Et si l’expérience du corps était une mission de l’âme, l’épreuve de l’incarnation dans les fréquences du vide, dans la pratique consciente de plusieurs traversées; d’exister ?
Et si la vie couvait encore un dire inouï des formes natives du visible et du dire, couvait la mort, le corps-rêve à la porte du feu, et que la danse de l’écriture irisait l’errance subtile du graphe qui affleure à la surface du codage serré des lettres de l’illisible, irisait la justesse des tons aux réminiscences parfumées et le rythme du silence, les vibrations entre l’envers et l’avers ?
Et si dès aujourd’hui nous n’avions jamais fini de lire Ÿcra percer à nuit le monde– de recommencer sans cesse à entendre, à respirer et voir ce texte incomparable : tissu mouvant d’une littérature s’accomplissant, détachée de la signification qu’éventuellement on pourrait lui accorder, qui danse et dansera longtemps sous nos yeux, et moi avec …
V
I E – Livre second : Ÿcra percer à nuit le monde de François Richard
François Richard, l’auteur de Vie sans mort, d’Esteria et de Loire sur Tours, nous revient enfin grâce aux éditions Le Grand Souffle avec un texte-danse qui aura habité de ses déflagrations secrètes un trop long silence du poète.
Dans le premier opus de V I E – L’asquatation -, il y a un lieu : le squat Ribardy. Et puis il y a des heures, des jours dont certains sont des ères, et encore d’autres jours-instants aux mille nuits, aux mille paysages où l’errance a le don de ses voix-âmes, des Driades, d’Esther Leastir (la femme cachée), des fleurs, des vents d’encre, des corps – Ors-feux – au don d’ubiquité.
Le verbe y est matière et musique. Sa résonance sacrée est fertile. Le temps est celui des corps sonores de ces adolescents survivants dont les voix vivent et retentissent dans le choix lucide de leur liberté assumée en tant qu’êtres acceptant leur condition. Tous ou presque annoncent une révélation. Un renversement, une fin et un début ; peut-être celui d’un autre monde.
Ils sont là ces enfants d’Orphée à la fois synesthètes, amnésiques et dotés d’une mémoire plus vieille que la mémoire des temps. « ils sont là, Thubald, Thiam le non mort, Suïm, Imogen, Nroil, – Léopar, frère de Carange, et Chriscent (plus loin) -, et Attuen, et Lullia, et Lul etc., extrayant un vaisseau de l’envers de l’air ».
C’est un texte levé, une odyssée, d’où surgissent des légendes, sources originelles enroulées dans un futur déjà réalisé, où le sensible danse avec la création, avec l’imaginaire ; où le langage est capable de questionner le réel ; de redécouvrir et de nommer l’Arbre-Monde.
Il y a là, en mouvement – en inquiétude -, un chant dansé qui propose une traversée des ténèbres qui nous ceignent. Nulles allégories ou imitation dans son tracé, et surtout pas un jeu. Ça passe par les sens du respir et du toucher et par l’expérience du mystère, de la douleur et de la joie; de leur stridulation. Rien d’occulte non plus, mais sans cesse une création dans le creuset du sens.
L’écriture de François Richard est toute empreinte de cette respiration vitale – l’inspir et l’expir dans l’unicité corps et âme d’un temps-corps -, qui nous permet de tenir, de suivre l’étoile et d’aller vers soi. Lire cette respiration, c’est aussi respirer avec ce poète hors norme, le rejoindre dans sa quête, et s’étourdir avec lui dans la danse d’un verbe qui nous appelle à revenir au vivant, à nous retourner, en nous, et à s’unir à la conscience de l’amour.
Un très beau récit initiatique
Livre 1 – l’aquastation – Premier acte du pentaptyque V I E – 186 pages – Editions Le Grand souffle 2021