l’ivre de lumière et de nuit

Mère

l’ivre de lumière et de nuit

écoute partout la mer

Je te parle assis dans le vide

bois dans la coupe de tes mains

dors en ton pays

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L’eau tombe dans mon corps

mais c’est toi me buvant

l’espace lisant ma peau         

l’eau de ma prière

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Je te parle depuis un songe maternel

mangeant et buvant ses bruits

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Semence frappée        est-ce bien ma demeure ?

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Asile à la nuit pleine              

la lune est bleue ou blafarde

mais on chante à plusieurs

aux vibratos des pulsars

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Nous ne sommes pas seuls

partout est la demeure de nos mémoires

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Écrire n’est rien                      le corps peut le dire

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Tout est dans le sans nom

que le vide

l’esprit et la matière portent au feu

la torche étoilée de l’iris

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N’écrivons pas

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Lorsque je t’aurai rejointe

nous nous assoirons    au sein des voix          des murmures

nous laissant enrouler

par la vitesse

la lumière et les ténèbres

Et nos mains

toujours assoiffées de figures

de lèvres vives                       

de pluie

attraperont les mythes par les cheveux

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Jusqu’au plus léger dire

vagabonderons

passerons même une journée à Tübingen

où André en uniforme nous rejoindra pour t’embrasser

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Quels autres furent tes amants ?

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Feignant d’être surprise sur le fil de ta mémoire

tu souris en portant tes mains sur ta bouche

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Ton Adam fut amour en tes deux feux vivants

du jardin jusqu’à ta main

de tes eaux jusqu’à la porte de ton cœur

apprenti de tes voiles de tes parfums 

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Avec toi migre ma pauvre langue

aux herbes odorantes

adoptant la respiration des nuits et des jours

qui chante les bois frais

les carex                      les iris et les prêles des marais

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Car c’est toi qui crées les euphorbes

les nuées aux lés mauves et argentés

les hortensias bleus de l’ile de ré

toi qui couvres d’orichalque les falaises de la corniche basque

au coucher du soleil

et ordonnes à la bise et ses framées de gel

de dessiner sur les vitres des fenêtres

les partitions fractales de l’eau et de l’air

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Transporte-moi du bord des lèvres

aux mains ailées ouvertes et spatiales

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Profère ce qui nous traverse

nous dépasse

et pare les choses inexistantes

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Murmure-moi ce que racontent l’eau

les résurgences

le puits salé d’Ugarre

et les sources de la Nive en forêt d’Orion

toutes les sources et toutes les fontaines

les arcatures des châtaigniers à Bidarray

et le peuple des grands pins à la gemme ambrée

du col de Gleize vers Chaudun

l’odeur fumée des feuilles

la fumée des brûlis

l’offrande parfumée que les feux de bois morts adressent au silence

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Extrait du recueil publié par les Editions Encres Vives dans la Collection Encres Blanches N° 797 – Avril 2020 ISSN 1625-8630 – ISBN 2-8550 Dépôt légal Avril 2020

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Image d’entête: Mère totale – Pastel de Olivier NEBOUT