Le Pays incertain – Grégory Rateau – La Rumeur Libre

On l’entend parfois cette langue accrochée au cri, accrochée au réel qui ne veut rien céder à la magie et aux fictions. C’est une langue agrippée au corps, par le corps agrippé que le souffle tend, et qu’une mémoire plurielle fait entendre. On l’entend lorsqu’elle nous saute à la gorge et nous tord le cœur. Et lorsqu’elle nous parle depuis ce Pays incertain qu’est la poésie, on entend alors davantage les scansions d’une polyphonie conjurant avec force ce qui dans l’existence menace de trahir les ombres qui hantent encore le présent de leurs figures immolées pour que vive le poème.

Difficile de refuser cette rhapsodie, tant ses voix nous envahissent, tant leur souffle augmente notre respir. Ainsi, nous rejoignons par amour, à voix basse, pulsée, ces blues noirs, ces récits d’être, ces lents ragtimes aux lambeaux d’or et d’ombres syncopés. Ainsi nous voilà en leur compagnie à poursuivre cette quête de l’impossible,  ce désir – par désir – qu’éprouve Grégory Rateau à recouvrer le ton vif des paroles qui se sont perdues, à rouvrir des villes le dédale des rues à l’aventure des cœurs, redessinant à l’adresse du ciel la figure des amis, les amours, l’ivresse de vivre et d’aimer que les murs de quelques saintes piaules ont gardé en mémoire.

Lier le réel,  l’incompréhensible au présent pour « coloniser le ciel », pour en somme retrouver l’enfance, l’ignition sacrée, c’est défaire le théâtre de la réalité de ses allégories en entrant dans une danse qui ne cesse pas d’entraîner les mots et les gestes à remuer, à labourer le vide dans une chorée ardente d’où naît ce qui doit s’écrire: une parole qui soit « capable de nommer toute chose par son propre nom » et « descendre dans les limbes pour y porter le feu »

« Je voudrais tout cela et bien plus, » poursuit Grégory Rateau « je voudrais retourner dans ce pays incertain où les souvenirs sont comme des villes en construction, avec des axes compliqués, des passages secrets, une vie de village pour chaque quar­tier, des ragots pour peupler de futilités les dimanches sacralisés. Des tasses se rempliraient toutes seules, les heures ne pèseraient plus sur nos consciences, les fins de journées seraient enfin dépouillées de cette chape de plomb, du prix d’un effort totalement vain et où les jeux d’enfants reprendraient enfin goût à ce rien qui n’a pourtant pas de prix. »

On l’entend parfaitement, chez Grégory Rateau, cette langue accrochée au cri, accrochée par l’impossible. C’est celle d’une pensée vivante se mouvant avec une force rare qui nous parle d’une quête d’absolu.

Le Pays incertain – Grégory Rateau – Préface Alain Roussel – 64 pages ISBN 2355773386

La Rumeur Libre Editions

https://www.larumeurlibre.fr

Ÿcra percer à nuit le monde

Et si l’expérience du corps était une mission de l’âme, l’épreuve de l’incarnation dans les fréquences du vide, dans la pratique consciente de plusieurs traversées; d’exister ?

Et si la vie couvait encore un dire inouï des formes natives du visible et du dire, couvait la mort, le corps-rêve à la porte du feu, et que la danse de l’écriture irisait l’errance subtile du graphe qui affleure à la surface du codage serré des lettres de l’illisible, irisait la justesse des tons aux réminiscences parfumées et le rythme du silence, les vibrations entre l’envers et l’avers ?

Et si dès aujourd’hui nous n’avions jamais fini de lire Ÿcra percer à nuit le monde – de recommencer sans cesse à entendre, à respirer et voir ce texte incomparable : tissu mouvant d’une littérature s’accomplissant, détachée de la signification qu’éventuellement on pourrait lui accorder, qui danse et dansera longtemps sous nos yeux, et moi avec …

V I E – Livre second : Ÿcra percer à nuit le monde de François Richard

ISBN : 978-2-916492-68-1

200 pages

Prix : 15€

Editions Le Grand Souffle http://www.legrandsouffle.com/site-edition/edition

Image d’entête – Travail personnel: Acrylique sur toile de 50/80 cm

François Richard – V I E Livre 1 – L’asquatation

François Richard, l’auteur de Vie sans mort, d’Esteria et de Loire sur Tours, nous revient enfin grâce aux éditions Le Grand Souffle avec un texte-danse qui aura habité de ses déflagrations secrètes un trop long silence du poète.

Dans le premier opus de V I E – L’asquatation -, il y a un lieu : le squat Ribardy. Et puis il y a des heures, des jours dont certains sont des ères, et encore d’autres jours-instants aux mille nuits, aux mille paysages où l’errance a le don de ses voix-âmes, des Driades, d’Esther Leastir (la femme cachée), des fleurs, des vents d’encre, des corps – Ors-feux – au don d’ubiquité.

Le verbe y est matière et musique. Sa résonance sacrée est fertile. Le temps est celui des corps sonores de ces adolescents survivants dont les voix vivent et retentissent dans le choix lucide de leur liberté assumée en tant qu’êtres acceptant leur condition. Tous ou presque annoncent une révélation. Un renversement, une fin et un début ; peut-être celui d’un autre monde.

Ils sont là ces enfants d’Orphée à la fois synesthètes, amnésiques et dotés d’une mémoire plus vieille que la mémoire des temps. « ils sont là, Thubald, Thiam le non mort, Suïm, Imogen, Nroil, – Léopar, frère de Carange, et Chriscent (plus loin) -, et Attuen, et Lullia, et Lul etc., extrayant un vaisseau de l’envers de l’air ».

C’est un texte levé, une odyssée, d’où surgissent des légendes, sources originelles enroulées dans un futur déjà réalisé, où le sensible danse avec la création, avec l’imaginaire ; où le langage est capable de questionner le réel ; de redécouvrir et de nommer l’Arbre-Monde.

Il y a là, en mouvement – en inquiétude -, un chant dansé qui propose une traversée des ténèbres qui nous ceignent. Nulles allégories ou imitation dans son tracé, et surtout pas un jeu. Ça passe par les sens du respir et du toucher et par l’expérience du mystère, de la douleur et de la joie; de leur stridulation. Rien d’occulte non plus, mais sans cesse une création dans le creuset du sens.

L’écriture de François Richard est toute empreinte de cette respiration vitale – l’inspir et l’expir dans l’unicité corps et âme d’un temps-corps -, qui nous permet de tenir, de suivre l’étoile et d’aller vers soi. Lire cette respiration, c’est aussi respirer avec ce poète hors norme, le rejoindre dans sa quête, et s’étourdir avec lui dans la danse d’un verbe qui nous appelle à revenir au vivant, à nous retourner, en nous, et à s’unir à la conscience de l’amour.

Un très beau récit initiatique

Livre 1 – l’aquastation – Premier acte du pentaptyque V I E – 186 pages – Editions Le Grand souffle 2021

Prix: 15€

http://www.legrandsouffle.com/site-edition/edition

Image d’entête: travail personnel – les jumeaux plage d’Hendaye. Acrylique sur bois

mathias richard – 2020 : l’année où le cyberpunk a percé

Un petit livre remarquable de Mathias Richard vient de paraître aux Éditions Caméras Animales.. Dès la première page de ce qui ressemble à un carnet de notes, le ton est donné : « avec ma main de pain de mouche de mutation Suzuki/putain/ j’écris des Poèmes dans le Ciel ». Dans un carnet, on n’écrit pas pour être lu. On ne devrait pas écrire pour être lu. Des notes, des fragments de lettres, de courts poèmes ; fièvres et expériences de la fièvre y sont consignées chaque fois comme l’imminence d’une fin et d’un commencement. De brèves prières, et toujours la puissance d’un chant, la volonté de chanter même si « Survivre, c’est assister au désastre un peu plus longtemps ». Garder sa liberté de chanter, et le faire faire vraiment, sans avoir recours au spectacle, c’est-à-dire chanter (même à voix basse) à l’adresse des humains comme à l’adresse du vent, du soleil, ou de la terre, c’est proposer au chant du monde de le rejoindre. Il n’est alors plus question de survivre en assistant au désastre, mais de vivre… même abimé, « brisé » ou « maté ».

Ce texte est revendiqué par l’auteur comme étant un « livre de l’intérieur », témoignant d’un enfermement forcé lié aux « restrictions sanitaires » qui furent instaurées par les pouvoirs publics durant la pandémie. C’est aussi depuis une intériorité plus intime et plus profonde celle-là – où les réseaux neuronaux, l’esprit et le cœur diffusent ensemble leurs informations-, que le dehors dépeuplé, figé ou stérilisé par décret peut apparaître d’autant plus invraisemblable. Mathias Richard consigne les effets de ce processus intime qui immanquablement conduit les mots à se heurter aux idées, et noue affreusement l’affect au poids d’un corps immobile. Même si de la réalité aucun vocable ne peut vraiment témoigner, derrière chaque phrase, chaque mot, se révèle un cosmos spiralé de lumière et de vide. En conscience, le corps et l’esprit tanguent acceptant la souffrance. Seuls l’esprit et le corps savent que le manque est essentiel, et que nous sommes aussi constitués par des milliers de paysages aux milliers de pétales et d’une infinité de capsules d’espace-temps. Et l’esprit et le corps veulent constamment danser et chanter, dans l’instant pur, ce manque et ce plein fractal de vide et de plein qui nous constituent et nous font vivre.

Tout est toujours possible. En homme d’action, en performeur, Mathias Richard ne s’emporte pas sur un futur déjà réalisé. Son parcours, son voyage, il veut le partager avec la communauté humaine « ceux qui sont étrangers partout » qui habite aujourd’hui l’impatience de créer, de se recréer, de communier, et qui déjà tente de conjurer le sort que nous réservent les inquiétantes promesses de l’intelligence artificielle.  Pour faire tomber les masques des impostures en tout genre, de la fausse bienveillance politique et sociale de nos systèmes économiques et sociaux, on doit encore pouvoir bifurquer, reprendre les chemins de traverse du faire, saisir les effets potentiellement positifs pouvant surgir de circonstances aberrantes. Rien de naïf ou d’utopique dans cet espoir. Agir est avant tout un don de soi-même.

Alors oui, parfois le respir du dire de l’artiste est tour à tour ample et court, asphyxié et vivant. À une lyse de rage lourde ou à l’étoilement d’un désir se succèdent quelques précipités poétiques qui n’ont bien sûr rien à voir avec une sorte d’astuce d’écriture, et encore moins avec de la communication. Des invocations existent aussi dans Mix 01 (12.09.20). Ces mantras que l’on peut prendre pour des répétitions obsessionnelles appartiennent au chant, au souffle, où l’être se rejoint dans sa verticalité. « ce n’est pas moi qui exprime ces mots, c’est le Monde.  

Partout dans ces textes, une compréhension intuitive de la réalité. Pour Mathias Richard, avant de ne plus penser, de refuser de penser, de ne plus rien écrire, de ne plus rien vouloir [ou pouvoir] écrire, de ne plus faire parler le souffle ; avant de fuir les apparences, l’urgence est de girer dans les couleurs, de courir tel un funambule au-dessus du vide et ses hypothèses.

Avec ou sans masque, un corps-texte(s) inviolable.

  • Date de parution 08/06/2021
  • Edition Caméras Animales
  • Prix: 10€
  • ISBN / 978-2-9559879-0-2

http://www.camerasanimales.com/

pépé vignes, C’est du beau travail !

J’ai eu la chance et le privilège de visionner, avant sa sortie, le film de Philippe Lespinasse « Pépé Vignes, c’est du beau travail ! » qui rend hommage avec tendresse et émotion à Joseph Vignes, dit « Pépé » Vignes, ouvrier, artiste myope autodidacte, farceur, chanteur à tue-tête, et accordéoniste.

Dès les premières minutes, Pépé Vignes, tel un crieur public, annonce joyeusement face caméra que ses dessins et leurs couleurs existent pour « éclairer le monde ». Son visage comme son élocution respire à la fois la bonhomie et l’impertinence. Mais ce n’est ni un clown ni un excentrique qui parle en chantant. Cet homme est un poète.

Pépé Vignes dessine depuis sa plus petite enfance. Peut-être un recours pour mieux surmonter les difficultés de l’existence. Parfois battu par un père tonnelier qui avait le vin mauvais, Pépé Vignes grandit tant bien que mal dans la peau de l’enfant qu’il n’a sans doute jamais voulu cesser d’être, mais toujours en grande compagnie ; la jubilatoire compagnie des vivants.

C’est un très beau portrait qu’il faut regarder, je crois, en se laissant surprendre par la délicatesse du témoignage laissé par cet homme qui regardait le monde de derrière ses lunettes à gros foyers, avec étonnement, comme il le dessinait, le visage  presque collé au support qu’il avait choisi pour y tracer ses motifs préférés.

Le lâcher prise est conseillé.

On pose son cerveau et on demande à l’intellect d’aller prendre l’air.

Bien sûr, les plus férus d’Art brut verront sans doute dans les dessins de cet incroyable et bel humain quelque proximité avec les travaux de Gaston Chaissac ou ceux de Pierre Alain Lucerné, pour leur pratique commune de collecter des matériaux ordinaires nécessaires à l’expression de leur chant, la simplicité de leur narration.

Ils y verront éventuellement comme une fraternité  – mais toute solaire alors, et certes un peu lointaine – avec Antonio Liguabue.

Crayons, feutres, stylos-billes furent les simples outils qui servirent au geste sûr de ce voyant sensible que fut Pépé Vignes. Ainsi naquirent, fusèrent et s’envolèrent les lignes, les contours et les couleurs d’un monde apparemment enfantin qui, si on lui accorde un vrai regard, s’anime aujourd’hui encore précisément dans ce lieu étonnant que forment ses nombreuses et singulières réalisations graphiques où – contre toute attente – le chant de Pépé Vignes voulait peut-être, en débordant du cadre, embrasser le visible et l’invisible, l’essence et l’existence d’une réalité plus mouvante, plus complexe et plurielle qu’il n’y parait.

Sur le métier, sa main voyait, et son esprit dansait !

Bien sûr, tout le monde reconnaîtra les fleurs, les oiseaux de Pépé Vignes, les dents et les écailles de ses longs poissons. Comme on reconnaîtra et entendra les moteurs, les klaxons et les sirènes de ses bateaux, de ses autobus, de ses avions et automobiles aux capots et aux bouchons de radiateur démesurés, tous ou presque ornés de guirlandes, les mêmes que l’on tend à travers les rues lors des fêtes patronales Illibériennes ou d’ailleurs. Mais pourquoi ?   

Parce qu’aux apparences nous préférons le corps des choses, et que nous croyons reconnaître de la réalité que les éléments tangibles fixes ou mouvants, comme ceux que nous-nous inventons ou que nous pouvons nommer. Mais aussi parce qu’intuitivement, nous savons que les apparences ne résultent en rien de la perception mentale que l’on se fait des choses ou des phénomènes, et qu’elles sont en fait les premiers reliefs de la réalité.

Peut-être le sens du « travail » pour Pépé se tenait-il là, dans une sorte d’acceptation de soi et de son destin, admettant à la fois de ne pouvoir rien représenter d’autre de la réalité (elle-même au fond irreprésentable) que la matière de nos fictions communes, mais nous offrant aussi dans la simplicité clairvoyante de ses dessins, et dans la profusion du geste qui les a créés, la présence d’une force instaurant un dialogue entre nous et ce qui dans la nature même des choses nous relie discrètement aux formes de l’ineffable.

Longtemps après avoir regardé ce film, ma mémoire a gardé le crissement des feutres de l’artiste sur le papier, mais aussi le bonheur grave – presque impressionnant – qui saisissait Pépé lorsqu’il poussait une goualante. Dans l’exercice du chant il rejoignait sans doute là – dans une forme d’extase -, l’ordre originaire qu’il aurait peut-être aimé toucher dans ses tableaux.

Oui, un dessin de Pépé Vignes peut nous questionner ou nous faire sourire, comme souvent nous questionne, nous amuse ou nous surprend le simple dire d’un enfant 

Cela dit, autour de ses compositions, dans le fameux cadre en papier Kraft qu’il confectionnait, j’ai vu l’orbe d’un soleil dur, une puissance, honorer les traces d’un émouvant récit.

Il faut remercier Philippe Lespinasse, ce passionné des Arts populaires qui n’en est pas à son premier film sur l’Art brut, pour ce dernier cadeau.

Le réalisateur nous apporte en effet régulièrement la preuve de l’existence d’un peuple constitué de ces hommes et femmes, artistes insolites et souvent remarquables, qui fabriquent, façonnent, chantent et nous interpellent avec une puissance extraordinaire.

Régis NIVELLE

« Je donne tout Jeff Koons, tout Soulages, tout Buren et la collection complète de François Pinault pour le manège de Petit Pierre (Pierre Avezard), ses courroies en chambre à air, ses poulies en bois et ses arbres à cames en fil de fer. » Philippe Lespinasse – VOYAGE : PROMENADES INSOLITES EN FRANCE – https://www.sinemensuel.com/agenda/voyage-promenades-insolites-france/

http://www.film-documentaire.fr/4DACTION/w_liste_generique/C_11846_F

« Pépé Vignes, c’est du beau travail ! »

Un film de Philippe Lespinasse – Montage Aurélia Nebout – Mixage Jean-Jacques Vogelbach – Etalonnage Mélody Gottardi

Film produit par la Fabuloserie, à destination d’une exposition qui devrait ouvrir le 12 juin. On pourra y voir les œuvres de Pépé Vignes ainsi que le film. http://www.fabuloserie.com/

l’ivre de lumière et de nuit

Mère

l’ivre de lumière et de nuit

écoute partout la mer

Je te parle assis dans le vide

bois dans la coupe de tes mains

dors en ton pays

_

L’eau tombe dans mon corps

mais c’est toi me buvant

l’espace lisant ma peau         

l’eau de ma prière

_

Je te parle depuis un songe maternel

mangeant et buvant ses bruits

_

Semence frappée        est-ce bien ma demeure ?

_

Asile à la nuit pleine              

la lune est bleue ou blafarde

mais on chante à plusieurs

aux vibratos des pulsars

_

Nous ne sommes pas seuls

partout est la demeure de nos mémoires

_

Écrire n’est rien                      le corps peut le dire

_

Tout est dans le sans nom

que le vide

l’esprit et la matière portent au feu

la torche étoilée de l’iris

_

N’écrivons pas

_

Lorsque je t’aurai rejointe

nous nous assoirons    au sein des voix          des murmures

nous laissant enrouler

par la vitesse

la lumière et les ténèbres

Et nos mains

toujours assoiffées de figures

de lèvres vives                       

de pluie

attraperont les mythes par les cheveux

_

Jusqu’au plus léger dire

vagabonderons

passerons même une journée à Tübingen

où André en uniforme nous rejoindra pour t’embrasser

_

Quels autres furent tes amants ?

_

Feignant d’être surprise sur le fil de ta mémoire

tu souris en portant tes mains sur ta bouche

_

Ton Adam fut amour en tes deux feux vivants

du jardin jusqu’à ta main

de tes eaux jusqu’à la porte de ton cœur

apprenti de tes voiles de tes parfums 

_

Avec toi migre ma pauvre langue

aux herbes odorantes

adoptant la respiration des nuits et des jours

qui chante les bois frais

les carex                      les iris et les prêles des marais

_

Car c’est toi qui crées les euphorbes

les nuées aux lés mauves et argentés

les hortensias bleus de l’ile de ré

toi qui couvres d’orichalque les falaises de la corniche basque

au coucher du soleil

et ordonnes à la bise et ses framées de gel

de dessiner sur les vitres des fenêtres

les partitions fractales de l’eau et de l’air

_

Transporte-moi du bord des lèvres

aux mains ailées ouvertes et spatiales

_

Profère ce qui nous traverse

nous dépasse

et pare les choses inexistantes

_

Murmure-moi ce que racontent l’eau

les résurgences

le puits salé d’Ugarre

et les sources de la Nive en forêt d’Orion

toutes les sources et toutes les fontaines

les arcatures des châtaigniers à Bidarray

et le peuple des grands pins à la gemme ambrée

du col de Gleize vers Chaudun

l’odeur fumée des feuilles

la fumée des brûlis

l’offrande parfumée que les feux de bois morts adressent au silence

_

Extrait du recueil publié par les Editions Encres Vives dans la Collection Encres Blanches N° 797 – Avril 2020 ISSN 1625-8630 – ISBN 2-8550 Dépôt légal Avril 2020

_

Image d’entête: Mère totale – Pastel de Olivier NEBOUT

Mère.

Quand tu pris la décision de ne plus attendre

l’eau tomba averse dans nos bouches

depuis le câble téléphonique

et nos cœurs se mirent à battre un sourd vacarme d’orphelins

où s’est fixé ton visage mais aussi ta voix

sa danse

dans sa lenteur basse mais claire

lorsque que tu lançais ton chant de dimanche

dans ta maison du peu bien rangée

_

Maintenant ton cœur germe entre les pavés de la cour

disjoints par le vent le soleil et l’eau

_

Tu es de ce lieu où

par le songe d’une bourrasque de feuilles

sous un rideau de pluie froide

les oiseaux ont porté et glissé ton corps

_

Tu es aussi cet autre et même lieu-visage

une pensée du royaume 

un sommeil

_

Que des gestes

ou presque

alphabet silencieux

si familier et étrange à la fois

Ainsi des mains murmurent la soif

sans appartenir aux larmes

Ainsi s’écoutent des chants

s’enfantent

des souffles-gestes

_

Des animaux invisibles

se faufilent parmi nous et parlent tout bas

eux aussi

en penchant respectueusement la tête

_

Âge de la lune 23,80 jours

Les cœurs s’envolent

Le chant s’élève

La peau soudain écoute le vide

l’enchantement d’un chant de coquillage

conque rose et nacrée de tous les commencements

naissance de la fin et du début

_          

Le rêve est nu

la parole court                        recouvre sa forme

s’emplume      s’enroule

aux spirales de l’air

_

Paroles et corps transparents

ruissellent maintenant d’une mémoire à la vitesse prodigieuse

Frôlement d’un fluide aérien

impondérable lave de conscience

rumeur d’une mutation

– On évite de regarder le ciel

_

L’assemblée se meut

en une chorégraphie indécise

Ainsi monte

une prière

un bruissement d’avant le monde

– les morts sont en voyage

_

Tous les 9 février

 je te préparerai un thé mandarine

_

Extrait du recueil publié par les Editions Encres Vives dans la Collection Encres Blanches N° 797 – Avril 2020 ISSN 1625-8630 – ISBN 2-8550 Dépôt légal Avril 2020

Image d’entête: pastel de Olivier NEBOUT

Qui parle encore du drap raide et froid qui claque entre les strophes ?

Qui parle encore du drap raide et froid qui claque entre les strophes ?

Je ne suis qu’une tête-fenêtre, une veste de postier, une tête-cœur obturée. Je n’ai aucun métier, et habite depuis toujours la même piaule à l’architecture parfumée des corps, dans un petit théâtre immobile qui avance vers la mer.

Regarde, c’est toi et c’est moi aussi, sur le trottoir de l’hôpital. J’ai froid et sue à grosses gouttes. Ma figure est prise sous un masque d’insecte. Quelque chose te dit qu’il fait beau, et j’ai froid. Personne ne me reconnait.

La turbine d’un hélicoptère en approche hurle sur ton rêve. L’urgence, c’est le réel, là, juste derrière. Arrête-toi.

Dans la maison de ma mère, je vois des paysages de lessives aux proportions fantastiques, et dans la maison de mon père, j’ouvre au feu les portes. Énergiquement des mondes y sont lavés, et des mythes bouillent dans la lessiveuse rouge en acier galvanisé, tandis que des bouches énoncent des noms de villes et des noms de famille dans une langue de Savon de Marseille et une haleine de Gitanes.

De toi, je veux savoir quoi faire. Ton autel se bâtit. Mais tu ne comprends plus ce qui est dit. Les mots que tu reçois sont des flèches molles. Je me tais et vole. Je suis toi, mon père, et toi aussi ma mère des jeudis et des midis, des étés de voyages en Simca.

Nous sommes des lève-tôt silencieux, échafaudeurs de combines pour faire passer la pilule des jours amers. Des laborieux sédentaires vouant à nos deux astres la bonne odeur du pain. Dandinant, le regard égaré sous nos joies de pauvres, attendons le dernier grand coup de tristesse qui nous sera porté et nous fera jouir, grand tintamarre entre cerveau et pubis.

Mal ajusté à mon corps, je flotte un peu. Flotte mon ciel de roches et de montagnes, de vagues de terre de bruyère et de pins.

Des sacs d’angoisse peuvent bien s’empiler sur mes vertèbres. Sous la charge, l’emboîtement de verre crisse, mais l’orgueil qui est aussi pierre à levier t’a appris à tenir. Qu’ils s’y amassent donc comme ils le peuvent. Midi m’est toujours léger et me danse encor des immeubles blancs avenue des Ternes, kiosques de moineaux boulevard Barbès, affiches colorées qui clament l’humanité, les jupes et jeans, jambes d’une pure merveille te délivrant un billet pour un vol spirituel au parfum de Chesterfield. Volent au mètre par seconde les routes nationales bordant la lente marche des pluies, la lumière jaune que les grands arbres accrochent pour peindre nos visages !

Extrait de Sans cesse – Editions TARMAC 2018

image d’entête – Travail personnel

https://www.tarmaceditions.com/sans-cesse

Et le livre de la mémoire n’existe pas

Nous ne nous sommes rien dit ou presque de nos prières. N’avons rien dit de nos circulations, de nos absences, au miracle du toucher Corps et Âme. Rien dit sur la présence des dieux de printemps qui habitent dans les pins craquant sous la chaleur. N’avons rien entendu non plus de nos langues que leur jubilation d’hélice sur nos seins et nos cuisses.

Il faudrait pourtant dire la trace des doigts sur les verres et sur les vitres, les manifestations du Ciel, le songe musical des villes,                                                 la beauté du ventre des femmes,                                                             entendre les basses, la pulsation amoureuse des basses.

Nous sommes des paroliers impatients. L’oracle c’est le réel.             Juste à côté de l’image et du dit, la pythie désordonne sa coiffure.                Et lorsque nous traversons l’étrange, rien ne nous semble l’être. On y croise nos corps et nos textes désirant en abyme – frères et sœurs, humanité déjà ancienne, mais ce sont toujours des visages anonymes porteurs des mêmes implorations, des mêmes paysages. Nous sommes du temps ses lenteurs infinies.

Jusqu’au dernier regard            

prose de la Rose l’Âme.

Envisage la mémoire en unités-lumière.

  Recours à l’Encre et à la Pluie à grands seaux de silence. Soutiens l’heure éternelle glissée sous chaque ville, dans chaque corps et chaque esprit où reposent des lunes de lavis, des constellations de familiers lointains.

Voue compagnon de joie et de lenteur Air Eau Soleil notre solitude l’élévation de sa parole au Vent – au souffle de la Terre à la Fleur incendiaire la vie hors du temps ce round que l’être sans cesse inaugure dans l’ouragan, l’effroi, le secret.

Invente continuellement tes traces, on les effacera de même.

Masque avec discipline ton immobilité la puissance de tes épaules, la fragilité de tes fictions. Beaucoup ignorent ce qu’au pied de la lettre voir et agir, partager le livre, veulent dire.

Sans rien n’omettre de l’Eau et des Ciels, debout, pieu fiché dans le sable, laisse les choses légères et graves te jouer des tours et conjurer le récit. La joie revient.

Il faut apprendre – je crois – à écrire peu sur la forme de sa perte. Dessiner le chant n’est pas en être le sel, et dire ce qui se voit ne délivre aucune preuve. Il faut tenir son vide pour dit autant que le respir nous en permet la profération. Choisir la tendresse, le fil coupant de ses pétales. Agir muettement, écouter ce qui se lève des autres cadences.            

Emprunter l’escalier des saisons dont les jours sont des siècles. Boire et reboire l’Eau à nos lèvres de salades. Suivre du regard le tube du vent suspendu au soleil.

Et puisque tout est parfait – Air trois fois inspiré – l’image seule de l’enfance à la fin reviendra, la mémoire du présent épousant gestes et pensées, et tous nos baisers de mucine nos routes nos dires nos jeux, tant nous avons dansé bougé et remué l’air passionnément, furieusement, de nos cœurs et de nos mains, courageux va-nu-pieds, passeurs obstinément cois sur nos Ciels de misère, le désordre de nos ravissements, le murmure de nos chants.

*

J’ai depuis longtemps jeté mes bourreaux aux orties, aimé nombre de visages.  – prose des visages du Soleil aux couronnes d’épines de leurs résurrections. Océans oiseaux rapides Arbres.                                                            Et partout sous les arbres, sous l’Herbe aux cheveux de Rosée où ombres et lumières s’entrecroisent, comme dans la géométrie familière que composent ces chaises ces échelles et ces lits qui clôturent notre esprit,                                 le tient est là, et encore à venir. 

*

Des voix réclament jour après jour qu’on inhume les phrases. Alors je prends à pleines mains des bouquets d’herbe et de gravier. prose des pays de paille, des chemins et des abeilles, des pistes, des paysages de pluie, des laisses de mer, du voyage. – prose des oiseaux jardiniers – prose des temps obliques,            d’une mosaïque de Ciels, car nous avons été patiemment attendus par des mendiants qui ont fait don de leur parole.

Je me rappelle maintenant avoir décroché le mot orgueil de mes cervicales.

C’est que judicieusement placé sous un autre mot, il servit alors de point d’appui idéal au poème-levier. – Prose de l’entente de l’improbable équilibre,           des mots-fougères,            de mon chant de mendiant.

– « Mais de quoi alors pourrions-nous bien parler                                        et qui êtes-vous d’ailleurs ? »

–  De rien de l’intériorité du voyage du pas                                                                      du tout                                                                                               du non-advenu    de l’indéterminé                                                de nos jours enthousiasmants                     enclos de joies tristes,                                         de la fiche électrique de la radio débranchée que je perçois, telle une main gantée, l’extrémité suggestive d’un vide.

–  Prose des reflets du chant ( l’intercesseur) – de la bienveillance de l’éros, de choses légères et graves, des unités de pensées, des interstices de lieux sans lieux, de l’oyat des dunes, de la pyramide des patelles.                           Mendiant – dément peut-être-, mais pas artiste                                 et d’ailleurs oui, sûrement laborieux, non confessionnel         individu indivisible mais invisible,          clandestin.       

Aux hiatus d’offrir des retours, un infini de phrases ruines, de résonances, d’émeutes acouphènes, par épiphanies de silence et changements de perspective, pourvu que le chant aigu, l’aiguille de son qui traverse nos têtes, puisse lier ce qui est à brûler aux vieilles cendres et aux fleurs, et que, pénétrés par la permanence de son timbre nous restions sans vérité, marchant comme tout le monde au-dessus des morts, dans l’aura du jour et son cerne noir en compagnie des bêtes, puisque nous sommes fait de chair et de Ciel qui tiennent ce sifflement lavé par l’eau des rivières pour un chant sacré, un vieux rêve rivé à nos vieilles mémoires.           

Jusqu’aux derniers signes,          nombres.

J’y serai.         

C’est par leur bouche leur miroitement seulement par leur bouche que tient le monde.    Tête obscure       

vouée au chant.

         Entêtement des corps-livres

des renaissances.

*

Et le livre de la mémoire n’existe pas. – Prose du chant de son tremblement de l’éclat descendu dans les Arbres puis glissé dans les pierres –  prose du plexus solaire du regard rhapsode de la convulsion des jours jusqu’à ce que dans l’œil toutes les ères se confondent et que la prière soit une marée d’équinoxe une marée aux tambours de soude brûlée au souffle bramé et piqué de serpolet de fagots de bois flottés emmaillotés de sable et de goudron de cils de gourbet –  prose de toi mon père paysan-soldat de tes gifles lourdes pelles de terre à patates que ça te plaise ou pas puisque je t’aime –  prose de l’enfant bercé par la sorgue à l’œil ouvert où palpite le cœur sans sommeil –  prose de la peur de ta voix entaillée par la lune dans le mortier des nuits de sable de dents cariées et d’oreillons comme paire de tenailles aux mâchoires de fièvre –  prose de ma langue de mon vieil Espéranto en sifflements d’autocuiseur en vagues de Ciels roses et de jambes de soleil ricochés sur les moellons ocres et gris des fermes de la Dordogne et des Charentes –  prose de quartz de silex et de pyrite d’ombres et de couteaux de ton patois aux accents Roumain –  prose de ta femme engrossée six fois par tes excès de fatigue –  prose du silence mais aussi d’omelettes aux cèpes de truite meunière –  prose de lard de piment de persil de tomates farcies et de canards rôtis –  prose des tablées familiales belliqueuses dès que le vin de Bordeaux succédait au Sancerre –  romance gitane où l’amour se chante mais ne se dit pas –  prose improbable de glaise bêchée de luzerne et de trèfle violet fauchés avec le soleil et la Rosée des pare-brise –  prose des dernières proses au paroxysme de notre mémoire anténumérique de poulaillers et de lapinières de fossés de brûlis de granges de remises où les ailes des faux les squelettes rouillés des faucheuses dorment le pays des vents des pailles et des poussières d’été restées collées à la graisse des essieux –  prose du faire et des prières de midi en liturgies de jambes et de bras fermes aux vidanges des citernes –  prose des pluies aigres et froides de gels qui ceignent cruellement les reins et les poignets – prose des corps aimés de vos courbes et vos plis d’où surgissent les effluves de pays sauvages et calmes –  prose de nos voyages d’amour aux lenteurs incroyables –  prose jusqu’au bout sur nos dépouilles amoureuses et les ambres qui ornèrent nos lits des variations spatiales du chant de l’enveloppement infini de la mélopée des corps et des corps dans l’entremêlement ordonné des transformations –  prose obscure de la totalité par bribes de sources et de rivières –  prose de la maladie des tourbes d’affects des sables mouvants –  prose des fontaines et des eaux souterraines de la langue morte lorsqu’elle est peau morte d’une danse des signes –  prose des âmes simples aux songes amoureux des réminiscences affleurées par le vent glissé dans les arbres puis dans les pierres et dans les cendres –  prose de l’eau des corps et sa mémoire que l’âme dans ses plis retient –  prose du commencement de la Rose du Nous du jaillissement d’une époque à venir. Seuls les accords de musique et la danse animent encore les tentatives d’effacement. Ce qui nous manque est magnifique.

Je suis nomade d’ici, où mon île apparaît parfois au cœur des pierres veinées de silice sous la constellation du crabe dont l’ami Mano me promit un jour de viscères noirs de surveiller ses étoiles.

      Prose des sud et de l’orient du sein aubergine au lait des sources et seuils nets de joies désertes en purs déserts dormant leur gerçure de silice                     des septentrions aussi –  Prose immobile du Texte du dire muet des choses de la dysharmonie élégante des chants poussés par ceux qui vivent encore avec les paysages et s’entretiennent avec les visages de leurs Ciels.

*

En moi mon amour nombre de tes visages –  prose de leurs baisers et l’argent mousseux de leurs rives          tes lèvres. –        Prose des consolations des phonèmes des inflexions tonales des langages-couleurs du timbre de nos rires et de nos peines qui ne feront pas un livre mais un poème serpent.

Sylvie, tiens-moi la main et partons. J’habite dehors avec toi parmi les choses et les vieux signes

dans la bouche du songe du jour et de la nuit.

Extrait de Sans cesse – Editions TARMAC 2018

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rouille des liens de terre et d’herbe

Je n’ai pas peur. Personne n’inventera un autre langage. Écrire, même mal, vaut toujours mieux que parler.

Un dernier visage – celui du dernier au revoir, du dernier coup de vis – tel un masque aux yeux de pyrite, n’oblige pas à dire. C’est un visage enchâssé dans l’or où siègent passé et avenir ; une très vaste musique. Nombreux sont les lieux, les objets, capables de léguer leur prière qui éclairent ce visage. Nous parlons avec le Ciel, avec la lumière et la nuit ; les nôtres, infiniment. Pour autant, je ne sais pas ce que je suis, ni à qui appartient véritablement cette tête. Mais elle sait fixer le soleil à la langue noire pour en faire de la nuit.

J’entends l’eau et le vent. Sur leurs lèvres siège la mémoire du temps.

J’avance, oscille dans l’idée d’un simple scintillement sur le vide. Un jour viendra où je sentirai le vide aspirer les cendres de ce crâne. Et pendant un moment tout flottera, filera dans un souffle. C’est ainsi que peut-être ma première vraie face dans sa pâleur apparaîtra.

J’écris mal que c’est une prière, le regard que l’on se porte. Tout comme nos inscriptions, et l’élan du cœur ; que ce sont des prières.

J’écris mal la vérité des belles apparences. Le vide par le pertuis des images laisse s’évanouir des mots leur respir et leurs résurrections. Alors comment dire avec les mots ?

Écrivez-moi avant que je n’entende plus que les seules voix murmurées par l’eau l’air les forêts et l’art des grands photographes.

Érudite, durite, vidure, la pensée. Mais je ne sais pas ce que cela veut dire. Éiséop petite musique votive et personnelle : à d’autres !

Je n’apporte aucune réponse. Mais je crois aux légendes des regards, à la puissance de l’intention. Je ne suis hélas qu’un puissant corps de mots — des milliers de fois chantés, et il est vrai, à mon adresse uniquement.

À chaque marche franchie le corps est sans autre vérité que le mouvement et les ondes qui le traversent.

Tâcher d’être. Divulguer les grands rushs de lumière, les rayonnements qui passent par les chairs aux bouches de fleurs. Ça bouge. Non rien. Y a l’temps. Non plus l’temps. C’est quoi le temps d’ailleurs : énoncer. Alors ne t’obéis pas. Encorne ici lentement au hasard. Pénètre et accueille tous les sens indispensables au chant. Danse maintenant avec justesse | pluie | goûte sa musique | Océan. Danse silencieuse de l’inscription. Inaugure son éphéméride d’un jour. Toujours le même jour et sans dieu.

Je possède plusieurs visages: quartz, soleil et lune. Aucun n’est vraisemblable et tous ont une réalité. Et tous me manquent. Hommes, est-ce que le monde s’imagine, et la parole et la phrase que relatent-elles des mots et des peuples ? Entendre. Épier. Écrire. Prier. S’y construire une cahute. Aérienne. C’est l’esprit qui l’emportera. Le dedans sur le dehors. L’ironie du vide sur la terreur.

Réclusion ordinaire. Je ne me veux pas. Très bien. Et après. Invisibilité du singulier. D’une ère l’autre. Félicité. De la sortie des eaux à la pensée algorithmique. Existence | joie de pluie | de la houle des dunes. Joie de ton baiser velours et tous tes baisers. Joie anonyme, sourde, épaisse, à rosée de ce qui tambourine et s’ébroue du ciel à rosée de feu | joie boue | joie aux fenêtres brisées de ciels | joie de la peau pétrissant la glaise | joie à boire chaque image dans les livres décousus de fatigue, à tendre l’oreille au silence, à la pavane des corps faisant voler des mondes | joie blanchissant parfaitement la pierre | joie à toucher le fer des ponts à gros rivets, ces cargos d’azurs et de vent | joie rouille des liens de terre et d’herbe.

Extrait de « Sans cesse » Editions TARMAC 2018

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Debussyste. Zapatiste. Spatial. Sollertien.

Je reprends : je suis un gadjo. Un pousse-mégot. Fada. Un lazzarone. Idéal imprévisible. Oculus rift bientôt sur le nez. Une langue insupportable. Cynips. Scintillateur aléatoire. L’informulé. Anamorphose. Hic. Têtu. Noir. Abîmé. uber vtc. Psychopompe. Optimiste. Au piano-lit. Domestique. Méprisé. Scaphandrier. Homme de ménage. Enthousiaste. Vidéaste. Refoulé. Ambitieux. Alarmiste. Démesuré. Hystérique. Commencement. Ardent fessé. Chant du seuil. Rêveur sensationniste. Ut. Interprète de l’échec et des possibles. Seul et pluriel. Clos. Évasé. Femme à corps d’oiseau. Une rose. Criminel passif. Enchanteur. Ouvrier en bleu de chauffe. Lithophage forant l’agrégat. Indéterminé. Écrivant quel sommeil. Le dehors d’en dedans. Corps étonnamment organique. Énoncé éruptif corporel. Émulsifiant. Colorant. Graisse tremblante. Sexe idiot. Correspondant. Colporteur. Manutentionnaire. Voix radiophonique. Chthonien. Aérien. Différant. Pacemaker. Mes cœurs. Des cœurs. Arias de lumière. L’oubli. Boue. Un programme. Enfant invraisemblable. Lâche. Une copla mal taillée. L’époux gelé. Au désert. En plein désert. Exaltation. Délire chaud et froid. Ce que force veut dire. Flux performatif. Textuel. Nu. Tensions cervico-brachiales. Le plein. La marge. Orphelin. Imaginiste. Flexible. Manque. Fatigué des meutes. Bandé. Attentif. Érectile. Hum. Menteur. Hors manifeste. Buissonnier. Bienveillant. Cru. Peau-plaie. Suicidé. Empressé. Maladroit. Étranger. Parole. Une Fiction.  Caresse. Oisif. Entrecroisé. Hésitant. Errant. Confession. Antidémocratique. Confidentiel. Corps-texte. Tressage. Danse impondérable du désir à l’adieu. Sans devenir. Virgule. Articulation coupante. Sabre. Sans but. Gueux probablement définitif. Prosateur. Inutile. Tyran. Listé. Fainéant. Héroïque. Désespéré. Amoureux. Obscur voyant. Opacité sainte. À la poupe. Au cul et au ciel voué. Accidenté du travail. Marcheur invétéré. Ricanant. Refuznik. Insoumis aux nouveaux millimaîtres et aux tutus de la vieille et de la nouvelle langue. Objecteur de croissance. Sorcier(ère). Solitaire. Été. Don. Névrosé. Feuillu. Herbu. Vicieux. Aborigène. Mythomane. Suspect. ada.text_io.put_line. Occitan. Macabre. Excité. Adepte. Malestruc. Maladroit fan de truc malec. Charnel. Juif. Arabe. Apatride. Debussyste. Zapatiste. Spatial. Sollertien. Flaubertien. Archaïque. Affectionné symboliste. Métaphysicien. Deleuzien. Ombre. Banquier – pour qui n’a pas lu Pessoa. Durée. Simpliste. Acédique. Vagabond. Etarra. Mallarméen halluciné. Illuminé. Zen. Intercesseur. Immobile opiniâtre joueur de dés. Improductif immoral. Chieur. Incarnadin à la face de vit. Splendeur d’une face de nourrice. Religieux zonard. Inutile suture. Plaie rouverte. Idiome ahurissant. Chorée loquace. Heurté. Paradis renversé. Infecté de survie. Le rêve de s’ouvrir en rivière. Amibe. Jeté. Colleté. Aïon que personne ne saisit. Désirant. Anonyme et véloce. Gonflé de tableaux. Lisier. Mamelle. Barque de glaïeuls. Calfaté de mystère. Alcoolique. Disputeur. Mystique. Le nez fourré dans ses chapelets d’œufs. Sensitif. Iconoclaste. Obscur. Image. Larve à qui l’on ne donne plus beaucoup crédit. Teigne récurrente sous son duvet. Jaloux. De mèche avec l’amant. Dans l’odeur apaisante de la guerre des sexes et des classes. Faillible montreur. Clair ulcère. Délégué syndical. Verrue qui grésille sous l’azote liquide. Vocable social. Emmuré dans l’orgueil des plus humbles. Armé et sourd. Ex-voto. Léger et grave. Trachée des suppositions. Chevelure des mauvais jours. Aubaine. Physique idéale du son. Anche. Augure assis parmi ses chats. Sans chef. Sans tête. Inaudible. Brume. Lesbien. Empreinte. L’idée d’une fin aussi. Des images encore. L’incertitude. Une noire tégénaire. L’élégance d’un baiser. Gelée opaque. Régurgité des croupes d’où s’écoulent les prières. Une question. Des questions. Inoxydable raison. Pur fictif. Neuf. Journal mental. Urticaire. Brêlé de nervures chaudes et tendues. Aporie. Sans mémoire. À rebours. Approximatif. Hasardeux. Hypothèse du rêve. Inconcevable. Fraternel. Hérétique boiteux et tout le saint-frusquin disputant aux rites fictionnels le corps des choses et le voyage. Lyse onctueuse échevelée chromatique. 

Extrait de « Sans cesse » Editions TARMAC 2018

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Jean-Luc Godard et Jean-Daniel Pollet

– Envoûté par des bribes d’opéra, par le bruit des rames entamant l’eau, par des éclats de voix, fracturations chuintements pointillistes, vitesse des points de couleur d’images en gros plan, par le vol, l’envol des draps et des fenêtres ; par les mots tels des poignées de cheveux dans la bouche

captivé par les films de Jean-Luc Godard et Jean-Daniel Pollet, par les marges, les miroirs, l’enchevêtrement de larves, christs et petits cailloux, les ogives d’aisselles 

hanté par l’abjecte, l’insoutenable image télévisée de l’assassinat commis en pleine rue de Saigon par le général Nguyen Ngoc Loan exécutant d’une balle dans la tête l’homme à la chemise à carreaux ; par les 30 millions d’esclaves qui survivent en ce monde, les horreurs du génocide rwandais, Sarajevo, la boue de Calais, les saloperies ordinaires commis par les États : par Auschwitz, les enfants et les peuples martyrisés ; par nos compromissions, par l’assassinat du Père Jacques Hamel ; par la production, le travail esclavage, l’exclusion, la stérilisation des esprits, les reculades, les rapts, les sarcasmes, les fuites, les hontes

rêvé par l’odeur des nuques, par l’île des morts, le noyer de Sarzeau, la tourbe et le ciel reflétés dans les flaques de neige fondue, par la mélancolie, le gois de l’île de Berder, par les bébés au parfum gras de la matrice

fasciné par la mémoire des pierres, la foudre, la connaissance ; par la viande zébrée de magie, les vortex de clarté, la lumière, les béances cadavériques du plaisir et la soie du désir, l’illisible tracé, la peinture romanesque, la poésie et sa musique aux corps invisibles mais inévitables

transporté par le goût des prunelles, par l’adagio en ré mineur BWV 974 de Jean Sébastien Bach, les errances, la mystique, la Méditerranée, la ronde des fées dans les sorbiers aux oiseaux et les saules, la jouissance, l’amour, le vide, les ponts et la lune ; par les trouvailles, la belle morve des oisifs, par la mémoire de l’eau, l’éclair des truites aperçu sous la loupe verte des eaux ; par les framées du givre, par les petits voyages entrepris avec Sylvie, par le son des cloches des troupeaux du Puys de Manse, le vent du gouffre, les fossés, le gypse, l’herbe rase des bellons, la noirceur des chemins, la belle démesure d’accolements cristallins et sylvestres de la vallée du Champsaur ; par la forge du père Garnier, l’acier luisant, l’odeur de sang cuit qu’ont les atomes d’acier expulsés de la masse chauffée à blanc puis réduite au pilon dans des gerbes orangées et bleues noires ; par les églises végétales, la mélopée, le voilé, la transparence des rochers, le feu et ses fruits racornis à manger loin du lait ; par la grâce, le mouvement, la tendresse, la lenteur consolante, la buée, les genets vaporeux, l’océan ; par les confitures et les cerises d’Ixtasou, les jupes relevées du rêve qui danse ; par les rares amitiés, l’exaltation, le toucher, la mémoire, les horizons

ému par les barques, les vaporettos, le sel, la beauté des cimes. par ce qu’un regard peut demander à une bouche, et le ciel à la terre ; par le pain, la terre, les textes et les arbres, par le basilic, les contre-indications à vivre, le spasme du hoquet à l’énoncé perdu. par l’inachevé, les cataplasmes à la moutarde, les cuites sévères, l’œil et ses flèches, les tarots, l’hélice du soleil, l’oiseau, les brèches, les joies, les astres, les masques et les statues de midi ; par les trous d’ombres bleues dans la glace, les landes emmaillotées par les toiles d’araignée, la pluie fine, les digitales, les tourteaux d’Hossegor et les huîtres du Cap-Ferret ; par le rayonnement platine des daurades et les fossiles téléostéens vus à Hendaye, la fricassée de gambas flambées à l’armagnac, les chats, les tripes à la basquaise de dix heures

touché par les gares, les objets, les spirales, les rhizomes, les lauriers, par les beautés du lot et du Célé, la Provence, le paganisme, l’International Klein Blue, les photos, les aubes, les anfractuosités du poème, les sources et les rivières, leurs limons ; par les écharpes d’odeurs, par ce qui règle les étoiles avec tant de justesse, l’œil érodant comme un fou ses limites ;

étonné par les cils des vorticelles, la stupéfiante métamorphose du cul en écubier, l’écorce et les écorchés

troublé par les sex-shops, l’écrit, l’écrin, l’écrou, l’épreuve, les colonnes ; par l’œuf, l’embryon céleste, les coqs, l’or fondu du silence versé tempus mortis dans les voies digestives, et par les monolithes en H de Pumapunku

impressionné par les concaténations archaïques des tons chez Bacon ou chez Lucian Freud, le verre et sa source de sable, par les nébuleuses, l’hymne hydrogénique du cosmos, la farine des cendres 

bercé par la prose ronflante du moteur de la Simca qui naviguera encore longtemps parmi les parfums de la route menant de Gap à Briançon ; par le froissement sec des chardons bleus, par les planeurs glissant dans le ciel de Mont-Dauphin ; par le chant infini qu’on redécouvre sur les falaises au pied des pins parasol, des arols ou dans la rouille des saisons que le fer concentre, et – contemplant encore aujourd’hui d’en haut du souvenir le tracé du col que des voitures en montant soulignaient sagement, – j’écris.

Et voici qu’à mon esprit s’impose soudain le rêve que je crois incarner, une inquiétude douce mêlée de paix de n’être que ça au fond, double délirant le monde, expérimentant ce délire, et peut-être rien d’autre. Qui sait.

Ne confirmez svp. Je doit suivre sa chance, eut-elle été rêvée. Énoncé offert. Aucun but. Révolution et charme des signes. Chantez vous-même cette indécidabilité inconnue, sans l’amplification courante.

Extrait de »Sans cesse » Editions TARMAC 2018

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Ne rien craindre des railleries, des mépris

Âge de la lune : 6 jours 16 heures 16 minutes. Je ne le dis pour personne ce lieu sans bords et sans hasard, au hasard de ce qui s’y manifeste et nous méduse. Ça en fait chier bon nombre, la beauté, l’éblouissement.

Air feu océan matrice, l’immense femme-tresse-spirale révolutionne gire dévoue demeure voue existe virgule articule n’explique et n’identifie coupe sabre éclot sans but déterminé.          Du monde, je n’y ai jamais vu qu’une lisière à vrai dire peu fréquentée où les atomes bondissent dans la vibration d’une poix ondulante ; un Univers Aspic.                                                                The never ending trip… Ainsi/ œil soleil oiseau /ne tourne pas les pages – jamais –, mais frappe les atomes, ramenant au temple d’insécables permanences. Soudaines, sidérées, réverbérant un swing de lumière lente et bleue, mille faces en surgissent.

« le sud ? … c’est par-là » maugréa-t-il sans lever les yeux, en indiquant de la main la porte donnant sur le couloir. Et il rajouta : « vous y ferez quoi dans le sud ?  »
– « je n’sais pas… est-ce si important ? » et l’ombre disparut, la chance→ suerte sur le terrain de l’homme, une corne en plein cœur.

Car il n’y a pas un point obscur, mais des entres, des songes extraordinaires où d’évidence rien ne s’endort : c’est Ga’nza, une explosion vertigineuse de lignes et d’images par milliers ; une transe sacrificielle, une danse de courage. À cet endroit de pure réalité, Ainsi n’est plus un fatum. C’est un maelström de chants, de danses et de musique.   Et la main qui porte la lame sur le prépuce porte un mystère et une souffrance. Derrière les cirrhes du grand tapage Ainsi admet tout. – « dis, quand reverrons-nous dans la mort, l’enchantement des fins dépassées ? » 

L’eau de la mer des Tchouktches, des Sargasses et des Antilles, de la Méditerranée, de la mer d’Arabie et de la Caspienne, de la Mer Noire, de l’Adriatique, du Nord et celle de Chine bientôt montera. Vers le chant et ses lignes, fascinante mélopée, tous les points et les courbes d’un pur désert. L’ivre est là, cadenassé – inachevé, dans sa chair et ses voix radiophoniques –, admettant la nuit.

L’eau de la Mer Baltique et celle du Japon, de la mer d’Okhotsk, de Béring, de Kara et celle de Barents ; l’eau de la mer des Laptev, du Groenland et de Norvège bientôt montera. Le corps est pris par les sens, le cœur lui tenant lieu d’entrailles essentielles. La fin est commencée, bifurcation. Et c’est par là que ça commence. Ça exhale et veut parler, précipiter la fuite. Pas de mots. La mémoire, les lignes sont dans l’œil – innées –, et les parfums en conscience des pores, prophétie par ce pertuis qu’il faut franchir. L’eau de la mer du Labrador et de Beaufort, d’Andaman, de la Mer Jaune, de la Mer Rouge et celle de Java bientôt montera. L’odeur de la nuit est d’une sauvagerie qu’ainsi et mémoire, admettent sans illusion.

Déjà le rut d’un souvenir contracte les lombaires du rêve, mais sans que la réminiscence ne détériore la nature vertébrale et gazeuse de l’affermissement. Ça respire, entend et voit. Cet impossible lieu parle plus vite que les mots. Le corps y est coupé par l’attente, mais respire encor la hâte de commencer. Le souffle menace même d’aller plus vite à sentir l’imminente rupture. N’y rien attendre est une urgence d’éther.

L’eau de la mer de Timor, de Célèbes, de banda, d’Arafura, de Bismarck et celle des Salomon bientôt montera ; l’eau de la mer des philippines, de la mer Blanche, de la mer de Sibérie, de Corail, de Marmara et celle de Tasman aussi. Et puis après tout, qu’importe ; nous nous ignorons tellement. Tourné vers le visible et l’invisible, tenant dans la bouche la clef d’un langage, ainsi ne change rien au monde. Sinon, que voudrait dire le réel → si sa masse n’était critique, se dissolvant et coagulant en permanence au gré des expériences que nous en faisons ; si son aria n’était ivre de ses aubes et de ses nuits aux condensations brûlantes.

Ça s’enfonce loin, non pas depuis la secousse des mots – leurs à-coups – mais sous la lumière et depuis la lumière. Ça se déplace d’ailleurs plus vite qu’eux, et, sans reconnaissance à leur égard, monte aux étages les plus sombres du dire, prend une cambuse et en tapisse les murs de graphes dont l’amorphisme des jambages en disperse les sources.

Ainsi trouble d’abord, abîme chaque fois un peu plus la perspective, heurte le regard lequel néanmoins peu à peu s’aiguise, glisse sous les contrastes et dépasse les apparences. D’abord la joie – poudreuse –, puis la confusion – un maelstrom de voix – bien sûr. Des paysages, des immeubles, des affiches de rue aux en-têtes colorés ceignent harmonieusement ce lieu indéfini où tout ce qui s’y produit ne semble témoigner que d’une différance, d’un saut à la fois obscur et transparent, à la fois vide et jalonné de repères que rythment les heures claires et volatiles du matin, puis celles de l’après-midi, lourdes et dorées, et les plus graves – presque ennuyeuses – qui lentement précèdent le mystère du nocturne, égrenant l’immobile rythme des ombres, comme le pas d’un cheval au travail à la longe trace le cerne étroit et répété d’un seuil.

Le silence y est une fréquence, un processus de questionnement, d’où naissent inquiétude et langage. Autour du miracle des heures, de la traîne des saisons, du tain des flaques où les silhouettes indécises se fragmentent entre ciel et terre ; autour de la trace ténue où se partagent puissance et l’idée d’être –  ce dont l’agilité du présent se sert mêlant les régions musicales des parfums à la salive crayeuse des peurs et des pensées –, autour d’impeccables intranquillités, partout des ors mangent dans sa main.

C’est d’Ainsi qu’émanent les fréquences, et que le hasard se comprend dans l’attente impatiente de bonté ; par transition fréquentielle.

Extrait de « Sans cesse » Editions TARMAC 2018

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Ne rien craindre des railleries, des mépris (suite)

Ainsi dessaisit tout aussi, mensonge comme vérité ; déroute, épuise, aère, enthousiasme ou obture la pensée, épanouit ou éreinte les corps, infiniment. Jouons-y le jeu des va-et-vient de l’esprit et des corps. Aimons-nous ! traversons le temps dans l’aura de la musique et les luminescences du rêve.                                                                                               

 Écoute seulement. Aveuglément.

Ainsi peut bien oublier constamment ses mues d’Ios  – rouilles négligemment abandonnées , et tenir aujourd’hui la gare de triage et le port (ses attroupements de grévistes) dans une durée énigmatique à la porte de l’inconnu que l’on ne passe qu’en vousoyant l’orée, l’oscillation du présent y est sublime.

Entre désordre → (phénomènes) et harmonie, plusieurs temps existent dont il est impossible d’effacer les traces.                                 Qu’il en soit Ainsi avec son aplomb ordinaire qui se confond ici dans les eaux vertes de l’embouchure et les vagues sur la digue écrasées, dispersées en milliers de gouttelettes, en petits miroirs disséminés par le vent dans les fossés de prose et de rosée, comme par-dessus les flancs rouillés des bateaux – pour certains chargés de voitures européennes, japonaises ou coréennes – alourdis pour d’autres par des quantités de bois ou de ferraille.  

Ainsi ne cherche pas à en savoir davantage. N’a jamais cherché non plus quelle curieuse parenthèse créatrice, quel processus, fit du corps notre étroit et inconfortable scaphandre. Ainsi fomente les formes, le sacrum de sa langue – le goût et le sexe –, plonge ses vertèbres dans le fracas hétéroclite de couleurs phénoménales, lâche des corps plus vrais que nature, les précipitant sur la matière même des choses, et laisse sans arrêt l’espace tomber.

In sic, voici mes moires qui dansent, nobles et rouées. Comme auront été bons vos yeux, d’abord sévères, puis attendris, portés sur les nôtres menacés par la chute, le rétrécissement du vide, l’occultation des signes. 

Entre l’Euphrate et le Tigre, comme au sortir d’un anéantissement     (Abu Ghraib de l’éden ; l’horreur des cages, des coups de trique, des corps rendus inhumains et des chiens démons)                               même si elle n’est rien que le souffle d’un sac de poussière, – cette poix sèche crachée, arrachée avec son tapioca glaireux qui obstrue de nuit les bronches, et qui s’accroche ensuite aux parois du pharynx, avant que les mots ne s’échouent disloqués vers la bouche   carte du monde et du soleil ; bouche si désœuvrée et tellement ensuquée par le vide et la peur, par la boue léthargique du dernier sommeil, qu’il lui faut d’abord épeler un juron, – la parole veut encore s’étoiler et déborder ses ruines leur ajustant des lés de ciels extravagants !

L’air bouge dans un signe très ancien que des effluves d’asphalte et le goût délicieux de mes cigarettes espagnoles embaument. À peine un éclat, un vague balancement, et c’est la totalité des choses qui fond sur l’arrière de la langue. Aujourd’hui est la mère, la permanence d’Ainsi.

Une pituite pleine d’une infinité d’images du monde ferme mes yeux sur le souvenir flottant du voyage ; la neige, les plages, et ces lueurs sur la peau de l’onde que les notes de Little Wing accompagnent, jusqu’à la maraude inconsciente des aurores entichées d’extraordinaires imagos qui content à toute vitesse l’inatteignable et immobile aisselle.

Impossible ainsi d’oublier celle qui aura dansé pour moi durant des jours dans une chambre minable d’un hôtel meublé. Arrêter ça. Mais comment ? Éternels ces moineaux qui, depuis la rambarde du balcon, nous épiaient puis, dans un vol rapide, venaient chaparder les miettes brunes de pain bis abandonnées sur les draps de notre lit international ! Quel cinéma !

Nous habituer à ne vouloir rien devenir

Des idées nous ont tenté et nous tentent encor, des images et des actions→ naissances. Avons ainsi épuisé un bon nombre d’hypothèses dans l’intention d’agir ; naître et renaître toujours. Mais est-ce bien de cela dont il est question ? des hommes tombent, et dans nos livres s’amenuise doucement le souvenir de la raison des corps et des rendez-vous dans l’atmosphère au grain léger.

Parfois, par grand calme, réapparaît pourtant la poussière des saisons qui ornait les chemins, les gravières du Drac blanc, les rives de la Neste d’Aure ou celles du gave d’Azun, les prés où, durant l’été, allongés en plein soleil, nous rechargions de chaleur nos corps engourdis par la fraîcheur des baignades.                 Certes, nous fîmes bien peu cas des guerres, du malheur des hommes. Certes, derrière nos masques, dans les arômes de nos cabines corporelles, individuelles et insatisfaisantes, avons dormi d’un sommeil malade, la tête abîmée, farcie de rêves et couverte de fêlures. Quelques fois nous nous serons aussi tout de même battus pour essayer l’exil, rejoindre dehors un espace asilaire et subtil ; un lieu idéal et commun. Du reste, avons aimé sans que jamais ou presque l’instinct n’ait pu assombrir aucun de nos gestes. Et si lors de nos étreintes –  le visage enfoui dans les voiles, les plis les plus intimes de l’être, la bouche embrassant et fouillant les muqueuses de velours et de musc d’où jaillissent des flopées d’étoiles, il ne fut pas tant cas de ruse du vouloir que de l’augural retour– , nos yeux, nez et langues ne cessèrent d’acclamer au périmètre des faces, ce qui en inondait les berges, la beauté et l’audace des crépitements, puis l’onction des émissions et leurs odeurs abondantes, envahissant notre désir fou et vain d’y pouvoir disparaître.

Coquillards enluminés de complaintes, n’ayant eu de cesse de nous déprendre, de nous éloigner du pays du père, des meutes – accomplissant à rebours des pratiques communes l’exubérant prodige de s’offrir quelques fraternelles solitudes -, on se filme pudiquement, sans caméra, avec la mort qui sait bien que l’on feint. Et on ne l’imagine pas – avec ou sans visage –, puisque nous la portons joyeusement, tournoyant et criant autour du rien, comme si l’on venait de naître.

Voilà. Déjà plus rien d’autre que la limpidité, l’air et les eaux de neige violaçant la peau, le vent aux lames froides balayant une voûte céleste au bleu luzien. Et nos simples figures tournées vers d’autres figures, d’autres corps, demandent au ciel de bien vouloir les accompagner. Car nous voulons nous étendre sous le ciel, et chanter en nous battant les lèvres avec les mains comme nous le faisions quand nous étions enfants ; entrer dans l’énonciation d’une langue étrange et complexe.

Compassion envers ceux qui réfuteront cet écoulement métamorphique du vivant.

Je ne le dis pour personne, cet espace de verre, hymne aux épaules sublimes. Ne rien craindre des railleries, des mépris. Ce qui nous ceint est un cœur sans durée. L’embrasser avec quoi : le texte → canto : aux paysages de pierres et d’herbe, d’évanescences claires et musicales du voyage intérieur. Mais c’est aussi dehors, montant vers l’épaule d’avril, par l’insaisissable échelle de splendeur, qu’il n’est plus lieu d’écrire. Y pourvoient déjà avec peine, les chapitres insaturés à doubles ou triples liaisons ; un peu mieux les primevères des talus jaunes et verts resurgissant sous le givre.

Mort, vois nos mains, nos inscriptions, entends notre souffle, il n’y a là-dedans rien qui puisse satisfaire tes masques.

Trop de travail sur la langue, pas assez d’écoute à l’égard du songe des signes et des légendes. Passé l’incrédulité, c’est-à-dire l’attention ahurie prêtée au déboulement sauvage d’une zébrure scindant soudainement le passage, il faudra du ciel et des corps se convaincre.

Il n’y eut pas d’année qui fixa mieux qu’une autre la permanence d’Ainsi. Averses de soleil et de nuit. Et nous, pauvres de nous, sommes venus plus d’une fois apposer souffle et lèvres sur des noms, des corps, des langages- corps, des histoires, et toujours on nous a sommé de révérer l’esprit du temps.

Ainsi _ prolifère là, sous la peau et non seulement dans l’idée, mais également par le corps craie, et pas uniquement par le corps craie, sa délicatesse tortueuse et bordée de pivoines et d’alouettes. Affleure par ce penchant pour les ciels et pour les corps qui dansent et chantent en frappant la terre des pieds. N’émerge point seulement de la terre ni seulement de la danse, mais aussi de toutes les époques cuites avec leur mémoire.

 Abonde par la bouche intuitive, et non par la seule raison. Ni absolument par l’œil.                                            Inonde mêmement le cœur, sa boîte noire et touffue, et non la seule gloire du souffle que la tétine du sommeil diminue jusqu’à l’amble et endort, mais bien sûr aussi par ce souffle que l’esprit sait rivière large et courbe dont le lit fomente le courage obscur d’enfants perles.

Ni dehors, ni dedans, mais dans la course immobile des temps, les corps translucides de l’enfance de l’aube ;   dans ta bave et ta flore, à l’à-pic d’une rêverie létale où l’âme fait le choix de la terre et de l’eau, se passe de durée, vide flottant à plusieurs cœurs au sens parfait des principes du rêve et des substances fondamentales ; dans les signes s’évanouissant sans perte ; sous les aspersions de la lumière, bondissant vers les lacs d’Ayous, au printemps des gentianes, des orchidées, jonquilles, renoncules et des parterres d’airelles bleues ou des tapis de camarines ; dans les contrastes sylvains de verts sombres que les grands cheveux blancs et froids des cascades brumisent ; ou dans le Néouvielle, lorsqu’on grimpait jusqu’aux derniers spasmes supportables, soit d’un soléaire, soit d’un gracile qui finalement nous jetaient riant et jurant dans  le délice de l’ombre d’un pin à crochets, passées les landines de genévriers nains et de raisins d’ours, et que nous n’existions ! et encor lorsque l’amour était partagé autour de gros morceaux de pain→eish la vie à pleine vinaigrette, et que la délicieuse salade de tomates était avalée et tout l’univers avec, et que le don ainsi ouvert, sa présence réelle, nous éloignait du souvenir.

Ainsi s’ouvre, multiplié. À tout de suite ! s’accomplit affecté, imparable. Toutes circonvolutions égales, et Ainsi de suite. On dort si près des rêves de l’autre déjà énoncés ; sèmes clairs et abstrus, corps lumière et tous les tableaux descendus jusqu’au sein de la langue, ses plis vocaux, et dans la chambre aux soies ciliées des cochlées électriques.

Ainsi renonce, plaide, perce, transperce, crève, démolit ; efface tout trace d’inquiétude tangible sur les pelouses, dans les arbres et les yeux aux iris verts de l’eau.

Ébruite l’insaisissable depuis un axe pyramidal, Kaïlash, jusqu’aux glacis de l’Ossau, verglas dans l’air vertical happant des ombres les bruits. Sans piété aucune sommes nombreux à n’en vouloir dire que l’enfance. Vidéo, je vois ; inadvertance primordiale ! sabayon luisant de tiges et brins ; pas grand-chose pour ainsi dire.

;indécidable, mal si pas serait n’ce                              

le souvenir heureux et guéri.

Assez de voix. Il faut entendre, doucement vivant. Ainsi très murmuré intercepte des douleurs les sonorités.

C’est Ainsi. L’impondérable dissémine sans cesse, et cela ne signifie rien.

Extrait de « Sans cesse » Editions TARMAC 2018

Image d’entête: travail personnel

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des réponses de virus

Habitant le dire, son style et son rythme, marchons vers ce qui ne s’explique. Aucune hallucination. La porte est ouverte. Tous les matins cette porte s’ouvre. Il s’agit bien de ça. Rien ni personne ne peut faire que cela puisse se dérouler autrement. Le temps nous appartient. Des anamorphoses | âmes-sources | dansent. Tous les matins un même petit soleil énoncé de nouveau en silence. Prose de la rosée du dire à rosée d’iris ignée d’amour boucle et bouche de commencement. Prose du vif qu’à chaque printemps la rose embaume, de la voute de nuit et d’échos où le bois et la pierre se métamorphosent, où coulent toutes les rivières et les fleuves. Prose de ma langue qui n’en est pas une, du livre muet mu par les corps qui se tiennent dans le présent comme dans l’imparfait. Prose de nos tristesses, de nos consolations, des parfums et des signes que nous adresse le vide, du livre qu’il faut taire pour retrouver le monde, de mes prières qui proférèrent sourdement le duvet de tes jambes jusqu’à ton gouffre, ciel d’en haut, l’œil à la serrure noire et rose, musicale. Prose des coquelicots puisque cela me fut permis de le dire, de la terre, des couleurs et des frôlements ivres de nos silences et de tous nos mouvements. Prose des lectures faites à voix basse. Prose de l’avancée des silences, de l’oubli, des discussions entretenues avec les morts, de mes lèvres sur tes seins comme sur l’infini ruban des jours. Prose des glissements géométriques des heures et des corps parés d’ombres et de clartés, de notre entêtement à aimer entre la nuit d’étoiles et l’horreur des massacres ; entre mon ciel familier et les murs d’Alep et de Minbej déchirés par les balles. Les bombes. Les barils d’explosifs. Les missiles TOW et M79. Les bombes au phosphore. Mais j’ai ouï dire qu’il ne valait mieux pas. Qu’il y avait quelque chose d’obscène à chanter ainsi. Que nous ne recevrons bientôt plus que des réponses. Des réponses éphémères et totales. Des réponses de vents, de canicules, de tempêtes solaires, d’incendies. Que sous peu nous n’aurons plus que des réponses vaudou. Des réponses de virus aux culs-de-sac organiques, d’oxyures, de fleurs virales, d’un rire jamais entendu. Des réponses de fous aux lèvres et aux paupières cousues. Il est bientôt six heures. Réveil rituel de l’asthmatique. Sylvie prépare le café. Petit déjeuner. Frugal. Inhaler le traitement de fond. Respirer profondément. Reprise des prières : respirer. Je sens mon cerveau se délecter de l’infatigable langage qui nous fait tanguer. À chacun de goûter son propre balancement. Sa musique intérieure. « Je danse sur le fil ». Entre les feuilles du temps pas d’instrument. Pas de temps. Mais une matrice invisible et fermée. Eaux et plusieurs Ciels. Mais des signaux venus du monde des mères. Et nos soleils intérieurs. Et des ondes sinusoïdales de sons et photons. Cantique quantique. Je suis en équilibre. Mes pieds entendent. Mes mains voient et je ne suis rien. Fleurs. Fleurs. Le gouffre. L’équilibre. La lumière. Arbres. Nos mains. Le voyage incessant dans les temps de notre histoire. Je me fie à l’étoile. J’écoute et distingue dans la tendresse des jardins du monde, et dans chaque regard qui s’y pose, un immémorial désir de bienveillance. Ne pas se reposer. La vérité est belle, hideuse et incompréhensible. « Oui, merci Sylvie, je veux bien un autre café. »

Extrait de « Sans cesse » Editions TARMAC 2018

Image d’entête: travail personnel (évocation du travail de l’artiste, Jean-François Simon)

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La nuit est le mensonge de Flora Botta

Flora Botta –                                                                                                                         Un chant immémorial

Nous sommes sans cesse en quête d’épouser la réalité de ce monde, et la plupart du temps nous semblons également être confrontés à la pratique paradoxale d’y éprouver l’absence, ce sentiment étrange que quelque chose, quelque part, à portée de main ou de cœur, nous reste désespérément inaccessible.

À cela, dans un langage qui appartient d’abord au souffle, la poésie ne peut se résigner.

Parce que Flora Botta est résolument et en toute conscience au monde, et parce que sa voix sait qu’il ne lui suffit pas de sortir d’une bouche pour que la pensée et la parole lâchent prise, pour que la profération s’ouvre sur le dire du corps et de l’âme dans sa texture essentielle, elle dira en prières jaculatoires, dans un chant qui conjurera le temps et les apparences, sa joie féroce d’être mariée à la terre, et son ivresse d’aimer qui la fait tomber vers le ciel.

Si La nuit est le mensonge semble de mon point de vue être une prière adressée au vide – à ce par quoi finalement nous sommes comblés -, c’est aussi un dire de l’instant et de l’extase. Et lorsque l’exercice d’écrire excède l’écriture ou que l’écriture renonce à elle-même pour le chanter, ce dire est animé par un don prodigieux qui fait surgir l’être et le fait danser sur le fil d’une mémoire oubliée.

L’énonciation du monde par le souffle y outrepasse tout marquage des mots et des signes. Bien sûr, l’incantation est préalablement écrite – même si peut-être elle n’est que transitoirement scellée – mais son langage est vivant, et ce langage danse même sûrement bien en deçà de l’oblitération corporelle des mots. C’est le chant d’une conscience sensorielle où l’âme des signes et des choses est convoquée à un présent primordial.

Outre ce qui s’y impose comme un chemin désencombré des peurs et la permanente mise en équilibre du mystère et de la clarté, ce chant procède d’une expérience du dessaisissement du moi pour un détour nomade, animiste, vers l’insituable soi. Dans une langue qui sans cesse fait naître la locutrice, et dévoile une réalité mouvante dans l’espace et le temps, la poésie (le dire de l’intuition) amène Flora Botta à faire l’expérience d’une clairvoyance totale où le je est presque toujours du registre de l’autre. …/… Syllabes coupées : qu’est-ce que tu essayais de me dire ? tu étais là je t’ai sentie pourtant je ne te connaissais pas je ne t’avais jamais vue auparavant. C’étaient les derniers instants avant la chute. …/…

Le monde ne se résume pas à ce que nous croyons en percevoir. La  conscience est collective, et l’inconnaissable bien partagé entre hasard et les « causalités naturelles »…

…/… Qui nous apprendra à ne pas mourir si vite ? …/… probablement personne d’autre que soi. C’est comblé par le détachement, la joie profonde d’être consolé par ce qui jamais n’advint, qu’il nous faut d’abord mourir pour devenir. Le chant qui place parfois la mort dans son drap de couleur or ou dans le fuselage d’un avion qui se crashe le sait …/… c’est la vie qui se renouvelle âpre sainte bridée et chère ne savoir rien d’autre que se qui se fait en passant par l’amas de gouffres qui s’ouvrent et nous avalent cependant vainqueurs ressortir de ce ventre y rentrer dedans nous évanouir dans ce ventre y renaître à chaque ventre chair et corps et luire davantage …/…

Nous n’avons donc pas d’alternative, il nous faut vivre à condition d’aimer. Brûler maintenant. Demain, il sera trop tard. Demain est un leurre. La vie doit passer par la dévoration de son espace incarné ; la promesse seule résidant dans la puissance magique des mots-corps – corps sans racines – qui ne cessent de se tenir et de marcher à nos côtés.

Il faut vouloir vivre …/… comme un fou les mains dans la rue creusant l’espace d’un instant …/… Peut-être est-ce l’enseignement clé que nous délivre le chant vertical et immémorial de Flora Botta. Car ne pas être possédé, c’est en quelque sorte être dépossédé du privilège des voix et du souffle. Comment alors entendre et comprendre les ombres. Comment nous tourner vers le ciel, l’eau et la terre si nous sommes sans visage. Alors la nuit devient un mensonge au sens de notre propre tromperie vis-à-vis de l’amour et de l’image que nous nous faisons de nous-mêmes, de notre origine ; quand en réalité, elle est ce seuil étrange que nous devons franchir afin que nous puissions enfin toucher et dire le lieu où s’accomplit le rêve.

Flora Botta nous propose là un texte qui à mon sens témoigne d’un authentique dialogue avec soi-même, et qui, descendant loin dans l’intime, enjoint à l’être de s’engager dans une véritable Œuvre de transfiguration pour qu’enfin la matière et l’esprit ne forment plus qu’un seul et même précipice de lumière. De la plus pure poésie.

Article paru dans la Revue papier FPM N°20 .

La nuit est le mensonge                                                                                  Editions Le Nœud des Miroirs                                                                        Edition bilingue                                                                                                      Préface de Christophe Mileschi

Patrice Maltaverne Double séparation Editions du Contentieux

Double séparation, c’est d’abord un rythme, une pulsation qui fait de ce texte un monologue très inspiré. J’y ai entendu une véritable voix accompagnée par de longs et lents riffs de guitare électrique.

Ce murmure atonal parle de l’humanité, de ses visages et de ses regards en abyme.

Pour moi, Patrice Maltaverne est un vidéaste.

Son œil est sa caméra. Il regarde ces regards, suit tous ces corps en mouvement empêtrés dans l’espace où mystère et réel étroitement liés ne leur facilitent pas la tâche. Comme tout grand photographe, ce poète est aussi un peintre, c.-à-d. celui qui voit dans le moindre geste la réverbération des êtres et des choses.

Sa vision est tactile. Mais il sait que tout ce qui est observable à travers l’invisible est aussi question d’interprétation.

Sous nos yeux, le développement du négatif, la translation est permanente mais jamais tout à fait complète, même si parfois les hypothèses poétiques de l’auteur apparaissent soudain comme de terribles évidences. Le film (le chant, le poème, la musique) se poursuit implacablement dans la lenteur comme une prière, une conjuration du sommeil et des fictions qui savent eux parfaitement polluer le songe et le langage.

Oui, il y a quelque chose de désenchanté dans la prose de Patrice Maltaverne, mais on pourrait écouter son blues sans cesse jusqu’à ce que le silence finisse par gagner.

« Il serait normal / Que nous allions dans le même sens/ Indistinctement vers la nuit/ Sans rien nous dire / Ensemble soudés / Comme du métal de portière.

 

5 € Aux Éditions du Contentieux

7, rue des gardénias

31100 Toulouse

 

http://pascalulrich.blogspot.fr/p/editions-du-contentieux.html

Aïon – Editions Encres Vives

Après le kairos et le chronos, voici l’éternité, qui n’est pas linéaire ni cyclique, et nous réserve bien des surprises, des temps renversés et renversants, inversés et subversifs; la création se tait : crainte respectueuse de l’homme auquel elle ne veut pas faire de mal? Attente du dialogue humain pour oser bruire de feuilles, fleurs, pleurs, cris et balbutiements froissés de la bogue tombée ou du cerf solitaire… la création se tait… Le temps n’est plus comme un simple Charognard, temps obscurs des Ténèbres de l’Érèbe, où les dieux acceptaient d’être dés-altérés, par l’eau humaine dont ils se nourrissaient et qui les apaisaient : le sang, cette carte d’identité archaïque… C’est aussi pourtant le liquide qui rend frère aussi, non ? Mais vient peut-être maintenant un temps-révolution, celui de Nyx, la Nuit, qui ne connait pas le logos mécanique, ritualisé… Ce temps là métamorphose la Nuit en Jour, et signale un temps autre, « enroulé dans le secret » de chaque être, ignoré de lui, intuition confuse d’une des réalisations possibles de l’être… Aïon… pour l’homme sa double nature, mortelle et divine, superposition de toutes les temporalités, sortie du cercle et de la sphère image du Parfait, pour avènement de la troublante perception du voyage des quanta vers on ne sait où, réunion, destruction, fusion, mondes parallèles, trajectoires discontinues, déformantes, changements, spectres gris, ni ronds, ni carrés, ni donc spectres… Devenant autres, d’un Ordre autre, colorés par la seule poésie

Oui, la vie est Prière, et la Prière comme l’Aïon, des encres vives du silence de l’écriture nées de la fenêtre souffrante du poète

Brigitte DUISIT

Les textes Aïon et Prière, signés respectivement par Régis NIVELLE et Gilles VENIER, ont été publiés en 2014 aux Éditions Encres Vives.

Des extraits de ces textes paraissent ce mois-ci dans la revue de littérature l’intranquille,revue liée à l’atelier de l’agneau éditeur http://chronercri.wordpress.com/lintranquille/