Les arbres sont plus grands que le langage

Écrire dans les pages d’un petit livre que chaque matin ricane – grimace fluorée – un masque aux dents propres. Je ne brise pas pour autant le miroir qui me renvoie tous les signes de ma soumission. J’écoute la mer et le vent qui ne disent rien de ce visage ni de ma conscience.

J’entends, comme l’ami Jean-François Simon l’entendait depuis son cloître d’images, les bottes et les fusils, aboiements métalliques, et l’océan qui commence à manger la terre. Un instant, des instants, ce n’est pas grand-chose, et pourtant tout ça existe ; ce qui aimerait fleurir, agir et se perdre sans cesser d’en disperser le sens. Corps et langues s’y enlacent et s’émeuvent.  

Hoquets bruyants du néon, la lumière hésite un peu. Moi aussi, grotesque, imbu de littérature, et implorant les mots pour adresser, gémir un salut, un aveu, au lichen jaune des murets qui recouvre les pierres, ma prière, de sa peau.

J’existe et meurs tous les matins ou presque dans le ronronnement entêtant de la technologie qui dit le monde et la nécessité toujours inaccomplie de transposer l’idée de la vie en pur amour.

D’un instant de frayeur ma parole est née, je crois. Qu’en faire. M’y suis creusé un trou de sidération d’où ça fait beau temps que je tiens tête à la nuit, lui passant par la bouche mes sommeils compassés. Comme tout le monde, je fouille autour du manque et du corps, un trou de langue, de pluie, de paysages. Et des peuples entiers se cognent aux portes des églises, échouent et crèvent sur nos plages.

Il n’y a pas de parler faux – je crois –, de poésie vraie ou de roman mort, mais des bateaux en sortant du chenal qui meuglent l’incipit du voyage à la mer ; mais le dire des choses, des odeurs, de la peur, de la spoliation, de l’horreur et de l’amour. Les arbres sont plus grands que le langage.

Laissée en pâture aux oiseaux qui plongent dans ma respiration – dans son volume d’images , ma parole halète d’abord puis se tait. Et les camions écrasent, arrachent et lissent le bitume de l’embarcadère.

La rampe courbe au parapet blond dessine l’ourlet d’une paupière dont le khôl fond sous la chaleur. Ça sent le goudron et les fumées de diesel.                         Je suis un étranger.

Sans assener ni vers, ni rien d’autre, mais esquissant, il me semble, ce qui ressemble à un lieu, il faut nous risquer avec les corps invisibles du vent et de l’eau, pénétrer l’arcane, ses paysages – bouche, sexe, œil –, l’esprit à la table des mondes et des temps où dansent aussi, dans le cycle ouvert et permanent, vie et mort aux lèvres d’eau puissantes et bleues. Rester clandestin et attentif aux fleurs et aux saisons. Écrire.

Contemplateur dévoré sous la meute, le monde me rêve sans visage.

Toi, ma tête toute mal-tendue vers ce nous qui danse mais reste privé de l’acte inédit, tiens-moi debout dans ma tristesse de fou. Je connais que tu as une géométrie parfaite pour l’exercice. Voilà. Ça ne sert à rien de penser à la suite. Quelle suite.

Aujourd’hui, les dés ne veulent pas. Ils s’obstinent.

En marge du texte, le présent est un autre texte, un autre lieu. Ce n’est pas encore ton tour. Apprends d’abord. Je me répète.

Jette de l’eau sur tes frayeurs.

Écoute ta langue – phé │

énoncer parole et silence puis disparaître.

À l’instant sommes juste à l’heure de l’imitation, de l’arrogance, du mépris, de la violence, des fictions autoritaires. Émets à feu bas. Nulle communication non plus, et toujours en voyage.

Mais amour rituel aux cent visages, tous les matins ou presque. Ça, oui. Faire l’amour, en donner. Écrire, mentir encore. La lenteur de nos corps se réapproprie la chasse poursuite futuriste. Le débordement à venir : le réel.

Finalement, rien ne revient jamais. Tant mieux. En permanence, improviser, je crois, une autre vie. Écrire, parler lentement, et relecture systématique. Dans ma légende, suis plus léger que le souffle, celui à qui on aurait coupé la tête, et cette même tête aussi, inventée, que m’ouvre la danse silencieuse des mots qui ne sont pas tout à fait des mots et des trilles me rêvant, mais un rêve flottant entre les mots et les battements silencieux, entre l’œil et un ciel-mère, un océan, un regard de force, de terre et de pluie pesante rêvés par la sécrétion d’un grand pouvoir, dans le cliquetis d’une langue musicale, la voix d’une rencontre possible, une alliance.

Dans la langue tendue du cinglé, terre et langue en patience, sommes anonymes errants, allongés sur les dalles en pierre des mythes, sous les anneaux des temps, avec dans le cœur un soleil de faïence, et nos voix se meuvent, discrètes et pâles.

Extrait de Sans cesse de Gilles Venier. Tarmac éditions 2018

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Image d’entête: Corps et Âme. Acrylique sur bois. Travail personnel – février 2022

Qui parle encore du drap raide et froid qui claque entre les strophes ?

Qui parle encore du drap raide et froid qui claque entre les strophes ?

Je ne suis qu’une tête-fenêtre, une veste de postier, une tête-cœur obturée. Je n’ai aucun métier, et habite depuis toujours la même piaule à l’architecture parfumée des corps, dans un petit théâtre immobile qui avance vers la mer.

Regarde, c’est toi et c’est moi aussi, sur le trottoir de l’hôpital. J’ai froid et sue à grosses gouttes. Ma figure est prise sous un masque d’insecte. Quelque chose te dit qu’il fait beau, et j’ai froid. Personne ne me reconnait.

La turbine d’un hélicoptère en approche hurle sur ton rêve. L’urgence, c’est le réel, là, juste derrière. Arrête-toi.

Dans la maison de ma mère, je vois des paysages de lessives aux proportions fantastiques, et dans la maison de mon père, j’ouvre au feu les portes. Énergiquement des mondes y sont lavés, et des mythes bouillent dans la lessiveuse rouge en acier galvanisé, tandis que des bouches énoncent des noms de villes et des noms de famille dans une langue de Savon de Marseille et une haleine de Gitanes.

De toi, je veux savoir quoi faire. Ton autel se bâtit. Mais tu ne comprends plus ce qui est dit. Les mots que tu reçois sont des flèches molles. Je me tais et vole. Je suis toi, mon père, et toi aussi ma mère des jeudis et des midis, des étés de voyages en Simca.

Nous sommes des lève-tôt silencieux, échafaudeurs de combines pour faire passer la pilule des jours amers. Des laborieux sédentaires vouant à nos deux astres la bonne odeur du pain. Dandinant, le regard égaré sous nos joies de pauvres, attendons le dernier grand coup de tristesse qui nous sera porté et nous fera jouir, grand tintamarre entre cerveau et pubis.

Mal ajusté à mon corps, je flotte un peu. Flotte mon ciel de roches et de montagnes, de vagues de terre de bruyère et de pins.

Des sacs d’angoisse peuvent bien s’empiler sur mes vertèbres. Sous la charge, l’emboîtement de verre crisse, mais l’orgueil qui est aussi pierre à levier t’a appris à tenir. Qu’ils s’y amassent donc comme ils le peuvent. Midi m’est toujours léger et me danse encor des immeubles blancs avenue des Ternes, kiosques de moineaux boulevard Barbès, affiches colorées qui clament l’humanité, les jupes et jeans, jambes d’une pure merveille te délivrant un billet pour un vol spirituel au parfum de Chesterfield. Volent au mètre par seconde les routes nationales bordant la lente marche des pluies, la lumière jaune que les grands arbres accrochent pour peindre nos visages !

Extrait de Sans cesse – Editions TARMAC 2018

image d’entête – Travail personnel

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rouille des liens de terre et d’herbe

Je n’ai pas peur. Personne n’inventera un autre langage. Écrire, même mal, vaut toujours mieux que parler.

Un dernier visage – celui du dernier au revoir, du dernier coup de vis – tel un masque aux yeux de pyrite, n’oblige pas à dire. C’est un visage enchâssé dans l’or où siègent passé et avenir ; une très vaste musique. Nombreux sont les lieux, les objets, capables de léguer leur prière qui éclairent ce visage. Nous parlons avec le Ciel, avec la lumière et la nuit ; les nôtres, infiniment. Pour autant, je ne sais pas ce que je suis, ni à qui appartient véritablement cette tête. Mais elle sait fixer le soleil à la langue noire pour en faire de la nuit.

J’entends l’eau et le vent. Sur leurs lèvres siège la mémoire du temps.

J’avance, oscille dans l’idée d’un simple scintillement sur le vide. Un jour viendra où je sentirai le vide aspirer les cendres de ce crâne. Et pendant un moment tout flottera, filera dans un souffle. C’est ainsi que peut-être ma première vraie face dans sa pâleur apparaîtra.

J’écris mal que c’est une prière, le regard que l’on se porte. Tout comme nos inscriptions, et l’élan du cœur ; que ce sont des prières.

J’écris mal la vérité des belles apparences. Le vide par le pertuis des images laisse s’évanouir des mots leur respir et leurs résurrections. Alors comment dire avec les mots ?

Écrivez-moi avant que je n’entende plus que les seules voix murmurées par l’eau l’air les forêts et l’art des grands photographes.

Érudite, durite, vidure, la pensée. Mais je ne sais pas ce que cela veut dire. Éiséop petite musique votive et personnelle : à d’autres !

Je n’apporte aucune réponse. Mais je crois aux légendes des regards, à la puissance de l’intention. Je ne suis hélas qu’un puissant corps de mots — des milliers de fois chantés, et il est vrai, à mon adresse uniquement.

À chaque marche franchie le corps est sans autre vérité que le mouvement et les ondes qui le traversent.

Tâcher d’être. Divulguer les grands rushs de lumière, les rayonnements qui passent par les chairs aux bouches de fleurs. Ça bouge. Non rien. Y a l’temps. Non plus l’temps. C’est quoi le temps d’ailleurs : énoncer. Alors ne t’obéis pas. Encorne ici lentement au hasard. Pénètre et accueille tous les sens indispensables au chant. Danse maintenant avec justesse | pluie | goûte sa musique | Océan. Danse silencieuse de l’inscription. Inaugure son éphéméride d’un jour. Toujours le même jour et sans dieu.

Je possède plusieurs visages: quartz, soleil et lune. Aucun n’est vraisemblable et tous ont une réalité. Et tous me manquent. Hommes, est-ce que le monde s’imagine, et la parole et la phrase que relatent-elles des mots et des peuples ? Entendre. Épier. Écrire. Prier. S’y construire une cahute. Aérienne. C’est l’esprit qui l’emportera. Le dedans sur le dehors. L’ironie du vide sur la terreur.

Réclusion ordinaire. Je ne me veux pas. Très bien. Et après. Invisibilité du singulier. D’une ère l’autre. Félicité. De la sortie des eaux à la pensée algorithmique. Existence | joie de pluie | de la houle des dunes. Joie de ton baiser velours et tous tes baisers. Joie anonyme, sourde, épaisse, à rosée de ce qui tambourine et s’ébroue du ciel à rosée de feu | joie boue | joie aux fenêtres brisées de ciels | joie de la peau pétrissant la glaise | joie à boire chaque image dans les livres décousus de fatigue, à tendre l’oreille au silence, à la pavane des corps faisant voler des mondes | joie blanchissant parfaitement la pierre | joie à toucher le fer des ponts à gros rivets, ces cargos d’azurs et de vent | joie rouille des liens de terre et d’herbe.

Extrait de « Sans cesse » Editions TARMAC 2018

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Debussyste. Zapatiste. Spatial. Sollertien.

Je reprends : je suis un gadjo. Un pousse-mégot. Fada. Un lazzarone. Idéal imprévisible. Oculus rift bientôt sur le nez. Une langue insupportable. Cynips. Scintillateur aléatoire. L’informulé. Anamorphose. Hic. Têtu. Noir. Abîmé. uber vtc. Psychopompe. Optimiste. Au piano-lit. Domestique. Méprisé. Scaphandrier. Homme de ménage. Enthousiaste. Vidéaste. Refoulé. Ambitieux. Alarmiste. Démesuré. Hystérique. Commencement. Ardent fessé. Chant du seuil. Rêveur sensationniste. Ut. Interprète de l’échec et des possibles. Seul et pluriel. Clos. Évasé. Femme à corps d’oiseau. Une rose. Criminel passif. Enchanteur. Ouvrier en bleu de chauffe. Lithophage forant l’agrégat. Indéterminé. Écrivant quel sommeil. Le dehors d’en dedans. Corps étonnamment organique. Énoncé éruptif corporel. Émulsifiant. Colorant. Graisse tremblante. Sexe idiot. Correspondant. Colporteur. Manutentionnaire. Voix radiophonique. Chthonien. Aérien. Différant. Pacemaker. Mes cœurs. Des cœurs. Arias de lumière. L’oubli. Boue. Un programme. Enfant invraisemblable. Lâche. Une copla mal taillée. L’époux gelé. Au désert. En plein désert. Exaltation. Délire chaud et froid. Ce que force veut dire. Flux performatif. Textuel. Nu. Tensions cervico-brachiales. Le plein. La marge. Orphelin. Imaginiste. Flexible. Manque. Fatigué des meutes. Bandé. Attentif. Érectile. Hum. Menteur. Hors manifeste. Buissonnier. Bienveillant. Cru. Peau-plaie. Suicidé. Empressé. Maladroit. Étranger. Parole. Une Fiction.  Caresse. Oisif. Entrecroisé. Hésitant. Errant. Confession. Antidémocratique. Confidentiel. Corps-texte. Tressage. Danse impondérable du désir à l’adieu. Sans devenir. Virgule. Articulation coupante. Sabre. Sans but. Gueux probablement définitif. Prosateur. Inutile. Tyran. Listé. Fainéant. Héroïque. Désespéré. Amoureux. Obscur voyant. Opacité sainte. À la poupe. Au cul et au ciel voué. Accidenté du travail. Marcheur invétéré. Ricanant. Refuznik. Insoumis aux nouveaux millimaîtres et aux tutus de la vieille et de la nouvelle langue. Objecteur de croissance. Sorcier(ère). Solitaire. Été. Don. Névrosé. Feuillu. Herbu. Vicieux. Aborigène. Mythomane. Suspect. ada.text_io.put_line. Occitan. Macabre. Excité. Adepte. Malestruc. Maladroit fan de truc malec. Charnel. Juif. Arabe. Apatride. Debussyste. Zapatiste. Spatial. Sollertien. Flaubertien. Archaïque. Affectionné symboliste. Métaphysicien. Deleuzien. Ombre. Banquier – pour qui n’a pas lu Pessoa. Durée. Simpliste. Acédique. Vagabond. Etarra. Mallarméen halluciné. Illuminé. Zen. Intercesseur. Immobile opiniâtre joueur de dés. Improductif immoral. Chieur. Incarnadin à la face de vit. Splendeur d’une face de nourrice. Religieux zonard. Inutile suture. Plaie rouverte. Idiome ahurissant. Chorée loquace. Heurté. Paradis renversé. Infecté de survie. Le rêve de s’ouvrir en rivière. Amibe. Jeté. Colleté. Aïon que personne ne saisit. Désirant. Anonyme et véloce. Gonflé de tableaux. Lisier. Mamelle. Barque de glaïeuls. Calfaté de mystère. Alcoolique. Disputeur. Mystique. Le nez fourré dans ses chapelets d’œufs. Sensitif. Iconoclaste. Obscur. Image. Larve à qui l’on ne donne plus beaucoup crédit. Teigne récurrente sous son duvet. Jaloux. De mèche avec l’amant. Dans l’odeur apaisante de la guerre des sexes et des classes. Faillible montreur. Clair ulcère. Délégué syndical. Verrue qui grésille sous l’azote liquide. Vocable social. Emmuré dans l’orgueil des plus humbles. Armé et sourd. Ex-voto. Léger et grave. Trachée des suppositions. Chevelure des mauvais jours. Aubaine. Physique idéale du son. Anche. Augure assis parmi ses chats. Sans chef. Sans tête. Inaudible. Brume. Lesbien. Empreinte. L’idée d’une fin aussi. Des images encore. L’incertitude. Une noire tégénaire. L’élégance d’un baiser. Gelée opaque. Régurgité des croupes d’où s’écoulent les prières. Une question. Des questions. Inoxydable raison. Pur fictif. Neuf. Journal mental. Urticaire. Brêlé de nervures chaudes et tendues. Aporie. Sans mémoire. À rebours. Approximatif. Hasardeux. Hypothèse du rêve. Inconcevable. Fraternel. Hérétique boiteux et tout le saint-frusquin disputant aux rites fictionnels le corps des choses et le voyage. Lyse onctueuse échevelée chromatique. 

Extrait de « Sans cesse » Editions TARMAC 2018

Image d’entête: travail personnel

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Jean-Luc Godard et Jean-Daniel Pollet

– Envoûté par des bribes d’opéra, par le bruit des rames entamant l’eau, par des éclats de voix, fracturations chuintements pointillistes, vitesse des points de couleur d’images en gros plan, par le vol, l’envol des draps et des fenêtres ; par les mots tels des poignées de cheveux dans la bouche

captivé par les films de Jean-Luc Godard et Jean-Daniel Pollet, par les marges, les miroirs, l’enchevêtrement de larves, christs et petits cailloux, les ogives d’aisselles 

hanté par l’abjecte, l’insoutenable image télévisée de l’assassinat commis en pleine rue de Saigon par le général Nguyen Ngoc Loan exécutant d’une balle dans la tête l’homme à la chemise à carreaux ; par les 30 millions d’esclaves qui survivent en ce monde, les horreurs du génocide rwandais, Sarajevo, la boue de Calais, les saloperies ordinaires commis par les États : par Auschwitz, les enfants et les peuples martyrisés ; par nos compromissions, par l’assassinat du Père Jacques Hamel ; par la production, le travail esclavage, l’exclusion, la stérilisation des esprits, les reculades, les rapts, les sarcasmes, les fuites, les hontes

rêvé par l’odeur des nuques, par l’île des morts, le noyer de Sarzeau, la tourbe et le ciel reflétés dans les flaques de neige fondue, par la mélancolie, le gois de l’île de Berder, par les bébés au parfum gras de la matrice

fasciné par la mémoire des pierres, la foudre, la connaissance ; par la viande zébrée de magie, les vortex de clarté, la lumière, les béances cadavériques du plaisir et la soie du désir, l’illisible tracé, la peinture romanesque, la poésie et sa musique aux corps invisibles mais inévitables

transporté par le goût des prunelles, par l’adagio en ré mineur BWV 974 de Jean Sébastien Bach, les errances, la mystique, la Méditerranée, la ronde des fées dans les sorbiers aux oiseaux et les saules, la jouissance, l’amour, le vide, les ponts et la lune ; par les trouvailles, la belle morve des oisifs, par la mémoire de l’eau, l’éclair des truites aperçu sous la loupe verte des eaux ; par les framées du givre, par les petits voyages entrepris avec Sylvie, par le son des cloches des troupeaux du Puys de Manse, le vent du gouffre, les fossés, le gypse, l’herbe rase des bellons, la noirceur des chemins, la belle démesure d’accolements cristallins et sylvestres de la vallée du Champsaur ; par la forge du père Garnier, l’acier luisant, l’odeur de sang cuit qu’ont les atomes d’acier expulsés de la masse chauffée à blanc puis réduite au pilon dans des gerbes orangées et bleues noires ; par les églises végétales, la mélopée, le voilé, la transparence des rochers, le feu et ses fruits racornis à manger loin du lait ; par la grâce, le mouvement, la tendresse, la lenteur consolante, la buée, les genets vaporeux, l’océan ; par les confitures et les cerises d’Ixtasou, les jupes relevées du rêve qui danse ; par les rares amitiés, l’exaltation, le toucher, la mémoire, les horizons

ému par les barques, les vaporettos, le sel, la beauté des cimes. par ce qu’un regard peut demander à une bouche, et le ciel à la terre ; par le pain, la terre, les textes et les arbres, par le basilic, les contre-indications à vivre, le spasme du hoquet à l’énoncé perdu. par l’inachevé, les cataplasmes à la moutarde, les cuites sévères, l’œil et ses flèches, les tarots, l’hélice du soleil, l’oiseau, les brèches, les joies, les astres, les masques et les statues de midi ; par les trous d’ombres bleues dans la glace, les landes emmaillotées par les toiles d’araignée, la pluie fine, les digitales, les tourteaux d’Hossegor et les huîtres du Cap-Ferret ; par le rayonnement platine des daurades et les fossiles téléostéens vus à Hendaye, la fricassée de gambas flambées à l’armagnac, les chats, les tripes à la basquaise de dix heures

touché par les gares, les objets, les spirales, les rhizomes, les lauriers, par les beautés du lot et du Célé, la Provence, le paganisme, l’International Klein Blue, les photos, les aubes, les anfractuosités du poème, les sources et les rivières, leurs limons ; par les écharpes d’odeurs, par ce qui règle les étoiles avec tant de justesse, l’œil érodant comme un fou ses limites ;

étonné par les cils des vorticelles, la stupéfiante métamorphose du cul en écubier, l’écorce et les écorchés

troublé par les sex-shops, l’écrit, l’écrin, l’écrou, l’épreuve, les colonnes ; par l’œuf, l’embryon céleste, les coqs, l’or fondu du silence versé tempus mortis dans les voies digestives, et par les monolithes en H de Pumapunku

impressionné par les concaténations archaïques des tons chez Bacon ou chez Lucian Freud, le verre et sa source de sable, par les nébuleuses, l’hymne hydrogénique du cosmos, la farine des cendres 

bercé par la prose ronflante du moteur de la Simca qui naviguera encore longtemps parmi les parfums de la route menant de Gap à Briançon ; par le froissement sec des chardons bleus, par les planeurs glissant dans le ciel de Mont-Dauphin ; par le chant infini qu’on redécouvre sur les falaises au pied des pins parasol, des arols ou dans la rouille des saisons que le fer concentre, et – contemplant encore aujourd’hui d’en haut du souvenir le tracé du col que des voitures en montant soulignaient sagement, – j’écris.

Et voici qu’à mon esprit s’impose soudain le rêve que je crois incarner, une inquiétude douce mêlée de paix de n’être que ça au fond, double délirant le monde, expérimentant ce délire, et peut-être rien d’autre. Qui sait.

Ne confirmez svp. Je doit suivre sa chance, eut-elle été rêvée. Énoncé offert. Aucun but. Révolution et charme des signes. Chantez vous-même cette indécidabilité inconnue, sans l’amplification courante.

Extrait de »Sans cesse » Editions TARMAC 2018

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Ne rien craindre des railleries, des mépris

Âge de la lune : 6 jours 16 heures 16 minutes. Je ne le dis pour personne ce lieu sans bords et sans hasard, au hasard de ce qui s’y manifeste et nous méduse. Ça en fait chier bon nombre, la beauté, l’éblouissement.

Air feu océan matrice, l’immense femme-tresse-spirale révolutionne gire dévoue demeure voue existe virgule articule n’explique et n’identifie coupe sabre éclot sans but déterminé.          Du monde, je n’y ai jamais vu qu’une lisière à vrai dire peu fréquentée où les atomes bondissent dans la vibration d’une poix ondulante ; un Univers Aspic.                                                                The never ending trip… Ainsi/ œil soleil oiseau /ne tourne pas les pages – jamais –, mais frappe les atomes, ramenant au temple d’insécables permanences. Soudaines, sidérées, réverbérant un swing de lumière lente et bleue, mille faces en surgissent.

« le sud ? … c’est par-là » maugréa-t-il sans lever les yeux, en indiquant de la main la porte donnant sur le couloir. Et il rajouta : « vous y ferez quoi dans le sud ?  »
– « je n’sais pas… est-ce si important ? » et l’ombre disparut, la chance→ suerte sur le terrain de l’homme, une corne en plein cœur.

Car il n’y a pas un point obscur, mais des entres, des songes extraordinaires où d’évidence rien ne s’endort : c’est Ga’nza, une explosion vertigineuse de lignes et d’images par milliers ; une transe sacrificielle, une danse de courage. À cet endroit de pure réalité, Ainsi n’est plus un fatum. C’est un maelström de chants, de danses et de musique.   Et la main qui porte la lame sur le prépuce porte un mystère et une souffrance. Derrière les cirrhes du grand tapage Ainsi admet tout. – « dis, quand reverrons-nous dans la mort, l’enchantement des fins dépassées ? » 

L’eau de la mer des Tchouktches, des Sargasses et des Antilles, de la Méditerranée, de la mer d’Arabie et de la Caspienne, de la Mer Noire, de l’Adriatique, du Nord et celle de Chine bientôt montera. Vers le chant et ses lignes, fascinante mélopée, tous les points et les courbes d’un pur désert. L’ivre est là, cadenassé – inachevé, dans sa chair et ses voix radiophoniques –, admettant la nuit.

L’eau de la Mer Baltique et celle du Japon, de la mer d’Okhotsk, de Béring, de Kara et celle de Barents ; l’eau de la mer des Laptev, du Groenland et de Norvège bientôt montera. Le corps est pris par les sens, le cœur lui tenant lieu d’entrailles essentielles. La fin est commencée, bifurcation. Et c’est par là que ça commence. Ça exhale et veut parler, précipiter la fuite. Pas de mots. La mémoire, les lignes sont dans l’œil – innées –, et les parfums en conscience des pores, prophétie par ce pertuis qu’il faut franchir. L’eau de la mer du Labrador et de Beaufort, d’Andaman, de la Mer Jaune, de la Mer Rouge et celle de Java bientôt montera. L’odeur de la nuit est d’une sauvagerie qu’ainsi et mémoire, admettent sans illusion.

Déjà le rut d’un souvenir contracte les lombaires du rêve, mais sans que la réminiscence ne détériore la nature vertébrale et gazeuse de l’affermissement. Ça respire, entend et voit. Cet impossible lieu parle plus vite que les mots. Le corps y est coupé par l’attente, mais respire encor la hâte de commencer. Le souffle menace même d’aller plus vite à sentir l’imminente rupture. N’y rien attendre est une urgence d’éther.

L’eau de la mer de Timor, de Célèbes, de banda, d’Arafura, de Bismarck et celle des Salomon bientôt montera ; l’eau de la mer des philippines, de la mer Blanche, de la mer de Sibérie, de Corail, de Marmara et celle de Tasman aussi. Et puis après tout, qu’importe ; nous nous ignorons tellement. Tourné vers le visible et l’invisible, tenant dans la bouche la clef d’un langage, ainsi ne change rien au monde. Sinon, que voudrait dire le réel → si sa masse n’était critique, se dissolvant et coagulant en permanence au gré des expériences que nous en faisons ; si son aria n’était ivre de ses aubes et de ses nuits aux condensations brûlantes.

Ça s’enfonce loin, non pas depuis la secousse des mots – leurs à-coups – mais sous la lumière et depuis la lumière. Ça se déplace d’ailleurs plus vite qu’eux, et, sans reconnaissance à leur égard, monte aux étages les plus sombres du dire, prend une cambuse et en tapisse les murs de graphes dont l’amorphisme des jambages en disperse les sources.

Ainsi trouble d’abord, abîme chaque fois un peu plus la perspective, heurte le regard lequel néanmoins peu à peu s’aiguise, glisse sous les contrastes et dépasse les apparences. D’abord la joie – poudreuse –, puis la confusion – un maelstrom de voix – bien sûr. Des paysages, des immeubles, des affiches de rue aux en-têtes colorés ceignent harmonieusement ce lieu indéfini où tout ce qui s’y produit ne semble témoigner que d’une différance, d’un saut à la fois obscur et transparent, à la fois vide et jalonné de repères que rythment les heures claires et volatiles du matin, puis celles de l’après-midi, lourdes et dorées, et les plus graves – presque ennuyeuses – qui lentement précèdent le mystère du nocturne, égrenant l’immobile rythme des ombres, comme le pas d’un cheval au travail à la longe trace le cerne étroit et répété d’un seuil.

Le silence y est une fréquence, un processus de questionnement, d’où naissent inquiétude et langage. Autour du miracle des heures, de la traîne des saisons, du tain des flaques où les silhouettes indécises se fragmentent entre ciel et terre ; autour de la trace ténue où se partagent puissance et l’idée d’être –  ce dont l’agilité du présent se sert mêlant les régions musicales des parfums à la salive crayeuse des peurs et des pensées –, autour d’impeccables intranquillités, partout des ors mangent dans sa main.

C’est d’Ainsi qu’émanent les fréquences, et que le hasard se comprend dans l’attente impatiente de bonté ; par transition fréquentielle.

Extrait de « Sans cesse » Editions TARMAC 2018

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Ne rien craindre des railleries, des mépris (suite)

Ainsi dessaisit tout aussi, mensonge comme vérité ; déroute, épuise, aère, enthousiasme ou obture la pensée, épanouit ou éreinte les corps, infiniment. Jouons-y le jeu des va-et-vient de l’esprit et des corps. Aimons-nous ! traversons le temps dans l’aura de la musique et les luminescences du rêve.                                                                                               

 Écoute seulement. Aveuglément.

Ainsi peut bien oublier constamment ses mues d’Ios  – rouilles négligemment abandonnées , et tenir aujourd’hui la gare de triage et le port (ses attroupements de grévistes) dans une durée énigmatique à la porte de l’inconnu que l’on ne passe qu’en vousoyant l’orée, l’oscillation du présent y est sublime.

Entre désordre → (phénomènes) et harmonie, plusieurs temps existent dont il est impossible d’effacer les traces.                                 Qu’il en soit Ainsi avec son aplomb ordinaire qui se confond ici dans les eaux vertes de l’embouchure et les vagues sur la digue écrasées, dispersées en milliers de gouttelettes, en petits miroirs disséminés par le vent dans les fossés de prose et de rosée, comme par-dessus les flancs rouillés des bateaux – pour certains chargés de voitures européennes, japonaises ou coréennes – alourdis pour d’autres par des quantités de bois ou de ferraille.  

Ainsi ne cherche pas à en savoir davantage. N’a jamais cherché non plus quelle curieuse parenthèse créatrice, quel processus, fit du corps notre étroit et inconfortable scaphandre. Ainsi fomente les formes, le sacrum de sa langue – le goût et le sexe –, plonge ses vertèbres dans le fracas hétéroclite de couleurs phénoménales, lâche des corps plus vrais que nature, les précipitant sur la matière même des choses, et laisse sans arrêt l’espace tomber.

In sic, voici mes moires qui dansent, nobles et rouées. Comme auront été bons vos yeux, d’abord sévères, puis attendris, portés sur les nôtres menacés par la chute, le rétrécissement du vide, l’occultation des signes. 

Entre l’Euphrate et le Tigre, comme au sortir d’un anéantissement     (Abu Ghraib de l’éden ; l’horreur des cages, des coups de trique, des corps rendus inhumains et des chiens démons)                               même si elle n’est rien que le souffle d’un sac de poussière, – cette poix sèche crachée, arrachée avec son tapioca glaireux qui obstrue de nuit les bronches, et qui s’accroche ensuite aux parois du pharynx, avant que les mots ne s’échouent disloqués vers la bouche   carte du monde et du soleil ; bouche si désœuvrée et tellement ensuquée par le vide et la peur, par la boue léthargique du dernier sommeil, qu’il lui faut d’abord épeler un juron, – la parole veut encore s’étoiler et déborder ses ruines leur ajustant des lés de ciels extravagants !

L’air bouge dans un signe très ancien que des effluves d’asphalte et le goût délicieux de mes cigarettes espagnoles embaument. À peine un éclat, un vague balancement, et c’est la totalité des choses qui fond sur l’arrière de la langue. Aujourd’hui est la mère, la permanence d’Ainsi.

Une pituite pleine d’une infinité d’images du monde ferme mes yeux sur le souvenir flottant du voyage ; la neige, les plages, et ces lueurs sur la peau de l’onde que les notes de Little Wing accompagnent, jusqu’à la maraude inconsciente des aurores entichées d’extraordinaires imagos qui content à toute vitesse l’inatteignable et immobile aisselle.

Impossible ainsi d’oublier celle qui aura dansé pour moi durant des jours dans une chambre minable d’un hôtel meublé. Arrêter ça. Mais comment ? Éternels ces moineaux qui, depuis la rambarde du balcon, nous épiaient puis, dans un vol rapide, venaient chaparder les miettes brunes de pain bis abandonnées sur les draps de notre lit international ! Quel cinéma !

Nous habituer à ne vouloir rien devenir

Des idées nous ont tenté et nous tentent encor, des images et des actions→ naissances. Avons ainsi épuisé un bon nombre d’hypothèses dans l’intention d’agir ; naître et renaître toujours. Mais est-ce bien de cela dont il est question ? des hommes tombent, et dans nos livres s’amenuise doucement le souvenir de la raison des corps et des rendez-vous dans l’atmosphère au grain léger.

Parfois, par grand calme, réapparaît pourtant la poussière des saisons qui ornait les chemins, les gravières du Drac blanc, les rives de la Neste d’Aure ou celles du gave d’Azun, les prés où, durant l’été, allongés en plein soleil, nous rechargions de chaleur nos corps engourdis par la fraîcheur des baignades.                 Certes, nous fîmes bien peu cas des guerres, du malheur des hommes. Certes, derrière nos masques, dans les arômes de nos cabines corporelles, individuelles et insatisfaisantes, avons dormi d’un sommeil malade, la tête abîmée, farcie de rêves et couverte de fêlures. Quelques fois nous nous serons aussi tout de même battus pour essayer l’exil, rejoindre dehors un espace asilaire et subtil ; un lieu idéal et commun. Du reste, avons aimé sans que jamais ou presque l’instinct n’ait pu assombrir aucun de nos gestes. Et si lors de nos étreintes –  le visage enfoui dans les voiles, les plis les plus intimes de l’être, la bouche embrassant et fouillant les muqueuses de velours et de musc d’où jaillissent des flopées d’étoiles, il ne fut pas tant cas de ruse du vouloir que de l’augural retour– , nos yeux, nez et langues ne cessèrent d’acclamer au périmètre des faces, ce qui en inondait les berges, la beauté et l’audace des crépitements, puis l’onction des émissions et leurs odeurs abondantes, envahissant notre désir fou et vain d’y pouvoir disparaître.

Coquillards enluminés de complaintes, n’ayant eu de cesse de nous déprendre, de nous éloigner du pays du père, des meutes – accomplissant à rebours des pratiques communes l’exubérant prodige de s’offrir quelques fraternelles solitudes -, on se filme pudiquement, sans caméra, avec la mort qui sait bien que l’on feint. Et on ne l’imagine pas – avec ou sans visage –, puisque nous la portons joyeusement, tournoyant et criant autour du rien, comme si l’on venait de naître.

Voilà. Déjà plus rien d’autre que la limpidité, l’air et les eaux de neige violaçant la peau, le vent aux lames froides balayant une voûte céleste au bleu luzien. Et nos simples figures tournées vers d’autres figures, d’autres corps, demandent au ciel de bien vouloir les accompagner. Car nous voulons nous étendre sous le ciel, et chanter en nous battant les lèvres avec les mains comme nous le faisions quand nous étions enfants ; entrer dans l’énonciation d’une langue étrange et complexe.

Compassion envers ceux qui réfuteront cet écoulement métamorphique du vivant.

Je ne le dis pour personne, cet espace de verre, hymne aux épaules sublimes. Ne rien craindre des railleries, des mépris. Ce qui nous ceint est un cœur sans durée. L’embrasser avec quoi : le texte → canto : aux paysages de pierres et d’herbe, d’évanescences claires et musicales du voyage intérieur. Mais c’est aussi dehors, montant vers l’épaule d’avril, par l’insaisissable échelle de splendeur, qu’il n’est plus lieu d’écrire. Y pourvoient déjà avec peine, les chapitres insaturés à doubles ou triples liaisons ; un peu mieux les primevères des talus jaunes et verts resurgissant sous le givre.

Mort, vois nos mains, nos inscriptions, entends notre souffle, il n’y a là-dedans rien qui puisse satisfaire tes masques.

Trop de travail sur la langue, pas assez d’écoute à l’égard du songe des signes et des légendes. Passé l’incrédulité, c’est-à-dire l’attention ahurie prêtée au déboulement sauvage d’une zébrure scindant soudainement le passage, il faudra du ciel et des corps se convaincre.

Il n’y eut pas d’année qui fixa mieux qu’une autre la permanence d’Ainsi. Averses de soleil et de nuit. Et nous, pauvres de nous, sommes venus plus d’une fois apposer souffle et lèvres sur des noms, des corps, des langages- corps, des histoires, et toujours on nous a sommé de révérer l’esprit du temps.

Ainsi _ prolifère là, sous la peau et non seulement dans l’idée, mais également par le corps craie, et pas uniquement par le corps craie, sa délicatesse tortueuse et bordée de pivoines et d’alouettes. Affleure par ce penchant pour les ciels et pour les corps qui dansent et chantent en frappant la terre des pieds. N’émerge point seulement de la terre ni seulement de la danse, mais aussi de toutes les époques cuites avec leur mémoire.

 Abonde par la bouche intuitive, et non par la seule raison. Ni absolument par l’œil.                                            Inonde mêmement le cœur, sa boîte noire et touffue, et non la seule gloire du souffle que la tétine du sommeil diminue jusqu’à l’amble et endort, mais bien sûr aussi par ce souffle que l’esprit sait rivière large et courbe dont le lit fomente le courage obscur d’enfants perles.

Ni dehors, ni dedans, mais dans la course immobile des temps, les corps translucides de l’enfance de l’aube ;   dans ta bave et ta flore, à l’à-pic d’une rêverie létale où l’âme fait le choix de la terre et de l’eau, se passe de durée, vide flottant à plusieurs cœurs au sens parfait des principes du rêve et des substances fondamentales ; dans les signes s’évanouissant sans perte ; sous les aspersions de la lumière, bondissant vers les lacs d’Ayous, au printemps des gentianes, des orchidées, jonquilles, renoncules et des parterres d’airelles bleues ou des tapis de camarines ; dans les contrastes sylvains de verts sombres que les grands cheveux blancs et froids des cascades brumisent ; ou dans le Néouvielle, lorsqu’on grimpait jusqu’aux derniers spasmes supportables, soit d’un soléaire, soit d’un gracile qui finalement nous jetaient riant et jurant dans  le délice de l’ombre d’un pin à crochets, passées les landines de genévriers nains et de raisins d’ours, et que nous n’existions ! et encor lorsque l’amour était partagé autour de gros morceaux de pain→eish la vie à pleine vinaigrette, et que la délicieuse salade de tomates était avalée et tout l’univers avec, et que le don ainsi ouvert, sa présence réelle, nous éloignait du souvenir.

Ainsi s’ouvre, multiplié. À tout de suite ! s’accomplit affecté, imparable. Toutes circonvolutions égales, et Ainsi de suite. On dort si près des rêves de l’autre déjà énoncés ; sèmes clairs et abstrus, corps lumière et tous les tableaux descendus jusqu’au sein de la langue, ses plis vocaux, et dans la chambre aux soies ciliées des cochlées électriques.

Ainsi renonce, plaide, perce, transperce, crève, démolit ; efface tout trace d’inquiétude tangible sur les pelouses, dans les arbres et les yeux aux iris verts de l’eau.

Ébruite l’insaisissable depuis un axe pyramidal, Kaïlash, jusqu’aux glacis de l’Ossau, verglas dans l’air vertical happant des ombres les bruits. Sans piété aucune sommes nombreux à n’en vouloir dire que l’enfance. Vidéo, je vois ; inadvertance primordiale ! sabayon luisant de tiges et brins ; pas grand-chose pour ainsi dire.

;indécidable, mal si pas serait n’ce                              

le souvenir heureux et guéri.

Assez de voix. Il faut entendre, doucement vivant. Ainsi très murmuré intercepte des douleurs les sonorités.

C’est Ainsi. L’impondérable dissémine sans cesse, et cela ne signifie rien.

Extrait de « Sans cesse » Editions TARMAC 2018

Image d’entête: travail personnel

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des réponses de virus

Habitant le dire, son style et son rythme, marchons vers ce qui ne s’explique. Aucune hallucination. La porte est ouverte. Tous les matins cette porte s’ouvre. Il s’agit bien de ça. Rien ni personne ne peut faire que cela puisse se dérouler autrement. Le temps nous appartient. Des anamorphoses | âmes-sources | dansent. Tous les matins un même petit soleil énoncé de nouveau en silence. Prose de la rosée du dire à rosée d’iris ignée d’amour boucle et bouche de commencement. Prose du vif qu’à chaque printemps la rose embaume, de la voute de nuit et d’échos où le bois et la pierre se métamorphosent, où coulent toutes les rivières et les fleuves. Prose de ma langue qui n’en est pas une, du livre muet mu par les corps qui se tiennent dans le présent comme dans l’imparfait. Prose de nos tristesses, de nos consolations, des parfums et des signes que nous adresse le vide, du livre qu’il faut taire pour retrouver le monde, de mes prières qui proférèrent sourdement le duvet de tes jambes jusqu’à ton gouffre, ciel d’en haut, l’œil à la serrure noire et rose, musicale. Prose des coquelicots puisque cela me fut permis de le dire, de la terre, des couleurs et des frôlements ivres de nos silences et de tous nos mouvements. Prose des lectures faites à voix basse. Prose de l’avancée des silences, de l’oubli, des discussions entretenues avec les morts, de mes lèvres sur tes seins comme sur l’infini ruban des jours. Prose des glissements géométriques des heures et des corps parés d’ombres et de clartés, de notre entêtement à aimer entre la nuit d’étoiles et l’horreur des massacres ; entre mon ciel familier et les murs d’Alep et de Minbej déchirés par les balles. Les bombes. Les barils d’explosifs. Les missiles TOW et M79. Les bombes au phosphore. Mais j’ai ouï dire qu’il ne valait mieux pas. Qu’il y avait quelque chose d’obscène à chanter ainsi. Que nous ne recevrons bientôt plus que des réponses. Des réponses éphémères et totales. Des réponses de vents, de canicules, de tempêtes solaires, d’incendies. Que sous peu nous n’aurons plus que des réponses vaudou. Des réponses de virus aux culs-de-sac organiques, d’oxyures, de fleurs virales, d’un rire jamais entendu. Des réponses de fous aux lèvres et aux paupières cousues. Il est bientôt six heures. Réveil rituel de l’asthmatique. Sylvie prépare le café. Petit déjeuner. Frugal. Inhaler le traitement de fond. Respirer profondément. Reprise des prières : respirer. Je sens mon cerveau se délecter de l’infatigable langage qui nous fait tanguer. À chacun de goûter son propre balancement. Sa musique intérieure. « Je danse sur le fil ». Entre les feuilles du temps pas d’instrument. Pas de temps. Mais une matrice invisible et fermée. Eaux et plusieurs Ciels. Mais des signaux venus du monde des mères. Et nos soleils intérieurs. Et des ondes sinusoïdales de sons et photons. Cantique quantique. Je suis en équilibre. Mes pieds entendent. Mes mains voient et je ne suis rien. Fleurs. Fleurs. Le gouffre. L’équilibre. La lumière. Arbres. Nos mains. Le voyage incessant dans les temps de notre histoire. Je me fie à l’étoile. J’écoute et distingue dans la tendresse des jardins du monde, et dans chaque regard qui s’y pose, un immémorial désir de bienveillance. Ne pas se reposer. La vérité est belle, hideuse et incompréhensible. « Oui, merci Sylvie, je veux bien un autre café. »

Extrait de « Sans cesse » Editions TARMAC 2018

Image d’entête: travail personnel (évocation du travail de l’artiste, Jean-François Simon)

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Painkillers and Alcohol de judah warsky

À son premier quartier, mélancolie, d’une pâleur magnifique. Plus d’autre mouvement que le glissement de l’obscurité. Ici et ailleurs, palpant l’intangible cœur de tes doigts et de ta bouche, cerveau-feuille humant des forêts les secrètes fontaines, l’herbe minérale coupante, aux doigts de scie, empruntant aux lèvres de l’eau les rivages de grès et d’hyacinthes, tu avances dans le poumon de l’air aux vitres de saphir.

Accroupi, le regard fixe, tu interprètes les craquelures que font les pointes de soleil sur la croûte terrestre. Rien n’y sera jamais écrit. Ici, Augé et Hespéris dansent ventre contre ventre sur Painkillers and Alcohol de Judah Warsky. Venez ! te disent-elles.

Leurs arômes, dictames aigres-doux de sueur et d’ambre tressés dont les cirrhes enserrent le seuil du vide, remplissent l’illimité. Elles m’encouragent encore. – Passez ! me répètent-elles.                                                                                                         Apparaissent alors flottant sous le ciel de ta chambre, dans leur propre matière, des jarres de pluie et des bâtons pour les briser, et sous une jupe d’étoiles, agate entre les lèvres, une sirène hermaphrodite.

Tu es enfermé dans un sein dont l’aréole fleurit et sonne à chaque fin du monde. L’obscur a sa route, lieu clos, âpre. Langue de neige et de nuit que la parole étreint et prolonge ou éteint. C’est maintenant ou jamais de laisser la mort à sa place, assise et coite.

À la première seconde, s’enfante une mère (on n’y peut rien), le visage de soi. L’image reptile en un éclair entre par l’œil pour se lover derrière le front. Le thalamus, chambre nuptiale des ombres, absorbe alors cette brillance en lui mangeant les lèvres. Empreinte. L’inquiétude ensuite, infinité gravide, s’engendre dans la suivante. Ainsi tu traverses ceux qui firent tomber les autres, au fil des morts, tout en bas, dans des profondeurs, sur les cimes où il n’est plus question de fuir mais de dire les ombres, les averses de silence. En permanence, l’esprit resserre le lacet des courbes et droites du réel, avale tes ombres. Tu te couches en chien de fusil, les mains serrées sur ton museau. N’attends pas de devenir.

Tes premiers visages ne sont plus. Jusqu’au livre, tiens-toi sur le seuil, surveille tes images.

Sur l’autoroute, tu souris intérieurement aux lacunes et aux précipités de ta pensée. Lancée à 130 km/h dans la chaleur de l’été, la voiture est un four cinétique où se lèvent et cuisent les songes. Tu pilotes une Ariane qui vole sur ses enjoliveurs chromés.

https://www.youtube.com/watch?v=QkK1YLiyfbA

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SANS CESSE – petite introduction

« Dans la rencontre amoureuse, je rebondis sans cesse, je suis léger. »

Roland Barthes – Fragments d’un discours amoureux

« L’eau parle sans cesse et jamais ne se répète. »

Octavio Paz – Liberté sur parole

SANS CESSE

Petite introduction

  Pour reprendre un peu les termes de la présentation que j’avais adressée à Jean-Claude Goiri lors de nos premiers contacts, je crois qu’il faut admettre cette prose poétique comme une sorte de prière athée ou profane qui par sa construction anarchique peut aussi ressembler il est vrai à une proposition libertaire.

  SANS CESSE est un texte vitaliste (que je revendique comme tel) tissant dans ses lignes les signes et les images d’une espérance dégagée de toute morale moralisante. C’est un texte doux et fort à la fois qui colle pas mal, par certains de ses aspects, aux questionnements de notre époque, mais dont l’intérêt principal réside, me semble-t-il, dans son désir adolescent de déchirer le voile d’une réalité dont on nous prie de croire par tous les moyens ou presque quelle serait ainsi, avec toutes ses fictions, à prendre ou à laisser. Le hasard qui d’ailleurs traverse souvent le chant apparaît comme une réciprocité à la nécessité, aujourd’hui plus que jamais, de croire aux forces de la vie.

  S’il n’y a dans ce texte aucune autre organisation que celle que le rêve et la spirale de l’ammonite mettent à la disposition de chacun de nous, SANS CESSE n’est pas pour autant un simple récit onirique. Bien entendu, de multiples lectures sont possibles. On peut très bien l’interpréter par exemple comme étant un regard posé sur le/les temps, où la poésie et la sensualité -parfois déclinées au deuxième degré- forment la trame d’une narration dans laquelle on est en mesure de reconnaitre les séquences d’une histoire quelque peu autobiographique faite d’expériences, d’apparitions et de rencontres au sens de « synchronicités » merveilleuses où le hasard, la mémoire et donc le rêve tiennent une place prépondérante.

  Miguel Angel Real qui a choisi d’en présenter des extraits dans la revue mexicaine La Piraña l’a compris avec beaucoup d’intuition. Si l’on en juge par les passages que le poète a sélectionnés pour les traduire en espagnol, on devine que son intérêt se porte sur ce que recèle ce texte quant aux questionnements relatifs à l’écriture, à la parole et aux méandres du dire qui prennent source dans les strates profondes de l’intime, et ne servent pas seulement à raconter une histoire. Il est vrai que les trois-quarts du récit proposés sous la forme d’un monologue intérieur, où le je et le tu établissent une sorte d’ambiguïté, posent la problématique de qui suis-je, qui parle et depuis quel lieu, mais aussi de l’isolement, de l’internement consenti de celui qui écrit depuis sa cellule et ne cesse de l’habiter comme une sorte d’aveu, ainsi que l’évoque la postface de Onuma Nemon. Ce qui par ailleurs n’empêche en rien la parole de s’en extraire trouvant naturellement la plupart du temps son accomplissement dans sa relation au vivant, et par conséquent, effectuant son rôle de transmettrice de signification qui lie le chant à la propre existence du narrateur, à sa corporéité, mais aussi à son rapport (critique) avec lui-même, avec le monde et le cosmos.

    Nous nous construisons tous une histoire qu’il est nécessaire de réinventer en permanence en la faisant vivre, revivre, en la prolongeant sans cesse tout en rebattant les cartes du rêve, et en rehaussant les voix qui par le passé nous ont pourtant déjà beaucoup dit, mais encore pas assez, tant on perçoit par leurs échos qui parfois arrivent jusqu’à nous, et fugitivement nous traversent, qu’elles nous manquent et nous hantent continuellement.

  Par le langage, c’est une part de l’inconscient qui pilote. Je n’invente rien. C’est Lacan qui le dit (mieux que moi). Mais si l’on excepte la poésie minimaliste, on sait bien que l’inscription ne cède jamais trop de terrain à l’indicible dénué de toute intention et en face duquel, de toute façon, la parole finit par s’éteindre.

  Toute inscription installe – énonce – donc le réel à sa façon, et occupe une temporalité anamorphique qui est la seule temporalité peut-être finalement qui vaille la peine d’être relatée.

Car dans une histoire – eût-elle été sommairement inscrite dans l’écorce d’un tronc d’arbre par la pointe d’un couteau -, ce sont bien les réminiscences qui, à travers la profusion des réflecteurs mémoriels, provoquent le geste du dire et par conséquent ce qui se manifeste dans le poème, la danse, le tableau, la photo, dans l’intonation du chant, etc. Tout comme elles provoquent le surgissement des présences, lesquelles peu à peu s’inscrivent au rythme des turbulences langagières dans l’énoncé de celui ou celle qui exprime à sa manière ce qui peuple son dire, circule en son sang, et parfois s’en défait.

Ainsi dégagé des contraintes comme des fictions, le dit se déliant de mémoires oubliées peut être alors au plus près du geste, libre de toute obligation esthétique ou de quelque autre principe.

  Je ne sais pas, au fond, si la « gestuelle » de SANS CESSE aura pu m’aider à me défaire des mémoires oubliées dont mon organisme pourrait avoir gardé traces. J’en doute. Si écrire est pour moi (comme pour nombre de mes semblables) une nécessité et une épreuve, cette pratique de cinglé ne résoudra probablement jamais totalement (pour ce qui me concerne) les traumas enfouis. Même si par endroits il y a eu des failles, et donc de profondes plongées, et que le dire a tournoyé au-dessus de l’Insula.

  Pour le reste, ce que l’on appelle communément le style – la manifestation presque physique du dire, sa danse -, je crois tout de même qu’un chant parvient à s’en dégager. Mais c’est un chant d’asthmatique qui s’inscrit dans un tissu de fortes activités émotionnelles ; un lieu où souffle et dit girent, se débordent mutuellement et s’arrogent le droit de se perdre comme de faire perdre à une lecture le fil de « l’histoire ». C’est désordonné, parfois presque non-verbal et par conséquent quasi-musical, comme dans la vie ; je veux dire accompagné d’une bande-son et image profuse.

  Rien à voir hélas, avec l’écriture de conscience, simple et forte, à la fois rassurante et inquiétante au sens d’un mouvement, d’une oscillation de l’être, corps et âme en équilibre constant dans la réalité du monde, que l’on rencontre par exemple chez Didier Ober, un poète Creusois que j’ai découvert dans la remuante revue Traction-Brabant.

On aime d’emblée son écriture parce qu’on la sent proche de nous, et qu’elle touche une part de l’intime, une part de notre conscience la plus profonde qui est en relation avec le cosmos. On lit sa poésie, et on est immédiatement embarqué, comme lorsqu’on fait rouler une pierre dans nos doigts, et que, par le simple fait d’observer le minéral, notre esprit s’échappe et nous éloigne subtilement des fictions ou des passions qui nous empoisonnent et nous emprisonnent. C’est simple et beau.

  Pour essayer d’être complet, je dois ajouter que SANS CESSE s’est construit pour partie au cours de ces dernières années au rythme de la publication de plusieurs recueils dans la Collection Encres Blanches des Editions Encres Vives dirigées par Michel Cosem.

Le principe : écrire dans un bloc-notes initialement intitulé Dormir le temps des « épisodes » ou « chapitres » qui seront immanquablement réécrits à « plusieurs voix », et s’engouffreront dans une infinie spirale de mondes, de textes (quelques fois détruits) et d’évènements (vécus de près ou de loin) aux correspondances réciproques. Ce sont eux qui accueilleront les toutes premières versions d’une prose réinventant en permanence le chant et ses métamorphoses qui circulent dans le sang d’un narrateur pluriel.

Ni discours ni mimique littéraire, mais une libre itinérance, une rhapsodie – au sens musical du terme – de solitudes, de coïncidences etc. qui interrompent parfois le banal cours des choses – la chronologie -, et rendent brusquement la réalité effrayante, sinistre ou merveilleuse.

  Des exigences cependant : aucune rhétorique codée, et que la prééminence du chant comme de l’écrit ne cède pas au lisible. À ce titre, l’indéfectible soutien de Michel Cosem à l’égard des poètes – et par conséquent à l’égard de la critique et des alertes que propose encore la poésie – est inestimable. Terre-à-terre fut publié en 2017 chez EV grâce à l’esprit d’ouverture de cet homme. C’est formidable. Je pense que personne d’autre n’aurait consenti à publier ce texte énumératif des espèces animales et des biotopes menacés de disparition. Terre-à-terre est peut-être d’ailleurs le dernier chapitre en date d’un livre qui aura toujours été davantage rêvé qu’il ne fut souhaité fini. Je ne retins pas ce « chapitre » pour SANS CESSE, mais sa présence enrichira très certainement de futures propositions.

  Le manuscrit personnel aura compté jusqu’à deux cents pages.

Pour certains éditeurs, l’ensemble était trop volumineux. Pour d’autres, c’était la nature-même du texte qu’ils jugeaient inclassable. Quelques revues cependant ont signalé le texte, comme la revue Secousse des Editions Obsidiane par l’intermédiaire de Christine Bonduelle et François Boddaert.

Nous sommes en 2016. J’affronte un Cancer, et Jean-Claude Goiri me fait part de sa volonté de publier mon chant dans sa totalité.

Durant plusieurs mois le manuscrit est alors passé au crible. Des pans entiers sont élagués, dégrossis, corrigés, mais avec la ferme intention de ne réduire du texte aucun de ses à-pics, de n’en gommer aucunes brisures ni d’en blanchir le plus petit de ses psaumes.

  Sa disposition « finale » se réalisera à l’occasion d’un pur jaillissement, d’une nécessité de proposer le début d’une réponse à – qui suis-je ou qui es-tu ? – correspondant au chapitre IV lequel, à mon sens, pouvait permettre à l’ensemble de tenir.

SANS CESSE s’est véritablement organisé à ce moment-là.

Ça chuchote partout et un peu dans tous les sens, mais il n’y est jamais question de répondre à la violence ou au mépris autrement que par un hymne à la joie, à l’ardeur spirituelle.

Patrice Maltaverne, le poète du réel, auteur de nombreux recueils, dira : « Ce qui est montré ici, c’est l’amour de la liberté et de la vie, la beauté des paysages, le désir des corps, bref, le côté solaire des choses…Une poésie de la lucidité également, envers et contre tout. »

Immense compliment.

 

  SANS CESSE est une errance qui n’en aura probablement jamais fini avec ses paysages.

Comme toute errance, elle ne s’inscrira jamais dans le sillage de ce qui se dit (doit se dire ou doit se faire). Elle est remplie et se nourrit d’un joyeux foutoir qui se moque pas mal des systèmes qui font de nous des cooptés ou de très discrets locataires du rêve.

Quoi qu’il en soit, elle restera ouverte à tous les vents, à tous les sens ; ancrée dans la parole, l’expression même de la vie.

« Sous mon diaphragme, je porte un vieil enfant qui suce à longueur de temps ses longs cheveux. Je suis incompréhensible. Et curieusement tous mes proches me reconnaissent, et accordent simplicité à mon langage quand je ne suis qu’à la tête d’un cortège de fictions. »

G.V

Article paru dans la rubrique L’établi du FPM sur le site des Editions Tarmac

http://www.fepemos.com/

SANS CESSE

SANS CESSE – Âge de la lune : 6 jours 16 heures 16 minutes.

Âge de la lune : 6 jours 16 heures 16 minutes.

Je ne le dis pour personne ce lieu sans bords et sans hasard, au hasard de ce qui s’y manifeste et nous méduse. Ça en fait chier pas mal, la beauté, l’éblouissement. Air feu océan matrice, l’immense femme-tresse spirale révolutionne gire dévoue demeure voue existe virgule articule n’explique et n’identifie coupe sabre éclot sans but déterminé.

Du monde, je n’y ai jamais vu qu’une lisière à vrai dire peu fréquentée où les atomes bondissent dans la vibration d’une poix ondulante ; un Univers Aspic. The never ending trip… ainsi/ œil soleil oiseau /ne tourne pas les pages – jamais –, mais frappe les atomes, ramenant au temple d’insécables permanences. Soudaines sidérées, réverbérant un swing de lumière lente et bleue, mille faces en surgissent pourtant, inertes, récessives.

– « le sud ? » c’est par-là, maugréa-t-il sans lever les yeux, en indiquant de la main la porte donnant sur le couloir. Et il rajouta : « vous y ferez quoi dans le sud ? – « je n’sais pas… est-ce si important ? » et l’ombre disparut la chance→ suerte sur le terrain de l’homme, une corne en plein cœur.

Car il n’y a pas un point obscur, mais des entres, des songes extraordinaires où d’évidence rien ne s’endort : c’est Ga’nza, une explosion vertigineuse de lignes et d’images par milliers ; une transe sacrificielle, une danse de courage. À cet endroit de pure réalité, Ainsi n’est plus un fatum. C’est un maelström de chants, de danses et de musique.   Et la main qui porte la lame sur le prépuce porte un mystère et une souffrance. Derrière les cirrhes du grand tapage Ainsi admet tout. – « dis, quand reverrons-nous dans la mort, l’enchantement des fins dépassées ? »

L’eau de la mer des Tchouktches, des Sargasses et des Antilles, de la Méditerranée, de la mer d’Arabie et de la Caspienne, de la Mer Noire, de l’Adriatique, du Nord et celle de Chine bientôt montera. Vers le chant et ses lignes, fascinante mélopée, tous les points et les courbes d’un pur désert. L’ivre est là, cadenassé – inachevé, dans sa chair d’être et ses voix radiophoniques –, admettant la nuit.

L’eau de la Mer Baltique et celle du Japon, de la mer d’Okhotsk, de Béring, de Kara et celle de Barents ; l’eau de la mer des Laptev, du Groenland et de Norvège bientôt montera. Le corps est pris par les sens, le cœur lui tenant lieu d’aurores désordonnées. La fin est commencée, bifurcation ; c’est par là que ça commence. Ça exhale et veut parler, précipiter la fuite. Pas de mots. La mémoire, les lignes sont dans l’œil – innées –, et les parfums en conscience des pores, prophétie par ce pertuis qu’il faut franchir. L’eau de la mer du Labrador et de Beaufort, d’Andaman, de la Mer Jaune, de la Mer Rouge et celle de Java bientôt montera. L’odeur de la nuit est d’une sauvagerie qu’ainsi et mémoire, hallucinés par les ombres et leur tapage qui passent par les failles de l’enclos, admettent sans illusion. Déjà le rut d’un souvenir plaqué sur les reins du rêve, mais sans jamais perdre de vitesse sa durée vertébrale et gazeuse. Ça respire, entend et voit. Cet impossible lieu parle plus vite que les mots. Le corps y est coupé par l’attente, mais respire encor la hâte de commencer. Le souffle menace même d’aller plus vite à sentir l’imminente rupture. N’y rien attendre est une urgence d’éther.

L’eau de la mer de Timor, de Célèbes, de banda, d’Arafura, de Bismarck et celle des Salomon bientôt montera ; l’eau de la mer des philippines, de la mer Blanche, de la mer de Sibérie, de Corail, de Marmara et celle de Tasman aussi. Et puis après tout, qu’importe ; nous nous ignorons tellement. Tourné vers le visible et l’invisible, tenant dans la bouche la clef d’un langage, l’esprit aussi concret que l’air, néant ne change rien au tout, sinon que voudrait dire le réel si sa masse n’était critique, se dissolvant et coagulant en permanence ; si son aria n’était ivre de ses aubes aux condensations brûlantes.

Extrait de SANS CESSE de Gilles VENIER

Extrait de SANS CESSE -Paysages

Et cet irascible coq que personne n’ose trop approcher, qui se pavane et terrorise les poules derrière l’épicerie, dans le jardin potager. Ou cette jument qui, au détour d’un chemin, charge furieusement les passants habillés de couleurs vives. Toute cette force sauvage retardera la mise en faillite du commerce paternel et la visite de l’huissier durant deux hivers.

Depuis la banquette arrière, difficile de comprendre comment le conducteur et sa voiture trouvent le passage dans cette densité noire. Les phares et leur faisceau jaune n’éclairent que les arbres de la forêt semblant vouloir à chaque virage se précipiter sur l’automobile.

Depuis quel endroit, à partir de quel moment, quel entretien, éblouissement ; depuis quelle fêlure la réalité ? c’est une source qui t’a dit que les morts se rassemblaient dans les saisons, les instants et les bruits. Sounds and songs ! serviteurs du vide et de ses parfums.

Le boucher sur la place du village : son avant-bras est totalement plongé dans la gueule du berger allemand qui écume et saigne pour s’être fiché, dit-on, une esquille d’os de bœuf au fond du palais.

Les hautes chambres sont misérables, tout va à la force.

Sacrés, les grands sacs à grains en corde aux bords ourlés sur le café ou les légumineuses qu’ils contiennent. Derrière le comptoir, la sensation délicieuse d’y enfoncer tout un bras.

Tu es loin et ici : inexplicablement. Le bruit surpuissant du moteur d’un autocar qui passe à proximité, abat toute la réalité. Tu es à la porte réservée de l’absence. Appartenir toujours à l’enfance.