Ne rien craindre des railleries, des mépris

Âge de la lune : 6 jours 16 heures 16 minutes. Je ne le dis pour personne ce lieu sans bords et sans hasard, au hasard de ce qui s’y manifeste et nous méduse. Ça en fait chier bon nombre, la beauté, l’éblouissement.

Air feu océan matrice, l’immense femme-tresse-spirale révolutionne gire dévoue demeure voue existe virgule articule n’explique et n’identifie coupe sabre éclot sans but déterminé.          Du monde, je n’y ai jamais vu qu’une lisière à vrai dire peu fréquentée où les atomes bondissent dans la vibration d’une poix ondulante ; un Univers Aspic.                                                                The never ending trip… Ainsi/ œil soleil oiseau /ne tourne pas les pages – jamais –, mais frappe les atomes, ramenant au temple d’insécables permanences. Soudaines, sidérées, réverbérant un swing de lumière lente et bleue, mille faces en surgissent.

« le sud ? … c’est par-là » maugréa-t-il sans lever les yeux, en indiquant de la main la porte donnant sur le couloir. Et il rajouta : « vous y ferez quoi dans le sud ?  »
– « je n’sais pas… est-ce si important ? » et l’ombre disparut, la chance→ suerte sur le terrain de l’homme, une corne en plein cœur.

Car il n’y a pas un point obscur, mais des entres, des songes extraordinaires où d’évidence rien ne s’endort : c’est Ga’nza, une explosion vertigineuse de lignes et d’images par milliers ; une transe sacrificielle, une danse de courage. À cet endroit de pure réalité, Ainsi n’est plus un fatum. C’est un maelström de chants, de danses et de musique.   Et la main qui porte la lame sur le prépuce porte un mystère et une souffrance. Derrière les cirrhes du grand tapage Ainsi admet tout. – « dis, quand reverrons-nous dans la mort, l’enchantement des fins dépassées ? » 

L’eau de la mer des Tchouktches, des Sargasses et des Antilles, de la Méditerranée, de la mer d’Arabie et de la Caspienne, de la Mer Noire, de l’Adriatique, du Nord et celle de Chine bientôt montera. Vers le chant et ses lignes, fascinante mélopée, tous les points et les courbes d’un pur désert. L’ivre est là, cadenassé – inachevé, dans sa chair et ses voix radiophoniques –, admettant la nuit.

L’eau de la Mer Baltique et celle du Japon, de la mer d’Okhotsk, de Béring, de Kara et celle de Barents ; l’eau de la mer des Laptev, du Groenland et de Norvège bientôt montera. Le corps est pris par les sens, le cœur lui tenant lieu d’entrailles essentielles. La fin est commencée, bifurcation. Et c’est par là que ça commence. Ça exhale et veut parler, précipiter la fuite. Pas de mots. La mémoire, les lignes sont dans l’œil – innées –, et les parfums en conscience des pores, prophétie par ce pertuis qu’il faut franchir. L’eau de la mer du Labrador et de Beaufort, d’Andaman, de la Mer Jaune, de la Mer Rouge et celle de Java bientôt montera. L’odeur de la nuit est d’une sauvagerie qu’ainsi et mémoire, admettent sans illusion.

Déjà le rut d’un souvenir contracte les lombaires du rêve, mais sans que la réminiscence ne détériore la nature vertébrale et gazeuse de l’affermissement. Ça respire, entend et voit. Cet impossible lieu parle plus vite que les mots. Le corps y est coupé par l’attente, mais respire encor la hâte de commencer. Le souffle menace même d’aller plus vite à sentir l’imminente rupture. N’y rien attendre est une urgence d’éther.

L’eau de la mer de Timor, de Célèbes, de banda, d’Arafura, de Bismarck et celle des Salomon bientôt montera ; l’eau de la mer des philippines, de la mer Blanche, de la mer de Sibérie, de Corail, de Marmara et celle de Tasman aussi. Et puis après tout, qu’importe ; nous nous ignorons tellement. Tourné vers le visible et l’invisible, tenant dans la bouche la clef d’un langage, ainsi ne change rien au monde. Sinon, que voudrait dire le réel → si sa masse n’était critique, se dissolvant et coagulant en permanence au gré des expériences que nous en faisons ; si son aria n’était ivre de ses aubes et de ses nuits aux condensations brûlantes.

Ça s’enfonce loin, non pas depuis la secousse des mots – leurs à-coups – mais sous la lumière et depuis la lumière. Ça se déplace d’ailleurs plus vite qu’eux, et, sans reconnaissance à leur égard, monte aux étages les plus sombres du dire, prend une cambuse et en tapisse les murs de graphes dont l’amorphisme des jambages en disperse les sources.

Ainsi trouble d’abord, abîme chaque fois un peu plus la perspective, heurte le regard lequel néanmoins peu à peu s’aiguise, glisse sous les contrastes et dépasse les apparences. D’abord la joie – poudreuse –, puis la confusion – un maelstrom de voix – bien sûr. Des paysages, des immeubles, des affiches de rue aux en-têtes colorés ceignent harmonieusement ce lieu indéfini où tout ce qui s’y produit ne semble témoigner que d’une différance, d’un saut à la fois obscur et transparent, à la fois vide et jalonné de repères que rythment les heures claires et volatiles du matin, puis celles de l’après-midi, lourdes et dorées, et les plus graves – presque ennuyeuses – qui lentement précèdent le mystère du nocturne, égrenant l’immobile rythme des ombres, comme le pas d’un cheval au travail à la longe trace le cerne étroit et répété d’un seuil.

Le silence y est une fréquence, un processus de questionnement, d’où naissent inquiétude et langage. Autour du miracle des heures, de la traîne des saisons, du tain des flaques où les silhouettes indécises se fragmentent entre ciel et terre ; autour de la trace ténue où se partagent puissance et l’idée d’être –  ce dont l’agilité du présent se sert mêlant les régions musicales des parfums à la salive crayeuse des peurs et des pensées –, autour d’impeccables intranquillités, partout des ors mangent dans sa main.

C’est d’Ainsi qu’émanent les fréquences, et que le hasard se comprend dans l’attente impatiente de bonté ; par transition fréquentielle.

Extrait de « Sans cesse » Editions TARMAC 2018

Image d’entête: travail personnel

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