On l’entend parfois cette langue accrochée au cri, accrochée au réel qui ne veut rien céder à la magie et aux fictions. C’est une langue agrippée au corps, par le corps agrippé que le souffle tend, et qu’une mémoire plurielle fait entendre. On l’entend lorsqu’elle nous saute à la gorge et nous tord le cœur. Et lorsqu’elle nous parle depuis ce Pays incertain qu’est la poésie, on entend alors davantage les scansions d’une polyphonie conjurant avec force ce qui dans l’existence menace de trahir les ombres qui hantent encore le présent de leurs figures immolées pour que vive le poème.
Difficile de refuser cette rhapsodie, tant ses voix nous envahissent, tant leur souffle augmente notre respir. Ainsi, nous rejoignons par amour, à voix basse, pulsée, ces blues noirs, ces récits d’être, ces lents ragtimes aux lambeaux d’or et d’ombres syncopés. Ainsi nous voilà en leur compagnie à poursuivre cette quête de l’impossible, ce désir – par désir – qu’éprouve Grégory Rateauà recouvrer le ton vif des paroles qui se sont perdues, à rouvrir des villes le dédale des rues à l’aventure des cœurs, redessinant à l’adresse du ciel la figure des amis, les amours, l’ivresse de vivre et d’aimer que les murs de quelques saintes piaules ont gardé en mémoire.
Lier le réel, l’incompréhensible au présent pour « coloniser le ciel », pour en somme retrouver l’enfance, l’ignition sacrée, c’est défaire le théâtre de la réalité de ses allégories en entrant dans une danse qui ne cesse pas d’entraîner les mots et les gestes à remuer, à labourer le vide dans une chorée ardente d’où naît ce qui doit s’écrire: une parole qui soit « capable de nommer toute chose par son propre nom » et « descendre dans les limbes pour y porter le feu »
« Je voudrais tout cela et bien plus, » poursuit Grégory Rateau « je voudrais retourner dans ce pays incertain où les souvenirs sont comme des villes en construction, avec des axes compliqués, des passages secrets, une vie de village pour chaque quartier, des ragots pour peupler de futilités les dimanches sacralisés. Des tasses se rempliraient toutes seules, les heures ne pèseraient plus sur nos consciences, les fins de journées seraient enfin dépouillées de cette chape de plomb, du prix d’un effort totalement vain et où les jeux d’enfants reprendraient enfin goût à ce rien qui n’a pourtant pas de prix. »
On l’entend parfaitement, chez Grégory Rateau, cette langue accrochée au cri, accrochée par l’impossible. C’est celle d’une pensée vivante se mouvant avec une force rare qui nous parle d’une quête d’absolu.
Le Pays incertain – Grégory Rateau – Préface Alain Roussel – 64 pages ISBN 2355773386
« Aujourd’hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. »
Albert Camus – L’Etranger
Ma parole n’est pas autre chose qu’une musique de buée sortant de ma bouche
Février en ce jour froid est un lavis de brume
Ton époux ne te cherche pas puisque tu lui tiens la main
il ne cherche pas non plus à t’embrasser
il hésite
comme un cheval mal guidé
On marche à travers les draps que le ciel suspend
Ça sent la rouille
Nous ne partons pas choisissons la solitude de la complainte du rougegorge
Notre souffle est-il bien le nôtre ?
Dehors comme à l’intérieur l’oraison du voyage
On entend une respiration
Les forêts psalmodient le vent et la boue
Partout le même chant obscur du monde
Nous nous souvenons de ce qui fut et demeure
nus dans le vase de notre mère
et qu’en chaque maison se consume un lieu sacré
On emprunte des rues des cours des jardins
où l’absence se manifeste par coulées de parfums
Des visages et des corps même enfuis sont rejoints
Par incendie d’intuition
– saoulerie de lumière
marées de ciels de céramique bouquets de pivoines
par dunes de genets
champs de lapiés aux herbes rases de coquelicots et de chardons
d’arbres de ruisseaux – et tout ce qui éclaire et anime
les voix de l’air la pluie les arômes de menthe et d’aubépine –
on parle de la terre
la terre de paille et de silex
un vol de départ dans la gorge
et à fleur de peau
un frisson décroche le cœur et l’âme
les fait sauter d’étage en étage sans prendre l’escalier
Au milieu des herbes
on chante tout bas ce qui frappe nos semences
toutes graines battues en chair et en musique
chemises ouvertes sous le vent
Quand tu pris la décision de ne plus attendre
l’eau tomba averse dans nos bouches
depuis le câble téléphonique
et nos cœurs se mirent à battre un sourd vacarme d’orphelins
où s’est fixé ton visage mais aussi ta voix
sa danse
dans sa lenteur basse mais claire
lorsque que tu lançais ton chant de dimanche
dans ta maison du peu bien rangée
Maintenon – Ton cœur germe entre les pavés de la cour
disjoints par le vent le soleil et l’eau
Tu es de ce lieu où
par le songe d’une bourrasque de feuilles
sous un rideau de pluie froide
les oiseaux ont porté et glissé ton corps
Tu es aussi cet autre et même lieu-visage
une pensée du royaume
un sommeil
Que des gestes
ou presque
alphabet silencieux
si familier et étrange à la fois
Ainsi des mains murmurent la soif
sans appartenir aux larmes
Ainsi s’écoutent des chants
s’enfantent
des souffles-gestes
Des animaux invisibles
se faufilent parmi nous et parlent tout bas
eux aussi
en penchant respectueusement la tête
Âge de la lune 23,80 jours
Les cœurs s’envolent
Le chant s’élève
La peau soudain écoute le vide
l’enchantement d’un chant de coquillage
conque rose et nacrée de tous les commencements
naissance de la fin et du début
Le rêve est nu
la parole court recouvre sa forme
s’emplume s’enroule
aux spirales de l’air
Paroles et corps transparents
ruissellent maintenant d’une mémoire à la vitesse prodigieuse
Frôlement d’un fluide aérien
impondérable lave de conscience
rumeur d’une mutation
– On évite de regarder le ciel
L’assemblée se meut
en une chorégraphie indécise
Ainsi monte
une prière
un bruissement d’avant le monde
– les morts sont en voyage
Tous les 9 février
je te préparerai un thé mandarine
Maintenant tous les matins et les midis se soulèvent
Pulvérulence
ton corps va disparaître
Il a disparu
assis dans le feu de sa parole
l’air et l’eau de ta parole
inconsolable iridescence
pour une autre respiration
Alors il y a le silence
traversant les draps de ton lit de ses crosses de fougères
mais il n’y a ni fosse
ni Hadès
Par colchiques et renoncules
tapis de jonquilles
pieds de soldanelles
de scilles à deux feuilles (les étoiles bleues)
et satyrions rouges
par champs de reines des prés
de chardons bleus
pieds minuscules d’orchidées sous les épicéas
de lotier et ses petits sabots
de Circes mauves
ou par petits artichauts de joubarbe
mousse fleurie de silènes acaules du Queyras
sommes du sang d’un respir
Dans le jardin
j’arrose doucement les rochers
D’où nous sommes
nous continuerons à te parler simplement
par corps de danse
oiseaux de neige
par descentes dans nos eaux
transformations et ravissements dans notre jardin
résonnant de ton offrande
jusqu’à ne plus le pouvoir
Tu nous frôles
et c’est l’air vif non tes cendres
qui nous houspille aux garennes
dans la remise aux cageots
jeunes idiots courant derrière
les poules pour leur casser les pattes
avec nos bâtons frottant l’air
comme des rhombes
Et c’est un vivant « nom de dieu ! »
qui s’abat sur nous
nous corrige et fait aboyer les chiens
nous ordonnant de regarder le monde
avec le cœur au bord des yeux
et dans l’oreille
la chanson des lisières
du temps austère des animaux
Tu avances encore
en te cognant aux meubles
distraite légère et grave
Les terres et des nuées d’oiseaux
s’élèvent avec tes pas
jusqu’à à l’à-pic de la falaise
où la forêt luth ses marées lunaires et la garenne
en chapelles d’ombre et de lumière
dominent la vienne
Maintenant nous ne pleurons plus
car il nous reste le récit du sommeil ardent
visible partout
ruisselant de rosée
que les gens de peu savent lire
Héritage du matin
squelette pneumatique
ailes pulmonaires
infatigable dire du cœur
diastoles et systoles à l’adresse du ciel
sans hâte au jardin
pieds nus
et autour du nu de l’arbre
un feu sans flamme
ouvrant l’air
Je t’y reconnais
tu es là quelque part
en équilibre
recueillant l’aria du vent
son vêtement de verre
m’emmenant toujours jusqu’aux fontaines
embrasser l’eau et les mousses
entendre leur souffle
et goûter ce que les arbres nous racontent des sources
où chuchotements et visages
entrent en résonance
où nous sommes les hôtes de toute pierre
des temps
et de l’eau aussi
Le vide nous rêve sans corps
Tu as suffisamment imploré le soleil de ne pas accabler ta présence
tant prié tournée vers l’esprit
et tant souffert de mes colères
pour que tu ne meurs jamais dans ton énigme
d’aster et d’orchidée
Ishtar sous l’étoile
juste et aimante
Aube de verre
un sphinx-colibri
un azuré et un petit fadet
habitent les abelias
Reprise d’un langage oublié
le balancement est profond
J’appartiens à la mer – yam
Elle me dit : « épouse-moi
œuvre dans ta parole »
mais j’ai oublié mon nom
pas encore imago
être-son
Tôt ou tard comme toi
je disparaitrai et reviendrai sans face
pour enfin voir
Alors les jours et les nuits passés sur mon livre muet
où des fleurs éclosent et meurent instantanément
tiendront dans l’éclat d’une seconde
Quand viendra ce moment
dans la crainte mais sans désir et sans peur
je serai adossé à la dune
Aurore !
Quelqu’un dispose une feuille de chêne
et des brins d’oyat
entre mes lèvres
Les iris les lis martagon et les gentianes
poussent dans ma bouche !
Ce sont tes mains oui
qui ont guidé les miennes
à couvrir d’encre des tiges de roseaux
Ta tête a tourné ma tête
vers les pierres et la mer
Sous ta peau
j’ai vu se glisser des saisons
les halos d’un vide vivant
l’éternel neuf
Implosion assourdissante
Je suis sourd assis devant la mer
immobile enfant encore inaccompli
Ça fait pourtant des lustres que je suis embarqué
avec toi
corps-lumen
te suivant en suivant le pas des arbres
Mon visage est le tien
fenêtre submergée de ciel et de poussière
comme une vitre de cabane
contre laquelle se heurtent les oiseaux trop pressés
et ta bouche-tissu
aux fines lèvres de silence
dessine la source des temps
Tout est là
en nous-mêmes et en-dehors
sommes mus
même sans substance
Entre silence et parole
le geste et l’objet
UN OCÉAN
où se démembrent
se mangent nos signes
en émeutes vertigineuses et sacrées d’ambre et de corail
herpes que les grandes maréesdisséminent
Mère
l’ivre de lumière et de nuit
écoute partout la mer
Je te parle assis dans le vide
bois dans la coupe de tes mains
dors en ton pays
L’eau tombe dans mon corps
mais c’est toi me buvant
l’espace lisant ma peau
l’eau de ma prière
Je te parle depuis un songe maternel
mangeant et buvant ses bruits
Semence frappée est-ce bien ma demeure ?
Asile à la nuit pleine
la lune est bleue ou blafarde
mais on chante à plusieurs
aux vibratos des pulsars
Nous ne sommes pas seuls
partout est la demeure de nos mémoires
Écrire n’est rien le corps peut le dire
Tout est dans le sans nom
que le vide
l’esprit et la matière portent au feu
la torche étoilée de l’iris
N’écrivons pas
Lorsque je t’aurai rejointe
nous nous assoirons au sein des voix des murmures
nous laissant enrouler
par la vitesse
la lumière et les ténèbres
Et nos mains
toujours assoiffées de figures
de lèvres vives
de pluie
attraperont les mythes par les cheveux
Jusqu’au plus léger dire
vagabonderons
passerons même une journée à Tübingen
où André en uniforme nous rejoindra pour t’embrasser
Quels autres furent tes amants ?
Feignant d’être surprise sur le fil de ta mémoire
tu souris en portant tes mains sur ta bouche
Ton Adam fut amour en tes deux feux vivants
du jardin jusqu’à ta main
de tes eaux jusqu’à la porte de ton cœur
apprenti de tes voiles de tes parfums
Avec toi migre ma pauvre langue
aux herbes odorantes
adoptant la respiration des nuits et des jours
qui chante les bois frais
les carex les iris et les prêles des marais
Car c’est toi qui crées les euphorbes
les nuées aux lés mauves et argentés
les hortensias bleus de l’ile de ré
toi qui couvres d’orichalque les falaises de la corniche basque
au coucher du soleil
et ordonnes à la bise et ses framées de gel
de dessiner sur les vitres des fenêtres
les partitions fractales de l’eau et de l’air
Transporte-moi du bord des lèvres
aux mains ailées ouvertes et spatiales
Profère ce qui nous traverse
nous dépasse
et pare les choses inexistantes
Murmure-moi ce que racontent l’eau
les résurgences
le puits salé d’Ugarre
et les sources de la Nive en forêt d’Orion
toutes les sources et toutes les fontaines
les arcatures des châtaigniers à Bidarray
et le peuple des grands pins à la gemme ambrée
du col de Gleize vers Chaudun
l’odeur fumée des feuilles
la fumée des brûlis
l’offrande parfumée que les feux de bois morts
adressent au silence
Énonce à l’adresse de l’intelligence sémantique artificielle
que du nœud via l’aisselle
éristale remontant par le pétiole et toute la nervure principale
tu vas vers le limbe de la feuille
d’un pétale ou d’une corolle
Fais-moi danser tes chuchotements
avec les enfants qui naissent de ta bouche
et des hésitations de ma pensée
Joue avec mes sommeils ma folie !
fais-moi voler
anagrammatise mes formules mes pauvres laisses
Tu sais le vide
la mer sous le désert
l’asile les points de vue – la conjonction des opposés –
le futur déjà accompli
l’Eden juste là derrière le plexus
les plis le filtre les voiles
l’entre aérien la dérive
le lieu entre ma bouche et le ciel
la figure du monde
Tu es ce langage libéré vers les choses et toi-même
ce tremblement subtil
qui nourrit une infinité de paysages
Tu sais tous les chemins les dunes et les collines
les corps qui s’avancent vers nous
les bleus électriques de la gentiane ou de la pervenche
les feuilles poisseuses de miellat du tilleul à Confolens
Tu sais dans l’or cerné de noir de l’été
les troncs tourmentés des genévriers de Saint-Crépin
l’immense clarté qui nimbe les mélèzes
éclabousse ta jupe à carreaux bleus
et que nous sommes unis à l’arnica
par le souffle qui échevèle les cirrus sur Guillestre
Car rien n’est au passé
Tout danse en permanence
les lis turban et le génépi de la haute vallée du Valgaudemar
les argousiers givrés du chemin du village de Romette
Célébration à chaque caillou
immergé dans le Bastan au lit de grès rose
Tu pèses et examines chaque pierre
baptises une mémoire
un sexe lavé du mensonge
– Artémis
ourse tenant toujours ouvert au vent
le livre-monde et ses pages-plumes guérisseuses
que tu caresses tournée vers le vide
vers toi-même
sans corps
plage infinie peignée par la mer
Tu verses goutte-à-goutte une infusion tiède de fleurs de
camomille dans mes yeux malades
Tête renversée sur tes cuisses dans la maison de Saint-Astier
je vois de ton visage un vitrail kaléidoscopique !
Transmigration de ta bouche vers ton front aux cheveux
d’algues
Tes yeux vers le plafond s’étoilent puis se liquéfient en cire
fluide et brillante
le feu et l’eau jouent avec l’air
comme avec les contours de ta tête et le fil de tes mains
damasquinés de rivières blanches ou chromées
le Drac blanc déjà !
Et depuis
toujours les mêmes et différentes figures
avancent dans cette irisation mouvante
Les corps s’y meuvent en mystère
parmi les choses qui nous regardent
se tournent vers nous
vers ce que nous sommes
à notre juste place
à l’attelage
conduits vers la source des femmes
les déesses solaires des cistes
et de la soude brûlée
aux tailles élastiques ceintes de centaurées
qui partagent avec les oiseaux la lumière océane
Sous les pins les robiniers les chênes l’aubépine
les arbousiers et les chênes-lièges
pareil incendie de l’eau et de l’air alors !
pareilles lueurs difractées puis diaprées
par nuages de spores
langues de notre langue
saluant les visages écoutant et berçant les corps
la parole des choses
la proposition de notre propre feu
Et tout est pollen sous la violence d’un soleil têtu
ou lavé par d’immenses pluies
des cathédrales de pluie aux cœurs de pluie
qui noient le cœur le remplissent
d’une haleine de fleurs de poitrine
d’un lieu sans lieu répété de l’amour
jusqu’à en perdre conscience
où même les ciels finissent par apparaître
surgissant de la terre
où la terre qui éructe et pleure
parle de nous
et qu’un silence d’insectes et d’oiseaux
déchire peu à peu notre sommeil
Rampant dans le principe
feux mouvants entre les eaux
chargés de se rejoindre
de s’épouser
leviers engravés par l’effort de légender l’intuition
la force de l’espérance
réclamons maintenant vouloir ne plus rien comprendre
mourir à nos enfances
à nos violences
à l’oubli
Tournés vers nos intercesseurs
– les jours et les nuits aux rêves réciproques
notre eau et notre sang
notre cœur le feu du père
le serpent
eguski amandre ilargi amandre
grand-mère soleil et grand-mère lune
fontaines
nymphes
terre-mère son respir
le souffle
jaspe rouge gypse christ sel
calcédoine bleue
Isha Marie en améthyste
en quartz rose
l’océan –
acceptons d’être engloutis de passer à travers nos carcasses
à travers la porte du crâne et toutes les portes
de pouvoir tout appréhender
de descendre de nous retourner
en nous
dans le lait silencieux du ciel
comme ici-bas
où nos mains
accompagnées du silence
continuent à démêler les fibres du songe
et ne cessent de dessiner des visages
où tes songes maman empruntent mon épaule
me ramènent à la mer sur ses paupières
à l’ourlet du regard
où les vagues ont des mains
qui donnent et reprennent
Sommes en chemin
ensemble à notre place
SANS MÉTAPHORE AUCUNE
mais pour combien de temps encore parmi les papillons et les oiseaux
les fabuleux sphinx-colibris que tu aimais tant
les cygnes chanteurs les pluviers dorés
ceux à collier interrompu les argentés
les dorés les petits et grands-gravelots
les pluviers guignards
les vanneaux huppés
les cailles des blés
les lagopèdes
les busards féroces les cendrés et les pâle et ceux dits des roseaux les buses variables (n°11) les circaètes les éperviers les gypaètes barbus les pygargues à queue blanche les vautours fauves les moines les geais et les pies bavardes les rousserolles effarvattes (n°7) les fauvettes des jardins les babillardes les grisettes et les passerinettes les faucons pèlerins les hobereaux les outardes barbues les canepetières les sphinx du laurier-rose de l’euphorbe les autours des palombes les bondrées apivore mal nommées puisqu’elles ne se nourrissent que de larves des guêpes les corneilles les chocards à bec jaune (n°1)les choucas des tours les freux les craves à bec rouge les sphinx nicéa et ceux de la garance les bombyx du pin du chêne les zygènes des bois les feuilles mortes du peuplier du chêne de l’yeuse ou du tremble les Lunigères les grèbes à cou noir les castagneux les esclavons et les huppés les bombyx du pin les buveurs les minimes à bande les petites minimes les alpines les lasiocampes de l’euphorbe les franconiennes les duveteuses livrées des arbres les fulmars les fous de Bassan et les rapides puffins des baléares les cendrés et ceux dits des anglais ou de Macaronésie qui volent au raz des vagues en lançant leurs cris plaintifs les bombyx de la ronce du prunier et ceux appelés feuilles mortes les lasiocampes du cyprès et du peuplier les flamants roses les cigognes blanches et noires les bartavelles grises et les rouges les grands tétras et les petits coqs de bruyère les rouges-queues noirs
les gobe-mouches les gorge-bleues à miroir les merle-bleus (n°3) les rouges-gorges européen les rouges-queues à front blanc les rares merles de roche (n°10) les traquets Tariers des prés les Tariers pâtre les traquets motteux et les stapazins (n°4) les merles plongeurs les zygènes corses et ceux dits de l’herbe-aux-cerfs de la Vésubie du panicaut de barèges des garrigues du sainfoin d’Occitanie les bernaches nonnettes et les cravants les harles huppés les colverts les canards pilets et les siffleurs les gélinottes des bois les zygènes diaphanes les pourpres et ceux surnommés de la bugrane de l’esparcette de la gesse de l’orobe les zygènes de Gavarnie ainsi que ceux appelés thérésiens ou des prés et des bois les petits hespéries de la passe-rose de l’épiaire de la ballote du marrube des sanguisorbes de la mauve et encore ceux dits de l’herbe-au-vent les tachetés tyrrhéniens les faucons crécerelles et ceux dits d’Eléonore les émerillons et les milans les ibis les spatules blanches les hérons et les aigrettes les crabiers chevelus les bihoreau gris et les nains les butors étoilés les frégates les cormorans les balbuzards les aigles criards les pomarins et ceux des steppes les skuas les labbes à longue queue les pomarins les petits pingouins les guillemots marmettes les macareux moines les pigeons bisets les palombes les tourterelles des bois tourterelle maillée et les turques les chevêchettes d’Europe les chouettes chevêches les hulottes (n°5) les martinets à ventre blanc les noirs et les pâles les rolliers et les guêpier d’Europe les martin-pêcheur les huppes fasciées les épeiches les pics à dos blanc et les cendrés les pics noirs les bombyx du peuplier et ceux du lotier et de l’aubépine les castillanes les brunes et les jaunes du pissenlit les versicolores les petits paons de nuit les hachettes les isabelles les grands paons de nuit les grues et les courlis (n°13) les bouvreuils écarlates les chardonnerets élégants les gros-bec casse-noyaux les linottes à bec jaune les linottes mélodieuses les bombyx de l’ailante les sphinx gazés et ceux dits du chêne vert et du tilleul les demi-paons les tournepierre à collier les glaréoles à ailes noires et à collier les sphinx du peuplier et du liseron les sphinx tête-de-mort du troène et du pin les sphinx mauresques les coucous geais les coucous gris les effraies des clochers les sphinx-bourdons et ceux de l’épilobe les sphinx chauve-souris les petits et les grands sphinx de la vigne les pies-grièches à poitrine rose à tête rousse les grises les méridionales les loriots (n°2) les troglodytes mignons les sittelles torchepot les tichodromes échelettes les grimpereaux des bois et des jardins les étourneaux sansonnets les grives les merles les rossignols et ceux dits des murailles les phœnix les bucéphales les hermines les grandes harpies les triples taches les demi-lunes blanches et les noires les traine-buisson les bergeronnettes des ruisseaux les voiles les bicolores les chameaux les demi-lunes grises les dromadaires les bois veinés les timides les porcelaines les bombyx carmélites les museaux les porte-plumes les capuchons les crête de coq les anachorètes les courtauds les recluses les hausse-queues grises les crénelées les alpestres les argentines les mouettes de sabine les mouettes pygmées les rieuses les mouettes tridactyle les goélettes les plovres criards les élégantes les moineaux domestiques les moineaux friquets et ceux dits des rochers les ortolans les proyers les eiders à duvet les fuligules les garrots à œil d’or les hareldes boréales et les piettes les bombyx de la molène les noctuelles de l’orme les harpyes bicuspides et les fourchues les dragons les bombyx écureuil les ménagères les servantes les babillardes les grisettes les passerinettes les roitelets huppés les sphinx du pissenlit et tous les procris de la vigne du prunier et des cirses les atlantes les turquoises des centaurées des chardons des achillées de l’hélianthème et des cistes de la vinette de l’oseille et du 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courlis cendrés les courlis corlieux les phalaropes à bec étroit et à bec large les pies de mer les avocettes élégantes les azurés des orpins de l’adragant et des géraniums les collier-de-corail les sablés du sainfoin de la luzerne et de l’ajonc les argus de l’hélianthème des soldanelles de l’androsace de la canneberge du genêt des coronilles les petits monarques les grands-ducs les moyens-ducs et petits-ducs les hiboux des marais les foulques les poules d’eau les marouettes dites de Baillon les râles d’eau et ceux des genêts les poules sultanes les engoulevents les grands et les petits sylvains les grands nacrés les nacrés de la filipendule les nacrés tyrrhéniens les nacrés de la ronce des renouées de la canneberge de la bistorte les petites violettes les paons du jour les morio grande et les petites tortues les paon-du-jour les vulcains les vanesses des pariétaires les pies de mer les avocettes élégantes les falcinelles les maubèches les minutes et ceux à poitrine cendrée les roussets les blancs les violets ceux des marais les Mélitées du plantain les Mélitées noirâtres et orangées les Mélitées des linaires de la gentiane des scabieuses des digitales du frêne de l’alchémille et du chèvrefeuille les Belles-Dames ces fabuleuses migratrices les damiers des knauties les Mélitées du mélampyre les petites bécassines les chevaliers aboyeurs les chevaliers arlequins et ceux plus rares à pattes jaunes les petits agrestes les Tircis de nos lisières les satyre ou les mégères les gorgones que tout esprit loue le seigneur les fadets de la mélique les mélibées ou fadets de l’élyme les céphales les fadets des garrigues des tourbières les œdipes ou fadets des laîches les ocellés de la canche les amaryllis les ocellés rubanés les louvets les moirés blanc-fasciés les Tristan les moirés aveuglés les sylvicoles les printaniers les veloutés et ceux dits des sudètes les moirés fauves les moirés pyrénéens les provençaux les moirés des luzules les demi-deuil les andorrans les moirés des fétuques les échiquiers de Russie les ibériques et ceux dits d’Occitanie les chamoisés des glaciers les grands silènes les grands nègres des bois les grandes coronides les chevrons blancs les petits sylvandres les mésanges charbonnières les bleues les huppées les nonnettes les alouettes lulu (n°6) celles des champs et les calandrelles (n°8) les Bouscarles de Cetti (n°9) –
Ô le « Catalogue d’Oiseaux » ! moins les traquets rieurs (N°12) aujourd’hui disparus – les cochevis de Thékla les cochevis huppés les hirondelles de cheminée et de fenêtre les rousselines et celles dites de rivage et de rocher les mésanges à longue queue les pouillots à grands sourcils les pouillots siffleurs les véloces les verdâtres et ceux appelés fitis les hypolaïs pâles les polyglottes les ictérines les Luscinioles à moustaches les phragmites des joncs les bergeronnettes grises les fragiles flavéoles et les hochequeues (ou lavandières) les pipit des arbres et des prés les rousselines spioncelles les bec-croisé les chevaliers guignette les barges rousses et celles à queue noire les maubèches des champs les bécasseaux à cou roux et les cocorlis etc. etc.
Sommes à notre place en devenir
les animaux nous le disent
le feu et l’eau :
nous n’avons pas encore franchi le seuil des mots
Sous le soleil près des sources
le corps millepertuis
sous le soleil vers toi au fond vers la pupille
le trou
la vue noire
insistant ici comme une sœur invisible tournée vers le soleil et la mer
venant de la mer
de ses lèvres d’une seconde éternelle
sous un ciel insituable
depuis ce frère flottant au-dessus du désert
vers le début l’éclair d’une rose pour toi Thierry
sous le soleil
le sang lie de ciel
l’invisible est charnel
et la solitude un cœur
« Sous le soleil
sans penser à m’enfuir d’ici
j’ai frappé des pieds et des mains la terre
roulé au rythme du chant nomade qui tremble dans le cœur
sous le capot
et aspire l’air de la route
vers la mer toujours vers elle
même en lui tournant le dos
sous le soleil
j’ai emprunté le rêve au voyage connu le rituel des solstices
les feux de roues
les circuits de vitesse
et dans ce grand bordel l’éternel retour du feu
seule la traversée provoque les ondes
j’en ai joui amoureux rincé
j’ai parlé aux hommes qui habitent le silence
et n’eus besoin de rien d’autre
puis vint un ciel de sable brûlant »
Le monde naît et meurt entre nos visages-ciels
nos yeux dessinent les corps
des ciels une permanence du matin
tu savais que tout est transparent
que la terre est aérienne
le rien comme la poussière _ terreau
Les jours jouent avec le soleil
le soleil avec la tristesse
avec les meubles
le vide et le plein
avec l’absence
les traits de l’imperceptible
la musique des grains des ondes
la lumière des bouches-christ
leur pulsation
Nous avons perdu le langage des traces
comme nous égarons nos enfants
et nos corps trouvent encore le moyen de trembler
des herbes dans la bouche
les mains plongées dans la matière
car la parole est une lumière
une couronne
et nos têtes trouvent encore le moyen d’inventer
la voie longue dans la rosée
les couleurs de la pensée
l’intelligence des couleurs
d’étonnantes résonances
produites par l’apparent éloignement des faits ou des choses
les déflagrations anarchistes d’où naissent des fleurs
d’inventer
aux grincements des poèmes
un alphabet de l’amour
Car sous le crâne
une encre s’épand sur le rêve d’être
faisant taire ce rêve d’avant le rêve qui nous prend par les pieds durant la nuit
« De mon sous-sol » est un poème-sabre, la forme absolue de celui qui est l’esprit, le sabre et le corps en un.
Le temps à peut-être raison de la chair mais je crois que dans ce poème il n’a en rien altéré la trace de celui qui s’écrie et qui sort de lui pour conjurer son reflet.
Celui qui écrit, crie et danse avec son cœur en le déchirant.
Grégory Rateau est sorti de lui et de son discours. Il a choisi l’exil de soi, de sa « force brute », la vie en chute libre, hors des mystifications et des bassesses du passé. Terminé donc de perdre du temps à ressasser ses anciennes vies ou à prêter le flanc aux disants, aux « sachants ». Dans ce texte vif, la mémoire est à l’œuvre, et l’oubli ramène le poète aux sens, le sens de la déchirure, de la liberté et de la quête.
« La seule révolte possible se passe sur le papier ici n’est pas le lieu de la pensée positive ni de l’extrême négativité la page n’a aucune moralité elle n’a pas vocation au militantisme aucun slogan pour apaiser la bonne conscience des uns et la haine des autres « coup pour coup œil pour œil »
Il se dégage de sa dernière mue, sa dernière peau de frappe. Il s’en extrait comme lors de ses différentes mues de croissances, il s’est dégagé du club familial, des paumés, puis des sectateurs littéreux, ou des poéticiens. « La poésie fera ci, la poésie fera ça ! » … /… elle ne fera rien elle se consumera et vos piètres certitudes avec elle si vous n’êtes pas prêts à l’attendre refermez ce carnet et allez donc vous faire enluminer »
Pour Grégory Rateau, le verbe est d’un sang toujours neuf et vivant. Même « à l’aube de mes quarante ans » écrit-il, c’est parmi la communauté éclatée de mes « Phrères » que les corps continueront de s’offrir au poème pour « racheter tout ce temps perdu ».
L’ultime métamorphose s’est accomplie. Sur les écailles de son exuvie, le passé inexorablement se nécrose. La nouvelle peau du poète est prête au combat. Le temps n’existe plus. L’homme peut avancer avec et dans le verbe accomplissant les choses.
« Dans ton combat entre toi et le monde, seconde le monde » écrivit Kafka dans son journal intime en 1917.
Il me plait de croire que Grégory Rateau aura lui aussi fait ce choix : écrire, écrire et être pour se donner corps et âme à la poésie, et réinventer le monde.
« de mon sous-sol » est un texte court, ça se lit d’une seule traite, et c’est superbe !
Format 105 x 148 -Dos carré collé -Papier vergé – 52 pages – 10 €
Vouloir présenter Tristan Felix, c’est un peu comme vouloir expliquer la foudre en boule, le sixième sens ou encore l’esprit des choses.
En revanche, rencontrer l’œuvre de cette lutteuse poétique est chose plus aisée au regard du nombre de ses recueils publiés durant ces vingt dernières années par des structures éditoriales de grande qualité.
Sur la toile, impossible donc de louper Tristan Felix. On a que l’embarras du choix.
Ça c’est pour l’approche. L’intérêt étant bien sûr ensuite d’entrer en contact avec la pensée de cette artiste si singulière et prolifique.
C’est important une rencontre. Parfois, ça change la vie, le sens que l’on donne à l’existence, à la réalité. Lire le recueil « En roue libre » proposé ce mois-ci par les éditions Tarmac est une expérience de cet ordre.
Le livre est composé de douze lettres adressées à différents destinataires : Monsieur Ubu (le système néolibéral), Dieu, Madame la directrice de l’EHPAD Les Diamantines, etc. En lisant ces lettres où l’élégance du style -sa lame tranchante-, n’épargne personne, nous sommes replacés dans une réalité que l’industrie culturelle et informationnelle aimerait tant pouvoir occulter. Une prose érudite, riche et forte nous emporte loin du précipité d’images déversées par les médias, tout en nous rappelant combien la distorsion de la réalité est monnaie courante pour nos dirigeants agioteurs, copains comme cochons avec les agences Moody’s et Fitch, qui nous prient cependant de croire quotidiennement en leurs verbiages économiques, hygiénistes et sécuritaires.
Nous sommes d’abord un peu pris de court puis très vite follement entrainés par la pensée en action de cette écriture ; surpris et grisés par une mélopée où se heurtent et se frottent tristesse, joie, érudition, situations comiques et tragédie dans une profusion de sens.
Dans cet ensemble de lettres donc, il y en a une, très émouvante, adressée à Gove de Crustace, clown avatar de Tristan Felix. La poétesse qui s’adresse à elle-même « l’une mordeuse d’infini, l’autre jugulée par sa propre forme. … /… libre d’inventer son propre chaos » se glisse entre mémoire et présent dans une auto-dérision douce-amère nous laissant deviner l’existence d’une intime et immense douleur. Je crois que l’amour, la réparation, sont partout au travail dans les livres, les incarnations graphiques et le théâtre de Tristan Felix.
Le recueil se clôture sur une lettre adressée au lecteur, possible poète, possible objecteur des formules préétablies du langage de la communication : « C’est un peu à toi que je m’adresse depuis le début, comme à travers une flûte de roseau, la peau d’un tambour ou la paroi d’un gong … /… C’est important un lecteur, même s’il ne joue pas d’un instrument. Du moins fait-il partie de ce grand orchestre dont chaque instrument, comme le gamelan, assure la cohésion circulaire de l’ensemble. De proche en proche les peaux laissent entendre leurs impacts. »
Peut-on imaginer aujourd’hui rencontrer une voix plus belle, plus touchante et envoutante que celle de Tristan Felix ? Je me le demande.
Dans ce volume, MUT 1.3 – tous les mécanismes for rêveurs
sont neuf, comme ils le sont à chaque publication.
Ça danse et chante tous azimuts dans une créativité qui appartient au débordement. Déborder le souci du profit, l’infantilisation, et les fictions médiatiques. Parce que créer c’est aussi mettre en marche le corps sonore et le dire qui en sort. C’est aussi tordre le corps et laisser les grincements se faire entendre. C’est ouvrir le corps et l’esprit à une danse d’insoumission débordant forcément du cadre.
La communication est loin, la littérature pas tant que ça, la musique comme une respiration vitale.
La poésie des mutants est celle du combat. Sonore, vocale, musicale, visuelle – calligraphique – concrète et gestuelle, elle appelle et agit. Elle s’écrit, rit et peste de n’être rien mais d’être forte. « Ses mots sont animaux »
Cela fait quelques années déjà que leur « machines » proposent de spiraler les mots, les gestes, et toute action pouvant contredire les vieilles rhétoriques sociales et artistiques bourgeoises, c’est-à-dire d’étoiler – de sons, d’énoncés, de danses, d’incantations -, la guérison des cœurs.
Si j’osais, je dirais que la mosaïque de propositions des mutants rappelle – certes à des degrés divers -, les propositions que firent en leur temps, Antonin Artaud, Jean-Luc Godard (pour son travail sur le langage mais qui cependant dut beaucoup au cinéma lettriste pour l’indépendance de l’image et du son), Maggy Mauritz (encore vivante, je crois), Maurice Blanchot, le mouvement anarchiste, l’iconoclaste et inclassable Robert Filliou « Ne rien décider Ne rien choisir Ne rien vouloir Ne rien posséder Conscient de soi Pleinement éveillé TRANQUILLEMENT ASSIS SANS RIEN FAIRE », Guy Debord et Isidore Isou, Roberto Altman ou encore les dadaïstes, les « fluxus » etc. etc.
Les mutants regardent le ciel, prient l’eau, parlent au
soleil et aux étoiles, à l’air, et créent les lieux où ils se manifestent. Ce
sont donc des corps qui avalent la musique du vide, font entrer l’air jusque
dans l’esprit, que le cœur et le souffle ensuite restitueront en une vibration
toute singulière. Ainsi tout le corps (même immobile) utilisera ce souffle –
pieds, sternum et sacrum maîtres de la sustentation -, pour dévoiler l’espace,
ou sur un autre et très différent plan, fera surgir, par exemple, une «
poésie de Fin du Monde » (Machine YS-11) Poésie WTF « what the fuck »
en français : « c’est quoi ce bordel » ou encore une « Chorégraphie
de citations pansées » (Machine YS-15) : « Se présenter sur scène
intégralement recouvert de pansements de toutes les couleurs et de toutes les
formes. Le public partiellement attentif, ne sachant pas encore que ces
pansements recouvrent des centaines de citations (écrites au Bic, avec un
dermographe, ou bien avec un scalpel ou une lame de rasoir) des plus grands
textes littéraires contenant des blessures diverses, assistera à une
danse-arrachage. En effet, le danseur, en équilibre précaire permanent, retire
un à un douloureusement ses pansements, qu’il peut ensuite jeter dans le
public. »
Pour moi, l’ensemble des propositions de MUT 1.3 est aussi une « Machine » ou un dispositif propositionnel résultant des interactions neuronales des participants en conscience. Ses circuits interagissant en réseau de connectivités augmentent le risque de désordre, c’est vrai, mais ce faisant, replacent toute la potentialité des corps expérimentés dans l’unité d’une information non localisé leur permettant de rompre dans une furieuse pantomime avec l’enfermement mental des corps et des esprits, appelant ainsi à réinscrire dans le réel chaque acte de sensation en création, chaque expérimentation corporelle et spirituelle dans les parfums du hasard et de l’amour.
Et si l’expérience du corps était une mission de l’âme, l’épreuve de l’incarnation dans les fréquences du vide, dans la pratique consciente de plusieurs traversées; d’exister ?
Et si la vie couvait encore un dire inouï des formes natives du visible et du dire, couvait la mort, le corps-rêve à la porte du feu, et que la danse de l’écriture irisait l’errance subtile du graphe qui affleure à la surface du codage serré des lettres de l’illisible, irisait la justesse des tons aux réminiscences parfumées et le rythme du silence, les vibrations entre l’envers et l’avers ?
Et si dès aujourd’hui nous n’avions jamais fini de lire Ÿcra percer à nuit le monde– de recommencer sans cesse à entendre, à respirer et voir ce texte incomparable : tissu mouvant d’une littérature s’accomplissant, détachée de la signification qu’éventuellement on pourrait lui accorder, qui danse et dansera longtemps sous nos yeux, et moi avec …
V
I E – Livre second : Ÿcra percer à nuit le monde de François Richard
Un petit livre remarquable de Mathias Richard vient de paraître aux Éditions Caméras Animales.. Dès la première page de ce qui ressemble à un carnet de notes, le ton est donné : « avec ma main de pain de mouche de mutation Suzuki/putain/ j’écris des Poèmes dans le Ciel ». Dans un carnet, on n’écrit pas pour être lu. On ne devrait pas écrire pour être lu. Des notes, des fragments de lettres, de courts poèmes ; fièvres et expériences de la fièvre y sont consignées chaque fois comme l’imminence d’une fin et d’un commencement. De brèves prières, et toujours la puissance d’un chant, la volonté de chanter même si « Survivre, c’est assister au désastre un peu plus longtemps ». Garder sa liberté de chanter, et le faire faire vraiment, sans avoir recours au spectacle, c’est-à-dire chanter (même à voix basse) à l’adresse des humains comme à l’adresse du vent, du soleil, ou de la terre, c’est proposer au chant du monde de le rejoindre. Il n’est alors plus question de survivre en assistant au désastre, mais de vivre… même abimé, « brisé » ou « maté ».
Ce texte est revendiqué par l’auteur comme étant un « livre de l’intérieur », témoignant d’un enfermement forcé lié aux « restrictions sanitaires » qui furent instaurées par les pouvoirs publics durant la pandémie. C’est aussi depuis une intériorité plus intime et plus profonde celle-là – où les réseaux neuronaux, l’esprit et le cœur diffusent ensemble leurs informations-, que le dehors dépeuplé, figé ou stérilisé par décret peut apparaître d’autant plus invraisemblable. Mathias Richard consigne les effets de ce processus intime qui immanquablement conduit les mots à se heurter aux idées, et noue affreusement l’affect au poids d’un corps immobile. Même si de la réalité aucun vocable ne peut vraiment témoigner, derrière chaque phrase, chaque mot, se révèle un cosmos spiralé de lumière et de vide. En conscience, le corps et l’esprit tanguent acceptant la souffrance. Seuls l’esprit et le corps savent que le manque est essentiel, et que nous sommes aussi constitués par des milliers de paysages aux milliers de pétales et d’une infinité de capsules d’espace-temps. Et l’esprit et le corps veulent constamment danser et chanter, dans l’instant pur, ce manque et ce plein fractal de vide et de plein qui nous constituent et nous font vivre.
Tout est toujours possible. En homme d’action, en performeur, Mathias Richard ne s’emporte pas sur un futur déjà réalisé. Son parcours, son voyage, il veut le partager avec la communauté humaine « ceux qui sont étrangers partout » qui habite aujourd’hui l’impatience de créer, de se recréer, de communier, et qui déjà tente de conjurer le sort que nous réservent les inquiétantes promesses de l’intelligence artificielle. Pour faire tomber les masques des impostures en tout genre, de la fausse bienveillance politique et sociale de nos systèmes économiques et sociaux, on doit encore pouvoir bifurquer, reprendre les chemins de traverse du faire, saisir les effets potentiellement positifs pouvant surgir de circonstances aberrantes. Rien de naïf ou d’utopique dans cet espoir. Agir est avant tout un don de soi-même.
Alors oui, parfois le respir du dire de l’artiste est tour à tour ample et court, asphyxié et vivant. À une lyse de rage lourde ou à l’étoilement d’un désir se succèdent quelques précipités poétiques qui n’ont bien sûr rien à voir avec une sorte d’astuce d’écriture, et encore moins avec de la communication. Des invocations existent aussi dans Mix 01 (12.09.20). Ces mantras que l’on peut prendre pour des répétitions obsessionnelles appartiennent au chant, au souffle, où l’être se rejoint dans sa verticalité. « ce n’est pas moi qui exprime ces mots, c’est le Monde.
Partout dans ces textes, une compréhension intuitive de la réalité. Pour Mathias Richard, avant de ne plus penser, de refuser de penser, de ne plus rien écrire, de ne plus rien vouloir [ou pouvoir] écrire, de ne plus faire parler le souffle ; avant de fuir les apparences, l’urgence est de girer dans les couleurs, de courir tel un funambule au-dessus du vide et ses hypothèses.
Avec ou sans masque, un corps-texte(s) inviolable.
où André en uniforme nous rejoindra pour t’embrasser
_
Quels autres furent tes amants ?
_
Feignant d’être surprise sur le fil de ta mémoire
tu souris en portant tes mains sur ta bouche
_
Ton Adam fut amour en tes deux feux vivants
du jardin jusqu’à ta main
de tes eaux jusqu’à la porte de ton cœur
apprenti de tes voiles de tes parfums
_
Avec toi migre ma pauvre langue
aux herbes odorantes
adoptant la respiration des nuits et des jours
qui chante les bois frais
les carex les iris et les prêles des marais
_
Car c’est toi qui crées les euphorbes
les nuées aux lés mauves et argentés
les hortensias bleus de l’ile de ré
toi qui couvres d’orichalque les falaises de la
corniche basque
au coucher du soleil
et ordonnes à la bise et ses framées de gel
de dessiner sur les vitres des fenêtres
les partitions fractales de l’eau et de l’air
_
Transporte-moi du bord des lèvres
aux mains ailées ouvertes et spatiales
_
Profère ce qui nous traverse
nous dépasse
et pare les choses inexistantes
_
Murmure-moi ce que racontent l’eau
les résurgences
le puits salé d’Ugarre
et les sources de la Nive en forêt d’Orion
toutes les sources et toutes les fontaines
les arcatures des châtaigniers à Bidarray
et le peuple des grands pins à la gemme ambrée
du col de Gleize vers Chaudun
l’odeur fumée des feuilles
la fumée des brûlis
l’offrande parfumée que les feux de bois morts adressent au silence
_
Extrait du recueil publié par les Editions Encres Vives dans la Collection Encres Blanches N° 797 – Avril 2020 ISSN 1625-8630 – ISBN 2-8550 Dépôt légal Avril 2020
_
Image d’entête: Mère totale – Pastel de Olivier NEBOUT
et nos cœurs se mirent à battre un sourd vacarme
d’orphelins
où s’est fixé ton visage mais aussi ta voix
sa danse
dans sa lenteur basse mais claire
lorsque que tu lançais ton chant de dimanche
dans ta maison du peu bien rangée
_
Maintenant ton cœur germe entre les pavés de la cour
disjoints par le vent le soleil et l’eau
_
Tu es de ce lieu où
par le songe d’une bourrasque de feuilles
sous un rideau de pluie froide
les oiseaux ont porté et glissé ton corps
_
Tu es aussi cet autre et même lieu-visage
une pensée du royaume
un sommeil
_
Que des gestes
ou presque
alphabet silencieux
si familier et étrange à la fois
Ainsi des mains murmurent la soif
sans appartenir aux larmes
Ainsi s’écoutent des chants
s’enfantent
des souffles-gestes
_
Des animaux invisibles
se faufilent parmi nous et parlent tout bas
eux aussi
en penchant respectueusement la tête
_
Âge de la lune 23,80 jours
Les cœurs s’envolent
Le chant s’élève
La peau soudain écoute le vide
l’enchantement d’un chant de coquillage
conque rose et nacrée de tous les commencements
naissance de la fin et du début
_
Le rêve est nu
la parole court recouvre
sa forme
s’emplume s’enroule
aux spirales de l’air
_
Paroles et corps transparents
ruissellent maintenant d’une mémoire à la vitesse
prodigieuse
Frôlement d’un fluide aérien
impondérable lave de conscience
rumeur d’une mutation
– On évite de regarder le ciel
_
L’assemblée se meut
en une chorégraphie indécise
Ainsi monte
une prière
un bruissement d’avant le monde
– les morts sont en voyage
_
Tous les 9 février
je te préparerai un thé mandarine
_
Extrait du recueil publié par les Editions Encres Vives dans la Collection Encres Blanches N° 797 – Avril 2020 ISSN 1625-8630 – ISBN 2-8550 Dépôt légal Avril 2020
Qui parle encore du drap raide et froid qui claque entre les strophes ?
Je ne suis qu’une tête-fenêtre, une veste de postier, une tête-cœur obturée. Je n’ai aucun métier, et habite depuis toujours la même piaule à l’architecture parfumée des corps, dans un petit théâtre immobile qui avance vers la mer.
Regarde, c’est toi et c’est moi aussi, sur le trottoir de l’hôpital. J’ai froid et sue à grosses gouttes. Ma figure est prise sous un masque d’insecte. Quelque chose te dit qu’il fait beau, et j’ai froid. Personne ne me reconnait.
La turbine d’un hélicoptère en approche hurle sur ton rêve. L’urgence, c’est le réel, là, juste derrière. Arrête-toi.
Dans la maison de ma mère, je vois des paysages de lessives aux proportions fantastiques, et dans la maison de mon père, j’ouvre au feu les portes. Énergiquement des mondes y sont lavés, et des mythes bouillent dans la lessiveuse rouge en acier galvanisé, tandis que des bouches énoncent des noms de villes et des noms de famille dans une langue de Savon de Marseille et une haleine de Gitanes.
De toi, je veux savoir quoi faire. Ton autel se bâtit. Mais tu ne comprends plus ce qui est dit. Les mots que tu reçois sont des flèches molles. Je me tais et vole. Je suis toi, mon père, et toi aussi ma mère des jeudis et des midis, des étés de voyages en Simca.
Nous sommes des lève-tôt silencieux, échafaudeurs de combines pour faire passer la pilule des jours amers. Des laborieux sédentaires vouant à nos deux astres la bonne odeur du pain. Dandinant, le regard égaré sous nos joies de pauvres, attendons le dernier grand coup de tristesse qui nous sera porté et nous fera jouir, grand tintamarre entre cerveau et pubis.
Mal ajusté à mon corps, je flotte un peu. Flotte mon ciel de roches et de montagnes, de vagues de terre de bruyère et de pins.
Des sacs d’angoisse peuvent bien s’empiler sur mes vertèbres. Sous la charge, l’emboîtement de verre crisse, mais l’orgueil qui est aussi pierre à levier t’a appris à tenir. Qu’ils s’y amassent donc comme ils le peuvent. Midi m’est toujours léger et me danse encor des immeubles blancs avenue des Ternes, kiosques de moineaux boulevard Barbès, affiches colorées qui clament l’humanité, les jupes et jeans, jambes d’une pure merveille te délivrant un billet pour un vol spirituel au parfum de Chesterfield. Volent au mètre par seconde les routes nationales bordant la lente marche des pluies, la lumière jaune que les grands arbres accrochent pour peindre nos visages !
Nous ne nous sommes rien dit ou presque de nos prières. N’avons rien dit de nos circulations, de nos absences, au miracle du toucher Corps et Âme. Rien dit sur la présence des dieux de printemps qui habitent dans les pins craquant sous la chaleur. N’avons rien entendu non plus de nos langues que leur jubilation d’hélice sur nos seins et nos cuisses.
Il faudrait pourtant dire la trace des doigts sur les verres et sur les vitres, les manifestations du Ciel, le songe musical des villes, la beauté du ventre des femmes, entendre les basses, la pulsation amoureuse des basses.
Nous sommes des paroliers impatients. L’oracle c’est le réel. Juste à côté de l’image et du dit, la pythie désordonne sa coiffure. Et lorsque nous traversons l’étrange, rien ne nous semble l’être. On y croise nos corps et nos textes désirant en abyme – frères et sœurs, humanité déjà ancienne, mais ce sont toujours des visages anonymes porteurs des mêmes implorations, des mêmes paysages. Nous sommes du temps ses lenteurs infinies.
Jusqu’au dernier regard
prose de la Rose l’Âme.
Envisage la mémoire en unités-lumière.
Recours à l’Encre et à la Pluie à grands seaux de silence. Soutiens l’heure éternelle glissée sous chaque ville, dans chaque corps et chaque esprit où reposent des lunes de lavis, des constellations de familiers lointains.
Voue compagnon de joie et de lenteur Air Eau Soleil notre solitude l’élévation de sa parole au Vent – au souffle de la Terre à la Fleur incendiaire la vie hors du temps ce round que l’être sans cesse inaugure dans l’ouragan, l’effroi, le secret.
Invente continuellement tes traces, on les effacera de même.
Masque avec discipline ton immobilité la puissance de tes épaules, la fragilité de tes fictions. Beaucoup ignorent ce qu’au pied de la lettre voir et agir, partager le livre, veulent dire.
Sans rien n’omettre de l’Eau et des Ciels, debout, pieu fiché dans le sable, laisse les choses légères et graves te jouer des tours et conjurer le récit. La joie revient.
Il faut apprendre – je crois – à écrire peu sur la forme de sa perte. Dessiner le chant n’est pas en être le sel, et dire ce qui se voit ne délivre aucune preuve. Il faut tenir son vide pour dit autant que le respir nous en permet la profération. Choisir la tendresse, le fil coupant de ses pétales. Agir muettement, écouter ce qui se lève des autres cadences.
Emprunter l’escalier des saisons dont les jours sont des siècles. Boire et reboire l’Eau à nos lèvres de salades. Suivre du regard le tube du vent suspendu au soleil.
Et puisque tout est parfait – Air trois fois inspiré – l’image seule de l’enfance à la fin reviendra, la mémoire du présent épousant gestes et pensées, et tous nos baisers de mucine nos routes nos dires nos jeux, tant nous avons dansé bougé et remué l’air passionnément, furieusement, de nos cœurs et de nos mains, courageux va-nu-pieds, passeurs obstinément cois sur nos Ciels de misère, le désordre de nos ravissements, le murmure de nos chants.
*
J’ai depuis longtemps jeté mes bourreaux aux orties, aimé nombre de visages. – prose des visages du Soleil aux couronnes d’épines de leurs résurrections. Océans oiseaux rapides Arbres. Et partout sous les arbres, sous l’Herbe aux cheveux de Rosée où ombres et lumières s’entrecroisent, comme dans la géométrie familière que composent ces chaises ces échelles et ces lits qui clôturent notre esprit, le tient est là, et encore à venir.
*
Des voix réclament jour après jour qu’on inhume les phrases. Alors je prends à pleines mains des bouquets d’herbe et de gravier. – prose des pays de paille, des chemins et des abeilles, des pistes, des paysages de pluie, des laisses de mer, du voyage. – prose des oiseaux jardiniers – prose des temps obliques, d’une mosaïque de Ciels, car nous avons été patiemment attendus par des mendiants qui ont fait don de leur parole.
Je me rappelle maintenant avoir décroché le mot orgueil de mes cervicales.
C’est que judicieusement placé sous un autre mot, il servit alors de point d’appui idéal au poème-levier. – Prose de l’entente de l’improbable équilibre, des mots-fougères, de mon chant de mendiant.
– « Mais de quoi alors pourrions-nous bien parler et qui êtes-vous d’ailleurs ? »
– De rien de l’intériorité du voyage du pas du tout du non-advenu de l’indéterminé de nos jours enthousiasmants enclos de joies tristes, de la fiche électrique de la radio débranchée que je perçois, telle une main gantée, l’extrémité suggestive d’un vide.
– Prose des reflets du chant ( l’intercesseur) – de la bienveillance de l’éros, de choses légères et graves, des unités de pensées, des interstices de lieux sans lieux, de l’oyat des dunes, de la pyramide des patelles. Mendiant – dément peut-être-, mais pas artiste et d’ailleurs oui, sûrement laborieux, non confessionnel individu indivisible mais invisible, clandestin.
Aux hiatus d’offrir des retours, un infini de phrases ruines, de résonances, d’émeutes acouphènes, par épiphanies de silence et changements de perspective, pourvu que le chant aigu, l’aiguille de son qui traverse nos têtes, puisse lier ce qui est à brûler aux vieilles cendres et aux fleurs, et que, pénétrés par la permanence de son timbre nous restions sans vérité, marchant comme tout le monde au-dessus des morts, dans l’aura du jour et son cerne noir en compagnie des bêtes, puisque nous sommes fait de chair et de Ciel qui tiennent ce sifflement lavé par l’eau des rivières pour un chant sacré, un vieux rêve rivé à nos vieilles mémoires.
Jusqu’aux derniers signes, nombres.
J’y serai.
C’est par leur bouche leur miroitement seulement par leur bouche que tient le monde. Tête obscure
vouée au chant.
Entêtement des corps-livres
des renaissances.
*
Et le livre de la mémoire n’existe pas. – Prose du chant de son tremblement de l’éclat descendu dans les Arbres puis glissé dans les pierres – prose du plexus solaire du regard rhapsode de la convulsion des jours jusqu’à ce que dans l’œil toutes les ères se confondent et que la prière soit une marée d’équinoxe une marée aux tambours de soude brûlée au souffle bramé et piqué de serpolet de fagots de bois flottés emmaillotés de sable et de goudron de cils de gourbet – prose de toi mon père paysan-soldat de tes gifles lourdes pelles de terre à patates que ça te plaise ou pas puisque je t’aime – prose de l’enfant bercé par la sorgue à l’œil ouvert où palpite le cœur sans sommeil – prose de la peur de ta voix entaillée par la lune dans le mortier des nuits de sable de dents cariées et d’oreillons comme paire de tenailles aux mâchoires de fièvre – prose de ma langue de mon vieil Espéranto en sifflements d’autocuiseur en vagues de Ciels roses et de jambes de soleil ricochés sur les moellons ocres et gris des fermes de la Dordogne et des Charentes – prose de quartz de silex et de pyrite d’ombres et de couteaux de ton patois aux accents Roumain – prose de ta femme engrossée six fois par tes excès de fatigue – prose du silence mais aussi d’omelettes aux cèpes de truite meunière – prose de lard de piment de persil de tomates farcies et de canards rôtis – prose des tablées familiales belliqueuses dès que le vin de Bordeaux succédait au Sancerre – romance gitane où l’amour se chante mais ne se dit pas – prose improbable de glaise bêchée de luzerne et de trèfle violet fauchés avec le soleil et la Rosée des pare-brise – prose des dernières proses au paroxysme de notre mémoire anténumérique de poulaillers et de lapinières de fossés de brûlis de granges de remises où les ailes des faux les squelettes rouillés des faucheuses dorment le pays des vents des pailles et des poussières d’été restées collées à la graisse des essieux – prose du faire et des prières de midi en liturgies de jambes et de bras fermes aux vidanges des citernes – prose des pluies aigres et froides de gels qui ceignent cruellement les reins et les poignets – prose des corps aimés de vos courbes et vos plis d’où surgissent les effluves de pays sauvages et calmes – prose de nos voyages d’amour aux lenteurs incroyables – prose jusqu’au bout sur nos dépouilles amoureuses et les ambres qui ornèrent nos lits des variations spatiales du chant de l’enveloppement infini de la mélopée des corps et des corps dans l’entremêlement ordonné des transformations – prose obscure de la totalité par bribes de sources et de rivières – prose de la maladie des tourbes d’affects des sables mouvants – prose des fontaines et des eaux souterraines de la langue morte lorsqu’elle est peau morte d’une danse des signes – prose des âmes simples aux songes amoureux des réminiscences affleurées par le vent glissé dans les arbres puis dans les pierres et dans les cendres – prose de l’eau des corps et sa mémoire que l’âme dans ses plis retient – prose du commencement de la Rose du Nous du jaillissement d’une époque à venir. Seuls les accords de musique et la danse animent encore les tentatives d’effacement. Ce qui nous manque est magnifique.
Je suis nomade d’ici, où mon île apparaît parfois au cœur des pierres veinées de silice sous la constellation du crabe dont l’ami Mano me promit un jour de viscères noirs de surveiller ses étoiles.
– Prose des sud et de l’orient du sein aubergine au lait des sources et seuils nets de joies désertes en purs déserts dormant leur gerçure de silice des septentrions aussi – Prose immobile du Texte du dire muet des choses de la dysharmonie élégante des chants poussés par ceux qui vivent encore avec les paysages et s’entretiennent avec les visages de leurs Ciels.
*
En moi mon amour nombre de tes visages – prose de leurs baisers et l’argent mousseux de leurs rives tes lèvres. – Prose des consolations des phonèmes des inflexions tonales des langages-couleurs du timbre de nos rires et de nos peines qui ne feront pas un livre mais un poème serpent.
Sylvie, tiens-moi la main et partons. J’habite dehors avec toi parmi les choses et les vieux signes
Je n’ai pas peur. Personne n’inventera un autre langage. Écrire, même mal, vaut toujours mieux que parler.
Un dernier visage – celui du dernier au revoir, du dernier coup de vis – tel un masque aux yeux de pyrite, n’oblige pas à dire. C’est un visage enchâssé dans l’or où siègent passé et avenir ; une très vaste musique. Nombreux sont les lieux, les objets, capables de léguer leur prière qui éclairent ce visage. Nous parlons avec le Ciel, avec la lumière et la nuit ; les nôtres, infiniment. Pour autant, je ne sais pas ce que je suis, ni à qui appartient véritablement cette tête. Mais elle sait fixer le soleil à la langue noire pour en faire de la nuit.
J’entends l’eau et le vent. Sur leurs lèvres siège la mémoire du temps.
J’avance, oscille dans l’idée d’un simple scintillement sur le vide. Un jour viendra où je sentirai le vide aspirer les cendres de ce crâne. Et pendant un moment tout flottera, filera dans un souffle. C’est ainsi que peut-être ma première vraie face dans sa pâleur apparaîtra.
J’écris mal que c’est une prière, le regard que l’on se porte. Tout comme nos inscriptions, et l’élan du cœur ; que ce sont des prières.
J’écris mal la vérité des belles apparences. Le vide par le pertuis des images laisse s’évanouir des mots leur respir et leurs résurrections. Alors comment dire avec les mots ?
Écrivez-moi avant que je n’entende plus que les seules voix murmurées par l’eau l’air les forêts et l’art des grands photographes.
Érudite, durite, vidure, la pensée. Mais je ne sais pas ce que cela veut dire. Éiséop petite musique votive et personnelle : à d’autres !
Je n’apporte aucune réponse. Mais je crois aux légendes des regards, à la puissance de l’intention. Je ne suis hélas qu’un puissant corps de mots — des milliers de fois chantés, et il est vrai, à mon adresse uniquement.
À chaque marche franchie le corps est sans autre vérité que le mouvement et les ondes qui le traversent.
Tâcher d’être. Divulguer les grands rushs de lumière, les rayonnements qui passent par les chairs aux bouches de fleurs. Ça bouge. Non rien. Y a l’temps. Non plus l’temps. C’est quoi le temps d’ailleurs : énoncer. Alors ne t’obéis pas. Encorne ici lentement au hasard. Pénètre et accueille tous les sens indispensables au chant. Danse maintenant avec justesse | pluie | goûte sa musique | Océan. Danse silencieuse de l’inscription. Inaugure son éphéméride d’un jour. Toujours le même jour et sans dieu.
Je possède plusieurs visages: quartz, soleil et lune. Aucun n’est vraisemblable et tous ont une réalité. Et tous me manquent. Hommes, est-ce que le monde s’imagine, et la parole et la phrase que relatent-elles des mots et des peuples ? Entendre. Épier. Écrire. Prier. S’y construire une cahute. Aérienne. C’est l’esprit qui l’emportera. Le dedans sur le dehors. L’ironie du vide sur la terreur.
Réclusion ordinaire. Je ne me veux pas. Très bien. Et après. Invisibilité du singulier. D’une ère l’autre. Félicité. De la sortie des eaux à la pensée algorithmique. Existence | joie de pluie | de la houle des dunes. Joie de ton baiser velours et tous tes baisers. Joie anonyme, sourde, épaisse, à rosée de ce qui tambourine et s’ébroue du ciel à rosée de feu | joie boue | joie aux fenêtres brisées de ciels | joie de la peau pétrissant la glaise | joie à boire chaque image dans les livres décousus de fatigue, à tendre l’oreille au silence, à la pavane des corps faisant voler des mondes | joie blanchissant parfaitement la pierre | joie à toucher le fer des ponts à gros rivets, ces cargos d’azurs et de vent | joie rouille des liens de terre et d’herbe.
Je reprends : je suis un gadjo. Un pousse-mégot. Fada. Un lazzarone. Idéal imprévisible. Oculus rift bientôt sur le nez. Une langue insupportable. Cynips. Scintillateur aléatoire. L’informulé. Anamorphose. Hic. Têtu. Noir. Abîmé. uber vtc. Psychopompe. Optimiste. Au piano-lit. Domestique. Méprisé. Scaphandrier. Homme de ménage. Enthousiaste. Vidéaste. Refoulé. Ambitieux. Alarmiste. Démesuré. Hystérique. Commencement. Ardent fessé. Chant du seuil. Rêveur sensationniste. Ut. Interprète de l’échec et des possibles. Seul et pluriel. Clos. Évasé. Femme à corps d’oiseau. Une rose. Criminel passif. Enchanteur. Ouvrier en bleu de chauffe. Lithophage forant l’agrégat. Indéterminé. Écrivant quel sommeil. Le dehors d’en dedans. Corps étonnamment organique. Énoncé éruptif corporel. Émulsifiant. Colorant. Graisse tremblante. Sexe idiot. Correspondant. Colporteur. Manutentionnaire. Voix radiophonique. Chthonien. Aérien. Différant. Pacemaker. Mes cœurs. Des cœurs. Arias de lumière. L’oubli. Boue. Un programme. Enfant invraisemblable. Lâche. Une copla mal taillée. L’époux gelé. Au désert. En plein désert. Exaltation. Délire chaud et froid. Ce que force veut dire. Flux performatif. Textuel. Nu. Tensions cervico-brachiales. Le plein. La marge. Orphelin. Imaginiste. Flexible. Manque. Fatigué des meutes. Bandé. Attentif. Érectile. Hum. Menteur. Hors manifeste. Buissonnier. Bienveillant. Cru. Peau-plaie. Suicidé. Empressé. Maladroit. Étranger. Parole. Une Fiction. Caresse. Oisif. Entrecroisé. Hésitant. Errant. Confession. Antidémocratique. Confidentiel. Corps-texte. Tressage. Danse impondérable du désir à l’adieu. Sans devenir. Virgule. Articulation coupante. Sabre. Sans but. Gueux probablement définitif. Prosateur. Inutile. Tyran. Listé. Fainéant. Héroïque. Désespéré. Amoureux. Obscur voyant. Opacité sainte. À la poupe. Au cul et au ciel voué. Accidenté du travail. Marcheur invétéré. Ricanant. Refuznik. Insoumis aux nouveaux millimaîtres et aux tutus de la vieille et de la nouvelle langue. Objecteur de croissance. Sorcier(ère). Solitaire. Été. Don. Névrosé. Feuillu. Herbu. Vicieux. Aborigène. Mythomane. Suspect. ada.text_io.put_line. Occitan. Macabre. Excité. Adepte. Malestruc. Maladroit fan de truc malec. Charnel. Juif. Arabe. Apatride. Debussyste. Zapatiste. Spatial. Sollertien. Flaubertien. Archaïque. Affectionné symboliste. Métaphysicien. Deleuzien. Ombre. Banquier – pour qui n’a pas lu Pessoa. Durée. Simpliste. Acédique. Vagabond. Etarra. Mallarméen halluciné. Illuminé. Zen. Intercesseur. Immobile opiniâtre joueur de dés. Improductif immoral. Chieur. Incarnadin à la face de vit. Splendeur d’une face de nourrice. Religieux zonard. Inutile suture. Plaie rouverte. Idiome ahurissant. Chorée loquace. Heurté. Paradis renversé. Infecté de survie. Le rêve de s’ouvrir en rivière. Amibe. Jeté. Colleté. Aïon que personne ne saisit. Désirant. Anonyme et véloce. Gonflé de tableaux. Lisier. Mamelle. Barque de glaïeuls. Calfaté de mystère. Alcoolique. Disputeur. Mystique. Le nez fourré dans ses chapelets d’œufs. Sensitif. Iconoclaste. Obscur. Image. Larve à qui l’on ne donne plus beaucoup crédit. Teigne récurrente sous son duvet. Jaloux. De mèche avec l’amant. Dans l’odeur apaisante de la guerre des sexes et des classes. Faillible montreur. Clair ulcère. Délégué syndical. Verrue qui grésille sous l’azote liquide. Vocable social. Emmuré dans l’orgueil des plus humbles. Armé et sourd. Ex-voto. Léger et grave. Trachée des suppositions. Chevelure des mauvais jours. Aubaine. Physique idéale du son. Anche. Augure assis parmi ses chats. Sans chef. Sans tête. Inaudible. Brume. Lesbien. Empreinte. L’idée d’une fin aussi. Des images encore. L’incertitude. Une noire tégénaire. L’élégance d’un baiser. Gelée opaque. Régurgité des croupes d’où s’écoulent les prières. Une question. Des questions. Inoxydable raison. Pur fictif. Neuf. Journal mental. Urticaire. Brêlé de nervures chaudes et tendues. Aporie. Sans mémoire. À rebours. Approximatif. Hasardeux. Hypothèse du rêve. Inconcevable. Fraternel. Hérétique boiteux et tout le saint-frusquin disputant aux rites fictionnels le corps des choses et le voyage. Lyse onctueuse échevelée chromatique.
– Envoûté par des bribes d’opéra, par le bruit des rames entamant l’eau, par des éclats de voix, fracturations chuintements pointillistes, vitesse des points de couleur d’images en gros plan, par le vol, l’envol des draps et des fenêtres ; par les mots tels des poignées de cheveux dans la bouche
captivé par les films de Jean-Luc Godard et Jean-Daniel Pollet, par les marges, les miroirs, l’enchevêtrement de larves, christs et petits cailloux, les ogives d’aisselles
hanté par l’abjecte, l’insoutenable image télévisée de l’assassinat commis en pleine rue de Saigon par le général Nguyen Ngoc Loan exécutant d’une balle dans la tête l’homme à la chemise à carreaux ; par les 30 millions d’esclaves qui survivent en ce monde, les horreurs du génocide rwandais, Sarajevo, la boue de Calais, les saloperies ordinaires commis par les États : par Auschwitz, les enfants et les peuples martyrisés ; par nos compromissions, par l’assassinat du Père Jacques Hamel ; par la production, le travail esclavage, l’exclusion, la stérilisation des esprits, les reculades, les rapts, les sarcasmes, les fuites, les hontes
rêvé par l’odeur des nuques, par l’île des morts, le noyer de Sarzeau, la tourbe et le ciel reflétés dans les flaques de neige fondue, par la mélancolie, le gois de l’île de Berder, par les bébés au parfum gras de la matrice
fasciné par la mémoire des pierres, la foudre, la connaissance ; par la viande zébrée de magie, les vortex de clarté, la lumière, les béances cadavériques du plaisir et la soie du désir, l’illisible tracé, la peinture romanesque, la poésie et sa musique aux corps invisibles mais inévitables
transporté par le goût des prunelles, par l’adagio en ré mineur BWV 974 de Jean Sébastien Bach, les errances, la mystique, la Méditerranée, la ronde des fées dans les sorbiers aux oiseaux et les saules, la jouissance, l’amour, le vide, les ponts et la lune ; par les trouvailles, la belle morve des oisifs, par la mémoire de l’eau, l’éclair des truites aperçu sous la loupe verte des eaux ; par les framées du givre, par les petits voyages entrepris avec Sylvie, par le son des cloches des troupeaux du Puys de Manse, le vent du gouffre, les fossés, le gypse, l’herbe rase des bellons, la noirceur des chemins, la belle démesure d’accolements cristallins et sylvestres de la vallée du Champsaur ; par la forge du père Garnier, l’acier luisant, l’odeur de sang cuit qu’ont les atomes d’acier expulsés de la masse chauffée à blanc puis réduite au pilon dans des gerbes orangées et bleues noires ; par les églises végétales, la mélopée, le voilé, la transparence des rochers, le feu et ses fruits racornis à manger loin du lait ; par la grâce, le mouvement, la tendresse, la lenteur consolante, la buée, les genets vaporeux, l’océan ; par les confitures et les cerises d’Ixtasou, les jupes relevées du rêve qui danse ; par les rares amitiés, l’exaltation, le toucher, la mémoire, les horizons
ému par les barques, les vaporettos, le sel, la beauté des cimes. par ce qu’un regard peut demander à une bouche, et le ciel à la terre ; par le pain, la terre, les textes et les arbres, par le basilic, les contre-indications à vivre, le spasme du hoquet à l’énoncé perdu. par l’inachevé, les cataplasmes à la moutarde, les cuites sévères, l’œil et ses flèches, les tarots, l’hélice du soleil, l’oiseau, les brèches, les joies, les astres, les masques et les statues de midi ; par les trous d’ombres bleues dans la glace, les landes emmaillotées par les toiles d’araignée, la pluie fine, les digitales, les tourteaux d’Hossegor et les huîtres du Cap-Ferret ; par le rayonnement platine des daurades et les fossiles téléostéens vus à Hendaye, la fricassée de gambas flambées à l’armagnac, les chats, les tripes à la basquaise de dix heures
touché par les gares, les objets, les spirales, les rhizomes, les lauriers, par les beautés du lot et du Célé, la Provence, le paganisme, l’International Klein Blue, les photos, les aubes, les anfractuosités du poème, les sources et les rivières, leurs limons ; par les écharpes d’odeurs, par ce qui règle les étoiles avec tant de justesse, l’œil érodant comme un fou ses limites ;
étonné par les cils des vorticelles, la stupéfiante métamorphose du cul en écubier, l’écorce et les écorchés
troublé par les sex-shops, l’écrit, l’écrin, l’écrou, l’épreuve, les colonnes ; par l’œuf, l’embryon céleste, les coqs, l’or fondu du silence versé tempus mortis dans les voies digestives, et par les monolithes en H de Pumapunku
impressionné par les concaténations archaïques des tons chez Bacon ou chez Lucian Freud, le verre et sa source de sable, par les nébuleuses, l’hymne hydrogénique du cosmos, la farine des cendres
bercé par la prose ronflante du moteur de la Simca qui naviguera encore longtemps parmi les parfums de la route menant de Gap à Briançon ; par le froissement sec des chardons bleus, par les planeurs glissant dans le ciel de Mont-Dauphin ; par le chant infini qu’on redécouvre sur les falaises au pied des pins parasol, des arols ou dans la rouille des saisons que le fer concentre, et – contemplant encore aujourd’hui d’en haut du souvenir le tracé du col que des voitures en montant soulignaient sagement, – j’écris.
Et voici qu’à mon esprit s’impose soudain le rêve que je crois incarner, une inquiétude douce mêlée de paix de n’être que ça au fond, double délirant le monde, expérimentant ce délire, et peut-être rien d’autre. Qui sait.
Ne confirmez svp. Je doit suivre sa chance, eut-elle été rêvée. Énoncé offert. Aucun but. Révolution et charme des signes. Chantez vous-même cette indécidabilité inconnue, sans l’amplification courante.
Âge de la lune : 6 jours 16 heures 16 minutes. Je ne le dis pour personne ce lieu sans bords et sans hasard, au hasard de ce qui s’y manifeste et nous méduse. Ça en fait chier bon nombre, la beauté, l’éblouissement.
Air feu océan matrice, l’immense femme-tresse-spirale révolutionne gire dévoue demeure voue existe virgule articule n’explique et n’identifie coupe sabre éclot sans but déterminé. Du monde, je n’y ai jamais vu qu’une lisière à vrai dire peu fréquentée où les atomes bondissent dans la vibration d’une poix ondulante ; un Univers Aspic. The never ending trip… Ainsi/ œil soleil oiseau /ne tourne pas les pages – jamais –, mais frappe les atomes, ramenant au temple d’insécables permanences. Soudaines, sidérées, réverbérant un swing de lumière lente et bleue, mille faces en surgissent.
– « le sud ? … c’est par-là » maugréa-t-il sans lever les yeux, en indiquant de la main la porte donnant sur le couloir. Et il rajouta : « vous y ferez quoi dans le sud ? » – « je n’sais pas… est-ce si important ? » et l’ombre disparut, la chance→ suerte sur le terrain de l’homme, une corne en plein cœur.
Car il n’y a pas un point obscur, mais des entres, des songes extraordinaires où d’évidence rien ne s’endort : c’est Ga’nza, une explosion vertigineuse de lignes et d’images par milliers ; une transe sacrificielle, une danse de courage. À cet endroit de pure réalité, Ainsi n’est plus un fatum. C’est un maelström de chants, de danses et de musique. Et la main qui porte la lame sur le prépuce porte un mystère et une souffrance. Derrière les cirrhes du grand tapage Ainsi admet tout. – « dis, quand reverrons-nous dans la mort, l’enchantement des fins dépassées ? »
L’eau de la mer des Tchouktches, des Sargasses et des Antilles, de la Méditerranée, de la mer d’Arabie et de la Caspienne, de la Mer Noire, de l’Adriatique, du Nord et celle de Chine bientôt montera. Vers le chant et ses lignes, fascinante mélopée, tous les points et les courbes d’un pur désert. L’ivre est là, cadenassé – inachevé, dans sa chair et ses voix radiophoniques –, admettant la nuit.
L’eau de la Mer Baltique et celle du Japon, de la mer d’Okhotsk, de Béring, de Kara et celle de Barents ; l’eau de la mer des Laptev, du Groenland et de Norvège bientôt montera. Le corps est pris par les sens, le cœur lui tenant lieu d’entrailles essentielles. La fin est commencée, bifurcation. Et c’est par là que ça commence. Ça exhale et veut parler, précipiter la fuite. Pas de mots. La mémoire, les lignes sont dans l’œil – innées –, et les parfums en conscience des pores, prophétie par ce pertuis qu’il faut franchir. L’eau de la mer du Labrador et de Beaufort, d’Andaman, de la Mer Jaune, de la Mer Rouge et celle de Java bientôt montera. L’odeur de la nuit est d’une sauvagerie qu’ainsi et mémoire, admettent sans illusion.
Déjà le rut d’un souvenir contracte les lombaires du rêve, mais sans que la réminiscence ne détériore la nature vertébrale et gazeuse de l’affermissement. Ça respire, entend et voit. Cet impossible lieu parle plus vite que les mots. Le corps y est coupé par l’attente, mais respire encor la hâte de commencer. Le souffle menace même d’aller plus vite à sentir l’imminente rupture. N’y rien attendre est une urgence d’éther.
L’eau de la mer de Timor, de Célèbes, de banda, d’Arafura, de Bismarck et celle des Salomon bientôt montera ; l’eau de la mer des philippines, de la mer Blanche, de la mer de Sibérie, de Corail, de Marmara et celle de Tasman aussi. Et puis après tout, qu’importe ; nous nous ignorons tellement. Tourné vers le visible et l’invisible, tenant dans la bouche la clef d’un langage, ainsi ne change rien au monde. Sinon, que voudrait dire le réel → si sa masse n’était critique, se dissolvant et coagulant en permanence au gré des expériences que nous en faisons ; si son aria n’était ivre de ses aubes et de ses nuits aux condensations brûlantes.
Ça s’enfonce loin, non pas depuis la secousse des mots – leurs à-coups – mais sous la lumière et depuis la lumière. Ça se déplace d’ailleurs plus vite qu’eux, et, sans reconnaissance à leur égard, monte aux étages les plus sombres du dire, prend une cambuse et en tapisse les murs de graphes dont l’amorphisme des jambages en disperse les sources.
Ainsi trouble d’abord, abîme chaque fois un peu plus la perspective, heurte le regard lequel néanmoins peu à peu s’aiguise, glisse sous les contrastes et dépasse les apparences. D’abord la joie – poudreuse –, puis la confusion – un maelstrom de voix – bien sûr. Des paysages, des immeubles, des affiches de rue aux en-têtes colorés ceignent harmonieusement ce lieu indéfini où tout ce qui s’y produit ne semble témoigner que d’une différance, d’un saut à la fois obscur et transparent, à la fois vide et jalonné de repères que rythment les heures claires et volatiles du matin, puis celles de l’après-midi, lourdes et dorées, et les plus graves – presque ennuyeuses – qui lentement précèdent le mystère du nocturne, égrenant l’immobile rythme des ombres, comme le pas d’un cheval au travail à la longe trace le cerne étroit et répété d’un seuil.
Le silence y est une fréquence, un processus de questionnement, d’où naissent inquiétude et langage. Autour du miracle des heures, de la traîne des saisons, du tain des flaques où les silhouettes indécises se fragmentent entre ciel et terre ; autour de la trace ténue où se partagent puissance et l’idée d’être – ce dont l’agilité du présent se sert mêlant les régions musicales des parfums à la salive crayeuse des peurs et des pensées –, autour d’impeccables intranquillités, partout des ors mangent dans sa main.
C’est d’Ainsi qu’émanent les fréquences, et que le hasard se comprend dans l’attente impatiente de bonté ; par transition fréquentielle.
Ainsi dessaisit tout aussi, mensonge comme vérité ; déroute, épuise, aère, enthousiasme ou obture la pensée, épanouit ou éreinte les corps, infiniment. Jouons-y le jeu des va-et-vient de l’esprit et des corps. Aimons-nous ! traversons le temps dans l’aura de la musique et les luminescences du rêve.
Écoute seulement. Aveuglément.
Ainsi peut bien oublier constamment ses mues d’Ios – rouilles négligemment abandonnées –, et tenir aujourd’hui la gare de triage et le port (ses attroupements de grévistes) dans une durée énigmatique à la porte de l’inconnu que l’on ne passe qu’en vousoyant l’orée, l’oscillation du présent y est sublime.
Entre désordre → (phénomènes) et harmonie, plusieurs temps existent dont il est impossible d’effacer les traces. Qu’il en soit Ainsi avec son aplomb ordinaire qui se confond ici dans les eaux vertes de l’embouchure et les vagues sur la digue écrasées, dispersées en milliers de gouttelettes, en petits miroirs disséminés par le vent dans les fossés de prose et de rosée, comme par-dessus les flancs rouillés des bateaux – pour certains chargés de voitures européennes, japonaises ou coréennes – alourdis pour d’autres par des quantités de bois ou de ferraille.
Ainsi ne cherche pas à en savoir davantage. N’a jamais cherché non plus quelle curieuse parenthèse créatrice, quel processus, fit du corps notre étroit et inconfortable scaphandre. Ainsi fomente les formes, le sacrum de sa langue – le goût et le sexe –, plonge ses vertèbres dans le fracas hétéroclite de couleurs phénoménales, lâche des corps plus vrais que nature, les précipitant sur la matière même des choses, et laisse sans arrêt l’espace tomber.
In sic, voici mes moires qui dansent, nobles et rouées. Comme auront été bons vos yeux, d’abord sévères, puis attendris, portés sur les nôtres menacés par la chute, le rétrécissement du vide, l’occultation des signes.
Entre l’Euphrate et le Tigre, comme au sortir d’un anéantissement (Abu Ghraib de l’éden ; l’horreur des cages, des coups de trique, des corps rendus inhumains et des chiens démons) même si elle n’est rien que le souffle d’un sac de poussière, – cette poix sèche crachée, arrachée avec son tapioca glaireux qui obstrue de nuit les bronches, et qui s’accroche ensuite aux parois du pharynx, avant que les mots ne s’échouent disloqués vers la bouche carte du monde et du soleil ; bouche si désœuvrée et tellement ensuquée par le vide et la peur, par la boue léthargique du dernier sommeil, qu’il lui faut d’abord épeler un juron, – la parole veut encore s’étoiler et déborder ses ruines leur ajustant des lés de ciels extravagants !
L’air bouge dans un signe très ancien que des effluves d’asphalte et le goût délicieux de mes cigarettes espagnoles embaument. À peine un éclat, un vague balancement, et c’est la totalité des choses qui fond sur l’arrière de la langue. Aujourd’hui est la mère, la permanence d’Ainsi.
Une pituite pleine d’une infinité d’images du monde ferme mes yeux sur le souvenir flottant du voyage ; la neige, les plages, et ces lueurs sur la peau de l’onde que les notes de Little Wing accompagnent, jusqu’à la maraude inconsciente des aurores entichées d’extraordinaires imagos qui content à toute vitesse l’inatteignable et immobile aisselle.
Impossible ainsi d’oublier celle qui aura dansé pour moi durant des jours dans une chambre minable d’un hôtel meublé. Arrêter ça. Mais comment ? Éternels ces moineaux qui, depuis la rambarde du balcon, nous épiaient puis, dans un vol rapide, venaient chaparder les miettes brunes de pain bis abandonnées sur les draps de notre lit international ! Quel cinéma !
Nous habituer à ne vouloir rien devenir
Des idées nous ont tenté et nous tentent encor, des images et des actions→ naissances. Avons ainsi épuisé un bon nombre d’hypothèses dans l’intention d’agir ; naître et renaître toujours. Mais est-ce bien de cela dont il est question ? des hommes tombent, et dans nos livres s’amenuise doucement le souvenir de la raison des corps et des rendez-vous dans l’atmosphère au grain léger.
Parfois, par grand calme, réapparaît pourtant la poussière des saisons qui ornait les chemins, les gravières du Drac blanc, les rives de la Neste d’Aure ou celles du gave d’Azun, les prés où, durant l’été, allongés en plein soleil, nous rechargions de chaleur nos corps engourdis par la fraîcheur des baignades. Certes, nous fîmes bien peu cas des guerres, du malheur des hommes. Certes, derrière nos masques, dans les arômes de nos cabines corporelles, individuelles et insatisfaisantes, avons dormi d’un sommeil malade, la tête abîmée, farcie de rêves et couverte de fêlures. Quelques fois nous nous serons aussi tout de même battus pour essayer l’exil, rejoindre dehors un espace asilaire et subtil ; un lieu idéal et commun. Du reste, avons aimé sans que jamais ou presque l’instinct n’ait pu assombrir aucun de nos gestes. Et si lors de nos étreintes – le visage enfoui dans les voiles, les plis les plus intimes de l’être, la bouche embrassant et fouillant les muqueuses de velours et de musc d’où jaillissent des flopées d’étoiles, il ne fut pas tant cas de ruse du vouloir que de l’augural retour– , nos yeux, nez et langues ne cessèrent d’acclamer au périmètre des faces, ce qui en inondait les berges, la beauté et l’audace des crépitements, puis l’onction des émissions et leurs odeurs abondantes, envahissant notre désir fou et vain d’y pouvoir disparaître.
Coquillards enluminés de complaintes, n’ayant eu de cesse de nous déprendre, de nous éloigner du pays du père, des meutes – accomplissant à rebours des pratiques communes l’exubérant prodige de s’offrir quelques fraternelles solitudes -, on se filme pudiquement, sans caméra, avec la mort qui sait bien que l’on feint. Et on ne l’imagine pas – avec ou sans visage –, puisque nous la portons joyeusement, tournoyant et criant autour du rien, comme si l’on venait de naître.
Voilà. Déjà plus rien d’autre que la limpidité, l’air et les eaux de neige violaçant la peau, le vent aux lames froides balayant une voûte céleste au bleu luzien. Et nos simples figures tournées vers d’autres figures, d’autres corps, demandent au ciel de bien vouloir les accompagner. Car nous voulons nous étendre sous le ciel, et chanter en nous battant les lèvres avec les mains comme nous le faisions quand nous étions enfants ; entrer dans l’énonciation d’une langue étrange et complexe.
Compassion envers ceux qui réfuteront cet écoulement métamorphique du vivant.
Je ne le dis pour personne, cet espace de verre, hymne aux épaules sublimes. Ne rien craindre des railleries, des mépris. Ce qui nous ceint est un cœur sans durée. L’embrasser avec quoi : le texte → canto : aux paysages de pierres et d’herbe, d’évanescences claires et musicales du voyage intérieur. Mais c’est aussi dehors, montant vers l’épaule d’avril, par l’insaisissable échelle de splendeur, qu’il n’est plus lieu d’écrire. Y pourvoient déjà avec peine, les chapitres insaturés à doubles ou triples liaisons ; un peu mieux les primevères des talus jaunes et verts resurgissant sous le givre.
Mort, vois nos mains, nos inscriptions, entends notre souffle, il n’y a là-dedans rien qui puisse satisfaire tes masques.
Trop de travail sur la langue, pas assez d’écoute à l’égard du songe des signes et des légendes. Passé l’incrédulité, c’est-à-dire l’attention ahurie prêtée au déboulement sauvage d’une zébrure scindant soudainement le passage, il faudra du ciel et des corps se convaincre.
Il n’y eut pas d’année qui fixa mieux qu’une autre la permanence d’Ainsi. Averses de soleil et de nuit. Et nous, pauvres de nous, sommes venus plus d’une fois apposer souffle et lèvres sur des noms, des corps, des langages- corps, des histoires, et toujours on nous a sommé de révérer l’esprit du temps.
Ainsi _ prolifère là, sous la peau et non seulement dans l’idée, mais également par le corps craie, et pas uniquement par le corps craie, sa délicatesse tortueuse et bordée de pivoines et d’alouettes. Affleure par ce penchant pour les ciels et pour les corps qui dansent et chantent en frappant la terre des pieds. N’émerge point seulement de la terre ni seulement de la danse, mais aussi de toutes les époques cuites avec leur mémoire.
Abonde par la bouche intuitive, et non par la seule raison. Ni absolument par l’œil. Inonde mêmement le cœur, sa boîte noire et touffue, et non la seule gloire du souffle que la tétine du sommeil diminue jusqu’à l’amble et endort, mais bien sûr aussi par ce souffle que l’esprit sait rivière large et courbe dont le lit fomente le courage obscur d’enfants perles.
Ni dehors, ni dedans, mais dans la course immobile des temps, les corps translucides de l’enfance de l’aube ; dans ta bave et ta flore, à l’à-pic d’une rêverie létale où l’âme fait le choix de la terre et de l’eau, se passe de durée, vide flottant à plusieurs cœurs au sens parfait des principes du rêve et des substances fondamentales ; dans les signes s’évanouissant sans perte ; sous les aspersions de la lumière, bondissant vers les lacs d’Ayous, au printemps des gentianes, des orchidées, jonquilles, renoncules et des parterres d’airelles bleues ou des tapis de camarines ; dans les contrastes sylvains de verts sombres que les grands cheveux blancs et froids des cascades brumisent ; ou dans le Néouvielle, lorsqu’on grimpait jusqu’aux derniers spasmes supportables, soit d’un soléaire, soit d’un gracile qui finalement nous jetaient riant et jurant dans le délice de l’ombre d’un pin à crochets, passées les landines de genévriers nains et de raisins d’ours, et que nous n’existions ! et encor lorsque l’amour était partagé autour de gros morceaux de pain→eish la vie à pleine vinaigrette, et que la délicieuse salade de tomates était avalée et tout l’univers avec, et que le don ainsi ouvert, sa présence réelle, nous éloignait du souvenir.
Ainsi s’ouvre, multiplié. À tout de suite ! s’accomplit affecté, imparable. Toutes circonvolutions égales, et Ainsi de suite. On dort si près des rêves de l’autre déjà énoncés ; sèmes clairs et abstrus, corps lumière et tous les tableaux descendus jusqu’au sein de la langue, ses plis vocaux, et dans la chambre aux soies ciliées des cochlées électriques.
Ainsi renonce, plaide, perce, transperce, crève, démolit ; efface tout trace d’inquiétude tangible sur les pelouses, dans les arbres et les yeux aux iris verts de l’eau.
Ébruite l’insaisissable depuis un axe pyramidal, Kaïlash, jusqu’aux glacis de l’Ossau, verglas dans l’air vertical happant des ombres les bruits. Sans piété aucune sommes nombreux à n’en vouloir dire que l’enfance. Vidéo, je vois ; inadvertance primordiale ! sabayon luisant de tiges et brins ; pas grand-chose pour ainsi dire.
;indécidable, mal si pas serait n’ce
le souvenir heureux et guéri.
Assez de voix. Il faut entendre, doucement vivant. Ainsi très murmuré intercepte des douleurs les sonorités.
C’est Ainsi. L’impondérable dissémine sans cesse, et cela ne signifie rien.
Habitant le dire, son style et son rythme, marchons vers ce qui ne s’explique. Aucune hallucination. La porte est ouverte. Tous les matins cette porte s’ouvre. Il s’agit bien de ça. Rien ni personne ne peut faire que cela puisse se dérouler autrement. Le temps nous appartient. Des anamorphoses | âmes-sources | dansent. Tous les matins un même petit soleil énoncé de nouveau en silence. Prose de la rosée du dire à rosée d’iris ignée d’amour boucle et bouche de commencement. Prose du vif qu’à chaque printemps la rose embaume, de la voute de nuit et d’échos où le bois et la pierre se métamorphosent, où coulent toutes les rivières et les fleuves. Prose de ma langue qui n’en est pas une, du livre muet mu par les corps qui se tiennent dans le présent comme dans l’imparfait. Prose de nos tristesses, de nos consolations, des parfums et des signes que nous adresse le vide, du livre qu’il faut taire pour retrouver le monde, de mes prières qui proférèrent sourdement le duvet de tes jambes jusqu’à ton gouffre, ciel d’en haut, l’œil à la serrure noire et rose, musicale. Prose des coquelicots puisque cela me fut permis de le dire, de la terre, des couleurs et des frôlements ivres de nos silences et de tous nos mouvements. Prose des lectures faites à voix basse. Prose de l’avancée des silences, de l’oubli, des discussions entretenues avec les morts, de mes lèvres sur tes seins comme sur l’infini ruban des jours. Prose des glissements géométriques des heures et des corps parés d’ombres et de clartés, de notre entêtement à aimer entre la nuit d’étoiles et l’horreur des massacres ; entre mon ciel familier et les murs d’Alep et de Minbej déchirés par les balles. Les bombes. Les barils d’explosifs. Les missiles TOW et M79. Les bombes au phosphore. Mais j’ai ouï dire qu’il ne valait mieux pas. Qu’il y avait quelque chose d’obscène à chanter ainsi. Que nous ne recevrons bientôt plus que des réponses. Des réponses éphémères et totales. Des réponses de vents, de canicules, de tempêtes solaires, d’incendies. Que sous peu nous n’aurons plus que des réponses vaudou. Des réponses de virus aux culs-de-sac organiques, d’oxyures, de fleurs virales, d’un rire jamais entendu. Des réponses de fous aux lèvres et aux paupières cousues. Il est bientôt six heures. Réveil rituel de l’asthmatique. Sylvie prépare le café. Petit déjeuner. Frugal. Inhaler le traitement de fond. Respirer profondément. Reprise des prières : respirer. Je sens mon cerveau se délecter de l’infatigable langage qui nous fait tanguer. À chacun de goûter son propre balancement. Sa musique intérieure. « Je danse sur le fil ». Entre les feuilles du temps pas d’instrument. Pas de temps. Mais une matrice invisible et fermée. Eaux et plusieurs Ciels. Mais des signaux venus du monde des mères. Et nos soleils intérieurs. Et des ondes sinusoïdales de sons et photons. Cantique quantique. Je suis en équilibre. Mes pieds entendent. Mes mains voient et je ne suis rien. Fleurs. Fleurs. Le gouffre. L’équilibre. La lumière. Arbres. Nos mains. Le voyage incessant dans les temps de notre histoire. Je me fie à l’étoile. J’écoute et distingue dans la tendresse des jardins du monde, et dans chaque regard qui s’y pose, un immémorial désir de bienveillance. Ne pas se reposer. La vérité est belle, hideuse et incompréhensible. « Oui, merci Sylvie, je veux bien un autre café. »
Extrait de « Sans cesse » Editions TARMAC 2018
Image d’entête: travail personnel (évocation du travail de l’artiste, Jean-François Simon)
Contre l’absurde, il faut chanter. Car conjurer l’absurde vaut toujours mieux que de s’y habituer. Parce qu’il existe une sorte de totalitarisme de la pensée – et par conséquent une sorte de totalitarisme de l’agir normatif dans les rapports que nous entretenons avec ce qu’il est convenu de nommer la réalité -, la révolte, qu’elle soit poétique ou d’une autre nature, est de toute évidence un appel à faire naître une autre façon d’être au monde. N’y a-t-il pas urgence en effet à sortir de l’entre-soi, à repousser les « formes » qui s’imposent ou que l’on s’impose, à questionner les apparences, à passer outre nos limites, à trahir nos « territorialisations », nos schémas intellectuels et utilitaristes ? N’y a-t-il pas dans l’art la possibilité d’éprouver notre rapport au monde, de retrouver l’usage des facultés de perception dont nous sommes porteurs ?
Le langage peut servir à ça. Expérimenter le langage pour questionner ce que nous prenons pour des formes et dont le sens nous échappe. Pressentir -consciemment ou inconsciemment- (peu importe après tout) que derrière la trace, l’invisible nous informe, qu’il n’y a pas de formes mais des durées, des poussées de percepts intuitifs ; des avancements de joies.
« il n’y a pas d’autre musique que celle des lichens » Ecrire n’est pas décrire, ni même représenter. C’est dessiner l’enfance, une mémoire inscrite dans toute chose ; c’est chanter jusqu’à supprimer l’œuvre.
Celui qui sait voir, sait écrire. Et l’œil a beau rouler comme un « dé rond » sur les surfaces, ou être « devenu sel », c’est l’âme qui regarde des apparences ce qui tremble et qui est, permettant au langage d’établir des ponts entre le « réel » et ce qu’il est d’usage de qualifier de « rêve ». Le voile alors se déchire et s’ouvre sur une forêt d’échos, un labyrinthe de couleurs de sons et d’odeurs. Ici c’est bien au tour du lecteur-promeneur d’entendre et de voir à travers les analogies et les métamorphoses ce qui contraint le poète-chaman à « remonter le courant avec des rames cassantes comme des ailes » ou à se tenir « debout sur des nénuphars marins en quête de souvenirs perdus ».
Car c’est souvent comme
ça que se passe. Révolte, questionnements et désillusions sont nombreux « Autant
de joutes. Autant de nuits que d’insomnies » « Rien n’a de
contours sauf l’attente » tant il est difficile de trouver du sens à un héritage
parfois encombré ou torturant.
Mais écrire c’est également penser la mer lorsque la distance ne nous permet pas de la toucher ou de la voir. Et n’est-ce pas précisément cela que d’être au monde dans cette distance qui nous sépare de ce que l’on ne voit pas mais que l’on sait exister ? Ce qui fait sens se trouve donc peut-être dans cette relation nomade entre penser et être dans une information se tenant à la fois en soi et hors de soi. Serait-ce une intention que d’être au monde, et la vie elle-même pourrait-elle résulter d’une volonté ? Quand et comment entrerons-nous en conscience dans l’unité en tant que créateurs du monde?
Ainsi, c’est tout de même bien ancré dans notre réalité – dont le principe est malheureusement hélas fréquemment nié, puisqu’on lui conteste partout ou presque sa part gazeuse, numineuse, sublime – qu’il faut continuer intérieurement, très confidentiellement, mais avec application à danser et chanter le monde pour lui-même, pour ce qu’il est ; une partie de nous.
Je dis avec application, car la condition pour être le danseur de son propre chant requiert un engagement personnel et total, un vrai retournement vers soi, sinon on s’emmêle vite les pinceaux. Il ne suffit évidemment pas de passer d’une « constellation » à une autre, et de se parer de ce qu’elles disséminent, pour se faire soi-même pulvérulence, rhapsodie ou être reconnu comme poète. Franchir le seuil du sens commun, puis régler son chant, son pas, à la tension, à la rigueur de cette recherche, de cet enfoncement, c’est entrer peu à peu dans la conscience ; le palais de notre propre matrice.
Obéir, au sens commun du terme, n’est rien. Il suffit de hocher la tête pour qu’on vous laisse tranquille. Mais être libre d’obéir à la danse et au chant, c’est être à sa juste place.
Et Miguel Ángel Real, que je salue, est dans son chant d’inquiétude, à sa juste place.
COMME UN DÉ ROND
Traduit de l’espagnol par l’auteur et par Florence Real
Nous sommes sans cesse en quête d’épouser la réalité de ce monde, et la plupart du temps nous semblons également être confrontés à la pratique paradoxale d’y éprouver l’absence, ce sentiment étrange que quelque chose, quelque part, à portée de main ou de cœur, nous reste désespérément inaccessible.
À cela, dans un langage qui appartient d’abord au souffle, la poésie ne peut se résigner.
Parce que Flora Botta est résolument et en toute conscience au monde, et parce que sa voix sait qu’il ne lui suffit pas de sortir d’une bouche pour que la pensée et la parole lâchent prise, pour que la profération s’ouvre sur le dire du corps et de l’âme dans sa texture essentielle, elle dira en prières jaculatoires, dans un chant qui conjurera le temps et les apparences, sa joie féroce d’être mariée à la terre, et son ivresse d’aimer qui la fait tomber vers le ciel.
Si La nuit est le mensonge semble de mon point de vue être une prière adressée au vide – à ce par quoi finalement nous sommes comblés -, c’est aussi un dire de l’instant et de l’extase. Et lorsque l’exercice d’écrire excède l’écriture ou que l’écriture renonce à elle-même pour le chanter, ce dire est animé par un don prodigieux qui fait surgir l’être et le fait danser sur le fil d’une mémoire oubliée.
L’énonciation du monde par le souffle y outrepasse tout marquage des mots et des signes. Bien sûr, l’incantation est préalablement écrite – même si peut-être elle n’est que transitoirement scellée – mais son langage est vivant, et ce langage danse même sûrement bien en deçà de l’oblitération corporelle des mots. C’est le chant d’une conscience sensorielle où l’âme des signes et des choses est convoquée à un présent primordial.
Outre ce qui s’y impose comme un chemin désencombré des peurs et la permanente mise en équilibre du mystère et de la clarté, ce chant procède d’une expérience du dessaisissement du moi pour un détour nomade, animiste, vers l’insituable soi. Dans une langue qui sans cesse fait naître la locutrice, et dévoile une réalité mouvante dans l’espace et le temps, la poésie (le dire de l’intuition) amène Flora Botta à faire l’expérience d’une clairvoyance totale où le je est presque toujours du registre de l’autre. …/… Syllabes coupées : qu’est-ce que tu essayais de me dire ? tu étais là je t’ai sentie pourtant je ne te connaissais pas je ne t’avais jamais vue auparavant. C’étaient les derniers instants avant la chute. …/…
Le monde ne se résume pas à ce que nous croyons en percevoir. La conscience est collective, et l’inconnaissable bien partagé entre hasard et les « causalités naturelles »…
…/… Qui nous apprendra à ne pas mourir si vite ? …/… probablement personne d’autre que soi. C’est comblé par le détachement, la joie profonde d’être consolé par ce qui jamais n’advint, qu’il nous faut d’abord mourir pour devenir. Le chant qui place parfois la mort dans son drap de couleur or ou dans le fuselage d’un avion qui se crashe le sait …/… c’est la vie qui se renouvelle âpre sainte bridée et chère ne savoir rien d’autre que se qui se fait en passant par l’amas de gouffres qui s’ouvrent et nous avalent cependant vainqueurs ressortir de ce ventre y rentrer dedans nous évanouir dans ce ventre y renaître à chaque ventre chair et corps et luire davantage …/…
Nous n’avons donc pas d’alternative, il nous faut vivre à condition d’aimer. Brûler maintenant. Demain, il sera trop tard. Demain est un leurre. La vie doit passer par la dévoration de son espace incarné ; la promesse seule résidant dans la puissance magique des mots-corps – corps sans racines – qui ne cessent de se tenir et de marcher à nos côtés.
Il faut vouloir vivre …/… comme un fou les mains dans la rue creusant l’espace d’un instant …/… Peut-être est-ce l’enseignement clé que nous délivre le chant vertical et immémorial de Flora Botta. Car ne pas être possédé, c’est en quelque sorte être dépossédé du privilège des voix et du souffle. Comment alors entendre et comprendre les ombres. Comment nous tourner vers le ciel, l’eau et la terre si nous sommes sans visage. Alors la nuit devient un mensonge au sens de notre propre tromperie vis-à-vis de l’amour et de l’image que nous nous faisons de nous-mêmes, de notre origine ; quand en réalité, elle est ce seuil étrange que nous devons franchir afin que nous puissions enfin toucher et dire le lieu où s’accomplit le rêve.
Flora Botta nous propose là un texte qui à mon sens témoigne d’un authentique dialogue avec soi-même, et qui, descendant loin dans l’intime, enjoint à l’être de s’engager dans une véritable Œuvre de transfiguration pour qu’enfin la matière et l’esprit ne forment plus qu’un seul et même précipice de lumière. De la plus pure poésie.
Article paru dans la Revue papier FPM N°20 .
La nuit est le mensonge Editions Le Nœud des Miroirs Edition bilingue Préface de Christophe Mileschi
Des douze récits que François Dominique nous propose dans Délicates sorcières, on retient immédiatement ― avec les lieux et les parfums qui les enveloppent ― d’intenses et fragiles instants où les femmes essentiellement incarnent des seuils, des passages.
Chaque récit ou presque est une rencontre, et chaque rencontre est pour le narrateur l’occasion de vivre et de partager un voyage lié directement ou indirectement au mystère de la musique des corps, des voix, des traces (présences absentes) et de leurs murmures.
Le partage auquel nous prenons part, nous lecteurs, se fait bien sûr par l’intermédiaire du texte où l’art de l’écrivain témoigne de l’intérêt que ce dernier porte à l’égard des objets et des lieux familiers qui composent ce que nous appelons communément les éléments de la réalité, laquelle se révèle parfois pourtant par nombre de ses aspects bien singulière.
Le sensible et l’étrange dont on est toujours captif y occupent un espace toujours inédit recelant des temporalités que rythment absences et présences, c’est-à-dire ce qui (je cite F.D) « se joue de nous » dans l’incessant mouvement d’interférence qu’entretiennent les lieux, les objets et les personnes avec l’esprit qui les visite, échange avec eux, et tente de les comprendre ; un espace où les occasions qu’a le rêve d’y prendre corps sont infinies.
J’ai beaucoup aimé retrouver chez cet auteur ce qui, dans sa perception du temps et de l’espace, semble lié à l’inquiétude (encore au sens du mouvement), au balancement qui s’opère entre les certitudes et le hasard, les réminiscences et l’attente.
C’est d’une maîtrise poétique remarquable de légèreté et de précision.
En lisant cet ouvrage, j’ai pensé à la puissance évocatrice des mots (des noms) qui semblent parfois nous rêver, et j’ai entendu de Maurice Ravel sa Pavane pour une infante défunte.
S’agissant du visage central qu’il nous appartient (selon ce qui nous est dit dans l’avant-lire) de découvrir ou de reconstituer à partir des douze pièces du puzzle que forment les récits, il possède à mon sens (ce qui n’est pas une hypothèse très originale de ma part) les traits énigmatiques de l’Autre.
Dans cet autre, il y a celui de l’auteur et le nôtre également, mais par-dessus tout, le texte lui-même comme principe d’altérité.
Tel un réseau complexe de courbes se dessinant dans l’espace, créant au fil de la lecture une zone faciale légèrement mouvante, tour à tour concave et convexe où s’organisent d’abord, se fondent, s’épousent puis se déterminent enfin les lignes d’une figure géodésique, un visage-paysage qui m’est cher est apparu peu à peu.
J’y ai reconnu le visage-monde et le visage-masque du plein et du vide des artistes, des chamans, des cabalistes ou des alchimistes. Non une simple et belle apparence, mais cette énigmatique profondeur de l’effacement qui nous raconte silencieusement ce que nos sens saisissent ― que l’on se tienne dans les ténèbres ou la lumière ― comme potentialités de la matière, comme pratiques de l’esprit et de l’agir, telles d’inépuisables possibilités d’être et de devenir.
Ce visage existe bel et bien donc : c’est ce livre cosmographique qui en a tous les traits en somme ou du moins qui les propose ; c’est le Livre dodécaédrique du vivant, des ombres et des miroirs, bien sûr, mais aussi des noms, des lignes et des traces que nous portons en nous-même. Livre dont il faut s’appliquer ― sous peine de perdre l’équilibre ― de tenir les pages ouvertes.
Délicates sorcières est un ouvrage renfermant un très beau traité d’imagination, de géométrie sacrée, de traduction et de patience ; un magnifique et silencieux portrait du mystère de l’être.
Je ne le dis pour personne ce lieu sans bords et sans hasard, au hasard de ce qui s’y manifeste et nous méduse. Ça en fait chier pas mal, la beauté, l’éblouissement. Air feu océan matrice, l’immense femme-tresse spirale révolutionne gire dévoue demeure voue existe virgule articule n’explique et n’identifie coupe sabre éclot sans but déterminé.
Du monde, je n’y ai jamais vu qu’une lisière à vrai dire peu fréquentée où les atomes bondissent dans la vibration d’une poix ondulante ; un Univers Aspic. The never ending trip… ainsi/ œil soleil oiseau /ne tourne pas les pages – jamais –, mais frappe les atomes, ramenant au temple d’insécables permanences. Soudaines sidérées, réverbérant un swing de lumière lente et bleue, mille faces en surgissent pourtant, inertes, récessives.
– « le sud ? » c’est par-là, maugréa-t-il sans lever les yeux, en indiquant de la main la porte donnant sur le couloir. Et il rajouta : « vous y ferez quoi dans le sud ? – « je n’sais pas… est-ce si important ? » et l’ombre disparut la chance→ suerte sur le terrain de l’homme, une corne en plein cœur.
Car il n’y a pas un point obscur, mais des entres, des songes extraordinaires où d’évidence rien ne s’endort : c’est Ga’nza, une explosion vertigineuse de lignes et d’images par milliers ; une transe sacrificielle, une danse de courage. À cet endroit de pure réalité, Ainsi n’est plus un fatum. C’est un maelström de chants, de danses et de musique. Et la main qui porte la lame sur le prépuce porte un mystère et une souffrance. Derrière les cirrhes du grand tapage Ainsi admet tout. – « dis, quand reverrons-nous dans la mort, l’enchantement des fins dépassées ? »
L’eau de la mer des Tchouktches, des Sargasses et des Antilles, de la Méditerranée, de la mer d’Arabie et de la Caspienne, de la Mer Noire, de l’Adriatique, du Nord et celle de Chine bientôt montera. Vers le chant et ses lignes, fascinante mélopée, tous les points et les courbes d’un pur désert. L’ivre est là, cadenassé – inachevé, dans sa chair d’être et ses voix radiophoniques –, admettant la nuit.
L’eau de la Mer Baltique et celle du Japon, de la mer d’Okhotsk, de Béring, de Kara et celle de Barents ; l’eau de la mer des Laptev, du Groenland et de Norvège bientôt montera. Le corps est pris par les sens, le cœur lui tenant lieu d’aurores désordonnées. La fin est commencée, bifurcation ; c’est par là que ça commence. Ça exhale et veut parler, précipiter la fuite. Pas de mots. La mémoire, les lignes sont dans l’œil – innées –, et les parfums en conscience des pores, prophétie par ce pertuis qu’il faut franchir. L’eau de la mer du Labrador et de Beaufort, d’Andaman, de la Mer Jaune, de la Mer Rouge et celle de Java bientôt montera. L’odeur de la nuit est d’une sauvagerie qu’ainsi et mémoire, hallucinés par les ombres et leur tapage qui passent par les failles de l’enclos, admettent sans illusion. Déjà le rut d’un souvenir plaqué sur les reins du rêve, mais sans jamais perdre de vitesse sa durée vertébrale et gazeuse. Ça respire, entend et voit. Cet impossible lieu parle plus vite que les mots. Le corps y est coupé par l’attente, mais respire encor la hâte de commencer. Le souffle menace même d’aller plus vite à sentir l’imminente rupture. N’y rien attendre est une urgence d’éther.
L’eau de la mer de Timor, de Célèbes, de banda, d’Arafura, de Bismarck et celle des Salomon bientôt montera ; l’eau de la mer des philippines, de la mer Blanche, de la mer de Sibérie, de Corail, de Marmara et celle de Tasman aussi. Et puis après tout, qu’importe ; nous nous ignorons tellement. Tourné vers le visible et l’invisible, tenant dans la bouche la clef d’un langage, l’esprit aussi concret que l’air, néant ne change rien au tout, sinon que voudrait dire le réel si sa masse n’était critique, se dissolvant et coagulant en permanence ; si son aria n’était ivre de ses aubes aux condensations brûlantes.
Dans la Revue Festival permanent des mots, une note critique sur le dernier recueil de Gilles Venier, Terre-à-terre. Que du bonheur! Vifs remerciements à Jean-Claude Goiri.
Publié par Poésiechroniquetamalle, l’espace critique de la revue de poésie Traction-brabant dirigée par Patrice Maltaverne, un compte rendu critique du dernier recueil de Gilles Venier, Terre-à-terre, ici: http://poesiechroniquetamalle.blogspot.fr/
Double séparation, c’est d’abord un rythme, une pulsation qui fait de ce texte un monologue très inspiré. J’y ai entendu une véritable voix accompagnée par de longs et lents riffs de guitare électrique.
Ce murmure atonal parle de l’humanité, de ses visages et de ses regards en abyme.
Pour moi, Patrice Maltaverne est un vidéaste.
Son œil est sa caméra. Il regarde ces regards, suit tous ces corps en mouvement empêtrés dans l’espace où mystère et réel étroitement liés ne leur facilitent pas la tâche. Comme tout grand photographe, ce poète est aussi un peintre, c.-à-d. celui qui voit dans le moindre geste la réverbération des êtres et des choses.
Sa vision est tactile. Mais il sait que tout ce qui est observable à travers l’invisible est aussi question d’interprétation.
Sous nos yeux, le développement du négatif, la translation est permanente mais jamais tout à fait complète, même si parfois les hypothèses poétiques de l’auteur apparaissent soudain comme de terribles évidences. Le film (le chant, le poème, la musique) se poursuit implacablement dans la lenteur comme une prière, une conjuration du sommeil et des fictions qui savent eux parfaitement polluer le songe et le langage.
Oui, il y a quelque chose de désenchanté dans la prose de Patrice Maltaverne, mais on pourrait écouter son blues sans cesse jusqu’à ce que le silence finisse par gagner.
« Il serait normal / Que nous allions dans le même sens/ Indistinctement vers la nuit/ Sans rien nous dire / Ensemble soudés / Comme du métal de portière.
Un extrait de « sans cesse » est paru dans le dernier numéro de la très belle revue Souffles – « les écrivains Méditerranéens » – à l’occasion du centenaire de la naissance du mouvement DADA.
Sortir du neutre, de la neutralité, affectivement, spirituellement, charnellement. Mettre sa peau sur la table. Danser son souffle jusqu’à la folie. Écrire sa danse. Danscrire, transcrire sa danse la langue en avant. Rester fou, et dans ce devenir, rester en mouvement dans la nécessité de dire et de taire, de comprendre (se comprendre), « On nous dit que nous sommes des concurrents. Toi tu te dis que toi et moi on est concurrents. Moi je pense que. Nous ne sommes pas des concurrents. Nous sommes des alliés. » connaître et commencer sans cesse. Voici ce dont il est (en partie) question dans ce texte.
Même si du syn-t.ext il est dit par l’auteur qu’« il représente un point où la littérature s’effondre infiniment sur elle-même », pour moi, cela reste de la littérature ! et de la bonne ! Impossible qu’il puisse s’agir là d’une diatribe antilittéraire. Là où à chaque page ça hoquette, râle, raille, s’éraille, menace, chie, aime, rêve, espère, désespère, arrache, prie et combat, écrit à haute voix que « tant de la réalité se passe loin des mots, loin de la parole », j’y ai senti pour ma part des averses de langage, des bombardements de mots particules atomiques d’une pensée musicale ; un précipité amoureux.
Certes, dans le labo syn-t.ext on n’y romance pas, mais on est au travail ; dans un travail de rassemblement, d’assemblage et de recombinaison, donc de structuration, puis d’étoilement ; dans le travail pneumatique d’une langue différente qui ne communique pas mais, se disséminant, opère aussi sur sa matière même, sa substance transmettrice.
On est dans un « crâne vitrail », dans un « quartier à la cervelle de rat », un non lieu, un envers où tout s’engouffre, et où tout est repris. Ce syn-t.ext n’est donc plus simplement un poème, mais une sorte de nucléosynthèse poétique. C’est un souffle lié à d’autres respirs qui constamment reculent leurs limites ; un dire en équilibre précaire mais qui sans cesse déséquilibre ses propres hypothèses, disperse ses condensations, précipitant entre eux les mots les plus légers afin d’atteindre une lourde masse critique écrivant le réel.
C’est du gros son et de l’ultrason, de la lumière en mouvement. « Chaque âme est une magnifique centrale nucléaire. Rassemblez-les, vous avez le soleil » (amatemp13). Enthousiasme, extra lucidité, objectivisme et pessimisme, voici les grands ressorts d’un brûlot poétique où s’embrase instantanément toute métaphore.
Entre le contenu très solaire du chapitre Whatever it takes et la très artaldienne page 143 « Je n’approuve pas mon corps / Je n’approuve pas mon existence / Je n’approuve pas les molécules qui me constituent / … etc. je ne relève aucune contradiction gênante, mais les sursauts symptomatiques d’une âme et d’un corps scintillants vifs dont les particules élémentaires s’excitent probablement selon les variations de l’intensité magnétique terrestre, du récit de l’univers.
On comprend tout d’emblée, même si l’on n’est pas titulaire d’une maîtrise de science ou de philo. Ça se lit par bloc. Ça rentre instantanément par l’œil pariétal, impactant directement les plexus et rachis. Il faut voler, reprendre à son compte ce syn-t.ext, le faire voler, et à son tour s’envoler avec ses métamorphoses, ses mutations, ses vertiges : toutes les cristallisations d’une pensée et d’une parole qui n’ont pas d’autre intention finalement que de se défaire de leur enveloppe charnelle.
Comparaison peut-être un peu osée, mais oui, j’ai pris ce syn-t.ext dans le buffet comme lorsque je découvris -il y a quelques années déjà- Paradis: avec émotion.
Allez, encore un petit extrait de syn-t.ext, pour la route : « je t’en supplie, lis ces mots et réponds-moi en détails dans mes rêves. | Au revoir au jour qui est là et que je ne vois pas. | Au revoir au jour qui est là que j’aime et que j’ignore. | Ce que je veux te dire n’a pas de fin et je m’arrête ici. | »
À suivre …
Gilles VENIER
15€ Chez Librairie Editions tituli (Amazon, Fnac, etc.)
les hypothèses du rêve et de lucidité au millimètre ?
–—
Dehors, assis parmi les voix
dans l’inversion des climats,
un sommeil ardent, les remous d’une langue aveugle :
voir enfin,
peut-être même dire les nerveux tournepierres
acharnés fouilleurs des estrans
sous le ciel poudreux de la cimenterie,
rendre compte, acter
mais quand, avec quel langage ?
–—
S’INVENTER
un plein vide.
Rassembler et en disperser les sons. Resserre ta pensée.
Dans l’enclos, ce monde feuilleté de figures, – lesquelles n’entendent pas leur propre récit d’éloignement, leur séparation intime et profonde avec l’autre partie de leur être,
où toutes les solitudes et leur représentation transhument lumineusement –,
ça claudique, oscille partout méchamment.
Chorégraphie des solitudes, des représentations.
Nous disparaîtrons sans n’avoir jamais rien perdu ni personne.
Prière (Ecrire) Collection Encres BlanchesN°660 Mars 2016
Après le kairos et le chronos, voici l’éternité, qui n’est pas linéaire ni cyclique, et nous réserve bien des surprises, des temps renversés et renversants, inversés et subversifs; la création se tait : crainte respectueuse de l’homme auquel elle ne veut pas faire de mal? Attente du dialogue humain pour oser bruire de feuilles, fleurs, pleurs, cris et balbutiements froissés de la bogue tombée ou du cerf solitaire… la création se tait… Le temps n’est plus comme un simple Charognard, temps obscurs des Ténèbres de l’Érèbe, où les dieux acceptaient d’être dés-altérés, par l’eau humaine dont ils se nourrissaient et qui les apaisaient : le sang, cette carte d’identité archaïque… C’est aussi pourtant le liquide qui rend frère aussi, non ? Mais vient peut-être maintenant un temps-révolution, celui de Nyx, la Nuit, qui ne connait pas le logos mécanique, ritualisé… Ce temps là métamorphose la Nuit en Jour, et signale un temps autre, « enroulé dans le secret » de chaque être, ignoré de lui, intuition confuse d’une des réalisations possibles de l’être… Aïon… pour l’homme sa double nature, mortelle et divine, superposition de toutes les temporalités, sortie du cercle et de la sphère image du Parfait, pour avènement de la troublante perception du voyage des quanta vers on ne sait où, réunion, destruction, fusion, mondes parallèles, trajectoires discontinues, déformantes, changements, spectres gris, ni ronds, ni carrés, ni donc spectres… Devenant autres, d’un Ordre autre, colorés par la seule poésie
Oui, la vie est Prière, et la Prière comme l’Aïon, des encres vives du silence de l’écriture nées de la fenêtre souffrante du poète
Brigitte DUISIT
Les textes Aïon et Prière, signés respectivement par Régis NIVELLE et Gilles VENIER, ont été publiés en 2014 aux Éditions Encres Vives.
Dans ce Numéro 6 de l’intranquille, un superbe dossier réalisé par Dominique Minnegheer sur la poésie Argentine.
Un travail très intéressant mené autour de la problématique de l’écriture et du dire en poésie du point de vue de l’écriture polymorphe des poètes Argentins ou sud-américains et de la résonance critique de cette poésie au regard de l’histoire contemporaine.
Tous les auteurs /auteures et leurs travaux sont très intelligemment présentés, sans que le mythe Borgésien ne vienne « polluer » l’approche.
On y retrouve cependant l’énigme du texte pris entre allégories et réalité, mais aussi et surtout l’énergie -parfois celle du désespoir- et souvent la lucidité et l’audace (énonçant l’insupportable) de parler à la mort -parfois face à la mort- , de convoquer l’histoire en abolissant le temps ou à contrario en le rappelant, d’ouvrir un dialogue avec les forces obscures de la pulsion de mort comme avec celles qui créent et célèbrent la vie.
Ce que disent ces poètes est précisément ce qui ne peut se dire ou plutôt ce que l’on ne peut malheureusement presque jamais entendre hors du champ littéraire, parce que ce dire INESTHÉTIQUE (par opposition à l’illustration esthétique commune abondamment répandue par l’ordre médiatique et par l’ordre tout court) énonce explicitement les preuves accablantes d’une lâcheté ou d’une paresse collective dont les fictions -généralement entretenues par des intérêts consuméristes ou par la peur de l’autre, l’oubli etc.-, se substituent bien souvent à la contradiction du débat rationnel ou à l’intranquille expression artistique qui suscite sinon l’émotion, toujours un questionnement relatif à ce que nous faisons de notre vie.
Instructif cahier Argentin donc qui se révèle être, d’une certaine façon, un ensemble témoignant de l’originalité de la dialectique poétique et la justesse de son expression critique en prise avec les distorsions sociales, l’injustice économique et la barbarie, et de toute manière une formidable introduction/incitation à découvrir ou à redécouvrir les œuvres de ces très beaux représentants de la littérature hispano-américaine.
Pour ce qui concerne l’autre partie de la revue, ce sont les traducteurs qui ouvrent ce numéro 6 et proposent sur une vingtaine de pages des textes qu’une délicieuse porosité mutuelle rend étonnants.
Dans un autre dossier, au fil de créations toutes plus singulières les unes que les autres, on y échange autour de la question du « Genre » où les poèmes des intervenants actent un lien direct entre le réel et le langage.
Coup de cœur pour les textes de Besik KHARANAOULI – pardon de formuler ici quelques préférences dans ce riche ensemble -, pour Marie COSNAY, Marie FRERING, Nina JÄCKLE, Abel ROBINO& Bernardo SCHIAVETTA, Denis-Louis COLAUX, Jean-Marc PROUST, Nini BERNARDELLO, et un petit (gros) pincement au cœur pour la présence de Héctor Viel TEMPERLEY qui est pour moi l’un des plus grands poètes de cette Argentine Éternelle.
Et cet irascible coq que personne n’ose trop approcher, qui se pavane et terrorise les poules derrière l’épicerie, dans le jardin potager. Ou cette jument qui, au détour d’un chemin, charge furieusement les passants habillés de couleurs vives. Toute cette force sauvage retardera la mise en faillite du commerce paternel et la visite de l’huissier durant deux hivers.
Depuis la banquette arrière, difficile de comprendre comment le conducteur et sa voiture trouvent le passage dans cette densité noire. Les phares et leur faisceau jaune n’éclairent que les arbres de la forêt semblant vouloir à chaque virage se précipiter sur l’automobile.
Depuis quel endroit, à partir de quel moment, quel entretien, éblouissement ; depuis quelle fêlure la réalité ? c’est une source qui t’a dit que les morts se rassemblaient dans les saisons, les instants et les bruits. Sounds and songs ! serviteurs du vide et de ses parfums.
Le boucher sur la place du village : son avant-bras est totalement plongé dans la gueule du berger allemand qui écume et saigne pour s’être fiché, dit-on, une esquille d’os de bœuf au fond du palais.
Les hautes chambres sont misérables, tout va à la force.
Sacrés, les grands sacs à grains en corde aux bords ourlés sur le café ou les légumineuses qu’ils contiennent. Derrière le comptoir, la sensation délicieuse d’y enfoncer tout un bras.
Tu es loin et ici : inexplicablement. Le bruit surpuissant du moteur d’un autocar qui passe à proximité, abat toute la réalité. Tu es à la porte réservée de l’absence. Appartenir toujours à l’enfance.
Anaérobiosede Mathias Richard – Éditions Le Grand Souffle
En 2009, j’écrivais à propos d’Anaérobiose, de Mathias Richard, que ce récit était pour moi un texte sensitif par excellence ; un texte cœur, sexe, main, bouche âme et œil tactiles d’un périple en tous sens.
Je n’ai pas changé d’avis. C’est à la fois d’une telle tendresse et d’une telle force, que cet hymne au vivant, le chant ivre de Melrobor-Vampor, se déploie sous les yeux du lecteur à la vitesse de la lumière.
Au fil d’une traversée de l’Europe qui le mènera de Montreuil jusqu’en Turquie, et au gré des rencontres qu’il y fera, c’est dans un langage total en prise directe avec les impacts du réel que le narrateur nous entraîne.
L’écrit sans artifice ni concession dispose en effet du réel sans jamais le trahir, s’approprie du tangible l’infini champ des possibles.
Doté d’une langue pure et insoumise aux fictions des représentations ; d’une langue libre qui ne reconnaît pas d’autre urgence que celle de faire vibrer le corps-verbe, Mathias Richard, retrouve, révèle et rend hommage à l’imperceptible trace de l’âme jusque dans l’asphalte ou nos déchets domestiques.
C’est brut, très beau, et ce n’est peut-être pas non plus tout à fait un hasard si le trajet du voyage passe par la petite ville de Montignac, non loin de Lascaux, ou bien encore que ses compagnons de route d’un moment s’appellent Zach Ovide, dit l’Ogre, Lianh ou bien Annah.
De ce texte ne se dégage donc pas seulement une histoire ou des histoires, mais également la nécessité qu’éprouve l’auteur à évoluer en permanence au delà des mots dans le don pluriel de l’agir, par cet acte sacré qui consiste à joindre l’acte à la parole, mettant en œuvre l’être et le monde dans un rapport essentiel capable de faire naître des lieux et des instants comme autant de sanctuaires qu’une conscience habiterait de sa permanence spirituelle.
La spirale de la parolede Guillaume Bergon – Éditions Caméras animales
De la lecture de ce texte, on ressort épuisé, l’esprit presque défait.
Mais l’intention de l’auteur n’a-t-elle pas précisément pour but de nous entraîner dans une lecture basse d’abord puis, au fur d’imprégnation rythmique, dans une sorte de vortex qui nous enivrerait au point ne plus trop savoir ce que l’on est en train de parcourir de cette spirale?
Dans une autre critique de ce texte, je crois avoir évoqué une lecture asphyxiante. Je préfère plutôt parler aujourd’hui d’une lecture littéralement saturée, en prise avec un incessant flux nominal.
D’où peut-être cette impression d’immense fatigue pour avoir été confronté à une forme d’expression qui en quelque sorte se nourrirait d’elle-même et, semblable à une transe extatique, s’ouvrirait sur un néant, une non-pensée ou pour le moins, une sidération de la pensée.
Sommes-nous confrontés à une œuvre d’art ? Ce qui est sûr -à mon sens-, c’est qu’en faisant ainsi front à la pensée, en la malmenant et la défiant, l’écriture prend sous cette forme le risque de s’éloigner de la parole ; ce que le titre du livre semble pourtant vouloir démentir. C’est donc bien de l’imminence d’un néant dont il pourrait être question dans ce texte derviche, d’un tournoiement à l’à-pic du vide rarement ainsi approché ; autrement dit, ce qu’on ne préférerait autant pas apercevoir du vide, alors que nous girons tous vers cette totalité.
Y a-t-il lieu alors d’y deviner les signes avant-coureurs d’une métamorphose de la pensée ?
À la réflexion, je ne crois pas.
Reste qu’une telle expérience de lecture, pour déconcertante qu’elle puisse être, est vraiment à risquer.