Traction-brabant

Un site qui présente la revue papier du même nom, et le travail qui y est proposé. Attention, ici, on ne se pousse pas du col, c’est pas le genre de la Maison. Le ton est donné par Patrice MALTAVERNE. Pertinence et impertinence sont donc fréquemment convoquées dans les fameux « Incipits finissants » du fanzine où le poète chroniqueur s’en donne à cœur joie. C’est souvent grinçant, ça fulmine, vitupère, ça gueule et en même temps l’humour n’est jamais très loin.

L’arborescence du site est riche. Beaucoup de liens vers les sites d’autres poètes. On y retrouve notamment le lien des Editions Le Citron gare ou celui de Poésie chronique ta malle.

La version papier paraît 5 fois par an.

« Tous ces panneaux, tout ce mobilier urbain, ça coûte et ça en jette. Et s’agissant de littérature, matez moi ces festivals. On y trouve des bouquins partout et des écrivains, tous plus pros les uns que les autres. Le monde entier est là, comme dans une vitrine. » P.M.

RAFRAÎCHISSANT!

http://traction-brabant.blogspot.fr/

Numéro 6 de L’intranquille

Dans ce Numéro 6 de l’intranquille, un superbe dossier réalisé par Dominique Minnegheer sur la poésie Argentine.

Un travail très intéressant mené autour de la problématique de l’écriture et du dire en poésie du point de vue de l’écriture polymorphe des poètes Argentins ou sud-américains et de la résonance critique de cette poésie au regard de l’histoire contemporaine.

Tous les auteurs /auteures et leurs travaux sont très intelligemment présentés, sans que le mythe Borgésien ne vienne « polluer » l’approche.

On y retrouve cependant l’énigme du texte pris entre allégories et réalité, mais aussi et surtout l’énergie -parfois celle du désespoir- et souvent la lucidité et l’audace (énonçant l’insupportable) de parler à la mort -parfois face à la mort- , de convoquer l’histoire en abolissant le temps ou à contrario en le rappelant, d’ouvrir un dialogue avec les forces obscures de la pulsion de mort comme avec celles qui créent et célèbrent la vie.

Ce que disent ces poètes est précisément ce qui ne peut se dire ou plutôt ce que l’on ne peut malheureusement presque jamais entendre hors du champ littéraire, parce que ce dire INESTHÉTIQUE (par opposition à l’illustration esthétique commune abondamment répandue par l’ordre médiatique et par l’ordre tout court) énonce explicitement les preuves accablantes d’une lâcheté ou d’une paresse collective dont les fictions -généralement entretenues par des intérêts consuméristes ou par la peur de l’autre, l’oubli etc.-, se substituent bien souvent à la contradiction du débat rationnel ou à l’intranquille expression artistique qui suscite sinon l’émotion, toujours un questionnement relatif à ce que nous faisons de notre vie.

Instructif cahier Argentin donc qui se révèle être, d’une certaine façon, un ensemble témoignant de l’originalité de la dialectique poétique et la justesse de son expression critique en prise avec les distorsions sociales, l’injustice économique et la barbarie, et de toute manière une formidable introduction/incitation à découvrir ou à redécouvrir les œuvres de ces très beaux représentants de la littérature hispano-américaine.

Pour ce qui concerne l’autre partie de la revue, ce sont les traducteurs qui ouvrent ce numéro 6 et proposent sur une vingtaine de pages des textes qu’une délicieuse porosité mutuelle rend étonnants.

Dans un autre dossier, au fil de créations toutes plus singulières les unes que les autres, on y  échange autour de la question du « Genre  » où les poèmes des intervenants actent un lien direct entre le réel et le langage.

Coup de cœur pour les textes de Besik KHARANAOULI – pardon de formuler ici quelques  préférences dans ce riche ensemble -, pour Marie COSNAY, Marie FRERING, Nina JÄCKLE, Abel ROBINO& Bernardo SCHIAVETTA, Denis-Louis COLAUX, Jean-Marc PROUST, Nini BERNARDELLO, et un petit (gros) pincement au cœur pour la présence de Héctor Viel TEMPERLEY qui est pour moi l’un des plus grands poètes de cette Argentine Éternelle.

R.Nivelle

 

http://www.atelierdelagneau.com/spip.php?article185

http://chronercri.wordpress.com/lintranquille/ 

Nullus dies

Le très beau site d’un photographe. Documentation et analyses sont au rendez-vous et offrent du grain à moudre aux esprits curieux qui veulent aller au-delà de la simple esthétique. Les commentaires qui sont écrits dans une langue précise et sans fioritures nous indiquent que la passion est bien le moteur de Nullus dies.

http://www.nullusdies.com/

Extrait de SANS CESSE -Paysages

Et cet irascible coq que personne n’ose trop approcher, qui se pavane et terrorise les poules derrière l’épicerie, dans le jardin potager. Ou cette jument qui, au détour d’un chemin, charge furieusement les passants habillés de couleurs vives. Toute cette force sauvage retardera la mise en faillite du commerce paternel et la visite de l’huissier durant deux hivers.

Depuis la banquette arrière, difficile de comprendre comment le conducteur et sa voiture trouvent le passage dans cette densité noire. Les phares et leur faisceau jaune n’éclairent que les arbres de la forêt semblant vouloir à chaque virage se précipiter sur l’automobile.

Depuis quel endroit, à partir de quel moment, quel entretien, éblouissement ; depuis quelle fêlure la réalité ? c’est une source qui t’a dit que les morts se rassemblaient dans les saisons, les instants et les bruits. Sounds and songs ! serviteurs du vide et de ses parfums.

Le boucher sur la place du village : son avant-bras est totalement plongé dans la gueule du berger allemand qui écume et saigne pour s’être fiché, dit-on, une esquille d’os de bœuf au fond du palais.

Les hautes chambres sont misérables, tout va à la force.

Sacrés, les grands sacs à grains en corde aux bords ourlés sur le café ou les légumineuses qu’ils contiennent. Derrière le comptoir, la sensation délicieuse d’y enfoncer tout un bras.

Tu es loin et ici : inexplicablement. Le bruit surpuissant du moteur d’un autocar qui passe à proximité, abat toute la réalité. Tu es à la porte réservée de l’absence. Appartenir toujours à l’enfance.

 

Chroniques réécrites – Anaérobiose de Mathias Richard – Éditions Le Grand Souffle

Anaérobiose de Mathias Richard – Éditions Le Grand Souffle 

En 2009, j’écrivais à propos d’Anaérobiose, de Mathias Richard, que ce récit était pour moi un texte sensitif par excellence ; un texte cœur, sexe, main, bouche âme et œil tactiles d’un périple en tous sens.

Je n’ai pas changé d’avis. C’est à la fois d’une telle tendresse et d’une telle force, que cet hymne au vivant, le chant ivre de Melrobor-Vampor, se déploie sous les yeux du lecteur à la vitesse de la lumière.

Au fil d’une traversée de l’Europe qui le mènera de Montreuil jusqu’en Turquie, et au gré des rencontres qu’il y fera, c’est dans un langage total en prise directe avec les impacts du réel que le narrateur nous entraîne.

L’écrit sans artifice ni concession dispose en effet du réel sans jamais le trahir, s’approprie du tangible l’infini champ des possibles.

Doté d’une langue pure et insoumise aux fictions des représentations ; d’une langue libre qui ne reconnaît pas d’autre urgence que celle de faire vibrer le corps-verbe, Mathias Richard, retrouve, révèle et rend hommage à l’imperceptible trace de l’âme jusque dans l’asphalte ou nos déchets domestiques.

C’est brut, très beau, et ce n’est peut-être pas non plus tout à fait un hasard si le trajet du voyage passe par la petite ville de Montignac, non loin de Lascaux, ou bien encore que ses compagnons de route d’un moment s’appellent Zach Ovide, dit l’Ogre, Lianh ou bien Annah.

De ce texte ne se dégage donc pas seulement une histoire ou des histoires, mais également la nécessité qu’éprouve l’auteur à évoluer en permanence au delà des mots dans le don pluriel de l’agir, par cet acte sacré qui consiste à joindre l’acte à la parole, mettant en œuvre l’être et le monde dans un rapport essentiel capable de faire naître des lieux et des instants comme autant de sanctuaires qu’une conscience habiterait de sa permanence spirituelle.

R.N

http://www.legrandsouffle.com/en/site-edition/livres/livres-hors-collections/27-romans-recits

Chroniques réécrites – La spirale de la parole – Guillaume Bergon

La spirale de la parole de Guillaume Bergon – Éditions Caméras animales

 

De la lecture de ce texte, on ressort épuisé, l’esprit presque défait.
Mais l’intention de l’auteur n’a-t-elle pas précisément pour but de nous entraîner dans une lecture basse d’abord puis, au fur d’imprégnation rythmique, dans une sorte de vortex qui nous enivrerait au point ne plus trop savoir ce que l’on est en train de parcourir de cette spirale?
Dans une autre critique de ce texte, je crois avoir évoqué une lecture asphyxiante. Je préfère plutôt parler aujourd’hui d’une lecture littéralement saturée, en prise avec un incessant flux nominal.
D’où peut-être cette impression d’immense fatigue pour avoir été confronté à une forme d’expression qui en quelque sorte se nourrirait d’elle-même et, semblable à une transe extatique, s’ouvrirait sur un néant, une non-pensée ou pour le moins, une sidération de la pensée.
Sommes-nous confrontés à une œuvre d’art ? Ce qui est sûr -à mon sens-, c’est qu’en faisant ainsi front à la pensée, en la malmenant et la défiant, l’écriture prend sous cette forme le risque de s’éloigner de la parole ; ce que le titre du livre semble pourtant vouloir démentir. C’est donc bien de l’imminence d’un néant dont il pourrait être question dans ce texte derviche, d’un tournoiement à l’à-pic du vide rarement ainsi approché ; autrement dit, ce qu’on ne préférerait autant pas apercevoir du vide, alors que nous girons tous vers cette totalité.
Y a-t-il lieu alors d’y deviner les signes avant-coureurs d’une métamorphose de la pensée ?

À la réflexion, je ne crois pas.
Reste qu’une telle expérience de lecture, pour déconcertante qu’elle puisse être, est vraiment à risquer.

R.N

http://www.camerasanimales.com/livre06.html

Sonopsies – Editions Caméras animales

Entité sonore très particulière, il faut d’abord écouter le contenu de ce disque comme si, munis d’un stéthoscope, nous étions capables d’ausculter le corps d’un silence, devinant peu à peu son thrill artériel, son murmure respiratoire. Au rythme des créations qui s’y succèdent, on découvre en effet tout un univers singulier, une matrice d’improbabilités, de risques, donc de rêves et d’actions.

J’y ai entendu beaucoup de respirations et de souffles familiers, je veux dire des respirs proches de ceux qui traversent mes recherches.
En outre, j’y ai aussi vu nombre de visages que l’esprit disputait à la matière.

Plasma musical expérimental très proche de la poésie, participant d’une même combustion lente mais radicale, ce fleuve sonore -que des paroles traversent comme des répétitions idéiques-, se comporte tel un agent métamorphique agissant sur les organes des sens tout en empruntant à la réalité ses essences primordiales : contingence, nécessité et chaos.

L’exploration réitérée et forcément subjective m’a fait revenir sur les rives hallucinantes des coulées laviques N°2 – Savant Stifleson pour Agglutina N°6- ElFuego Fatuo pour Il paraît N°8 Mushin N°13-Sun Thief pour Saturnalis (Lights Return) N°14- Méryl Marchetti pour Impro2 N°16- Thierry Théolier pour Morts priez pour les vivants, ils ne veulent plus être des Dudes.

C’est un très bel objet poétique qui montre, à qui veut bien entendre et voir, les issues possibles pour en finir de téter aux mamelles de notre préhistoire le lait des fictions, de l’égoïsme, et du cynisme dévoyé.
Les grandes lignes du mouvement Mutantiste se distinguent de plus en plus clairement à travers la publication de Sonopsies.
R.N

http://www.camerasanimales.com/label/

Thierry Carbonell – Les pives minérales : le sens et l’énergie.

 

L’art consiste à faire des propositions. C’est le résultat d’une action créative pouvant entrer en résonance avec les nombreuses préoccupations de son époque. L’artiste trouvera toujours les moyens de son expression qui, pour la plupart du temps, procède d’un questionnement.

Paradoxalement l’acte créatif sera possiblement sous-tendu par un sentiment d’impossibilité relatif au partage de sa recherche: la partager et avec qui, de sorte qu’en pouvoir jouir serait aussi en altérer salutairement la représentation. L’art dans sa pratique est un acte courageux. L’assertion de l’art tient dans sa beauté ou sa singularité. Il est d’ailleurs assez facile de se rendre compte de la beauté, de la singularité ou de la force d’une œuvre. En revanche, il est plus compliqué d’en comprendre ou d’en expliciter les origines.

Ce qui d’abord surgit d’une œuvre, ce qui semble en tous cas pouvoir y être ressenti comme prépondérant, tient dans le sens et/ou l’énergie qui s’en dégage.

Je pense ici au haïku parce qu’à mon avis les « pives » de pierres (cairn en forme de pomme de pin ou de sapin) qu’érige Thierry Carbonell semblent appartenir à un registre d’images impondérables, lesquelles ne seraient pas sans rappeler celles produites par le haïku, sans que pour autant elles puissent s’apparenter à la trace au sens d’une écriture.

Haïkus tout de même, parce que ces empilements de pierres disent un visage du temps et d’un lieu. Et comme pour un haïku, chacun peut en saisir le sens à sa façon.

L’énergie est dans la pierre. Selon l’endroit, la pive sera donc construite par intuition. Tout matériau minéral à portée de main fera l’affaire. Pas question de bavardage ou de récit, le mythe est tenu au pied de la lettre. La pive est une pensée spontanée, un poème fait de pierres ; une intention matérialisée qui en elle-même fait sens.

Thierry Carbonell crée ses pives seul, défait de tout, débordant dans l’incommensurable. Le lien qu’il entretient avec le minéral correspond sans doute très profondément à une partie de ce que nous sommes: consciences du feu et des étoiles. Il distingue dans la matière brute émergeant des rives du lac de Neuchâtel, des figures et des âmes primordiales; vibre avec le chant sidéral qui s’en libère, et, comme poussé par un irrépressible élan d’enfance, ce fou de signes et de dons court aussi la forêt avec ses compagnons pour entrer en dialogue silencieux avec les mystérieux amphibolites et autres roches anthropomorphes ou à têtes d’animaux qui y siègent et dessinent un territoire sacré.

Le langage des choses est de toute évidence pour cet homme un langage qui fait tomber les masques de la mort du coté de la magie de l’être. Le silence hautain et méprisant des oligarchies culturelles qui nous dominent n’existe pas. C’est ce que me semble vouloir dire la geste de ce créateur qui tout bonnement, à travers le détour et le lâcher prise, l’abandon des mots pour la danse des mots, la fatigue et le risque du faire, entretient un dialogue avec la Terre-Mère. Et si dans les notes explicatives qui accompagnent les photos du site, l’artiste travailleur social invoque souvent la lumière, je pense qu’il faut se garder de la confondre avec la clarté ensoleillée d’une pensée béate. C’est bien sûr d’une autre lumière dont il est question, d’un point immatériel et dense à la fois, d’une fusion noire qui a quelque chose à voir avec l’Or du premier grand feu.

Ses pives jalonnent le chemin qu’il aura emprunté. Et tout laisse à penser que cet intuitif marche et danse sur un chemin de surface qui est aussi un chemin intérieur, celui de sa propre altérité.

Cairns éphémères, parfois défaits par l’action de l’eau ou par des hommes qui n’entendent pas le chant d’amour du tableau subtil, les pives ou autres tentatives effondrées indiqueront aussi peut-être les lisières du discours du je.

De toutes les façons l’eau est la solution du rêve. Et l’eau qui est aussi une pierre et un feu octroiera toujours à ce genre de poésie sensitive les contours étranges et fragiles d’une figure, d’un visage spatial dont les paysages saisissants, les reliefs comme les gouffres, sont à appréhender à l’aune d’une quête de savoir presque aussi ancienne que le monde et ses origines.

r.n

 

http://www.land-art.ch/land-art/