Mère

« La vie est belle

je me tue à vous le dire

dit la fleur

et elle meurt »

Jacques PrévertSoleil de mars

« Aujourd’hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. »

Albert Camus – L’Etranger

Autoportrait r.n février 2022 Technique mixte sur panneau de bois Okoumé 42×30

Ma parole n’est pas autre chose qu’une musique de buée sortant de ma bouche

Février en ce jour froid est un lavis de brume

Ton époux ne te cherche pas puisque tu lui tiens la main

            il ne cherche pas non plus à t’embrasser      

il hésite

comme un cheval mal guidé

On marche à travers les draps que le ciel suspend

Ça sent la rouille

Nous ne partons pas   choisissons la solitude de la complainte du rougegorge

Notre souffle est-il bien le nôtre ?

Dehors comme à l’intérieur               l’oraison du voyage   

On entend une respiration                            

Les forêts psalmodient le vent et la boue

Partout le même chant obscur du monde

Nous nous souvenons de ce qui fut et demeure

nus dans le vase de notre mère         

et qu’en chaque maison se consume un lieu sacré

On emprunte des rues des cours des jardins  

où l’absence se manifeste par coulées de parfums 

Des visages et des corps même enfuis sont rejoints

Par incendie d’intuition         

– saoulerie de lumière 

marées de ciels de céramique            bouquets de pivoines

par dunes de genets

champs de lapiés aux herbes rases de coquelicots et de chardons

d’arbres de ruisseaux – et tout ce qui éclaire et anime

les voix de l’air la pluie les arômes de menthe et d’aubépine –

on parle de la terre 

la terre de paille et de silex   

un vol de départ dans la gorge 

et à fleur de peau  

un frisson décroche le cœur et l’âme

les fait sauter d’étage en étage sans prendre l’escalier

Au milieu des herbes

on chante tout bas ce qui frappe nos semences 

toutes graines battues en chair et en musique

chemises ouvertes sous le vent

Quand tu pris la décision de ne plus attendre

l’eau tomba averse dans nos bouches

depuis le câble téléphonique

et nos cœurs se mirent à battre un sourd vacarme d’orphelins

où s’est fixé ton visage mais aussi ta voix

sa danse

dans sa lenteur basse mais claire

lorsque que tu lançais ton chant de dimanche

dans ta maison du peu bien rangée

Maintenon – Ton cœur germe entre les pavés de la cour

disjoints par le vent le soleil et l’eau

Tu es de ce lieu où

par le songe d’une bourrasque de feuilles

sous un rideau de pluie froide

les oiseaux ont porté et glissé ton corps

Tu es aussi cet autre et même lieu-visage

une pensée du royaume 

un sommeil

Que des gestes

ou presque

alphabet silencieux

si familier et étrange à la fois

Ainsi des mains murmurent la soif

sans appartenir aux larmes

Ainsi s’écoutent des chants

s’enfantent

des souffles-gestes

Des animaux invisibles

se faufilent parmi nous et parlent tout bas

eux aussi

en penchant respectueusement la tête

Âge de la lune 23,80 jours

Les cœurs s’envolent

Le chant s’élève

La peau soudain écoute le vide

l’enchantement d’un chant de coquillage

conque rose et nacrée de tous les commencements

naissance de la fin et du début          

Le rêve est nu

la parole court                        recouvre sa forme

s’emplume      s’enroule

aux spirales de l’air

Paroles et corps transparents

ruissellent maintenant d’une mémoire à la vitesse prodigieuse

Frôlement d’un fluide aérien

impondérable lave de conscience

rumeur d’une mutation

– On évite de regarder le ciel

L’assemblée se meut

en une chorégraphie indécise

Ainsi monte

une prière

un bruissement d’avant le monde

– les morts sont en voyage

Tous les 9 février

 je te préparerai un thé mandarine

Maintenant tous les matins et les midis se soulèvent

Pulvérulence

ton corps va disparaître

Il a disparu     

assis dans le feu de sa parole

l’air et l’eau de ta parole

inconsolable iridescence 

pour une autre respiration     

Alors il y a le silence 

traversant les draps de ton lit de ses crosses de fougères

mais il n’y a ni fosse

ni Hadès

Par colchiques et renoncules

tapis de jonquilles

pieds de soldanelles 

de scilles à deux feuilles (les étoiles bleues)

et satyrions rouges

par champs de reines des prés

de chardons bleus

pieds minuscules d’orchidées sous les épicéas

de lotier et ses petits sabots

de Circes mauves

ou par petits artichauts de joubarbe

mousse fleurie de silènes acaules du Queyras

  sommes du sang d’un respir

Dans le jardin

j’arrose doucement les rochers

D’où nous sommes

nous continuerons à te parler simplement

par corps de danse 

oiseaux de neige

par descentes dans nos eaux             

transformations et ravissements dans notre jardin

résonnant de ton offrande

jusqu’à ne plus le pouvoir       

Tu nous frôles 

et c’est l’air vif           non tes cendres

qui nous houspille aux garennes

dans la remise aux cageots

jeunes idiots courant derrière

les poules pour leur casser les pattes

avec nos bâtons frottant l’air

comme des rhombes

Et c’est un vivant « nom de dieu ! »

qui s’abat sur nous 

nous corrige et fait aboyer les chiens

nous ordonnant de regarder le monde 

avec le cœur au bord des yeux

et dans l’oreille

la chanson des lisières

du temps austère des animaux

Tu avances encore

en te cognant aux meubles

distraite légère et grave

Les terres et des nuées d’oiseaux

s’élèvent avec tes pas

jusqu’à à l’à-pic de la falaise

où la forêt luth ses marées lunaires et la garenne

en chapelles d’ombre et de lumière

dominent la vienne

Maintenant nous ne pleurons plus

car il nous reste le récit du sommeil ardent

visible partout

ruisselant de rosée

que les gens de peu savent lire

Héritage du matin

squelette pneumatique

ailes pulmonaires        

infatigable dire du cœur

diastoles et systoles à l’adresse du ciel

sans hâte         au jardin

pieds nus

et autour du nu                       de l’arbre

un feu sans flamme

ouvrant l’air

Je t’y reconnais

tu es là                        quelque part   

en équilibre

recueillant l’aria du vent

son vêtement de verre

m’emmenant toujours jusqu’aux fontaines

embrasser l’eau et les mousses

entendre leur souffle

et goûter ce que les arbres nous racontent des sources

où chuchotements et visages

entrent en résonance

où nous sommes les hôtes de toute pierre

des temps

et de l’eau aussi

Le vide nous rêve sans corps                        

Tu as suffisamment imploré le soleil de ne pas accabler ta présence

tant prié tournée vers l’esprit

            et tant souffert de mes colères

pour que tu ne meurs jamais dans ton énigme

d’aster et d’orchidée

Ishtar sous l’étoile

juste et aimante

Aube de verre

un sphinx-colibri

un azuré et un petit fadet

habitent les abelias

Reprise d’un langage oublié

le balancement est profond

J’appartiens à la mer – yam

Elle me dit : « épouse-moi

œuvre dans ta parole »

mais j’ai oublié mon nom

pas encore imago

être-son   

Tôt ou tard      comme toi

je disparaitrai et reviendrai sans face

pour enfin voir

Alors les jours et les nuits passés sur mon livre muet

où des fleurs éclosent et meurent instantanément

tiendront dans l’éclat d’une seconde

Quand viendra ce moment

dans la crainte            mais sans désir et sans peur

je serai adossé à la dune

Aurore !

               Quelqu’un dispose une feuille de chêne

et des brins d’oyat

              entre mes lèvres

Les iris les lis martagon et les gentianes

poussent dans ma bouche !

Ce sont tes mains       oui

qui ont guidé les miennes

à couvrir d’encre des tiges de roseaux

Ta tête a tourné ma tête

vers les pierres et la mer

Sous ta peau

j’ai vu se glisser des saisons

les halos d’un vide vivant

l’éternel neuf

Implosion assourdissante      

Je suis sourd               assis devant la mer

immobile                    enfant encore inaccompli

Ça fait pourtant des lustres que je suis embarqué

avec toi

corps-lumen   

te suivant        en suivant le pas des arbres

Mon visage est le tien

fenêtre submergée de ciel et de poussière

comme une vitre de cabane

contre laquelle se heurtent les oiseaux trop pressés

et ta bouche-tissu

aux fines lèvres de silence

dessine la source des temps

Tout est là

 en nous-mêmes et en-dehors

sommes mus

même sans substance

Entre silence et parole

le geste et l’objet

UN OCÉAN  

où se démembrent

se mangent nos signes

en émeutes vertigineuses et sacrées d’ambre et de corail

herpes que les grandes maréesdisséminent

Mère

l’ivre de lumière et de nuit

écoute partout la mer

Je te parle assis dans le vide

bois dans la coupe de tes mains

dors en ton pays

L’eau tombe dans mon corps

mais c’est toi me buvant

l’espace lisant ma peau         

l’eau de ma prière

Je te parle depuis un songe maternel

mangeant et buvant ses bruits

Semence frappée        est-ce bien ma demeure ?

Asile à la nuit pleine              

la lune est bleue ou blafarde

mais on chante à plusieurs

aux vibratos des pulsars

Nous ne sommes pas seuls

partout est la demeure de nos mémoires

Écrire n’est rien                      le corps peut le dire

Tout est dans le sans nom

que le vide

l’esprit et la matière portent au feu

la torche étoilée de l’iris

N’écrivons pas

Lorsque je t’aurai rejointe

nous nous assoirons    au sein des voix          des murmures

nous laissant enrouler

par la vitesse

la lumière et les ténèbres

Et nos mains

toujours assoiffées de figures

de lèvres vives                       

de pluie

attraperont les mythes par les cheveux

Jusqu’au plus léger dire

vagabonderons

passerons même une journée à Tübingen

où André en uniforme nous rejoindra pour t’embrasser

Quels autres furent tes amants ?

Feignant d’être surprise sur le fil de ta mémoire

tu souris en portant tes mains sur ta bouche

Ton Adam fut amour en tes deux feux vivants

du jardin jusqu’à ta main

de tes eaux jusqu’à la porte de ton cœur

apprenti de tes voiles de tes parfums 

Avec toi migre ma pauvre langue

aux herbes odorantes

adoptant la respiration des nuits et des jours

qui chante les bois frais

les carex                      les iris et les prêles des marais

Car c’est toi qui crées les euphorbes

les nuées aux lés mauves et argentés

les hortensias bleus de l’ile de ré

toi qui couvres d’orichalque les falaises de la corniche basque

au coucher du soleil

et ordonnes à la bise et ses framées de gel

de dessiner sur les vitres des fenêtres

les partitions fractales de l’eau et de l’air

Transporte-moi du bord des lèvres

aux mains ailées ouvertes et spatiales

Profère ce qui nous traverse

nous dépasse

et pare les choses inexistantes

Murmure-moi ce que racontent l’eau

les résurgences

le puits salé d’Ugarre

et les sources de la Nive en forêt d’Orion

toutes les sources et toutes les fontaines

les arcatures des châtaigniers à Bidarray

et le peuple des grands pins à la gemme ambrée

du col de Gleize vers Chaudun

l’odeur fumée des feuilles

la fumée des brûlis

l’offrande parfumée que les feux de bois morts

adressent au silence

Énonce à l’adresse de l’intelligence sémantique artificielle

que du nœud via l’aisselle

éristale remontant par le pétiole et toute la nervure principale

tu vas vers le limbe de la feuille

d’un pétale ou d’une corolle

Fais-moi danser tes chuchotements

avec les enfants qui naissent de ta bouche

et des hésitations de ma pensée

Joue avec mes sommeils                   ma folie !

fais-moi voler

anagrammatise mes formules            mes pauvres laisses

Tu sais le vide

la mer sous le désert

l’asile les points de vue         – la conjonction des opposés –

le futur déjà accompli

l’Eden juste là            derrière le plexus

les plis                        le filtre            les voiles

l’entre aérien               la dérive

le lieu entre ma bouche et le ciel

la figure du monde

Tu es ce langage libéré vers les choses et toi-même

ce tremblement subtil

qui nourrit une infinité de paysages

Tu sais tous les chemins les dunes et les collines

les corps qui s’avancent vers nous

les bleus électriques de la gentiane ou de la pervenche

les feuilles poisseuses de miellat du tilleul à Confolens

Tu sais dans l’or cerné de noir de l’été

les troncs tourmentés des genévriers de Saint-Crépin

l’immense clarté qui nimbe les mélèzes

éclabousse ta jupe à carreaux bleus

et que nous sommes unis à l’arnica

par le souffle qui échevèle les cirrus sur Guillestre

Car rien n’est au passé

Tout danse en permanence

les lis turban et le génépi de la haute vallée du Valgaudemar 

les argousiers givrés du chemin du village de Romette

Célébration à chaque caillou            

immergé dans le Bastan au lit de grès rose  

Tu pèses et examines chaque pierre

baptises une mémoire

un sexe lavé du mensonge

– Artémis

ourse tenant toujours ouvert au vent

le livre-monde et ses pages-plumes guérisseuses

que tu caresses tournée vers le vide

vers toi-même

sans corps                                                              

plage infinie peignée par la mer

Tu verses goutte-à-goutte une infusion tiède de fleurs de

camomille dans mes yeux malades

Tête renversée sur tes cuisses dans la maison de Saint-Astier

je vois de ton visage un vitrail kaléidoscopique !

Transmigration de ta bouche vers ton front aux cheveux

d’algues

Tes yeux vers le plafond s’étoilent puis se liquéfient en cire

fluide et brillante

le feu et l’eau jouent avec l’air

comme avec les contours de ta tête et le fil de tes mains

damasquinés de rivières blanches ou chromées

le Drac blanc déjà !

Et depuis

toujours les mêmes et différentes figures

avancent dans cette irisation mouvante

Les corps s’y meuvent en mystère

parmi les choses qui nous regardent  

se tournent vers nous

vers ce que nous sommes      

à notre juste place

à l’attelage

conduits vers la source des femmes

            les déesses solaires des cistes

et de la soude brûlée

aux tailles élastiques ceintes de centaurées 

qui partagent avec les oiseaux la lumière océane

Sous les pins les robiniers les chênes l’aubépine

les arbousiers et les chênes-lièges

pareil incendie de l’eau et de l’air alors !

pareilles lueurs difractées puis diaprées

par nuages de spores

langues de notre langue

saluant les visages      écoutant et berçant les corps

la parole des choses

la proposition de notre propre feu

Et tout est pollen sous la violence d’un soleil têtu

ou lavé par d’immenses pluies

des cathédrales de pluie aux cœurs de pluie

qui noient le cœur       le remplissent

d’une haleine de fleurs de poitrine

d’un lieu sans lieu répété de l’amour

jusqu’à en perdre conscience

où même les ciels finissent par apparaître

surgissant de la terre

où la terre qui éructe et pleure

parle de nous 

et qu’un silence d’insectes et d’oiseaux

déchire peu à peu notre sommeil

Rampant dans le principe

feux mouvants entre les eaux

chargés de se rejoindre

de s’épouser               

leviers engravés par l’effort de légender l’intuition

la force de l’espérance 

réclamons maintenant vouloir ne plus rien comprendre

mourir à nos enfances

à nos violences

            à l’oubli

Tournés vers nos intercesseurs

 – les jours et les nuits aux rêves réciproques

notre eau et notre sang

notre cœur                  le feu du père

le serpent       

eguski amandre          ilargi amandre

grand-mère soleil et grand-mère lune

fontaines        

nymphes

terre-mère                   son respir

le souffle

jaspe rouge     gypse               christ sel

calcédoine bleue        

Isha                 Marie en améthyste

en quartz rose

l’océan –

acceptons d’être engloutis de passer à travers nos carcasses           

à travers la porte du crâne      et toutes les portes

de pouvoir tout appréhender

de descendre               de nous retourner

en nous

dans le lait silencieux du ciel

comme ici-bas

où nos mains

accompagnées du silence

continuent à démêler les fibres du songe  

et ne cessent de dessiner des visages

où tes songes maman empruntent mon épaule

me ramènent à la mer                        sur ses paupières

à l’ourlet du regard

où les vagues ont des mains

qui donnent et reprennent   

Sommes en chemin

ensemble        à notre place

SANS MÉTAPHORE AUCUNE

mais pour combien de temps encore parmi les papillons et les oiseaux

les fabuleux sphinx-colibris que tu aimais tant

les cygnes chanteurs les pluviers dorés

ceux à collier interrompu les argentés

les dorés les petits et grands-gravelots

les pluviers guignards

les vanneaux huppés

les cailles des blés

les lagopèdes

les busards féroces les cendrés et les pâle et ceux dits des roseaux les buses variables (n°11) les circaètes les éperviers les gypaètes barbus les pygargues à queue blanche les vautours fauves les moines les geais et les pies bavardes les rousserolles effarvattes (n°7) les fauvettes des jardins les babillardes les grisettes et les passerinettes les faucons pèlerins les hobereaux les outardes barbues les canepetières les sphinx du laurier-rose de l’euphorbe les autours des palombes les bondrées apivore mal nommées puisqu’elles ne se nourrissent que de larves des guêpes les corneilles les chocards à bec jaune (n°1)les choucas des tours les freux les craves à bec rouge les sphinx nicéa et ceux de la garance les bombyx du pin du chêne les zygènes des bois les feuilles mortes du peuplier du chêne de l’yeuse ou du tremble les Lunigères les grèbes à cou noir les castagneux les esclavons et les huppés les bombyx du pin les buveurs les minimes à bande les petites minimes les alpines les lasiocampes de l’euphorbe les franconiennes les duveteuses livrées des arbres les fulmars les fous de Bassan et les rapides puffins des baléares les cendrés et ceux dits des anglais ou de Macaronésie qui volent au raz des vagues en lançant leurs cris plaintifs les bombyx de la ronce du prunier et ceux appelés feuilles mortes les lasiocampes du cyprès et du peuplier les flamants roses les cigognes blanches et noires les bartavelles grises et les rouges les grands tétras et les petits coqs de bruyère les rouges-queues noirs

les gobe-mouches les gorge-bleues à miroir les merle-bleus (n°3) les rouges-gorges européen les rouges-queues à front blanc les rares merles de roche (n°10) les traquets Tariers des prés les Tariers pâtre les traquets motteux et les stapazins (n°4) les merles plongeurs les zygènes corses et ceux dits de l’herbe-aux-cerfs de la Vésubie du panicaut de barèges des garrigues du sainfoin d’Occitanie les bernaches nonnettes et les cravants les harles huppés les colverts les canards pilets et les siffleurs les gélinottes des bois les zygènes diaphanes les pourpres et ceux surnommés de la bugrane de l’esparcette de la gesse de l’orobe les zygènes de Gavarnie ainsi que ceux appelés thérésiens ou des prés et des bois les petits hespéries de la passe-rose de l’épiaire de la ballote du marrube des sanguisorbes de la mauve et encore ceux dits de l’herbe-au-vent les tachetés tyrrhéniens les faucons crécerelles et ceux dits d’Eléonore les émerillons et les milans les ibis les spatules blanches les hérons et les aigrettes les crabiers chevelus les bihoreau gris et les nains les butors étoilés les frégates les cormorans les balbuzards les aigles criards les pomarins et ceux des steppes les skuas les labbes à longue queue les pomarins les petits pingouins les guillemots marmettes les macareux moines les pigeons bisets les palombes les tourterelles des bois tourterelle maillée et les turques les chevêchettes d’Europe les chouettes chevêches les hulottes (n°5) les martinets à ventre blanc les noirs et les pâles les rolliers et les guêpier d’Europe les martin-pêcheur les huppes fasciées les épeiches les pics à dos blanc et les cendrés les pics noirs les bombyx du peuplier et ceux du lotier et de l’aubépine les castillanes les brunes et les jaunes du pissenlit les versicolores les petits paons de nuit les hachettes les isabelles les grands paons de nuit les grues et les courlis (n°13) les bouvreuils écarlates les chardonnerets élégants les gros-bec casse-noyaux les linottes à bec jaune les linottes mélodieuses les bombyx de l’ailante les sphinx gazés et ceux dits du chêne vert et du tilleul les demi-paons les tournepierre à collier les glaréoles à ailes noires et à collier les sphinx du peuplier et du liseron les sphinx tête-de-mort du troène et du pin les sphinx mauresques les coucous geais les coucous gris les effraies des clochers  les sphinx-bourdons et ceux de l’épilobe les sphinx chauve-souris les petits et les grands sphinx de la vigne les pies-grièches à poitrine rose à tête rousse les grises les méridionales les loriots (n°2) les troglodytes mignons les sittelles torchepot les tichodromes échelettes les grimpereaux des bois et des jardins les étourneaux sansonnets les grives les merles les rossignols et ceux dits des murailles les phœnix les bucéphales les hermines les grandes harpies les triples taches les demi-lunes blanches et les noires les traine-buisson les bergeronnettes des ruisseaux les voiles les bicolores les chameaux les demi-lunes grises les dromadaires les bois veinés les timides les porcelaines les bombyx carmélites les museaux les porte-plumes les capuchons les crête de coq les anachorètes les courtauds les recluses les hausse-queues grises les crénelées les alpestres les argentines les mouettes de sabine les mouettes pygmées les rieuses les mouettes tridactyle les goélettes les plovres criards les élégantes les moineaux domestiques les moineaux friquets et ceux dits des rochers les ortolans les proyers les eiders à duvet les fuligules les garrots à œil d’or les hareldes boréales et les piettes les bombyx de la molène les noctuelles de l’orme les harpyes bicuspides et les fourchues les dragons les bombyx écureuil les ménagères les servantes les babillardes les grisettes les passerinettes les roitelets huppés les sphinx du pissenlit et tous les procris de la vigne du prunier et des cirses les atlantes les turquoises des centaurées des chardons des achillées de l’hélianthème et des cistes de la vinette de l’oseille et du géranium les hespéries de l’aigremoine des potentilles du faux buis des hélianthèmes de l’alchémille de la parcinière des cirses de la malope du carthame des frimas du pas-d’âne et ceux encore à bandes jaunes comme ceux appelés miroir ou de la houque du chiendent les cisticoles des joncs les fauvettes des jardins les macreuses brunes et noires les nettes rousses les oies à bec court les cendrées celles des moissons et celles plus rares des neiges les oies rieuses les sarcelles d’été d’hiver et les marbrées les tadornes de belon appelés oies-renards et les grands albatros les sylvaines et les virgules les semi-apollons au corps velu souvent vus dans les Hautes-Alpes les piverts les torcols fourmiliers les percnoptères si chers à Bernard Manciet les petits apollons les dianes et les belles proserpines les grands machaons les flambés les voiliers blancs les porte-queues de corse toutes les piérides du chou de la rave les bécasses des bois les combattants variés les culs-blancs les guignettes les piérides de  l’aubépine de l’æthionème du navet du vélar et du réséda les aurores de Provence les piérides du Simplon les marbrés de cramer les marbrés de Lusitanie les soucis les solitaires les candides les soufrés si élégants avec leur perle blanche ceinte de rose les fluorés les citrons de Provence les soucis les Lucine les faux-cuivrés les Thècle du Bouleau et de la ronce du prunier de l’arbousier du chêne et du frêne les cuivrés de la verge-d’or de nos prairies et ceux des marais les goélands argentés les goélands à bec cerclé les bruns et ceux dits d’Audouin les gabians les marins les railleurs les guifettes moustac et les noires les azurés les bleus célestes les azurés des orpins de la luzerne du trèfle de la faucille de la chevrette des cytises les azurés des mouillères les azurés de la croisette les porte-queue les bruns des pélargoniums et ceux du serpolet des paluds du baguenaudier de la sarriette des anthyllides les bleus nacrés de corse les sylvains les courlis cendrés les courlis corlieux les phalaropes à bec étroit et à bec large les pies de mer les avocettes élégantes les azurés des orpins de l’adragant et des géraniums les collier-de-corail les sablés du sainfoin de la luzerne et de l’ajonc les argus de l’hélianthème des soldanelles de l’androsace de la canneberge du genêt des coronilles les petits monarques les grands-ducs les moyens-ducs et petits-ducs les hiboux des marais les foulques les poules d’eau les marouettes dites de Baillon les râles d’eau et ceux des genêts les poules sultanes les engoulevents les grands et les petits sylvains les grands nacrés les nacrés de la filipendule les nacrés tyrrhéniens les nacrés de la ronce des renouées de la canneberge de la bistorte les petites violettes les paons du jour les morio grande et les petites tortues les paon-du-jour les vulcains les vanesses des pariétaires les pies de mer les avocettes élégantes les falcinelles les maubèches les minutes et ceux à poitrine cendrée les roussets les blancs les violets ceux des marais les Mélitées du plantain les Mélitées noirâtres et orangées les Mélitées des linaires de la gentiane des scabieuses des digitales du frêne de l’alchémille et du chèvrefeuille les Belles-Dames ces fabuleuses migratrices les damiers des knauties les Mélitées du mélampyre les petites bécassines les chevaliers aboyeurs les chevaliers arlequins et ceux plus rares à pattes jaunes  les petits agrestes les Tircis de nos lisières les satyre ou les mégères les gorgones que tout esprit loue le seigneur les fadets de la mélique les mélibées ou fadets de l’élyme les céphales les fadets des garrigues des tourbières les œdipes ou fadets des laîches les ocellés de la canche les amaryllis les ocellés rubanés les louvets  les moirés blanc-fasciés les Tristan les moirés aveuglés les sylvicoles les printaniers les veloutés et ceux dits des sudètes les moirés fauves les moirés pyrénéens les provençaux les moirés des luzules les demi-deuil les andorrans les moirés des fétuques les échiquiers de Russie les ibériques et ceux dits d’Occitanie les chamoisés des glaciers les grands silènes les grands nègres des bois les grandes coronides les chevrons blancs les petits sylvandres les mésanges charbonnières les bleues les huppées les nonnettes les alouettes lulu (n°6) celles des champs et les calandrelles (n°8) les Bouscarles de Cetti (n°9) –

Ô le « Catalogue d’Oiseaux » ! moins les traquets rieurs (N°12) aujourd’hui disparus – les cochevis de Thékla les cochevis huppés les hirondelles de cheminée et de fenêtre les rousselines et celles dites de rivage et de rocher les mésanges à longue queue les pouillots à grands sourcils les pouillots siffleurs les véloces les verdâtres et ceux appelés fitis les hypolaïs pâles les polyglottes les ictérines les Luscinioles à moustaches les phragmites des joncs les bergeronnettes grises les fragiles flavéoles et les hochequeues (ou lavandières) les pipit des arbres et des prés les rousselines spioncelles les bec-croisé les chevaliers guignette les barges rousses et celles à queue noire les maubèches des champs les bécasseaux à cou roux et les cocorlis etc. etc.

Sommes à notre place            en devenir

les animaux nous le disent

le feu et l’eau :           

nous n’avons pas encore franchi le seuil des mots

Sous le soleil près des sources

            le corps millepertuis

sous le soleil   vers toi au fond          vers la pupille

le trou

la vue noire

insistant ici comme une sœur invisible tournée vers le soleil et la mer 

venant de la mer          

de ses lèvres   d’une seconde éternelle

sous un ciel insituable

depuis ce frère flottant au-dessus du désert 

vers le début   l’éclair d’une rose       pour toi Thierry

sous le soleil

le sang lie de ciel

l’invisible est charnel            

et la solitude   un cœur                      

 « Sous le soleil

sans penser à m’enfuir d’ici

j’ai frappé des pieds et des mains la terre

roulé au rythme du chant nomade qui tremble dans le cœur

sous le capot

et aspire l’air de la route

vers la mer      toujours vers elle

même en lui tournant le dos 

sous le soleil

j’ai emprunté le rêve au voyage              connu le rituel des solstices                    

les feux de roues          

les circuits de vitesse

et dans ce grand bordel          l’éternel retour du feu           

seule la traversée provoque les ondes

j’en ai joui      amoureux        rincé

j’ai parlé aux hommes qui habitent le silence

et n’eus besoin de rien d’autre

puis vint un ciel de sable brûlant » 

Le monde naît et meurt entre nos visages-ciels

nos yeux dessinent les corps

des ciels          une permanence du matin

tu savais que tout est transparent

que la terre est aérienne

le rien comme la poussière _ terreau

Les jours jouent avec le soleil

le soleil avec la tristesse

avec les meubles

le vide et le plein

avec l’absence

les traits de l’imperceptible

la musique des grains                         des ondes

la lumière des bouches-christ

leur pulsation

Nous avons perdu le langage des traces

comme nous égarons nos enfants

et nos corps trouvent encore le moyen de trembler

            des herbes dans la bouche

les mains plongées dans la matière

car la parole est une lumière

une couronne

et nos têtes trouvent encore le moyen d’inventer

la voie longue                         dans la rosée

les couleurs de la pensée       

l’intelligence des couleurs

 d’étonnantes résonances

produites par l’apparent éloignement des faits         ou des choses

les déflagrations anarchistes d’où naissent des fleurs

d’inventer

aux grincements des poèmes

un alphabet de l’amour

Car sous le crâne       

une encre s’épand sur le rêve d’être

faisant taire ce rêve d’avant le rêve qui nous prend par les pieds durant la nuit

qui n’est pas la nuit

mais un berceau de lueur

 la demeure inchangée           souffle lent

que nous dormons     

avec nos morts sur les épaules

La pluie est lourde

et nos bouches pourtant veulent encore dire

embrasser

faire sortir des îles-sons          les déposer

sur d’autres lèvres

à la porte d’une autre bouche

De mon sous-sol Grégory Rateau Editions Tarmac

« De mon sous-sol » est un poème-sabre, la forme absolue de celui qui est l’esprit, le sabre et le corps en un.

Le temps à peut-être raison de la chair mais je crois que dans ce poème il n’a en rien altéré la trace de celui qui s’écrie et qui sort de lui pour conjurer son reflet.

Celui qui écrit, crie et danse avec son cœur en le déchirant.

Grégory Rateau est sorti de lui et de son discours. Il a choisi l’exil de soi, de sa « force brute », la vie en chute libre, hors des mystifications et des bassesses du passé. Terminé donc de perdre du temps à ressasser ses anciennes vies ou à prêter le flanc aux disants, aux « sachants ». Dans ce texte vif, la mémoire est à l’œuvre, et l’oubli ramène le poète aux sens, le sens de la déchirure, de la liberté et de la quête.

« La seule révolte possible se passe sur le papier ici n’est pas le lieu de la pensée positive ni de l’extrême négativité la page n’a aucune moralité elle n’a pas vocation au militantisme aucun slogan pour apaiser la bonne conscience des uns et la haine des autres « coup pour coup œil pour œil » 

Il se dégage de sa dernière mue, sa dernière peau de frappe. Il s’en extrait comme lors de ses différentes mues de croissances, il s’est dégagé du club familial, des paumés, puis des sectateurs littéreux, ou des poéticiens. « La poésie fera ci, la poésie fera ça ! » … /… elle ne fera rien elle se consumera et vos piètres certitudes avec elle si vous n’êtes pas prêts à l’attendre refermez ce carnet et allez donc vous faire enluminer »

Pour Grégory Rateau, le verbe est d’un sang toujours neuf et vivant. Même « à l’aube de mes quarante ans » écrit-il, c’est parmi la communauté éclatée de mes « Phrères » que les corps continueront de s’offrir au poème pour « racheter tout ce temps perdu ».

 L’ultime métamorphose s’est accomplie. Sur les écailles de son exuvie, le passé inexorablement se nécrose. La nouvelle peau du poète est prête au combat. Le temps n’existe plus. L’homme peut avancer avec et dans le verbe accomplissant les choses.

« Dans ton combat entre toi et le monde, seconde le monde » écrivit Kafka dans son journal intime en 1917.

Il me plait de croire que Grégory Rateau aura lui aussi fait ce choix : écrire, écrire et être pour se donner corps et âme à la poésie, et réinventer le monde.

« de mon sous-sol » est un texte court, ça se lit d’une seule traite, et c’est superbe ! 

Format 105 x 148 -Dos carré collé -Papier vergé – 52 pages – 10 €

https://www.tarmaceditions.com/

Tristan Felix – en roue libre Editions Tarmac

Vouloir présenter Tristan Felix, c’est un peu comme vouloir expliquer la foudre en boule, le sixième sens ou encore l’esprit des choses.

En revanche, rencontrer l’œuvre de cette lutteuse poétique est chose plus aisée au regard du nombre de ses recueils publiés durant ces vingt dernières années par des structures éditoriales de grande qualité.

Sur la toile, impossible donc de louper Tristan Felix. On a que l’embarras du choix.

Ça c’est pour l’approche. L’intérêt étant bien sûr ensuite d’entrer en contact avec la pensée de cette artiste si singulière et prolifique.

C’est important une rencontre. Parfois, ça change la vie, le sens que l’on donne à l’existence, à la réalité. Lire le recueil « En roue libre » proposé ce mois-ci par les éditions Tarmac est une expérience de cet ordre.

Le livre est composé de douze lettres adressées à différents destinataires : Monsieur Ubu (le système néolibéral), Dieu, Madame la directrice de l’EHPAD Les Diamantines, etc. En lisant ces lettres où l’élégance du style -sa lame tranchante-, n’épargne personne, nous sommes replacés dans une réalité que l’industrie culturelle et informationnelle aimerait tant pouvoir occulter. Une prose érudite, riche et forte nous emporte loin du précipité d’images déversées par les médias, tout en nous rappelant combien la distorsion de la réalité est monnaie courante pour nos dirigeants agioteurs, copains comme cochons avec les agences Moody’s et Fitch, qui nous prient cependant de croire quotidiennement en leurs verbiages économiques, hygiénistes et sécuritaires.

Nous sommes d’abord un peu pris de court puis très vite follement entrainés par la pensée en action de cette écriture ; surpris et grisés par une mélopée où se heurtent et se frottent tristesse, joie, érudition, situations comiques et tragédie dans une profusion de sens.

Dans cet ensemble de lettres donc, il y en a une, très émouvante, adressée à Gove de Crustace, clown avatar de Tristan Felix. La poétesse qui s’adresse à elle-même « l’une mordeuse d’infini, l’autre jugulée par sa propre forme. … /… libre d’inventer son propre chaos » se glisse entre mémoire et présent dans une auto-dérision douce-amère nous laissant deviner l’existence d’une intime et immense douleur. Je crois que l’amour, la réparation, sont partout au travail dans les livres, les incarnations graphiques et le théâtre de Tristan Felix.

Le recueil se clôture sur une lettre adressée au lecteur, possible poète, possible objecteur des formules préétablies du langage de la communication : « C’est un peu à toi que je m’adresse depuis le début, comme à travers une flûte de roseau, la peau d’un tambour ou la paroi d’un gong … /… C’est important un lecteur, même s’il ne joue pas d’un instrument. Du moins fait-il partie de ce grand orchestre dont chaque instrument, comme le gamelan, assure la cohésion circulaire de l’ensemble. De proche en proche les peaux laissent entendre leurs impacts. »

Peut-on imaginer aujourd’hui rencontrer une voix plus belle, plus touchante et envoutante que celle de Tristan Felix ? Je me le demande.

https://www.tarmaceditions.com/en-roue-libre

Format 10 x 15 – Dos carré collé – Papier vergé – 52 pp. 10€

https://www.dailymotion.com/TristanFelix

Ÿcra percer à nuit le monde

Et si l’expérience du corps était une mission de l’âme, l’épreuve de l’incarnation dans les fréquences du vide, dans la pratique consciente de plusieurs traversées; d’exister ?

Et si la vie couvait encore un dire inouï des formes natives du visible et du dire, couvait la mort, le corps-rêve à la porte du feu, et que la danse de l’écriture irisait l’errance subtile du graphe qui affleure à la surface du codage serré des lettres de l’illisible, irisait la justesse des tons aux réminiscences parfumées et le rythme du silence, les vibrations entre l’envers et l’avers ?

Et si dès aujourd’hui nous n’avions jamais fini de lire Ÿcra percer à nuit le monde – de recommencer sans cesse à entendre, à respirer et voir ce texte incomparable : tissu mouvant d’une littérature s’accomplissant, détachée de la signification qu’éventuellement on pourrait lui accorder, qui danse et dansera longtemps sous nos yeux, et moi avec …

V I E – Livre second : Ÿcra percer à nuit le monde de François Richard

ISBN : 978-2-916492-68-1

200 pages

Prix : 15€

Editions Le Grand Souffle http://www.legrandsouffle.com/site-edition/edition

Image d’entête – Travail personnel: Acrylique sur toile de 50/80 cm

Les arbres sont plus grands que le langage

Écrire dans les pages d’un petit livre que chaque matin ricane – grimace fluorée – un masque aux dents propres. Je ne brise pas pour autant le miroir qui me renvoie tous les signes de ma soumission. J’écoute la mer et le vent qui ne disent rien de ce visage ni de ma conscience.

J’entends, comme l’ami Jean-François Simon l’entendait depuis son cloître d’images, les bottes et les fusils, aboiements métalliques, et l’océan qui commence à manger la terre. Un instant, des instants, ce n’est pas grand-chose, et pourtant tout ça existe ; ce qui aimerait fleurir, agir et se perdre sans cesser d’en disperser le sens. Corps et langues s’y enlacent et s’émeuvent.  

Hoquets bruyants du néon, la lumière hésite un peu. Moi aussi, grotesque, imbu de littérature, et implorant les mots pour adresser, gémir un salut, un aveu, au lichen jaune des murets qui recouvre les pierres, ma prière, de sa peau.

J’existe et meurs tous les matins ou presque dans le ronronnement entêtant de la technologie qui dit le monde et la nécessité toujours inaccomplie de transposer l’idée de la vie en pur amour.

D’un instant de frayeur ma parole est née, je crois. Qu’en faire. M’y suis creusé un trou de sidération d’où ça fait beau temps que je tiens tête à la nuit, lui passant par la bouche mes sommeils compassés. Comme tout le monde, je fouille autour du manque et du corps, un trou de langue, de pluie, de paysages. Et des peuples entiers se cognent aux portes des églises, échouent et crèvent sur nos plages.

Il n’y a pas de parler faux – je crois –, de poésie vraie ou de roman mort, mais des bateaux en sortant du chenal qui meuglent l’incipit du voyage à la mer ; mais le dire des choses, des odeurs, de la peur, de la spoliation, de l’horreur et de l’amour. Les arbres sont plus grands que le langage.

Laissée en pâture aux oiseaux qui plongent dans ma respiration – dans son volume d’images , ma parole halète d’abord puis se tait. Et les camions écrasent, arrachent et lissent le bitume de l’embarcadère.

La rampe courbe au parapet blond dessine l’ourlet d’une paupière dont le khôl fond sous la chaleur. Ça sent le goudron et les fumées de diesel.                         Je suis un étranger.

Sans assener ni vers, ni rien d’autre, mais esquissant, il me semble, ce qui ressemble à un lieu, il faut nous risquer avec les corps invisibles du vent et de l’eau, pénétrer l’arcane, ses paysages – bouche, sexe, œil –, l’esprit à la table des mondes et des temps où dansent aussi, dans le cycle ouvert et permanent, vie et mort aux lèvres d’eau puissantes et bleues. Rester clandestin et attentif aux fleurs et aux saisons. Écrire.

Contemplateur dévoré sous la meute, le monde me rêve sans visage.

Toi, ma tête toute mal-tendue vers ce nous qui danse mais reste privé de l’acte inédit, tiens-moi debout dans ma tristesse de fou. Je connais que tu as une géométrie parfaite pour l’exercice. Voilà. Ça ne sert à rien de penser à la suite. Quelle suite.

Aujourd’hui, les dés ne veulent pas. Ils s’obstinent.

En marge du texte, le présent est un autre texte, un autre lieu. Ce n’est pas encore ton tour. Apprends d’abord. Je me répète.

Jette de l’eau sur tes frayeurs.

Écoute ta langue – phé │

énoncer parole et silence puis disparaître.

À l’instant sommes juste à l’heure de l’imitation, de l’arrogance, du mépris, de la violence, des fictions autoritaires. Émets à feu bas. Nulle communication non plus, et toujours en voyage.

Mais amour rituel aux cent visages, tous les matins ou presque. Ça, oui. Faire l’amour, en donner. Écrire, mentir encore. La lenteur de nos corps se réapproprie la chasse poursuite futuriste. Le débordement à venir : le réel.

Finalement, rien ne revient jamais. Tant mieux. En permanence, improviser, je crois, une autre vie. Écrire, parler lentement, et relecture systématique. Dans ma légende, suis plus léger que le souffle, celui à qui on aurait coupé la tête, et cette même tête aussi, inventée, que m’ouvre la danse silencieuse des mots qui ne sont pas tout à fait des mots et des trilles me rêvant, mais un rêve flottant entre les mots et les battements silencieux, entre l’œil et un ciel-mère, un océan, un regard de force, de terre et de pluie pesante rêvés par la sécrétion d’un grand pouvoir, dans le cliquetis d’une langue musicale, la voix d’une rencontre possible, une alliance.

Dans la langue tendue du cinglé, terre et langue en patience, sommes anonymes errants, allongés sur les dalles en pierre des mythes, sous les anneaux des temps, avec dans le cœur un soleil de faïence, et nos voix se meuvent, discrètes et pâles.

Extrait de Sans cesse de Gilles Venier. Tarmac éditions 2018

https://www.tarmaceditions.com/sans-cesse

Image d’entête: Corps et Âme. Acrylique sur bois. Travail personnel – février 2022

François Richard – V I E Livre 1 – L’asquatation

François Richard, l’auteur de Vie sans mort, d’Esteria et de Loire sur Tours, nous revient enfin grâce aux éditions Le Grand Souffle avec un texte-danse qui aura habité de ses déflagrations secrètes un trop long silence du poète.

Dans le premier opus de V I E – L’asquatation -, il y a un lieu : le squat Ribardy. Et puis il y a des heures, des jours dont certains sont des ères, et encore d’autres jours-instants aux mille nuits, aux mille paysages où l’errance a le don de ses voix-âmes, des Driades, d’Esther Leastir (la femme cachée), des fleurs, des vents d’encre, des corps – Ors-feux – au don d’ubiquité.

Le verbe y est matière et musique. Sa résonance sacrée est fertile. Le temps est celui des corps sonores de ces adolescents survivants dont les voix vivent et retentissent dans le choix lucide de leur liberté assumée en tant qu’êtres acceptant leur condition. Tous ou presque annoncent une révélation. Un renversement, une fin et un début ; peut-être celui d’un autre monde.

Ils sont là ces enfants d’Orphée à la fois synesthètes, amnésiques et dotés d’une mémoire plus vieille que la mémoire des temps. « ils sont là, Thubald, Thiam le non mort, Suïm, Imogen, Nroil, – Léopar, frère de Carange, et Chriscent (plus loin) -, et Attuen, et Lullia, et Lul etc., extrayant un vaisseau de l’envers de l’air ».

C’est un texte levé, une odyssée, d’où surgissent des légendes, sources originelles enroulées dans un futur déjà réalisé, où le sensible danse avec la création, avec l’imaginaire ; où le langage est capable de questionner le réel ; de redécouvrir et de nommer l’Arbre-Monde.

Il y a là, en mouvement – en inquiétude -, un chant dansé qui propose une traversée des ténèbres qui nous ceignent. Nulles allégories ou imitation dans son tracé, et surtout pas un jeu. Ça passe par les sens du respir et du toucher et par l’expérience du mystère, de la douleur et de la joie; de leur stridulation. Rien d’occulte non plus, mais sans cesse une création dans le creuset du sens.

L’écriture de François Richard est toute empreinte de cette respiration vitale – l’inspir et l’expir dans l’unicité corps et âme d’un temps-corps -, qui nous permet de tenir, de suivre l’étoile et d’aller vers soi. Lire cette respiration, c’est aussi respirer avec ce poète hors norme, le rejoindre dans sa quête, et s’étourdir avec lui dans la danse d’un verbe qui nous appelle à revenir au vivant, à nous retourner, en nous, et à s’unir à la conscience de l’amour.

Un très beau récit initiatique

Livre 1 – l’aquastation – Premier acte du pentaptyque V I E – 186 pages – Editions Le Grand souffle 2021

Prix: 15€

http://www.legrandsouffle.com/site-edition/edition

Image d’entête: travail personnel – les jumeaux plage d’Hendaye. Acrylique sur bois