malmenant et la défiant, l’écriture prend sous cette forme le risque de s’éloigner de la parole ; ce que le titre du livre semble pourtant vouloir démentir. C’est donc bien de l’imminence d’un néant dont il pourrait être question dans ce texte derviche, d’un tournoiement à l’à-pic du vide rarement ainsi approché ; autrement dit, ce qu’on ne préférerait autant pas apercevoir du vide, alors que nous girons tous vers cette totalité.
Y a-t-il lieu alors d’y deviner les signes avant-coureurs d’une métamorphose de la pensée ?

À la réflexion, je ne crois pas.
Reste qu’une telle expérience de lecture, pour déconcertante qu’elle puisse être, est vraiment à risquer.

R.N

http://www.camerasanimales.com/livre06.html